La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

21/04/2022 | FRANCE | N°19/02718

France | France, Cour d'appel de Versailles, 6e chambre, 21 avril 2022, 19/02718


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 80A



6e chambre



ARRÊT N°



CONTRADICTOIRE



DU 21AVRIL 2022



N° RG 19/02718

N° Portalis DBV3-V-B7D-TJMR



AFFAIRE :



[F] [A]



C/



SAS WILLIS TOWERS WATSON









Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 28 mai 2019 par le Conseil de Prud'hommes Formation paritaire de NANTERRE

Section : E

N° RG : F17/01880



Copies

exécutoires et certifiées conformes délivrées à :



Me Ruth CARDOSO EZVAN



Me Magali SALVIGNOL-BELLON







le : 22 Avril 2022





RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



LE VINGT ET UN AVRIL DEUX MILLE VINGT DEUX,

La cour d'appel de Ve...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80A

6e chambre

ARRÊT N°

CONTRADICTOIRE

DU 21AVRIL 2022

N° RG 19/02718

N° Portalis DBV3-V-B7D-TJMR

AFFAIRE :

[F] [A]

C/

SAS WILLIS TOWERS WATSON

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 28 mai 2019 par le Conseil de Prud'hommes Formation paritaire de NANTERRE

Section : E

N° RG : F17/01880

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

Me Ruth CARDOSO EZVAN

Me Magali SALVIGNOL-BELLON

le : 22 Avril 2022

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE VINGT ET UN AVRIL DEUX MILLE VINGT DEUX,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant,fixé au 10 Mars 2022,puis prorogé au 21 Avril 2022, les parties ayant été avisées, dans l'affaire entre :

Monsieur [F] [A]

né le 23 avril 1957 à [Localité 5] (Belgique)

de nationalité belge

[Adresse 3]

[Localité 1] (BELGIQUE)

Représenté par : Me Ruth CARDOSO EZVAN de la SELEURL RCE AVOCATS, Plaidant/ Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire: E1555

APPELANT

****************

SAS WILLIS TOWERS WATSON

N° SIRET : 332 051 440

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représentée par : Me Magali SALVIGNOL-BELLON, Constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 355 et Me Sophie GALLIER-LARROQUE, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : T02, substitué à l'audience par Me Laurent ACHACHE, avocat au barreau de Paris

INTIMÉE

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 21 janvier 2022 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Nathalie GAUTRON-AUDIC, Conseiller chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Isabelle VENDRYES, Présidente,

Madame Valérie DE LARMINAT, Conseiller,

Madame Nathalie GAUTRON-AUDIC, Conseiller,

Greffier lors des débats : Madame Dorothée MARCINEK

Greffier lors du prononcé: Madame Elodie BOUCHET-BERT

FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

La société Willis Towers Watson exerce une activité de conseil et de courtage d'assurances. Elle emploie environ cent dix salariés en France.

Par contrat de travail à durée indéterminée du 6 décembre 2007, M. [F] [A], né le 23 avril 1957, a été engagé par la société Watson Wyatt en qualité de consultant senior, statut cadre, position 3.2 de la convention collective nationale des bureaux d'études techniques, des cabinets d'ingénieurs-conseils et des sociétés de conseils du 15 décembre 1987 (Syntec), avec reprise d'une ancienneté acquise depuis le 1er janvier 1998.

Il percevait en dernier lieu une rémunération mensuelle fixe de 15 276,83 euros, outre un bonus à objectifs atteints pouvant représenter jusqu'à 30% du salaire brut annuel. Il bénéficiait également d'un avantage en nature équivalant à 1 500 euros par mois au titre de la prise en charge d'un logement.

Fin 2015, la société de conseil Watson Wyatt, devenue Towers Watson, a fait l'acquisition du courtier américain Willis, ce dernier reprenant à la même date le courtier français, Gras Savoye. La fusion de Towers Watson, Gras Savoye et Willis a donné naissance au groupe Willis Towers Watson à effet du 1er janvier 2016.

Par courrier du 10 novembre 2016, M. [A] a été convoqué à un entretien préalable qui s'est tenu le 23 novembre 2016. Il s'est vu notifier son licenciement pour cause réelle et sérieuse par lettre du 30 novembre 2016 ainsi rédigée :

« (...) Vous exercez depuis le 2 juillet 2007 chez Towers Watson les fonctions de Consultant Senior au sein de l'activité 'Retirement', statut cadre, avec pour mission le développement de l'activité 'courtage'.

Vos fonctions consistent à :

- Assurer la bonne gestion de votre portefeuille clients,

- Analyser les opportunités de développement dans votre portefeuille et préparer un plan d'action commercial annuel dans le cadre des objectifs qui vous ont été fixés,

- Contribuer au maintien et au développement des affaires,

- Entretenir des relations avec les interlocuteurs clés chez les clients,

- Mettre votre expérience professionnelle et votre connaissance des expertises Willis Towers Watson, au service des équipes, pour contribuer au développement des affaires.

A la suite de la fusion des groupes Towers Watson, Gras Savoye et Willis qui est intervenue le 5 janvier dernier, il a été décidé de rapprocher les activités de courtage de Towers Watson avec celles de Gras Savoye, dont c'est l'activité principale.

A ce titre, les consultants 'courtage' de Towers Watson ont été amenés à collaborer étroitement avec le département 'Corporate Life' de Gras Savoye, en charge de l'activité courtage en assurance de personnes, sous la responsabilité de Madame [Z] [H].

Ce rattachement opérationnel visait à vous permettre de bénéficier de l'expertise et des moyens d'une direction d'une centaine de personnes pour structurer votre activité, mettre en commun vos méthodes de travail afin de gagner en efficacité, participer activement au développement du portefeuille clients et apporter votre contribution sur les missions auxquelles vous êtes associé.

Ce rattachement est intervenu dès le printemps dernier.

Or nous avons rapidement constaté des difficultés récurrentes dans votre manière de travailler au sein de cette nouvelle configuration, qui nécessitait de votre part une certaine transparence sur votre activité, en effectuant un reporting régulier et en acceptant le principe d'une collaboration avec les équipes de Gras Savoye.

Contre toute attente - en dépit de votre séniorité et de votre expérience - vous vous êtes montré incapable d'adhérer aux méthodologies de travail existant dans cette organisation, basées sur une communication régulière et fluide sur l'activité et une visibilité sur votre planning de charge.

Pour exemple, Madame [Z] [H], votre manager, vous a relancé à plusieurs reprises pour que vous acceptiez de vous conformer à cette exigence pourtant légitime dans une équipe de cette dimension où la visibilité sur l'activité est essentielle notamment pour répartir de façon équitable la charge de travail.

Début juillet 2016, elle vous contactait régulièrement afin d'organiser un point d'étape avant les congés d'été et vous transmettait un exemple de matrice de tableau à renseigner, afin de servir de support à vos entretiens à venir.

Sans réponse de votre part, Madame [M] [T], Directeur de Pôle Commercial et Technique, vous a relancé par courriel le 22 juillet afin d'avoir de la visibilité sur vos travaux entre septembre et décembre 2016, qui correspond à la période la plus chargée de l'année dans nos activités compte tenu des renouvellements de contrats, des éventuels appels d'offres et de la nécessité d'être mobilisés pour assurer dans de bonnes conditions ces renouvellements. Elle en profitait pour vous adresser à nouveau la matrice de tableau de suivi d'activité, qu'elle vous demandait de compléter pour alimenter vos points ensemble.

Vous avez finalement consenti à retourner ce tableau complété, ce qui permettait enfin à Madame [M] [T] d'établir votre feuille de route, en répartissant l'activité de telle sorte que vous soyez déchargé de petits dossiers à faible valeur ajoutée au regard de votre expertise.

Mais alors que pour être exploitable, ce tableau devait être régulièrement mis à jour et en dépit des relances réitérées de Madame [Z] [H], vous ne l'avez plus jamais actualisé, ne permettant pas de suivre les actions précédemment initiées, et celles éventuellement à venir.

Madame [Z] [H] réitérait en septembre 2016 sa demande de transmission d'une copie de votre agenda, afin de lui donner la visibilité sur votre charge de travail et donc vos disponibilités pour prendre en charge d'autres sujets. Au lieu de lui transmettre simplement les éléments demandés, vous avez préféré justifier votre absence de réponse au motif de votre prétendue 'mobilisation sur 6 appels d'offres'.

Or non seulement votre réponse n'était pas satisfaisante au regard des demandes répétées pour obtenir de la visibilité sur vos actions, mais de surcroît elle était inexacte. Il s'avère en effet que vous n'interveniez sur aucun de 5 des 6 appels d'offres revendiqués. Plus grave, le dernier appel d'offres n'avait même pas été signalé aux équipes.

Nous avons alors pris pleinement conscience de votre volonté délibérée d'entretenir une parfaite opacité dans le suivi de vos activités, ce qui n'est pas acceptable et ne nous permet pas d'organiser efficacement le travail de l'équipe. Madame [Z] [H] vous rappelait ainsi que 'sur les clients du portefeuille LTW, ta connaissance des clients doit être partagée pour anticiper l'organisation des équipes en 2017'.

Nous vous reprochons également de faire preuve d'une mauvaise volonté avérée et d'une absence d'attitude constructive.

N'étant pas sur le même réseau informatique que Gras Savoye, Madame [M] [T] a eu le plus grand mal à obtenir de votre part la documentation associée aux contrats que vous gérez, ce qui est pourtant indispensable pour connaître les garanties souscrites par les clients, et les engagements pris à leur égard.

Afin de contourner ces difficultés techniques et face à votre attitude obstructive, il vous a finalement été demandé de transmettre sur clé USB les garanties et documentations associées aux contrats que vous gérez.

Une demande d'adresse mail commune avait également été faite à l'initiative des équipes de Gras Savoye afin de faciliter les échanges et l'envoi de documents, faute de proactivité de votre part sur ce sujet.

Nous constatons également que vous n'avez pas mis en 'uvre les transferts de gestion sur votre portefeuille clients.

Il vous a été demandé dès le mois de mars 2016 d'organiser le transfert de la gestion des clients de Towers Watson auprès de la société CGRM, filiale du Groupe. L'objectif est de faire en sorte que la gestion de nos portefeuilles soit confiée à des entités du Groupe plutôt qu'à des sociétés concurrentes. Là encore, au lieu de vous mobiliser pour mettre en 'uvre cet objectif, vous avez immédiatement fait état 'd'attentes irréalistes', et indiqué d'emblée que cela ne serait pas possible.

Votre attitude de blocage et votre volonté de ne pas obtempérer à ces directives, nous a conduits à vous expliquer à plusieurs reprises les raisons qui conduisaient à cette décision, avant que vous n'acceptiez finalement de commencer à mettre en 'uvre les transferts demandés.

Nous comprenons d'autant moins cette résistance à vous y employer, que ce type d'action est courant, ne pose aucune difficulté et peut être opéré aisément sous réserve de s'y employer avec sérieux et engagement. Chaque année, les équipes de Gras Savoye opèrent de tels transferts, suite à des rachats de portefeuilles. En dépit du soutien opérationnel dont vous avez bénéficié de la part de l'équipe de Gras Savoye et du mécontentement connu de certains de vos clients quant à la qualité des services de gestion concurrents (Convergys,...), ces opérations de transfert n'ont pas été effectuées.

Ce comportement démontre votre incapacité à vous intégrer dans la nouvelle organisation et à instaurer une relation de confiance, nécessaire au bon fonctionnement de l'équipe, dans l'intérêt commun des collaborateurs et des clients.

Dans le passé, nous avons déjà eu l'occasion de vous reprocher votre attitude peu constructive, créant des tensions inutiles, ce qui vous a valu quelques rappels à l'ordre.

Vous aviez par exemple entretenu des tensions avec [U] [R] [P], votre manager, qui faute de pouvoir obtenir une attitude constructive et professionnelle de votre part, a fini par quitter l'entreprise.

Ce comportement opposé aux valeurs du groupe dégrade la qualité du travail de l'équipe, ce qui n'est pas acceptable au regard de votre ancienneté et de votre expérience. Ces carences persistantes, malgré les mises au point de votre manager et l'absence de toute amélioration, nous amènent à devoir envisager la cessation de notre collaboration.

Dans ces circonstances, nous sommes contraints de vous notifier, par la présente, votre licenciement. (...) »

Par requête reçue au greffe le 11 juillet 2017, M. [A] a saisi le conseil de prud'hommes de Nanterre aux fins de contester son licenciement et de voir condamner la société Willis Towers Watson au versement de diverses sommes indemnitaires et salariales.

Par jugement rendu le 28 mai 2019, le conseil de prud'hommes a :

- jugé le licenciement de M. [A] pour cause réelle et sérieuse fondé,

- débouté M. [A] de toutes ses demandes,

- débouté la SARL Willis Towers France de sa demande 'reconventionnelle',

- condamné M. [A] aux dépens.

M. [A] a interjeté appel de la décision par déclaration du 27 juin 2019.

Par conclusions adressées par voie électronique le 24 février 2020, il demande à la cour de :

- réformer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

et statuant à nouveau :

- dire et juger que le licenciement de M. [A] est dépourvu de cause réelle et sérieuse,

- en conséquence, condamner la société Willis Towers Watson à verser à M. [A] la somme de 491 509 euros nette de CSG et CRDS à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- condamner la société Willis Towers Watson à verser à M. [A] la somme de 60 000 euros nette de CSG et CRDS à titre de dommages et intérêts pour les préjudices distincts de la rupture du contrat de travail qu'il a subis,

- condamner la société Willis Towers Watson à verser à M. [A] la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la société Willis Towers Watson aux dépens de première instance et d'appel,

- dire et juger que les condamnations prononcées produiront intérêts au taux légal à compter de la saisine du conseil de prud'hommes.

Par conclusions adressées par voie électronique le 13 décembre 2019, la société Willis Towers Watson demande à la cour de :

- confirmer le jugement en toutes ses dispositions,

ce faisant,

- débouter M. [A] de toutes ses demandes, fins et prétentions,

- le condamner à régler à la société Willis Towers Watson la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens.

Par ordonnance rendue le 15 décembre 2021, le magistrat chargé de la mise en état a ordonné la clôture de l'instruction et a fixé la date des plaidoiries au 21 janvier 2022.

En application de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions des parties pour un plus ample exposé de leurs prétentions et moyens.

MOTIFS

Sur le bien-fondé du licenciement

L'article L. 1232-1 du code du travail subordonne la légitimité du licenciement pour motif personnel à l'existence d'une cause réelle et sérieuse.

L'article L. 1235-1 du code du travail dispose qu'en cas de litige, le juge, à qui il appartient d'apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties après avoir ordonné, au besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

Si un doute persiste, il profite au salarié.

Ainsi l'administration de la preuve en ce qui concerne le caractère réel et sérieux des motifs du licenciement n'incombe pas spécialement à l'une ou l'autre des parties. En application de l'article L. 1232-6 du code du travail, la lettre de licenciement doit comporter l'énoncé de faits matériellement vérifiables, à défaut de quoi le licenciement doit être jugé sans cause réelle et sérieuse.

La société Willis Towers Watson soutient que le licenciement notifié à M. [A] repose sur une cause réelle et sérieuse, caractérisée par des difficultés, constatées de façon récurrente, dans sa manière de travailler au sein de la nouvelle configuration, résultant du rapprochement des activités de courtage de Tower Watson avec celles de Gras Savoye, à la suite de la fusion des groupes Tower Watson, Gras Savoye et Willis, intervenue en janvier 2016.

Aux termes de la lettre de licenciement, qui fixe les limites du litige, elle reproche à M. [A] :

- une attitude d'obstruction et de blocage,

- une volonté délibérée d'entretenir une opacité dans le suivi de ses activités,

- un refus de mettre en oeuvre les directives de sa hiérarchie.

M. [A] prétend que les faits invoqués pour justifier son départ à l'âge de 59 ans sont soit mensongers ou inexacts, soit ne lui sont pas imputables, et en tout état de cause ne concernent qu'une partie de ses missions, faisant valoir que son métier est actuaire et consultant en retraite, qu'il n'a commencé à faire du courtage en assurance de personnes pour 50 % de son temps que cinq ans environ avant d'être licencié pour des motifs liés à ses seules missions de développement de l'activité courtage, ce qui suffit à rendre le licenciement non causé.

Il considère que, de toute évidence, et compte tenu du fait qu'il a donné entière satisfaction pendant plus de neuf ans, la décision de mettre un terme à son contrat de travail a été prise dans le cadre de la fusion opérée avec la société Gras Savoye, l'économie d'un gros salaire étant recherchée.

La cour constate que le contrat de travail conclu le 6 décembre 2007 avec la société Watson Wyatt vise des fonctions de consultant senior tandis que les bulletins de paie font état d'un emploi de consultant senior actuaire, position 3.2, coefficient 210.

Le contrat de travail énonce également s'agissant des responsabilités attachées aux fonctions de consultant senior :

- le développement d'un chiffre d'affaires dans le cadre d'objectifs définis annuellement,

- le développement du capital intellectuel dans le cadre d'objectifs définis annuellement,

- la conduite de projet et l'atteinte d'objectifs d'heures chargeables définis annuellement.

Il est précisé que les fonctions du salarié sont susceptibles d'évoluer selon les besoins du plan de développement et qu'en dehors de ses fonctions, il pourra être amené à effectuer d'autres travaux et missions demandés ponctuellement.

Si aucune fiche de poste décrivant précisément les fonctions du salarié n'est produite ni de part ni d'autre, M. [A] admet que son activité était double, à savoir d'une part, le développement de l'activité courtage en assurance de personnes et d'autre part, son métier d'actuaire et conseil dans le domaine de la retraite. Ainsi, contrairement à ce que soutient le salarié, les motifs fondant la rupture pouvaient parfaitement être recherchés dans l'une de ces activités.

M. [A] indique également qu'il n'a jamais donné son accord pour être transféré de manière opérationnelle chez Gras Savoye. Toutefois, son accord n'était pas nécessaire dès lors que son contrat de travail n'a pas été transféré à une autre entité juridique et qu'aucun élément essentiel de ce contrat n'a fait l'objet de modifications.

Il convient d'examiner si les griefs imputés au salarié sont établis.

- sur l'attitude d'obstruction et de blocage

La société Willis Towers Watson explique qu'à la suite de la fusion, effective le 1er janvier 2016, l'entité ex-Towers Watson s'est vu confier le pilotage de l'activité retraite, sous la responsabilité de M. [D] [I], qui disposait des ressources ex-Gras Savoye et l'entité ex-Gras Savoye s'est vu transmettre le pilotage de la relation commerciale de l'activité courtage d'ex-Towers Watson ; que M. [A] a été rattaché d'un point de vue opérationnel à Mme [M] [T], Directeur du Pôle Commercial et Technique au sein du département Corporate Life de Gras Savoye, piloté par Mme [Z] [H] ; qu'il est demeuré en charge de la relation avec le client tandis que deux chargés de compte, dont Mme [N] [G], assuraient les opérations de back office (émission des contrats, avenants, suivi des réclamations, statistiques, etc) ; que par courriel du 8 juillet 2016, Mme [T] a été amenée à adresser à M. [A] un document reprenant les missions dévolues à chacun en prévision d'une réunion destinée à préciser au salarié les missions et objectifs qui lui étaient assignés dans la nouvelle configuration.

Il résulte en effet des courriels versés aux débats par l'employeur que le 20 juin 2016, Mme [T] s'est inquiétée de l'état d'avancement des actions listées lors d'une réunion le 13 avril 2016, concernant notamment les clients du portefeuille Towers Watson suivis par M. [A], qu'elle a constaté que Mme [G] ne s'était toujours pas vu transmettre par ce dernier la totalité des documents figurant dans les dossiers clients (contrats, notices d'information, fiches clients, etc), que pour certains des clients, elle n'avait même reçu aucune pièce, qu'elle n'avait pas non plus été encore présentée aux clients comme cela était prévu, conduisant Mme [T] à écrire en ces termes à M. [A] le 30 juin 2016 : « Essayons de faire une note factuelle sur les travaux que tu réalises sur place, les missions qui te sont confiées, les personnes avec qui tu travailles ».

Par courriel du 12 juillet 2016, Mme [G] a également interrogé M. [A] : « [F], je souhaiterais faire un point avec toi sur 3 sujets concernant la reprise du portefeuille clients TW [Towers Watson] : 1. Les pièces contractuelles. 2. Les fiches clients. 3. Les RVs clients. A ce jour, j'ai à disposition les contrats/notices de Sony Music, Lubrizol, Seagate-Lacie et le contrat Stream. J'ai besoin stp des éléments manquants pour les autres clients du portefeuille TW, qui me permettront de bien appréhender notre binôme. Les fiches clients sont incomplètes et j'ai besoin stp des éléments que nous avons convenu ensemble de renseigner. Pourrais-tu stp m'adresser ces éléments qui me manquent pour effectuer la reprise du portefeuille TW ' (...) Si tu as besoin de mon aide pour préparer tes déplacements, n'hésites pas à me le faire savoir. Je suis à ta disposition. [F], je te remercie pour ton retour et tes lumières sur ces sujets ».

Elle a obtenu la réponse suivante de son collègue : « Nous étions convenus de te transférer les éléments par client à chaque besoin lorsque nous traitons un client et de mettre à jour les fiches conjointement. Je regarde vendredi ce que je suis en mesure de te communiquer ». Toutefois, Mme [G] lui indiquait en retour : « Dans l'immédiat, il me manque le contrat Santé de Biocompatibles (...) Pour les autres clients, il m'aurait été plus facile d'avoir à ma disposition toutes les informations par compte avant les congés d'été. Cela m'aurait permis d'une part de pouvoir créer mon arborescence 'fichiers clients' sur notre réseau de partage clients et de m'imprégner du contexte client en ayant plus de visibilité d'autre part sur la charge de travail de chaque compte. Mais bon, je comprends et patienterai jusqu'à mon retour de congés avec les informations manquantes que tu me communiqueras et t'en remercie vivement ».

Le 18 juillet 2016, Mme [G] demandait à M. [A] de lui communiquer les contrats prévoyance du client Stream (ancien et nouveau), afin de vérifier ce qui était prévu au titre de la reprise des sinistres prévoyance en cours. M. [A] lui adressait les anciens contrats datés de janvier 2015, au lieu des contrats les plus récents, alors qu'il lui avait indiqué qu'il n'était pas certain de disposer des anciens contrats sous forme numérisée. Mme [G] lui réclamait donc les nouveaux contrats, à effet de janvier 2016, mais ne les obtenait pas.

Si M. [A] se défausse en soutenant que la transition n'avait pas été préparée, que les méthodes de travail des sociétés Towers Watson et Gras Savoye étaient très différentes, qu'il fallait du temps pour que la transition s'opère dans des conditions optimales ou encore que le seul problème de communication a résulté de dysfonctionnements concernant les adresses email 'Gras Savoye', aucun des éléments dont il se prévaut ne permet de démontrer, comme il le prétend, qu'il s'est rendu systématiquement disponible pour donner des informations sur les dossiers et clients et qu'il a tout mis en oeuvre pour que le transfert des contrats de courtage et le développement des contrats de gestion au profit de Gras Savoye s'opèrent dans les meilleures conditions.

Bien au contraire, les pièces produites par la société Willis Towers Watson établissent que le salarié n'acceptait pas de collaborer dans la nouvelle configuration et qu'il a fait preuve d'une mauvaise volonté avérée et d'une absence d'attitude constructive.

Le grief est caractérisé.

- sur la volonté délibérée d'entretenir une opacité dans le suivi de ses activités

La société Willis Towers Watson expose que Mme [H], Directrice du Département Corporate Life, était informée des difficultés rencontrées pour obtenir les documents attendus et la pleine et entière collaboration de M. [A], qu'elle l'a sollicité à plusieurs reprises afin qu'il accepte de se conformer à une communication de son planning de charge, que là encore cependant il a fait montre de résistance.

Elle produit ainsi un courriel daté du 11 juillet 2016 aux termes duquel Mme [H] a informé M. [A] qu'elle souhaitait organiser un point d'étape avant les congés d'été, lui transmettant à cette occasion un exemple de matrice de tableau à renseigner. Sans réponse de la part du salarié, Mme [T] l'a relancé en ces termes par courriel du 22 juillet 2016 : « Dans le but de bien préparer la rentrée et d'avoir les disponibilités nécessaires des équipes, peux tu STP me donner de la visibilité sur les travaux prévus entre septembre et janvier pour ton portefeuille ' Pour cela je te joins le modèle que nous utilisons en interne et que [Z] [[H]] a dû te communiquer ' J'ai demandé aussi à [N] [[G]] / [K] / [W] de me mettre en copie des échanges pour que je puisse au mieux cerner la charge de travail et que j'alloue les disponibilités / profils nécessaires pour t'accompagner ».

Ce n'est que le 28 juillet 2016 et juste avant son départ en congés que M. [A] a consenti à retourner à Mme [T] ce tableau complété, en vue d'une réunion qui devait se tenir le jour même.

Toutefois, en dépit des demandes répétées de Mme [H] de disposer d'un tableau régulièrement mis à jour avec indication des effectifs, des revenus et des travaux en cours, le salarié ne l'a plus jamais actualisé, la directrice du département lui rappelant dans un courriel du 21 septembre 2016 : « Comme je te l'ai expliqué, la charge de travail monte pour tous et le groupe attend les revenus de nos nouvelles synergies. Notre organisation collective pour optimiser l'utilisation des meilleurs talents de chacun a beaucoup d'importance pour notre succès. Par ailleurs, dans mon rôle de Leader HB [Health and Benefits] pour la France, j'ai aussi la responsabilité de reporter sur les clients, projets et revenus de LTW. Tu es le consultant senior référent de cette clientèle et je dois pouvoir compter sur toi pour me donner cette visibilité ».

Le 3 octobre 2016, Mme [H] écrivait de nouveau à M. [A] : « il est essentiel que la ventilation des travaux et attentes pour les prospects ou les clients en cours me soient remontées pour que le juste pilotage des ressources puisse être organisé. Sur les clients du portefeuille LTW, ta connaissance des clients doit être partagée pour anticiper l'organisation des équipes en 2017. Merci de ton retour rapide ». Elle indiquait qu'elle attendait toujours la mise à jour du fichier de portefeuille HB (Health and Benefits), qui devait notamment faire état des transferts de gestionnaire opérés par le salarié depuis la fusion. S'il a transmis en retour un fichier qualifié de 'complet', il s'avère que celui-ci ne l'était pas puisque M. [A] indiquait lui-même dans son message d'accompagnement « Je dois encore ajouter des informations demandées à savoir les primes, revenus et la possibilité de transférer la gestion et si oui à quelle date. Certains effectifs sont aussi en cours de validation. Je continue à le compléter ».

En réplique, le salarié procède par affirmations sans apporter aucun élément utile de nature à contredire l'employeur.

Le grief est démontré.

- sur le refus de mettre en oeuvre les directives de sa hiérarchie

La société Willis Towers Watson expose qu'il a été demandé à M. [A] dès le mois de mars 2016 d'organiser le transfert de la gestion des clients Towers Watson, auprès de la société CGRM, filiale du groupe, l'objectif étant de confier la gestion des portefeuilles des clients de la société à des entités du groupe plutôt qu'à des sociétés concurrentes ; qu'au lieu de se mobiliser pour mettre en 'uvre cet objectif, demandé par sa hiérarchie et émanant d'une directive Groupe, M. [A] faisait état le 15 juin 2016 « d'attentes irréalistes » et se plaignait de ne pas avoir été consulté.

Par courriel du 13 septembre 2016, Mme [H] demandait à M. [A] : « Où en sommes-nous dans la discussion avec NCR ' Avons-nous proposé une reprise de gestion chez nous si le client est tenté par un autre gestionnaire que l'assureur ' », ce à quoi le salarié répondait : « Les offres rentrent cette semaine. L'idée est de quitter Humanis et de mettre CGRM en place ».

Il faudra attendre le 5 octobre 2016, soit 7 mois après la première demande, pour que Mme [H] soit en mesure d'informer M. [L], Directeur Général, que « des transferts deviennent possibles ... ».

M. [A] se limite vainement à contester avoir fait preuve de résistance et avoir refusé d'obtempérer aux directives qui lui étaient données, tout en faisant observer qu'elles l'étaient par des personnes avec lesquelles il n'avait aucun lien de subordination, ce qui est inopérant dès lors que les demandes formulées s'inscrivait dans une politique de groupe.

L'examen de ces griefs permet de caractériser une cause réelle et sérieuse de licenciement. En effet, si les opérations de fusion ont inévitablement entraîné des changements dans l'organisation du travail et des équipes, cela ne justifiait pas l'attitude de blocage dont a fait preuve M. [A].

Le jugement qui l'a débouté de sa demande de dommages-intérêts sera donc confirmé.

Sur la demande de dommages-intérêts pour préjudices distincts

M. [A] fait ici valoir que la société Willis Towers Watson n'a pas hésité à proférer à son encontre des accusations mensongères dont le caractère vexatoire et humiliant ne pouvait lui échapper, qu'elle n'a pas non plus hésité à le soumettre, alors qu'il était en fin de carrière et dans un état de surcharge de travail chronique, à des pressions et à des tentatives de déstabilisation illustrant une violation flagrante de son obligation de loyauté et un abus de son pouvoir de direction, que ces manquements ont eu un impact direct sur sa santé, qu'ainsi le 25 novembre 2016, il a été arrêté pour syndrome dépressif réactionnel.

Il s'estime bien fondé à demander réparation des préjudices résultant de la dégradation de ses conditions de travail et des circonstances injurieuses et vexatoires de son licenciement à hauteur de la somme de 60 000 euros nette de CSG et CRDS.

Ses allégations ne sont cependant aucunement étayées, le salarié n'apportant pas la preuve d'une surcharge de travail, ni des pressions et des tentatives de déstabilisation qu'il prétend avoir subies.

L'employeur produit en outre une fiche d'aptitude médicale en date du 17 février 2016 attestant de l'aptitude sans réserves de M. [A].

Enfin, la cour a retenu le bien-fondé du licenciement, de sorte que le grief d'accusations mensongères ne peut qu'être écarté.

Le jugement entrepris sera donc confirmé en ce qu'il a débouté M. [A] de sa demande de ce chef.

Sur les dépens de l'instance et les frais irrépétibles

M. [A] supportera les dépens en application des dispositions de l'article'696 du code de procédure civile.

Il sera en outre condamné à payer à la société Willis Towers Watson une indemnité sur le fondement de l'article'700 du code de procédure civile, que l'équité et la situation économique respective des parties conduisent à arbitrer à la somme de 2 000 euros.

PAR CES MOTIFS

La COUR, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,

CONFIRME en toutes ses dispositions le jugement rendu le 28 mai 2019 par le conseil de prud'hommes de Nanterre ;

Y ajoutant,

CONDAMNE M. [F] [A] à verser à la société Willis Towers Watson la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

DÉBOUTE M. [F] [A] de sa demande de ce chef ;

CONDAMNE M. [F] [A] aux dépens.

Arrêt prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la cour,les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code procédure civile et signé par Madame Isabelle VENDRYES, Président, et par Madame BOUCHET-BERT Elodie,Greffière,auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LE GREFFIER,LE PRÉSIDENT,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 6e chambre
Numéro d'arrêt : 19/02718
Date de la décision : 21/04/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-04-21;19.02718 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award