COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 80A
6e chambre
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 21 AVRIL 2022
N° RG 19/03364 - N° Portalis DBV3-V-B7D-TNP3
AFFAIRE :
[D], [G], [R] [U] épouse [K]
C/
SARL NANTERRE AMANDIERS
Décision déférée à la cour : Jugement rendu(e) le 12 Juin 2019 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de NANTERRE
N° Chambre :
N° Section : AD
N° RG : F17/03433
Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :
Me Marie-Hélène DUJARDIN
Me Banna NDAO
le : 22 Avril 2022
Expédition numérique délivrée à Pôle Emploi, le 22 Avril 2022
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE VINGT ET UN AVRIL DEUX MILLE VINGT DEUX,
La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
Madame [D], [G], [R] [U] épouse [K]
née le 27 Octobre 1975 à [Localité 3]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
Représentée par : Me Isabelle GRELIN de la SELARL GRELIN ET ASSOCIES, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : C0178 ; et Me Banna NDAO, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 667.
APPELANTE
****************
SARL NANTERRE AMANDIERS
N° SIRET : 324 896 257
[Adresse 2]
[Adresse 2]
Représentée par : Me Benoît CAZIN de la SAS SPRING LEGAL, Plaidant, avocat au barreau de PARIS ; et Me Marie-Hélène DUJARDIN, Postulant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : D2153
INTIMEE
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 08 Mars 2022 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Isabelle VENDRYES, Président chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Isabelle VENDRYES, Président,
Madame Valérie DE LARMINAT, Conseiller,
Madame Nathalie GAUTRON-AUDIC, Conseiller,
Greffier lors des débats : Mme Elodie BOUCHET-BERT,
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
La SARL Nanterre Amandiers est un théâtre ayant pour activité l'accueil, la production et la coproduction de spectacle. Le théâtre emploie plus de cinquante salariés.
La convention collective nationale applicable est celle des entreprises artistiques et culturelles du 1er janvier 1984.
Mme [D], [G], [R] [U] épouse [K], née le 27 octobre 1975, a été engagée par contrat de travail à durée déterminée par le Théâtre des Amandiers du 16 août 2005 au 31 juillet 2006, renouvelé jusqu'au 15 septembre 2006. Par avenant en date du 15 septembre 2006, elle a été engagée par contrat de travail à durée indéterminée en qualité de secrétaire de direction technique. En dernier lieu, Mme [K] percevait une rémunération mensuelle brute de 2 631,72 euros.
Mme [K] a été placée en arrêt de travail à compter du 24 novembre 2016.
Par requête reçue au greffe le 20 novembre 2017, Mme [K] a saisi le conseil de prud'hommes de Nanterre d'une demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail.
Le 15 janvier 2018, le médecin du travail a émis un avis d'inaptitude la concernant dans les termes suivants : " Inapte à tout poste dans l'entreprise.
L'état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi."
Par courrier du 6 avril 2018, la société Nanterre Amandiers a notifié à Mme [K] son licenciement pour inaptitude d'origine non professionnelle et impossibilité de reclassement dans les termes suivants :
" 1. Vous avez été arrêtée pour raison de santé, sans interruption, depuis le 24 novembre 2016.
2. Le 15 janvier 2018, à l'issue d'un examen réalisé dans le cadre d'une visite de reprise, le Médecin du travail a rendu l'avis suivant :
« Inapte à tout poste dans l'entreprise.
L'état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi. »
Le Médecin du travail a émis cet avis après avoir, le 10 janvier 2018, échangé avec la Direction du théâtre et après avoir, le 12 janvier 2018, étudié votre poste.
3. Lorsque le Médecin du travail indique dans l'avis d'inaptitude que l'état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi, l'employeur est dispensé de recherches de reclassement avant le licenciement.
4. Par ailleurs, le théâtre n'appartenant à aucun groupe, aucune obligation légale ou conventionnelle n'impose au théâtre de rechercher un reclassement externe. Ceci étant, le théâtre est allé au-delà de son obligation légale et a pris contact avec des structures partenaires (notamment le Théâtre National de l'Odéon, La Scala de Paris et La Gaité Lyrique) pour tenter de vous trouver en externe une solution de reclassement.
Malheureusement, les partenaires sollicités soit ont indiqué qu'ils n'avaient pas de poste disponible à proposer, soit n'ont pas répondu.
5. Pour être complet, il convient de relever que le théâtre a consulté les Délégués du personnel, en application de l'article L. 1226-2 du Code du travail, pour émettre un avis sur les possibilités de reclassement vous concernant. Par lettre du 26 janvier 2018, les Délégués du personnel ont émis l'avis suivant :
« Les élus de la DUP se prononcent à l'unanimité favorablement sur la procédure de licenciement pour inaptitude prévuepar la Direction. »
6. Dans ces conditions, en application de l'article L. 1226-2-1 du Code du travail, je vous ai informée, par lettre RAR du 15 mars 2018, des motifs s'opposant à votre reclassement. Vous n'avez émis aucune réserve concernant les termes de ma lettre.
7. Compte tenu de l'impossibilité dans laquelle le théâtre se trouve de vous reclasser, je suis contraint de vous licencier en raison de votre inaptitude à votre poste de travail d'origine non professionnelle."
Par jugement rendu le 12 juin 2019, le conseil de prud'hommes de Nanterre a :
- dit que la SARL Nanterre Amandiers n'a pas commis de manquement à ses obligations contractuelles,
- dit que la SARL Nanterre Amandiers n'a pas manqué à son obligation de sécurité vis-à-vis de Mme [K],
- dit que le licenciement de Mme [K] repose sur une cause réelle et sérieuse,
En conséquence,
- débouté Mme [K] de sa demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail,
- débouté Mme [K] de ses autres demandes,
- condamné Mme [K] aux entiers dépens de la présente instance,
- débouté la SARL Nanterre Amandiers de sa demande formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Mme [K] avait demandé au conseil de prud'hommes :
A titre principal,
- faire droit à sa demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts exclusifs de la société Nanterre Amandiers
- dire et juger, en conséquence, que la résiliation judiciaire du contrat de travail de Mme [K] produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse
- en conséquence, condamner la société Nanterre Amandiers à verser à Mme [K] les sommes suivantes :
' au titre de l'indemnité compensatrice de préavis : 7 895,16 euros
' au titre des congés payés afférents à 1'indemnité compensatrice de préavis : 789,51 euros
' à titre de reliquat d'indemnité de licenciement : 1 377,14 euros
' au titre de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 28 948,92 euros
' à titre de dommages et intérêts pour violation de l'obligation de sécurité ' de résultat' par l'employeur : 18 000 euros
àtitre subsidiaire
- constater que l'inaptitude de Mme [K] est liée aux conditions d'emploi dégradées dans lesquelles elle a évolué
- dire et juger, en conséquence, que le licenciement pour inaptitude de Mme [K] est sans cause réelle et sérieuse
- en conséquences, condamner la société Nanterre Amandiers à verser à Mme [K] les sommes suivantes :
' au titre de l'indemnité compensatrice de préavis : 7 895,16 euros
' au titre des congés payés y afférents : 789,51 euros
' à titre de reliquat d'indemnité de licenciement : 1 377,14 euros
' à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 28 948,92 euros
' à titre de dommages et intérêts pour violation de l'obligation de sécurité de résultat par l'employeur : 18 000 euros
En tout état de cause
- condamner la société Nanterre Amandiers à verser à Mme [K] les sommes suivantes :
' à titre de rappel de prime de 13ème mois sur l'année 2017 et sur l'année 2018, au prorata temporis : 3 947,58 euros
' au titre des congés payés y afférents : 394,75 euros
' au titre de l'article 700 du code de procédure civile : 3 600 euros
- assortir les condamnations d'intérêts au taux légal à compter du prononcé de la décision
- ordonner la capitalisation des intérêts
- ordonner l'exécution provisoire de l'intégralité du jugement en application des dispositions de l'article 515 du code de procédure civile
- condamner la société Nanterre Amandiers aux entiers dépens, y compris les frais d'exécution éventuels de la décision.
La société Nanterre Amandiers avait, quant à elle, conclu au débouté de la salariée et avait sollicité sa condamnation à lui verser une somme de 3 600 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Mme [K] a interjeté appel de ce jugement par déclaration du 22 août 2019.
Par conclusions adressées par voie électronique le 15 novembre 2019, Mme [K] demande à la cour de :
- infirmer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Nanterre en ce qu'il l'a déboutée de l'ensemble de ses demandes et l'a condamnée aux entiers dépens,
A titre principal,
- prononcer la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail de Mme [K] aux torts exclusifs de la société Nanterre Amandiers,
- dire et juger, en conséquence, que la résiliation judiciaire du contrat de travail de Mme [K] produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse,
En conséquence,
- condamner la société Nanterre Amandiers à verser à Mme [K] la somme de 7 895,16 euros, à titre d'indemnité compensatrice de préavis et 789,51 euros au titre des congés payés afférents,
- condamner la société Nanterre Amandiers à verser à Mme [K] la somme de 1 377,14 euros à titre de reliquat d'indemnité de licenciement,
- condamner la société Nanterre Amandiers à verser à Mme [K] la somme de 28 948,92 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- condamner la société Nanterre Amandiers à verser à Mme [K] la somme de 18 000 euros à titre de dommages et intérêts pour violation de l'obligation de sécurité 'de résultat' par l'employeur, A titre subsidiaire
- constater que l'inaptitude de Mme [K] est liée aux conditions d'emploi dégradées dans lesquelles elle a évolué,
- dire et juger, en conséquence, que le licenciement pour inaptitude de Mme [K] est sans cause réelle et sérieuse,
En conséquence
- condamner la société Nanterre Amandiers à verser à Mme [K] la somme de 7 895,16 euros, à titre d'indemnité compensatrice de préavis et 789,51 euros au titre des congés payés afférents,
- condamner la société Nanterre Amandiers à verser à Mme [K] la somme de 1 377,14 euros, à titre de reliquat d'indemnité de licenciement,
- condamner la société Nanterre Amandiers à verser à Mme [K] la somme de 28 948,92 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- condamner la société Nanterre Amandiers à verser à Mme [K] la somme de 18 000 euros à titre de dommages et intérêts pour violation de l'obligation de sécurité 'de résultat' par l'employeur,
En tout état de cause,
- débouter la société Nanterre Amandiers de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
- condamner la société Nanterre Amandiers à verser à Mme [K] la somme de 3 947,58 euros à titre de rappel de prime de 13ème mois sur l'année 2017 et sur l'année 2018 au prorata temporis, ainsi que 394,75 euros au titre des congés payés afférents,
- condamner la société Nanterre Amandiers à verser à Mme [K] la somme de 7 200 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- assortir les condamnations d'intérêts au taux légal à compter du prononcé de la décision à intervenir,
- ordonner la capitalisation des intérêts,
- condamner la société Nanterre Amandiers aux entiers dépens, y compris les frais d'exécution éventuels de la décision à intervenir.
Par conclusions adressées par voie électronique le 13 février 2020, la société Nanterre Amandiers demande à la cour de :
- dire et juger que le Théâtre Nanterre Amandiers n'a commis aucun manquement empêchant la poursuite du contrat de travail,
- débouter Mme [K] de sa demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail,
- dire et juger que l'inaptitude de Mme [K] n'est pas imputable au Théâtre [Localité 4] Amandiers,
- dire et juger que le licenciement de Mme [K] pour inaptitude et impossibilité de reclassement est bien fondé,
En conséquence,
- confirmer le jugement rendu le 12 juin 2019 par le conseil de prud'hommes de Nanterre en ce qu'il a débouté Mme [K] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
- infirmer le jugement en ce qu'il a débouté le Théâtre Nanterre Amandiers de sa demande 'reconventionnelle' au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner Mme [K] à verser au Théâtre Nanterre Amandiers la somme de 7 200 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Par ordonnance rendue le 9 février 2022, le magistrat chargé de la mise en état a ordonné la clôture de l'instruction et a fixé la date des plaidoiries au 8 mars 2022.
En application de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions des parties pour un plus ample exposé de leurs prétentions et moyens.
Une mesure de médiation a été proposée aux parties.
MOTIFS
- sur la résiliation judiciaire du contrat de travail
Lorsqu'un salarié demande la résiliation judiciaire de son contrat de travail en raison de faits qu'il reproche à son employeur et que ce dernier le licencie ultérieurement pour d'autres faits survenus au cours de la poursuite du contrat, le juge doit d'abord rechercher si la demande de résiliation du contrat était justifiée. C'est seulement dans le cas contraire qu'il doit se prononcer sur le licenciement notifié par l'employeur.
En l'espèce, Mme [K] a saisi le conseil de prud'hommes d'une demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail le 20 novembre 2017 soit antérieurement à son licenciement en date du 6 avril 2018.
Il appartient ici à la salariée de rapporter la preuve des manquements invoqués, le juge appréciant si la gravité des manquements justifie la résiliation du contrat. Le manquement suffisamment grave est celui qui empêche la poursuite du contrat.
Mme [K] rappelle ici que de 2008 à la fin de l'année 2013, la direction du Théâtre des Amandiers a été assurée par M. [A], que de 2014 à mai 2016, le théâtre a été codirigé par M. [L] [Z] et Mme [P] puis qu'à compter de la mi-juin 2016 , M [Z] a assuré, seul, la direction du théâtre, Mme [P] ayant quitté ce dernier et ayant été remplacée en janvier 2017 par Mme [N].
Elle fait valoir que l'organisation du théâtre et les méthodes de travail ont été modifiées à compter de 2014 et encore plus à compter de la mi juin 2016,qu'une trentaine de salariés sont partis entre 2014 et 2018 par le biais de ruptures conventionnelles et de départs à la retraite anticipés , que la direction a été alertée dès 2014 , sans réagir, sur la présence significative de risques psychosociaux au sein de l'entreprise ainsi qu'en témoignent certaines réunions de la délégation unique du personnel (DUP) des 1er avril 2015, 11 février 2016, 22 septembre 2016 et 21 janvier 2017, qu'une cellule d'appui à la prévention des risques psychosociaux a dû être mise en place par des représentants du personnel du théâtre eux mêmes à compter d'octobre et novembre 2017, qu'un préavis de grève a été déposé le 20 septembre 2019 ainsi qu'une lettre adressée à la direction à cette date afin de dénoncer la situation de souffrance au travail subie par les salariés depuis 2014.
Mme [K] fait état,dans ce cadre, de son épuisement professionnel en raison du contexte professionnel dégradé et tendu dans lequel elle a évolué à compter de 2014. Elle vise une complexité accrue des tâches à réaliser et un outil informatique Allegrissimo défaillant, une nouvelle répartition des tâches en 2014 ayant pour conséquence sa surcharge de travail alors qu'elle s'est vue confier la construction du planning annuel en sus de ses missions habituelles et a dû s'auto-former à ce titre tout en se heurtant à une hiérarchie défaillante.
Mme [K] ajoute qu'elle a dû faire face à des difficultés de coordination entre les services dont elle relevait, qu'elle se heurtait à une grande confusion dans la définition des tâches avec la mise en place de nouvelles procédures de travail chronophages.
La salariée met l'accent sur le volume de travail en constante augmentation à partir de 2014 et son impossibilité de mener ses tâches jusqu'au bout étant notamment observé qu'en mai 2016, elle a dû pallier le départ de la directrice adjointe dont le contrat avait été rompu après un arrêt maladie, l'intéressée devant faire face à de multiples réunions à préparer dont elle devait établir les comptes rendus, vivant mal les tensions au travail entre le directeur technique et la directrice technique adjointe ainsi qu'au sein de l'atelier et entre le directeur technique et les techniciens concernant les plannings;
Elle souligne un management défaillant et des informations insuffisamment relayées outre le défaut de réaction de la direction aux multiples alertes dont elle a été pourtant saisie.
Elle fait ainsi état de la dégradation de son état de santé et dénonce les conditions de l'enquête mise en place tardivement par la société Nanterre Amandiers .
Elle déduit de ces éléments une violation manifeste de son obligation de sécurité ainsi que de ses obligations de prévention et de traitement des risques psychosociaux par l'employeur.
La société Nanterre Amandiers rétorque que M. [Z] et Mme [P] ont assuré la codirection du théâtre Nanterre des Amandiers, centre dramatique national, à compter du 1er janvier 2014, que leur projet consistait à ouvrir ce théâtre aux formes de création contemporaine en donnant une large part aux compagnies internationales et à des artistes venant de toutes les disciplines, qu'il s'agissait en effet d'un changement radical par rapport au projet porté de 2002 à 2013.
Elle précise que Mme [P] a quitté le théâtre en mars 2016 afin de rejoindre une institution culturelle prestigieuse tandis que M. [S] a été engagé en 2014 en qualité d'administrateur jusqu'en octobre 2017 et a été remplacé en janvier 2018 par Mme [Y].
S'agissant des conditions de travail de Mme [K] en qualité de secrétaire de direction technique, agent de maîtrise, la société Nanterre Amandiers fait valoir que la salariée a été encadrée par les directeurs techniques succesifs M. [E] et M. [T], que le théâtre comportait également un directeur technique adjoint soit Mme [H] puis M. [C] et M. [W]
Sachant que le nombre de spectacles a pratiquement doublé entre les saisons 2013/2014 et 2015/2016, la société Nanterre Amandiers énonce que le directeur technique a décidé d'étendre à l'ensemble des activités relevant des services techniques le logiciel Allegrissimo jusque-là réservé au suivi budgétaire. Elle précise que la salariée a été formée à ce logiciel et que du personnel engagé dans le cadre de contrats d'intérim et de contrats à durée déterminée ont aidé à la mise en place de ce dernier.
La société Nanterre Amandiers mentionne que Mme [K] qui exerçait la fonction de secrétaire de direction a été nommée assistante à la direction en mai 2016 ce qui a conduit à orienter son activité sur la coordination et la préparation des plannings ainsi que sur la rédaction des comptes-rendus de réunions de production technique, cette mesure étant assortie d'une augmentation de salaire de 5 %
L'employeur se réfère aux avis d'aptitude sans réserve dont Mme [K] a fait l'objet de 2005 à mai 2016 [Localité 5]. Il indique qu'il a toujours pris en compte les difficultés de santé de Mme [K] notamment par la mise en place d'un mi-temps thérapeutique en 2012, qu'une commission d'enquête a été mise en place lors de la saisine du conseil de prud'hommes par l'intéressée laquelle n'a pas souhaité être entendue par cette commission. Il vise le défaut de prise en charge de Mme [K] au titre d'une maladie professionnelle dans les termes du courrier de la CPAM du 26 juillet 2018 établi après audition de la salariée. Il relève que les certificats médicaux produits par Mme [K] sont fondés sur les seules déclarations de la patiente et mentionne que la commission d'enquête susvisée n'a relevé aucun manquement de sa part .
Sur ce,
La cour observe ici que Mme [K] n'oppose pas à la société Nanterre Amandiers une situation de harcèlement moral mais la violation de l' obligation de sécurité de l'employeur et son épuisement professionnel marqué par un arrêt maladie à compter du 24 novembre 2016 en raison d'un contexte professionnel dégradé depuis 2014.
La salariée énonce un certain nombre de griefs qui seront ici examinés.
S'agissant de l'organisation du travail et des outils dédiés , il est ici rappelé que dans les termes de son contrat de travail, Mme [K] a été engagée, à compter du 16 août 2005, en qualité de secrétaire de direction technique, niveau agent de maitrise, catégorie personnel administratif non cadre.
Sa fiche de poste mentionne que, sous l'autorité du directeur technique et son adjoint, Mme [K] est chargée :
- des tâches du secrétariat de direction technique de la gestion et l'organisation de l'agenda et des déplacements, saisie du courrier des fiches techniques, gestion et le suivi du planning des salles, le chiffrage et la saisie de devis, la participation au suivi logistique des spectacles (production, exploitation et tournées), la participation à la saisie du planning du personnel technique permanent et intermittent, la mise à jour des bases de données (fournisseurs, produits....).
- de la gestion des achats et du suivi des budgets du service technique : spectacles/fonctionnement/activités diverses impliquant la saisie, et ou la validation des bons de commandes et bons de livraison, et leur transmission à la comptabilité, l'établissement des documents budgétaires prévisionnels avec le directeur technique et la transmission de documents de synthèse aux services concernés.
A compter du mois de mai 2016, ses bulletins de paie visent son emploi d'assistante de direction technique.
La cour observe que dans des termes circonstanciés, M. [M] , ancien chef accessoiriste , rapporte que 'la direction technique d'un théâtre est un centre névralgique qui doit répondre à toute sorte de demandes'.
Or ce salarié fait état des conditions de travail ayant conduit Mme [K] à une situation de surmenage du fait de l'accroissement de sa charge, de ses difficultés à assumer ses missions compte tenu de carences dans les informations qui lui étaient données, la nécessité dans laquelle elle se trouvait en conséquence de recommencer des travaux ( contrats d'intermittents à établir par exemple).
Ces conditions de travail difficiles sont corroborées par un ancien salarié lequel énonce que 'depuis 2014, (...) , la nouvelle direction dès son arrivée a établi de nouvelles règles quant à l'organisation de l'entreprise à travers le bouleversement de la programmation, le renouvellement des différents moyens de communication. C'est ainsi que Mme [K] a dû travailler avec un logiciel inopérant pour la spécificité de son travail. Tout cela mis bout à bout [D] a eu de plus en plus de mal à suivre la cadence et personne dans la hiérarchie n'a entendu son mal-être'
S'agissant des outils de travail, si l'extension du périmètre du logiciel Allegrissimo est annoncée par M. [S] , administrateur, dans le PV de la DUP de février 2015 , la cour relève que Mme [P] n'en énonce pas moins à cette époque que 'ce logiciel est un serpent de mer qui perdure depuis de longues années' . Si la directrice préconise que ce logiciel soit utilisé comme outil de planification malgré les réserves des salariés visant notamment l'insuffisance des moyens de développement de cet outil informatique , aucun élément n'est apporté sur l'accompagnement concret de ce projet par la direction.
Mme [B], salariée, atteste que ' (...), Mme [K] (...) , malgré une disponibilité horaires et son acharnementt, est tombée dans le découragement puis petit à petit dans le désespoir pour atteindre le burnout. Je l'ai trouvée bien des fois en larmes, totalement impuissante et dans l'impossibilité de faire son travail correctement (...)'
L'impact sur la santé de Mme [K] de ces conditions de travail est établi par les pièces médicales produites.
En effet, il est produit aux débats un certificat médical délivré par un psychiatre le 15 septembre 2017 ainsi rédigé : 'Mme [K] présente un état dépressif majeur faisant suite à un burnout dans un contexte de souffrance au travail. Cet état se complique d'une véritable phobie invalidante de l'institution actuelle malgré le traitement antidépresseur. Il faudrait donc qu'elle soit déclarée inapte à tout poste dans cette entreprise'.
Les termes du certificat délivré par une psychologue clinicienne psychothérapeute visant son suivi de Mme [K] depuis le mois de février 2017 ne constituent pas la retranscrpition de propos tenus par la salariée sur son travail mais contiennent la description de symptomes et un avis de cette psychologue :(...) 'Je reste à ce jour très inquiète du contexte professionnel persécutif et menaçant dans lequel (Mme [K]) évolue, de l'incidence de ses conditions de travail sur son bien-être. Mme [K] a présenté, dans les premiers temps de sa prise en charge, les symptômes cliniques inquiétants au détour d'une situation professionnelle conflictuelle alléguée. Si la prise en charge actuelle permet sa stabilisation, un retour au poste de travail tel qu'il est décrit risquerait de déclencher une décompensation sévère ou un élément somatique majeur (...)'
La salariée justifie d'arrêts maladie à compter du 24 novembre 2016 ainsi que d'une hospitalisation en maison de repos courant 2017.
S'agissant de l'appréhension des difficultés par la direction, les procès verbaux des réunions des délégations uniques du personnel sont révélateurs de l'évolution qu' a connue le théâtre des Amandiers à compter de l'arrivée de M. [Z] à sa direction en 2014 . Il est ainsi fait part en avril 2014 ( PV du 24 avril 2014) d'axes de réflexions internes dont celle visant à améliorer la transversalité des actions vers le public avec des calendriers de travail incluant l'annonce de la programmation, la présentation de la saison, le développement de la communication. Il est également fait état ( PV du 28 mai 2014 p.2) d'une réorganisation des services, de l'apport budgétaire par le biais de nouveaux événements ( soirée du barreau 92) puis en avril 2015 ( PV du 1er avril 2015) d'un développement du projet artistique avec une ouverture plus importante du théâtre, davantage de partenariats, d'ouverture internationale, le travail consistant à 'remettre le théâtre sur la carte des réseaux dont il était coupé'
Ces procès verbaux permettent dans le même temps de justifier de la contribution du service technique à ces évolutions , Mme [P] visant notamment en 2015 ( PV du 15 février 2015) que [V] [T], directeur technique, va 'mettre en place de nouvelles méthodologies de travail' tandis qu'il est relevé au PV du 1er avril 2015 que 'l'équipe technique a l'impression de toujours courir à droite et à gauche et de ne jamais bien finaliser son travail'.
La cour observe ici que tandis que la directrice Mme [P] exprime son souhait de 'connaitre le retour des salariés concenant ces nouvelles organisations , ces changements de mode de travail' ( PV du 15 février 2015 page 2) alors qu'il y a beaucoup de 'projets atypiques', 'un rythme différent de travail et de partage de l'outil', impliquant 'des ajustements de la part du personnel' , il est fait état dès la réunion DUP du 15 février 2015 par des membres titulaires 'd'un manque de temps de réflexion' tandis que les salariés souhaitent 'connaitre bien en amont la saison prochaine, la durée des spectacles, les constructions de décor, pour pouvoir se projeter et planifier son travail', le personnel ayant 'du mal à suivre le rythme'.
Les procès verbaux des réunions DUP conduisent ainsi à relever que les élus font de plus en plus part de remontées de difficultés des salariés dans la réalisation des tâches à compter d'avril 2015 ( PV du 1er avril 2015 ) de perte de temps, d'un sentiment d'éloignement des prises de décision, de surcroit de travail dans tous les services , de 'nouvelles méthodologies ayant provoqué du stress et de la tension' , de la 'fatigue du personnel', des questions surgissant au mois de novembre 2015 ( PV du 25 novembre 2015) relativement au nombre des départs , tandis que le secrétaire du comité d'entreprise vise en janvier 2016 la nécessité d'éclairer les 'articulations assez douloureuses dans les services' depuis deux ans , la direction admettant la nécessité d'un meilleur dialogue.
Or, s'il est proposé par la direction, à compter de juin 2016, la mise en place d' un accompagnement à la transformation et au changement par le biais d'un organisme extérieur spécialisé( Profilculture ou la Belle Ouvrage), il convient de relever que la concrétisation d'un tel projet n'est pas justifiée par les pièces produites tandis qu'il est finalement mis en place une cellule d'appui à la prévention des risques psychosociaux en octobre 2017 constituée de salariés , d'un sociologue, d'un médecin du travail et d'un psychologue sous l'égide de l'Union des mutuelles de France avec le soutien de la Direccte Ile de la France de la Cramif, M . [F], représentant du personnel y relatant 'une fragilité des salariés dans chaque service du théâtre' tandis que M. [X] , régisseur plateau et délégué du personnel, constate le déni total de la direction pourtant interpellée au sujet de la multiplication par 3ou 4 des arrêts maladie ainsi que plus d'une trentaine de départs.
Nonobstant les conclusions de l'enquête interne menée par la société Nanterre Amandiers en 2018, ces éléments doivent conduire à retenir des manquements de la société Nanterre Amandiers dans la mise en place de mesures adéquates de prévention de risques psychosociaux sur le fondement de l'article L.4121-1 du code du travail et la corrélation existante entre ces manquements et l'aggravation de l'état de santé de l'intéressée ayant conduit à son arrêt le 24 novembre 2016.
Au regard des manquements graves ainsi relevés ne permettant pas la poursuite du contrat de travail, la résiliation judiciaire du contrat de travail a lieu d'être prononcée à la date du 6 avril 2018 et les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
- sur les demandes en paiement
Au regard de l'ancienneté de la salariée dans l'entreprise et dans les termes de l'article L 1235-3 du code du travail dans sa version applicable au litige, la société Nanterre Amandiers sera condamnée à payer à Mme [K] la somme de 28 900 euros à titre d'indemnité au titre de la rupture.
Il convient en outre d'ordonner le remboursement par la société Nanterre Amandiers aux organismes concernés des indemnités de chômage effectivement versées à Mme [K] dans la limite de trois mois conformément aux dispositions de l'article L.1235-4 du code du travail.
En application de l'article V-8 de la convention collective des entreprises artistiques et culturelles du 1er janvier 1984, la société Nanterre Amandiers sera condamnée à régler à Mme [K] la somme de 7895,16 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis outre congés payés afférents.
Il est par ailleurs dû un solde d'indemnité conventionnelle de licenciement à Mme [K] sur la base de l'accord d'entreprise sur l'indemnité de fin de contrat, d'un montant de 1377, 14 euros.
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La violation par l'employeur de l'obligation de sécurité dans les termes ici relevés par la cour conduira à le condamner à payer à l'intéressée la somme de 5000 euros à titre indemnitaire.
A défaut par ailleurs du paiement de la prime de 13ème mois perçue par Mme [K] depuis son engagement ce sur les années 2017 et 2018 (au prorata), il sera fait droit à sa demande de condamnation de l'employeur à lui régler la somme de 3947,58 euros à ce titre outre congés payés afférents.
Les créances salariales porteront intérêts au taux légal à compter de la réception par l'employeur de sa convocation devant le bureau de conciliation et d'orientation du conseil de prud'hommes et les créances indemnitaires à compter de la présente décision en fixant tout à la fois le principe et le montant.
La capitalisation des intérêts sollicitée sera ordonnée dans les conditions fixées à l'article 1343-2 du code civil.
Il sera statué sur les dépens et frais irrépétibles dans les termes du dispositif.
PAR CES MOTIFS
La COUR, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort ;
INFIRME le jugement entrepris ;
Statuant à nouveau et y ajoutant,
PRONONCE la résiliation judiciaire du contrat de travail de Mme [D] [K] aux torts de l'employeur à la date du 6 avril 2018 ;
DIT que la résiliation judiciaire du contrat de travail a les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse,
CONDAMNE la société Nanterre Amandiers à payer à Mme [D] [K] les sommes suivantes :
- 28 900 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
- 7895,16 euros euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis et 789,51 € au titre des congés payés y afférents,
- 1377, 14 euros à titre de solde d'indemnité de licenciement
- 5000 euros à titre de dommages et intérêts au titre du défaut de respect de l'obligation de sécurité
- 3947,58 euros au titre du rappel de primes de 13 ème mois et 394,75 euros au titre des congés payés afférents;
DIT que les créances de nature salariale portent intérêts au taux légal à compter de la réception par l'employeur de sa convocation devant le bureau de conciliation et d'orientation du conseil de prud'hommes et les créances indemnitaires à compter de la présente décision en fixant tout à la fois le principe et le montant.
ORDONNE la capitalisation des intérêts dans les conditions fixées à l'article 1343-2 du code civil,
ORDONNE le remboursement par la société Nanterre Amandiers à Pôle emploi des indemnités de chômage payées à la suite du licenciement de Mme [D] [K] dans la limite de trois mois et DIT qu'une copie certifiée conforme du présent arrêt sera adressée par le greffe par lettre simple à la direction générale de Pôle emploi conformément aux dispositions de l'article R. 1235-2 du code du travail;
Vu l'article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE La société Nanterre Amandiers à payer à Mme [D] [K] la somme de 4000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile
DÉBOUTE la société Nanterre Amandiers de sa demande de ce chef,
CONDAMNE la société Nanterre Amandiers aux entiers dépens ;
Arrêt prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la cour,les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code procédure civile et signé par Madame Isabelle VENDRYES, Président, et par Madame BOUCHET-BERT Elodie,Greffière,auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,