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11/05/2022 | FRANCE | N°19/00284

France | France, Cour d'appel de Versailles, 19e chambre, 11 mai 2022, 19/00284


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 80A



19e chambre



ARRET N°



CONTRADICTOIRE



DU 11 MAI 2022



N° RG 19/00284 - N° Portalis DBV3-V-B7D-S5PG



AFFAIRE :



CSE INDUSTRIEL AIR FRANCE





C/

[E] [S]









Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 09 Janvier 2019 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de MONTMORENCY

N° Chambre :

N° Section : Encadrement

N

° RG : 17/00834



Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :



la SELARL WEIZMANN BORZAKIAN



Me Sylvia LASFARGEAS







le :





RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



LE ONZE MAI DEUX MILLE VINGT DEUX,

La co...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80A

19e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 11 MAI 2022

N° RG 19/00284 - N° Portalis DBV3-V-B7D-S5PG

AFFAIRE :

CSE INDUSTRIEL AIR FRANCE

C/

[E] [S]

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 09 Janvier 2019 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de MONTMORENCY

N° Chambre :

N° Section : Encadrement

N° RG : 17/00834

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

la SELARL WEIZMANN BORZAKIAN

Me Sylvia LASFARGEAS

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE ONZE MAI DEUX MILLE VINGT DEUX,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

LE CSE INDUSTRIEL AIR FRANCE

[Adresse 5]

[Adresse 2]

[Adresse 7]

[Localité 4]

Représentant : Me Jérôme BORZAKIAN de la SELARL WEIZMANN BORZAKIAN, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : G0242

APPELANTE

****************

Monsieur [E] [S]

né le 15 Février 1964 à [Localité 6]

de nationalité Française

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentant : Me Sylvia LASFARGEAS, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : C0113

INTIME

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 29 Mars 2022 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Isabelle MONTAGNE, Président, chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Isabelle MONTAGNE, Président,

Monsieur Stéphane BOUCHARD, Conseiller,

Monsieur Laurent BABY, Conseiller,

Greffier lors des débats : Madame Anne-Sophie CALLEDE,

EXPOSE DU LITIGE

[E] [S] a été embauché par le Comité d'établissement (Ce) industriel Air France suivant un contrat de travail à durée indéterminée à compter du 1er janvier 2010, avec une reprise de l'ancienneté au 4 avril 2000, en qualité de responsable informatique.

Les relations contractuelles étaient soumises au règlement du personnel Cce/Ce/Asaf.

Par lettre datée du 21 août 2017, l'employeur a notifié au salarié une mise à pied disciplinaire de cinq jours.

Le 14 décembre 2017, le salarié a saisi le conseil de prud'hommes de Montmorency afin d'obtenir l'annulation de la sanction disciplinaire, un rappel de salaire consécutif et des dommages et intérêts pour harcèlement moral.

Par lettre datée du 8 mars 2018, l'employeur a notifié au salarié une mise à pied disciplinaire de quinze jours.

En dernier lieu, le salarié a demandé aux premiers juges l'annulation des deux sanctions disciplinaires, des rappels de salaire au titre des sanctions injustifiées et pour heures supplémentaires, des dommages et intérêts pour harcèlement moral, pour sanctions injustifiées et pour 'non respect de l'obligation de résultat'.

Par jugement mis à disposition le 9 janvier 2019, auquel il est renvoyé pour exposé de la procédure antérieure et des demandes des parties, les premiers juges ont :

- dit que les sanctions disciplinaires des 21 août 2017 et 8 mars 2018 ne sont pas justifiées et les ont annulées,

- dit que le Ce industriel Air France devra verser à [E] [S] les sommes suivantes :

* 800,40 euros à titre de rappel de salaire suite à la mise à pied disciplinaire du 21 août 2017,

* 80,04 euros au titre des congés payés y afférents,

* 2 430,90 euros à titre de rappel de salaire suite à la mise à pied disciplinaire du 8 mars 2018,

* 243,09 euros au titre des congés payés y afférents,

* 6 000 euros à titre de dommages et intérêts pour sanctions injustifiées,

* 1 800 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- ordonné la remise des bulletins de salaire conformes au jugement,

- débouté les parties du surplus des demandes,

- mis les dépens à la charge du Ce industriel Air France.

Le 25 janvier 2019, le Ce industriel Air France a interjeté appel à l'encontre de ce jugement.

Le 7 octobre 2020, aux termes d'un seul examen, le médecin du travail a rendu un avis d'inaptitude au poste concernant le salarié en précisant que : 'le salarié peut exercer une activité similaire dans un environnement différent c'est-à-dire dans un autre établissement ou dans une autre entreprise. Le salarié peut bénéficier d'une formation compatible avec ses capacités restantes sus-mentionnées'.

Par décision du 28 juillet 2021, l'inspecteur du travail a autorisé le licenciement de [E] [S], salarié protégé au titre de son mandat de membre du comité social et économique.

Par lettre datée du 29 juillet 2021, adressée le 30 juillet 2021, l'employeur a notifié au salarié son licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement.

Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par le Réseau Privé Virtuel des Avocats (Rpva) le 4 février 2022, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens en application de l'article 455 du code de procédure civile, le Cse industriel Air France venant aux droits du Ce industriel Air France demande à la cour d'infirmer le jugement en ce qu'il a annulé les deux sanctions disciplinaires et l'a condamné à paiement de sommes pour les chefs et montants retenus, de confirmer le jugement en ce qu'il a débouté [E] [S] du surplus de ses demandes, statuant à nouveau, de débouter celui-ci de l'ensemble de ses demandes et de le condamner au paiement d'une somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.

Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par le Rpva le 3 septembre 2021, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens, [E] [S] demande à la cour de confirmer le jugement en ce qu'il a annulé les deux sanctions disciplinaires, a ordonné la remise des bulletins de paie conformes et a condamné le Ce industriel Air France à paiement de sommes pour les chefs et montants retenus sauf en ce qu'il a retenu la somme de 6 000 euros à titre de dommages et intérêts pour sanctions injustifiées, disposition à réformer, de déclarer recevable son appel incident et sa demande nouvelle, de condamner le Cse industriel Air France à lui payer les sommes suivantes :

* 20 000 euros à titre de dommages et intérêts pour sanctions injustifiées,

* 64 200 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral causé par le harcèlement moral subi,

* 32 100 euros en réparation du défaut de respect de l'obligation de sécurité,

* 90 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul ou subsidiairement sans cause réelle et sérieuse,

* 6 170 euros au titre des heures supplémentaires réalisées entre avril et août 2015,

* 617 euros de congés payés afférents,

de condamner le Cse industriel Air France à produire des bulletins de salaire conformes aux montants des condamnations prononcées, de débouter ce dernier de l'ensemble de ses demandes et de le condamner à lui régler la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, et aux dépens.

Une ordonnance de clôture de la procédure est intervenue le 8 mars 2022.

MOTIVATION

Sur le bien-fondé des sanctions disciplinaires notifiées les 21 août 2017 et 8 mars 2018

En application de l'article L. 1333-1 du code du travail, le salarié peut demander au juge l'annulation d'une sanction disciplinaire prise à son encontre par son employeur.

Aux termes de l'article L.1333-2 du même code, en cas de litige sur une sanction disciplinaire, le juge apprécie la régularité de la procédure suivie et si les faits reprochés au salarié sont de nature à justifier une sanction ; l'employeur doit fournir au juge les éléments retenus pour prendre la sanction et au vu de ces éléments et de ceux qui sont fournis par le salarié à l'appui de ses allégations, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles ; si un doute subsiste, il profite au salarié ; le juge peut annuler une sanction irrégulière en la forme ou injustifiée ou disproportionnée à la faute commise.

Le Cse industriel Air France soutient que les deux sanctions disciplinaires notifiées à [E] [S] étaient justifiées en raison de ses manquements aux responsabilités qui lui incombaient en sa qualité de responsable informatique et aux directives qui lui avaient été données par sa hiérarchie.

[E] [S] fait valoir qu'il n'a jamais été chargé du suivi et de la résiliation des contrats informatiques, cette prérogative incombant au bureau du Ce mais que l'employeur en a de manière infondée rejeté la responsabilité sur lui et que les sanctions de mise à pied disciplinaires sont disproportionnées par rapport aux faits reprochés.

S'agissant de la mise à pied disciplinaire de cinq jours sans solde notifiée le 21 août 2017

La lettre de notification de la sanction en litige reproche à [E] [S] les faits suivants : ' (...) Le Bureau a constaté que le contrat 1159 n'a pas été résilié à temps. En effet, des prélèvements indus ont été effectués par le prestataire depuis le 1er octobre 2015. Cela a engendré une perte financière pour le CEI AF s'élevant à 41.067,60 euros et qui a terme coûtera au CEI AF 64.534,80 euros.

Or, en qualité de responsable des services informatiques et télécommunications, le suivi de ce contrat relatif à Print Platinium est placé sous votre responsabilité.

Le Bureau rappelle que ce manquement constitue une entorse à l'article 2.1.3 du règlement intérieur en vigueur au CEI AF : 'Dans l'exécution des tâches qui lui sont confiées, le personnel doit se conformer aux consignes de travail et aux directives qui lui sont données par ses responsables hiérarchiques (...)'.

Il ressort des explications fournies par les parties et des pièces produites devant la cour que dans le contexte d'un changement de bureau du Ce industriel Air France intervenu le 30 mars 2015, le nouveau bureau a décidé de résilier l'ensemble des contrats de 'leasing' informatique ainsi que M. [O] [B], membre du bureau, l'a expressément indiqué dans un courriel du 4 septembre 2017.

Alors que par courriel du 30 août 2017, la société S20, fournisseur, a indiqué que jusqu'alors les aspects contractuels étaient uniquement gérés avec le comité d'entreprise et la partie logistique et technique avec [E] [S] et que ce dernier a, à plusieurs reprises, écrit que seuls les aspects techniques lui étaient confiés et que les aspects contractuels avaient toujours été traités par les élus du Ce, force est de constater que le Cse industriel Air France n'établit par aucune pièce que les tâches de suivi juridique, comprenant la résiliation du contrat 1159 en cause, avaient été précisément attribuées à [E] [S].

Par ailleurs, par lettre datée du 21 août 2017, le bureau du Ce industriel Air France a notifié une mise à pied disciplinaire à [D] [M] en lui indiquant : 'En qualité de responsable financier, le suivi des contrats et la légitimité des prélèvements effectués sur les comptes du Cei sont placés sous votre responsabilité' pour ne pas avoir résilié à temps le contrat 1159, outre deux autres contrats, sanction qui a cependant été limitée à une durée de deux jours alors que [E] [S] qui s'est vu reprocher l'absence de résiliation d'un seul contrat a été sanctionné par cinq jours de mise à pied disciplinaire.

Il s'ensuit que non seulement la sanction notifiée à [E] [S] ne repose pas sur un motif justifié mais qu'elle est en tout état de cause disproportionnée par rapport au fait reproché au salarié tant dans sa nature de mise à pied sans solde que dans sa durée de cinq jours.

La sanction doit par conséquent être annulée et il doit être alloué un rappel de salaire et congés payés incidents correspondant à la privation de salaire pour la période considérée. Le jugement sera confirmé sur ces points.

S'agissant de la mise à pied disciplinaire de quinze jours sans solde notifiée le 8 mars 2018

La lettre de notification de la sanction en litige reproche à [E] [S] les faits suivants :

' Le 4 septembre 2017, le Bureau vous a demandé par mail d'organiser la mise en 'uvre et la restitution du matériel informatique. Le Bureau a notamment précisé que toute répercussion financière engendrée par un manquement de votre part sur ce point serait de votre responsabilité attirant votre attention sur le fait que l'échéance, pour certains contrats, était fixée à fin septembre 2017.

Or, le Bureau conformément à l'article 9.2 du contrat liant le CE à Factum Finance (contrat de location LN0811677) a été dans l'obligation, en raison de la non restitution (résiliation) des serveurs concernés, de continuer à payer les loyers pour une durée minimale de 12 mois.

Le Bureau constate donc que vous n'avez pas pris en compte la demande qui vous a été formulée le 4 septembre dernier puisque votre service n'a pas organisé la restitution de ces serveurs (...)'.

Alors que le contrat de location en cause liant le Ce à Factum Finance n'a été résilié par M. [X] [N], premier secrétaire adjoint du Ce, que par lettre datée du 21 novembre 2017, ce dont Factum Finance a pris acte par lettre datée du 18 janvier 2018 et a indiqué que le matériel devait donc être restitué le 1er décembre 2018, le bureau ne pouvait par conséquent pas légitimement demander à [E] [S] d'organiser la restitution du matériel le 4 septembre 2017, à une date où le contrat n'était pas résilié et venir lui reprocher ensuite de ne pas avoir exécuté les consignes et directives qui lui avaient été données.

Il s'ensuit que la sanction de mise à pied notifiée le 8 mars 2018 n'est pas justifiée et qu'elle est en tout état de cause disproportionnée par rapport aux faits qui sont reprochés au salarié tant au regard de sa nature de mise à pied sans solde que de sa durée de quinze jours.

La sanction doit par conséquent être annulée et il doit être alloué un rappel de salaire et congés payés incidents correspondant à la privation de salaire pour la période considérée. Le jugement sera confirmé sur ces points.

Sur le harcèlement moral

Aux termes de l'article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel;

Lorsque survient un litige relatif à l'application de l'article L. 1152-1, le salarié concerné établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement dans la rédaction applicable au litige (pour les faits antérieurs à l'entrée en vigueur de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016) ou présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement (pour les faits postérieurs à l'entrée en vigueur de la loi sus-mentionnée), et au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Au soutien du harcèlement moral, [E] [S] invoque les faits suivants :

1) des propos agressifs tenus à son encontre le 20 août 2015 par trois responsables du bureau (M. [F], [C] et [J]) ;

2) une lettre de recadrage datée du 16 septembre 2015 remise le 2 novembre 2015 ;

3) une agression verbale le 9 novembre 2015 de la part du secrétaire du Ce, M. [C] qui lui a provoqué un malaise, ayant donné lieu à une enquête du Chsct et reconnu en accident du travail ;

4) une lettre de constat le 18 janvier 2017 à son retour en mi-temps thérapeutique, injustifiée ;

5) une nouvelle altercation avec M. [B] le 27 avril 2017 suivie d'un accident de voiture ;

6) les deux sanctions injustifiées ;

7) l'absence de réponse à son recours grâcieux avant le 11 mai 2018, suite à ses relances des 19 avril et 9 mai 2018 ;

8) le refus du Ce de toute médiation ;

9) ses enregistrements illégaux ;

10) l'envoi d'un message par M. [B] faisant part d'une prétendue volonté de suicide de sa part, avec tout le bureau en copie ;

11) l'envoi d'un message lui imputant des tensions au service informatique ;

12) une lettre d'observations le 31 mai 2018.

Il fait valoir que ces agissements ont eu des répercussions sur sa santé et ajoute que cet 'acharnement' s'est poursuivi, l'amenant alors à se présenter aux élections du Cse en septembre 2019 à la suite desquelles il a été élu trésorier, que 13) M. [C] l'a qualifié publiquement d'incompétent et que 14) M. [T] lui a tenu des propos inacceptables le 17 janvier 2020.

S'agissant des faits 1), la seule pièce produite par le salarié, à savoir un échange de courriels entre lui et [V] [F] et [U] [C], membres du bureau du Ce, du 21 août 2015, ne comporte pas de propos agressifs à l'encontre du salarié. La matérialité de ces faits n'est pas établie.

S'agissant des faits 2), la lettre en cause datée du 16 septembre 2015 intitulée 'lettre de recadrage' reproche au salarié de ne pas avoir informé le bureau de la dépense qualifiée de 'lourde' pour le Ce des frais de location et d'entretien d'imprimantes et des copies couleur et noir et blanc, tout en lui indiquant avoir décidé de ne pas prendre de sanction disciplinaire à son égard. Par courriel du 7 octobre 2016, le salarié a contesté notamment cette lettre de recadrage en indiquant 'avoir le droit de ne pas vouloir participer à ce qui peut apparaître comme une chasse aux sorcières de la précédente équipe, sans me faire menacer de sanctions'.

S'agissant des faits 3), l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 22 janvier 2021 a retenu que l'accident survenu le 9 novembre 2015 dont [E] [S] a été victime sur son lieu de travail s'étant matérialisé par 'une crise d'angoisse avec décompensation anxio-dépressive' suite à une altercation téléphonique avec un élu du Ce, doit être considéré comme un accident du travail.

S'agissant des faits 4), la lettre de constat datée du 18 janvier 2017 reproche au salarié d'avoir tenu des propos irrespectueux à l'égard de M. [Y], Mme [P] et Mme [Z] par un courriel du 12 janvier 2017 ; il ressort de la lecture de ce courriel que le salarié a ainsi écrit : 'Maintenant j'aimerais bien comme certains d'entre vous avoir du temps pour surfer sur les forums... et pouvoir préparer sereinement mes interventions', ce qui constituent des propos inadaptés dans le cadre de relations de travail. Cette lettre de constat n'était donc pas injustifiée.

S'agissant des faits 5), il ne résulte pas de l'attestation de [H] [A], collègue du salarié, l'existence d'une altercation imputable à l'employeur au préjudice du salarié alors que celui-ci se borne à rapporter une explication verbale ayant eu lieu le 27 avril 2017 sur le lieu de travail entre [E] [S] et M. [B], sans faire état de propos excessifs de la part de ce dernier. Par ailleurs, aucune pièce n'est produite permettant de lier ces faits avec l'accident de voiture du salarié du 27 avril 2017.

S'agissant des faits 6), il résulte des développements précédents que les deux mises à pied disciplinaires notifiées au salarié les 21 août 2017 et 8 mars 2018 étaient injustifiées.

S'agissant des faits 7), l'employeur a répondu le 11 mai 2018 au recours grâcieux formé par le salarié le 16 mars 2018, en lui indiquant qu'il serait reçu le 17 mai suivant par un membre du bureau. Le salarié ne précise pas en quoi selon lui, le contenu de cette réponse et le délai mis pour lui répondre constitueraient un manquement de l'employeur.

S'agissant des faits 8), [E] [S] n'explique pas en quoi la décision du Ce de ne pas accepter un processus de médiation constituerait un manquement de la part de l'employeur.

S'agissant des faits 9), alors que [E] [S] reproche à l'employeur d'avoir fait l'objet d'enregistrements clandestins de la part de la responsable des ressources humaines, force est cependant de constater que les allégations du salarié ne sont établies par aucune pièce.

S'agissant des faits 10), dans un courriel du 20 avril 2018, [O] [B] a aux termes de deux pages apporté des explications à des interrogations du salarié en lui indiquant avoir pris l'attache de la médecine du travail 'pour évoquer avec elle votre envie de suicide', les membres du bureau du Ce étant en copie de ce message. Une telle référence portée à la connaissance de l'ensemble des membres du bureau était inappropriée.

S'agissant des faits 11), le courriel de [O] [B] au salarié le 17 avril 2018 est ainsi rédigé : 'Votre service connaît des tensions de façon régulière. Faute de directive de travail à vos subordonner (sic). Celle-ci engendre de la souffrance au travail pour votre équipe. Je ne peux l'accepter et vous demande de faire le nécessaire pour que de telle chose n'arrive plus'. Le contenu de ce courriel comporte des reproches d'ordre professionnel formulés à l'encontre du salarié en termes généraux, sans référence à aucun fait précis.

S'agissant des faits 12), la lettre datée du 31 mai 2018 intitulée 'lettre d'observation' signée par [U] [C], secrétaire du Ce, reproche au salarié d'avoir tenu auprès du prestataire S20 en présence d'un élu du bureau, lors d'un rendez-vous le 24 avril 2018 les propos suivants : 'je suis intègre', 'je ne suis pas comme le bureau', 'je suis un simple salarié exécutant', 'le nouveau bureau prétend que je suis soi-disant méchant et incompétent', les qualifiant de 'dérapages'. Cette lettre n'est corroborée par aucun autre élément.

S'agissant des faits 13), il est établi par le procès-verbal de session du Cse du 28 novembre 2019 que M. [C] a porté publiquement à l'endroit de [E] [S] des appréciations dénigrantes, le procès-verbal lui attribuant le propos suivants au sujet de [E] [S] : 'S'il y en a un sur lequel il faut revoir ses compétences c'est bien lui' et : 'Oui j'espère que vous allez lui répéter! Je sais très bien ce que je dis aujourd'hui et encore, je suis sur la réserve'.

S'agissant des faits 14), le seul courriel de [E] [S] du 28 janvier 2020 n'est corroboré par aucun autre élément quant à des propos méprisants tenus à son encontre par M. [N], de sorte que la matérialité de ces faits ne peut être tenue pour établie.

S'agissant de son état de santé, [U] [S] produit un certificat médical du docteur [K] [I], psychiatre, daté du 18 mai 2018, attestant que celui-ci consulte régulièrement son cabinet depuis février 2016, ainsi que des ordonnances médicales prescrivant des médicaments anti-dépresseurs.

Il résulte de ce qui précède que [E] [S] établit ou présente des faits tels que listés en 2), 3), 6), 10), 11), 12) et 13), qui, pris dans leur ensemble, laissent supposer l'existence d'un harcèlement moral. Au vu de ces éléments, il incombe au Cse industriel Air France de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Alors qu'une telle preuve n'est pas rapportée s'agissant des deux sanctions disciplinaires injustifiées, le Cse industriel Air France, outre qu'il réplique que le salarié n'étaye pas ses dires, réplique que c'est le salarié qui a été dans l'incapacité de pouvoir composer professionnellement avec le nouveau bureau en contestant de manière quasi-systématique les décisions du bureau et produit au soutien de cette allégation des échanges écrits intervenus en décembre 2016, janvier, mai, juin, août, octobre 2017 avec le salarié, ainsi que des procès-verbaux du Chsct des 3 mai 2017 et 18 avril 2018 dont il ressort tout au plus que l'employeur était conscient de la dégradation de l'état de santé du salarié mais ne sont pas de nature à justifier de manière objective l'ensemble des faits laissant supposer l'existence d'un harcèlement moral.

Il s'ensuit que le harcèlement moral est établi. Le jugement sera infirmé sur ce point.

Le préjudice causé à [E] [S] par le harcèlement moral incluant les sanctions disciplinaires injustifiées sera réparé par l'octroi de dommages et intérêts à hauteur de 10 000 euros que le Cse industriel Air France sera condamné à lui payer. Le jugement sera infirmé en ce sens.

Sur le non-respect de l'obligation de sécurité

L'employeur est tenu d'une obligation de sécurité envers ses salariés en application de l'article L. 4121-1 du code du travail qui lui impose de prendre les mesures nécessaires pour assurer de manière effective la sécurité et protéger la santé des travailleurs.

Ne méconnaît cependant pas son obligation légale l'employeur qui justifie avoir pris toutes les mesures prévues par les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail.

[E] [S] soutient que l'employeur a méconnu l'obligation de sécurité en persistant dans son acharnement à son encontre en refusant de procéder à une médiation demandée en janvier 2018 par le Chsct.

Le Cse industriel Air France conclut au débouté de la demande de ce chef.

Le refus de médiation de l'employeur qui a déjà été invoqué par le salarié dans son argumentation au soutien du harcèlement moral, ne constitue pas un manquement de l'employeur à son obligation de sécurité.

Le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté [E] [S] de sa demande à ce titre.

Sur les heures supplémentaires

Il résulte des dispositions combinées des articles L. 3171-4, L. 3171-2 alinéa 1er et L. 3171-3 du code du travail qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments ; que le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires ; qu'après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant.

[E] [S] réclame le paiement de 151 heures supplémentaires effectuées entre avril et août 2015. Il produit la liste de ses badgeages sur la période considérée et une feuille de calcul détaillant pour chaque journée ses heures d'entrée et de sortie sur son lieu de travail et décomptant les heures travaillées hebdomadairement.

[E] [S] présente ainsi des éléments suffisamment précis sur les heures de travail qu'il prétend avoir effectuées pour permettre à l'employeur d'y répondre en produisant ses propres éléments.

Le Cse industriel Air France fait valoir que la réalisation des heures supplémentaires était subordonnée à un accord préalable de l'employeur que le salarié n'a jamais sollicité. Toutefois, outre qu'il ne justifie pas que le salarié a eu connaissance des deux notes datées des 22 décembre 2014 et 6 août 2015 rappelant la nécessité d'autorisation préalable de la hiérarchie à l'accomplissement d'heures supplémentaires qu'il produit, il est constant que celui-ci n'a pas réagi aux horaires importants accomplis par le salarié sur une période de cinq mois, ressortant de ses relevés de badgeage.

Au regard de l'ampleur de la tâche confiée au salarié nécessitant l'exécution d'heures supplémentaires, il s'ensuit que la demande au titre des heures supplémentaires est bien fondée.

Il sera fait droit à la demande de [E] [S] à hauteur des sommes sollicitées. Le jugement sera infirmé sur ce point.

Sur la validité et le bien-fondé du licenciement

En cause d'appel, [E] [S] forme une demande au titre du licenciement nul ou subsidiairement sans cause réelle et sérieuse, en faisant valoir que son inaptitude est la suite directe de ses conditions anormales et violentes de travail et de l'absence de réaction appropriée de ses managers.

Le Cse industriel Air France fait valoir qu'aucun lien n'existant entre un quelconque harcèlement et l'inaptitude, non contestée, [E] [S] doit être débouté de sa demande au titre du licenciement nul ou sans cause réelle et sérieuse.

Les pièces d'origine médicale ni aucune autre des pièces produites n'établissent de lien entre les conditions de travail du salarié et l'inaptitude dont il a fait l'objet.

[E] [S] n'établissant pas le lien entre le harcèlement moral subi et l'inaptitude, sera débouté de ses demandes tant au titre de la nullité du licenciement qu'au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Sur la remise de documents

Au regard de la solution du litige, il convient de condamner le Cse industriel Air France à remettre à [E] [S] un bulletin de paie récapitulatif conforme aux dispositions du présent arrêt.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Le jugement sera confirmé en ce qu'il statue sur les dépens et les frais irrépétibles.

Le Cse industriel Air France sera condamné aux dépens d'appel ainsi qu'à payer à [E] [S] la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais irrépétibles exposés en cause d'appel.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire,

INFIRME le jugement en ce qu'il a débouté [E] [S] de sa demande de dommages et intérêts au titre du harcèlement moral et d'heures supplémentaires et congés payés afférents et en ce qu'il a condamné le Ce industriel Air France à lui payer la somme de 6 000 euros à titre de dommages et intérêts pour sanctions injustifiées,

Statuant à nouveau sur les chefs infirmés,

CONDAMNE le Cse industriel Air France à payer à [E] [S] les sommes suivantes :

* 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral incluant les sanctions injustifiées,

* 6 170 euros au titre des heures supplémentaires réalisées entre avril et août 2015,

* 617 euros à titre d'indemnité compensatrice de congés payés incidents,

CONFIRME le jugement pour le surplus des dispositions,

Y ajoutant,

DEBOUTE les parties de leurs autres demandes,

ORDONNE au Cse industriel Air France de remettre à [E] [S] un bulletin de paie récapitulatif conforme aux dispositions du présent arrêt,

CONDAMNE le Cse industriel Air France à payer à [E] [S] la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE le Cse industriel Air France aux dépens d'appel,

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Signé par Madame Isabelle MONTAGNE, Président, et par Madame Anne-Sophie CALLEDE, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier,Le président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 19e chambre
Numéro d'arrêt : 19/00284
Date de la décision : 11/05/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-05-11;19.00284 ?
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