COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 80C
19e chambre
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 11 MAI 2022
N° RG 16/05206 - N° Portalis DBV3-V-B7A-RDGH
AFFAIRE :
[N] [R]
C/
Me [P] [M] - Mandataire Ad hoc de la SOCIETE DE GESTION DU COURS DU PRIEURE
AGS CGEA IDFO
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 17 Octobre 2016 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de SAINT GERMAIN EN LAYE
N° Chambre :
N° Section : Encadrement
N° RG : 16/00158
Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :
l'ASSOCIATION ASSOCIATION ROUX PIQUOT-JOLY
Me Christel ROSSE
Me Claude Marc BENOIT
le :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE ONZE MAI DEUX MILLE VINGT DEUX,
La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
Monsieur [N] [R]
né le 03 Septembre 1950 à [Localité 7]
de nationalité Française
[Adresse 1]
[Localité 5]
Représentant : Me Corinne ROUX de l'ASSOCIATION ASSOCIATION ROUX PIQUOT-JOLY, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 564
APPELANT
****************
Me [M] [P] (SELARL ML CONSEILS)
Mandataire Ad hoc de la SOCIETE DE GESTION DU COURS DU PRIEURE
[Adresse 3]
[Localité 4] / FRANCE
Représentant : Me Christel ROSSE, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 67
AGS CGEA ILE DE FRANCE OUEST
[Adresse 2]
[Localité 6]
Représentant : Me Claude-Marc BENOIT, Déposant/Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : C1953
INTIMES
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 16 Mars 2022 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Stéphane BOUCHARD, Conseiller chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Isabelle MONTAGNE, Président,
Monsieur Stéphane BOUCHARD, Conseiller,
Monsieur Laurent BABY, Conseiller,
Greffier lors des débats : Madame Anne-Sophie CALLEDE,
M. [N] [R] a été embauché à compter du 1er septembre 1995 selon contrat de travail à durée indéterminée par la Société de Gestion du Cours du Prieuré en qualité, en dernier lieu de professeur d'économie et de directeur pédagogique.
En mai 2011, M. [R] a fait valoir ses droits à la retraite.
À compter du 1er juin 2011, M. [R] a conclu, dans le cadre d'un dispositif de cumul emploi retraite, un contrat de travail à durée déterminée avec la Société de Gestion du Cours du Prieuré en qualité de directeur adjoint, censeur des études et de professeur d'économie, lequel s'est poursuivi au-delà de son terme.
La convention applicable à la relation de travail est la convention collective nationale de l'enseignement privé indépendant.
À compter du 2 juin 2014, M. [R] été placé en arrêt de travail pour maladie.
Par jugement du 28 août 2015, le tribunal de commerce de Versailles a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'encontre de la Société de Gestion du Cours du Prieuré.
Par jugement du 16 décembre 2015, le tribunal de commerce a arrêté un plan de cession de la Société de Gestion du Cours du Prieuré au profit de la société Institutions Moreau et a autorisé le licenciement des salariés titulaires des postes de présidente et de directeur pédagogique ainsi que la reprise des dix-neuf autres salariés.
Par lettre du 13 janvier 2016, l'administrateur judiciaire a notifié à M. [R] son licenciement pour motif économique dans le cadre du plan de cession et pour impossibilité de reclassement.
Par jugement du 19 janvier 2016, le tribunal de commerce a prononcé la liquidation judiciaire de la Société de Gestion du Cours du Prieuré.
Le 14 avril 2016, M. [R] a saisi le conseil de prud'hommes de Saint-Germain-en-Laye pour contester le bien-fondé de son licenciement et demander la fixation au passif de la liquidation judiciaire de la Société de Gestion du Cours du Prieuré d'une créance d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et à titre subsidiaire de dommages-intérêts pour procédure de licenciement irrégulière.
Par jugement du 17 octobre 2016, le conseil de prud'hommes (section encadrement) a :
- dit que le licenciement de M. [R] est fondé sur un motif économique ;
- débouté M. [R] de l'ensemble de ses demandes ;
- condamné M. [R] aux dépens.
Le 21 novembre 2016, M. [R] a interjeté appel de ce jugement.
Par jugement du 25 juin 2019, le tribunal de commerce de Versailles a prononcé la clôture des opérations de liquidation judiciaire de la Société de Gestion du Cours du Prieuré.
Par ordonnance du 27 avril 2021, le président du tribunal de commerce de Versailles a désigné la SELARL ML Conseils, prise en la personne de Me [P] [M], en qualité de mandataire ad hoc de la Société de Gestion du Cours du Prieuré.
Aux termes de ses conclusions du 4 mars 2022, auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé des moyens, M. [R] demande à la cour d'infirmer le jugement attaqué et, statuant à nouveau, de :
- dire son licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse ;
- condamner la Société de Gestion du Cours du Prieuré à lui payer les sommes suivantes :
* 169 200 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
* 42 300 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de la perte de chance résultant de l'inexécution de l'obligation d'informer l'autorité administrative avant de procéder au licenciement pour motif économique ;
- subsidiairement, fixer cette créance au passif de la liquidation de la Société de Gestion du Cours du Prieuré ;
- en tout état de cause, dire que l'AGS devra garantir ses créances ;
- condamner in solidum la SELARL ML Conseils, prise en la personne de Me [P] [M], ès qualités de mandataire ad hoc de la Société de Gestion du Cours du Prieuré et l'AGS CGEA d'Île-de-France Ouest à lui payer une somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile outre les dépens ;
- débouter les intimées de leurs demandes.
Aux termes de ses conclusions du 28 février 2022, auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé des moyens, la SELARL ML Conseils, prise en la personne de Me [P] [M], ès qualités de mandataire ad hoc de la Société de Gestion du Cours du Prieuré, demande à la cour de :
- confirmer le jugement attaqué et débouter M. [R] de l'ensemble de ses demandes ;
- à titre subsidiaire, réduire le montant de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à six mois de salaire.
Aux termes de ses conclusions du 3 mars 2022, auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé des moyens, l'AGS CGEA d'Île-de-France Ouest demande à la cour de :
1°) à titre principal, confirmer le jugement attaqué et débouter M. [R] de l'ensemble de ses demandes ;
2°) à titre subsidiaire :
- débouter M. [R] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- limiter à six mois de salaire le montant de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
- fixer au passif de la liquidation judiciaire de la Société de Gestion du Cours du Prieuré les créances éventuelles ;
- dire le jugement opposable dans les termes et conditions de l'article L. 3253-19 du code du travail et dans la limite du plafond 6 de sa garantie toutes créances brutes confondues.
Une ordonnance de clôture de la procédure a été rendue le 8 mars 2022.
SUR CE :
Sur le bien-fondé du licenciement et ses conséquences :
Considérant que M. [R] soutient que son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse aux motifs que :
- le tribunal de commerce n'a pas autorisé la suppression de son poste de professeur d'économie ni de son poste de censeur et de professeur de droit, mais seulement celle de directeur pédagogique ;
- son poste de professeur d'économie n'a pas été supprimé ;
- l'obligation de reclassement interne et externe n'a pas été respectée, notamment en ne lui proposant pas d'exercer uniquement le poste de professeur d'économie qui a été pourvu par un contrat à durée déterminée pour le remplacer durant son arrêt de travail pour maladie ;
Considérant que le mandataire ad hoc de la Société de Gestion du Cours du Prieuré et l'AGS concluent au débouté en faisant valoir que le poste de M. [R] qui réunissait les deux fonctions de directeur pédagogique et de professeur d'économie n'a pas été repris par le cessionnaire et a été supprimé et que l'obligation de reclassement interne et externe a été remplie ;
Considérant qu'en application de l'article L. 1233-3 du code du travail, dans sa version applicable au litige, constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification, refusée par le salarié, d'un élément essentiel de son contrat de travail, consécutives notamment à des difficultés économiques, à des mutations technologiques, à une réorganisation de l'entreprise ou, dans certaines conditions, à une cessation d'activité ; que lorsque l'entreprise appartient à un groupe, les difficultés économiques ou la nécessité de sauvegarde de la compétitivité s'apprecient au niveau du secteur d'activité du groupe auquel appartient l'entreprise ; qu'aux termes de l'article L. 1233-4 du même code, dans sa version applicable au litige, le licenciement pour motif économique d'un salarié ne peut intervenir que lorsque tous les efforts de formation et d'adaptation ont été réalisés et que le reclassement de l'intéressé sur un emploi relevant de la même catégorie que celui qu'il occupe ou sur un emploi équivalent assorti d'une rémunération équivalente ou à défaut, et sous réserve de l'accord exprès du salarié, sur un emploi d'une catégorie inférieure, ne peut être réalisé dans le cadre de l'entreprise ou, le cas échéant, dans les entreprises du groupe auquel l'entreprise appartient ; que l'employeur est tenu de rechercher et de proposer aux salariés les postes disponibles, dans l'entreprise mais aussi dans le cadre des entreprises du groupe dont les activités, l'organisation ou le lieu de travail ou d'exploitation permettent la permutation de tout ou partie du personnel ; qu'il incombe à l'employeur de prouver qu'il n'a pu reclasser le salarié ; qu'il n'y a pas de manquement à l'obligation de reclassement si l'employeur justifie de l'absence de poste disponible, à l'époque du licenciement, dans l'entreprise, ou s'il y a lieu dans le groupe auquel elle appartient ;
Qu'en l'espèce, il ressort des débats et des pièces versées et notamment du contrat à durée déterminée conclu à compter du 1er juin 2011 que la Société de Gestion du Cours du Prieuré a confié à M. [R], à tout le moins, un poste incluant les fonctions de directeur pédagogique et de professeur d'économie ;
Qu'il n'est pas contesté que si la fonction de directeur pédagogique a été supprimée dans le cadre du plan de cession, la fonction de professeur d'économie occupée par M. [R] qui a été confiée à un salarié recruté en contrat à durée déterminée de remplacement depuis le début de l'arrêt de travail pour maladie de l'appelant, n'a pas été pour sa part supprimée ;
Qu'en conséquence, l'administrateur judiciaire aurait dû proposer, dans le cadre du reclassement, ce poste cantonné aux seules fonctions de professeur d'économie, ce qu'il n'a pas fait ;
Qu'il s'ensuit que le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse, faute de respect de l'obligation de reclassement ; que le jugement attaqué sera donc infirmé sur ce point ;
Que par conséquent, M. [R] est fondé à réclamer une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse dont le montant ne peut être inférieur aux salaires des six derniers mois en application des dispositions de l'article L. 1235-3 du code du travail dans sa version applicable au litige ; qu'eu égard à son âge (né en 1950), à son ancienneté (4,5 années), à sa rémunération mensuelle (7 050 euros brut au vu des pièces versées), à sa situation postérieure au licenciement, il y a lieu de condamner la Société de Gestion du Cours du Prieuré à lui payer une somme de 45 000 euros à ce titre ; que le jugement attaqué sera donc infirmé sur ce point ;
Sur les dommages-intérêts pour défaut de consultation des délégués du personnel et d'information de l'autorité administrative avant le licenciement :
Considérant qu'en premier lieu, M. [R] invoque un défaut de consultation des délégués du personnel avant le licenciement économique au visa de l'article L.1233-8 du code du travail dans sa version applicable au litige et l'indemnité prévue à ce titre par l'article L. 1235-12 du même code, lesquels ne sont toutefois pas applicables en cas de licenciement économique intervenant dans le cadre d'un redressement ou d'une liquidation judiciaire ;
Qu'ensuite, M. [R] invoque l'indemnité ne pouvant être inférieure aux salaires des six derniers mois prévue par les dispositions de l'avant-dernier alinéa du II de l'article L. 1233-58 du code du travail dans sa version applicable au litige, lesquelles ne s'appliquent qu'en cas de licenciement d'au moins 10 salariés dans une entreprise d'au moins 50 salariés et qui sont donc inopérantes en l'espèce ;
Qu'en conséquence, il y a lieu de confirmer le débouté de cette demande de dommages-intérêts ;
Sur la garantie de l'AGS :
Considérant qu'il y a lieu de déclarer le présent arrêt opposable à l'AGS CGEA d'Ile de France Ouest qui ne devra procéder à l'avance des créances visées aux articles L. 3253-6, L. 3253-8 et suivants du code du travail que dans les termes et conditions résultant des dispositions des articles L. 3253-15, L. 3253-17 et L. 3253-19 à 21 du code du travail et de déclarer que l'obligation de l'AGS de faire l'avance de la somme à laquelle est évalué le montant total des créances garanties, compte tenu du plafond applicable, ne pourra s'exécuter que sur présentation d'un relevé par le mandataire judiciaire et justification par celui-ci de l'absence de fonds disponibles entre ses mains pour procéder à leur paiement ; que le jugement attaqué sera donc infirmé sur ce point ;
Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens :
Considérant qu'eu égard à la solution du litige, il y a lieu d'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il statue sur ces deux points ; que la SELARL ML Conseils, prise en la personne de Me [P] [M], ès qualités de mandataire ad hoc de la Société de Gestion du Cours du Prieuré, sera condamnée à payer à M. [R] une somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure suivie en première instance et en appel ainsi qu'aux dépens de première instance et d'appel ;
PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant par arrêt contradictoire,
Infirme le jugement attaqué, sauf en ce qu'il statue sur la demande de dommages-intérêts pour irrégularité de la procédure de licenciement,
Statuant à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant,
Dit que le licenciement de M. [N] [R] est dépourvu de cause réelle et sérieuse,
Condamne la Société de Gestion du Cours du Prieuré à payer à M. [N] [R] une somme de 45 000 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
Déclare le présent arrêt opposable à l'AGS CGEA d'Ile de France Ouest qui ne devra procéder à l'avance des créances visées aux articles L. 3253-6, L. 3253-8 et suivants du code du travail que dans les termes et conditions résultant des dispositions des articles L. 3253-15, L. 3253-17 et L. 3253-19 à 21 du code du travail et déclare que l'obligation de l'AGS de faire l'avance de la somme à laquelle est évalué le montant total des créances garanties, compte tenu du plafond applicable, ne pourra s'exécuter que sur présentation d'un relevé par le mandataire judiciaire et justification par celui-ci de l'absence de fonds disponibles entre ses mains pour procéder à leur paiement,
Déboute les parties du surplus de leurs demandes,
Condamne la SELARL ML Conseils, prise en la personne de Me [P] [M], ès qualités de mandataire ad hoc de la Société de Gestion du Cours du Prieuré, à payer à M. [R] une somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure suivie en première instance et en appel,
Condamne la SELARL ML Conseils, prise en la personne de Me [P] [M], ès qualités de mandataire ad hoc de la Société de Gestion du Cours du Prieuré, aux dépens de première instance et en appel,
Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Signé par Madame Isabelle MONTAGNE, Président, et par Madame Anne-Sophie CALLEDE, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le greffier,Le président,