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14/01/2021 | FRANCE | N°19/02766

France | France, Cour d'appel de Versailles, 5e chambre, 14 janvier 2021, 19/02766


0.

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 88G

5e Chambre



ARRET N°



CONTRADICTOIRE



DU 14 JANVIER 2021



N° RG 19/02766



N° Portalis DBV3-V-B7D-TJWJ



AFFAIRE :



Société VEOLIA EAU ILE DE FRANCE (VEDIF)





C/





URSSAF PACA VENANT AUX DROITS DE LA CAISSE NATIONALE DELEGUEE POUR LA SECURITE SOCIALE DES TI



Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 10 Mai 2019 par le Tribunal des

Affaires de Sécurité Sociale de NANTERRE

N° RG : 17/01360





Copies exécutoires délivrées à :



Me Alexandra L'HERMINE



Me Lionel

ASSOUS-LEGRAND



Copies certifiées conformes délivrées à :



Société VEOLIA EAU ILE DE FRANCE...

0.

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 88G

5e Chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 14 JANVIER 2021

N° RG 19/02766

N° Portalis DBV3-V-B7D-TJWJ

AFFAIRE :

Société VEOLIA EAU ILE DE FRANCE (VEDIF)

C/

URSSAF PACA VENANT AUX DROITS DE LA CAISSE NATIONALE DELEGUEE POUR LA SECURITE SOCIALE DES TI

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 10 Mai 2019 par le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de NANTERRE

N° RG : 17/01360

Copies exécutoires délivrées à :

Me Alexandra L'HERMINE

Me Lionel

ASSOUS-LEGRAND

Copies certifiées conformes délivrées à :

Société VEOLIA EAU ILE DE FRANCE (VEDIF)

URSSAF PACA VENANT AUX DROITS DE LA CAISSE NATIONALE DELEGUEE POUR LA SECURITE SOCIALE DES TI

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE QUATORZE JANVIER DEUX MILLE VINGT ET UN,

La cour d'appel de VERSAILLES, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

Société VEOLIA EAU ILE DE FRANCE (VEDIF)

[Adresse 4]

[Adresse 4]

[Localité 2]

représentée par Me Alexandra L'HERMINE, avocat au barreau de HAUTS-DE-SEINE, vestiaire : 1701

APPELANTE

****************

URSSAF PACA VENANT AUX DROITS DE LA CAISSE NATIONALE DELEGUEE POUR LA SECURITE SOCIALE DES TI

[Adresse 3]

[Adresse 3]

[Localité 1]

représentée par Me Lionel ASSOUS-LEGRAND, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : G0759

INTIMEE

****************

Composition de la cour :

L'affaire a été débattue le 19 Novembre 2020, en audience publique, devant la cour composée de :

Monsieur Olivier FOURMY, Président,

Madame Marie-Bénédicte JACQUET, Conseiller,

Madame Valentine BUCK, Conseiller,

qui en ont délibéré,

Greffier, lors des débats : Madame Clémence VICTORIA, Greffier placé

La société Véolia Eau Ile de France (ci-après, la 'Société') assure, dans le cadre d'un contrat de délégation de service public, la gestion du service public de distribution d'eau potable et/ou de l'assainissement.

Elle perçoit à ce titre :

- en son nom, sa rémunération ;

- et, au nom et pour le compte de tiers (personne publique gestionnaire du service public ou agence de l'eau en l'occurrence), différentes sommes telles que la redevance pour modernisation des réseaux de collecte (ci-après 'RMRC').

La Société a intégré les sommes perçues au titre de la RMRC dans l'assiette de la contribution sociale de solidarité (ci-après, la 'C3S').

La Société a adressé, le 28 avril 2017, une réclamation à la caisse nationale déléguée pour la sécurité sociale des indépendants, devenue l'union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et des allocations familiales de Provence-Alpes-Côte d'Azur (ci-après, 'l'URSSAF') en vue d'obtenir la restitution d'une fraction de C3S qu'elle considérait avoir acquittée à tort, sur les sommes perçues pour le compte des organismes publics, au titre des années 2014 (97 625,79 euros), 2015 (101 383,54 euros) et 2016 (101 645,40 euros), soit un montant total selon elle de 300 554,73 euros.

L'URSSAF a rejeté la demande de la Société par courrier du 10 mai 2017, considérant que les redevances perçues par la Société doivent être incluses dans l'assiette de la C3S.

La Société a contesté la décision de l'URSSAF en saisissant le tribunal des affaires de sécurité sociale des Hauts-de-Seine, le 6 juillet 2017.

Par jugement en date du 10 mai 2019, le pôle social du tribunal de grande instance de Nanterre a :

- débouté la Société de toutes ses demandes ;

- condamné la Société aux dépens et à payer à l'URSSAF la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Pour l'essentiel, le tribunal a considéré que la redevance pour modernisation des réseaux de collecte perçue par la Société n'étant pas assimilable à la TVA, elle doit entrer dans l'assiette de la cotisation, peu important que la Société ne soit pas le bénéficiaire final de cette redevance et que cette redevance soit collectée dans le cadre d'un mandat légal de l'agence de l'eau.

Le tribunal a également relevé que l'application de l'article L. 651-5 du code de la sécurité sociale ne constitue pas une violation de la convention européenne des droits de l'homme. Il a considéré que si la juridiction administrative est compétente pour déterminer l'assiette de la TVA, le pôle social tribunal de grande instance est exclusivement compétent pour déterminer l'assiette de la C3S sans que la juridiction judiciaire ne puisse se dessaisir de cette compétence au profit de la juridiction administrative au motif qu'il conviendrait d'interpréter l'article 267-I-1° du code général des impôts qui est le même que celui permettant de déterminer le chiffre d'affaires devant être déclaré en matière de TVA. Le tribunal a également relevé que la Société n'allègue pas l'existence d'un contentieux relatif au paiement de la TVA pour la période litigieuse devant la juridiction administrative et a rejeté la demande de question préjudicielle.

La Société a relevé appel de ce jugement.

Les parties ont été convoquées à l'audience collégiale du 19 novembre 2020, date à laquelle l'affaire a été plaidée.

Par conclusions écrites et soutenues à l'audience, la Société demande à la cour de :

A titre principal,

- surseoir à statuer dans l'attente de la décision du Conseil d'État sur le recours pour excès de pouvoir formé à l'encontre de la notice C3S et indirectement des dispositions de l'article L. 137-33 du code de la sécurité sociale ;

A titre subsidiaire,

- constater le bien-fondé de sa demande ;

- infirmer le jugement rendu par le tribunal de grande instance de Nanterre du 10 mai 2019 en ce qu'il l'a déboutée de sa demande en remboursement de la somme de 300 554,73 euros ;

- annuler la condamnation de la Société requérante en première instance au paiement de la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- ordonner le remboursement de la contribution sociale de solidarité des sociétés d'un montant de 300 554,73 euros versée à tort à l'URSSAF au titre des années 2014, 2015 et 2016, augmentés des intérêts de retard au taux légal à compter de la date de la demande initiale (28 avril 2017) et capitalisation des intérêts ;

En tout état de cause,

- condamner l'URSSAF à verser à la Société la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Reprenant le bénéfice de ses conclusions écrites, l'URSSAF sollicite de la cour de :

- dire et juger mal fondé l'appel de la Société ;

- rejeter la demande de sursis à statuer ;

- juger qu'il n'y a pas lieu de transmettre la question préjudicielle soulevée ;

- confirmer le jugement rendu le 10 mai 2019 par le pôle social du tribunal de grande instance de Nanterre en toutes ses dispositions ;

- condamner la Société à lui verser la somme de 5 000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile.

Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la cour, conformément à l'article 455 du code de procédure civile, renvoie aux conclusions et pièces déposées et soutenues à l'audience.

MOTIFS

Sur le sursis à statuer

La Société sollicite, à titre principal, le sursis à statuer, dans l'attente de la décision du Conseil d'État (ci-après, le 'CE'), sur la demande en annulation de la notice C3S, formée 'par un délégataire de service public de distribution d'eau', 'et indirectement contre les dispositions de l'article L137-33 du code de la sécurité sociale sur le fondement de l'article 1er du Premier Protocole à la CEDH'.

La requérante considère, comme la Société, 'que la RMRC (...) ne constitu(e) pas des recettes qui lui sont propres, mais sont au contraire, des recettes de l'autorité publique (autorité délégante ou Agence de l'eau) directement perçues sur l'usager au nom et pour le compte de la personne publique. La société en conclut qu'en lui imposant d'inclure dans l'assiette de la C3S les recettes des personnes publiques, sans possibilité de les exclure, la législation conduit à porter atteinte à ses biens, et présente ainsi un caractère confiscatoire'.

L'URSSAF s'oppose à la demande de sursis à statuer en plaidant notamment que cet argument présente un caractère dilatoire, la Société ayant été 'confrontée à une jurisprudence unanime de la Cour de cassation' (en gras dans l'original des conclusions).

Au demeurant, le recours pour excès de pouvoir mentionné par la Société concerne la notice C3S 2020, tandis que le présent litige concerne la C3S 2014, 2015 et 2016, et concerne une autre société.

Sur ce

La cour ne peut que constater que le litige invoqué par la Société pour justifier un sursis à statuer, s'il concerne la C3S, a été intenté par une entreprise distincte, devant une juridiction non seulement distincte mais d'un ordre distinct et, en tout état de cause, concerne une période sans rapport avec celle en cause ici.

La cour ne trouve pas, par elle-même, de raison de surseoir à statuer dans l'attente de la décision du Conseil d'État à intervenir.

Sur le fond  

La cour mentionne, à titre préliminaire, que la Société a expressément renoncé, à l'audience, à la demande de question préjudicielle figurant dans ses conclusions écrites.

La cour ajoute qu'il ne peut être tenu compte de citations faites, dans les conclusions, en langue étrangère (en l'espèce, il s'agit d'un extrait d'une décision de la Cour européenne des droits de l'homme - 'CEDH').

La Société, dans des conclusions détaillées auxquelles la cour renvoie expressément pour plus ample précision sur les arguments développés, observe, tout d'abord, qu'il n'est pas contesté que le chiffre d'affaires imposable en matière de C3S est le chiffre d'affaires déclaré en matière de TVA, mais que 'la question qui se pose est de savoir si le chiffre d'affaires devant être retenu en matière de C3S est celui qui a été déclaré à l'administration fiscale ou celui qui aurait dû l'être'.

Or, '(s)eul le chiffre d'affaires qui aurait dû être imposé en matière de TVA doit être déclaré en matière de contribution sociale de solidarité' (en gras comme dans l'original des conclusions).

La Société, par ailleurs, reproche au tribunal de ne pas avoir tiré les conséquences de 'l'existence d'un mandat légal de facturation et d'encaissement liant la requérante à l'Agence de l'eau en écartant sans en justifier ce moyen' et d'avoir 'sciemment occulté le fait que les redevances litigieuses constituaient des recettes publiques' (en gras dans l'original des conclusions). La RMRC ne constitue pas un revenu de la Société. L'URSSAF elle-même, 'dans sa notice', 'se limite au seul chiffre d'affaires propre de l'assujetti à l'exclusion de celui déclaré pour le compte d'un tiers'.

La Société soutient, en outre, que sa demande de restitution de C3S peut être présentée indépendamment de toute correction de ses déclarations de TVA. '(T)oute demande en restitution de TVA auprès de l'administration fiscale n'impacte pas les déclarations de chiffre d'affaires du contribuable (...) une demande de restitution doit être présentée par une réclamation contentieuse, c'est à dire en dehors d'une déclaration de chiffre d'affaires'.

La Société reproche au tribunal, s'agissant de l'existence d'un enrichissement sans cause en cas de demande de restitution de TVA, de s'être 'à nouveau retranché derrière l'URSSAF sans répondre à l'argumentation (de la Société) fondée sur la jurisprudence de la Cour de Justice de l'Union européenne'.

Enfin, 'indépendamment du régime de TVA applicable à ces recettes, la question soulevée (par la Société) porte sur le point de savoir si elle peut être assujettie à la C3S sur ces recettes qui ne sont pas les siennes'.

Il convient de souligner ici que la Société consacre de longs développements tendant à démontrer que le 'jugement du Tribunal porte atteinte aux droits fondamentaux tels qu'interprétés par la Cour Européenne des Droits de l'Homme' (en gras et souligné dans l'original des conclusions).

L'URSSAF plaide tout d'abord que la Société ne justifie en aucune mesure des sommes qu'elle réclame. Le tableau qu'elle produit a été établi par elle-même et elle ne produit aucune facture de nature à justifier les sommes perçues auprès des usagers

En tout état de cause, les demandes de remboursement formulées par la Société ne sont pas fondées.

Selon l'URSSAF, 'tout retraitement autre que celui autorisé par l'article L. 651-5' du code de la sécurité sociale est illégal. 'Les considérations (...) par la Société tenant au fait que ces sommes ne lui appartiendraient pas, ne seraient jamais entrées dans son patrimoine, ne feraient que transiter chez elle, où encore qu'elle agirait en vertu d'un mandat légal de facturation sont parfaitement étrangères aux règles' posées par cette disposition légale.

Les modalités de perception et de déclaration des redevances auprès de l'Agence de l'eau et la déclaration sont indifférentes à la déclaration par la Société de ces redevances 'constitutives d'un chiffre d'affaires à la TVA, et partant à la C3S'.

L'URSSAF souligne qu'un arrêt de la cour d'appel de Lyon (26 septembre 2017, n° 16/03145) a considéré que : 'Les redevances pour consommation d'eau et d'assainissement facturées par la société (...) aux usagers pour le compte de l'Agence de l'Eau et des collectivités territoriales (...) ne sont pas mentionnées par l'article L. 651-5 du code de la sécurité sociale comme ouvrant droit à déduction, lesquelles sont limitées aux droits ou taxes grevant les produits médicamenteux et de parfumerie, les boissons et produits pétroliers'. Cet arrêt a fait l'objet d'un pourvoi, qui a été rejeté sans motivation particulière (Civ 2ème, 28 novembre 2018, 17-28.022).

Les juridictions sociales de première instance 'ont systématiquement débouté les sociétés de distribution d'eau ayant introduit des recours contentieux strictement identiques' à celui de la Société.

Le fait que la loi oblige celle-ci à facturer la RMRC au nom et pour le compte de l'Agence de l'eau 'n'emporte aucune conséquence quant à son assujettissement à la C3S' (souligné dans l'original des conclusions).

Si l'URSSAF, dans sa notice, exclut les lignes 2A, 2B, 3, 3A et 3B de la C3S, ces lignes renvoient à des activités ou exceptions qui ne concernent pas la Société.

Au demeurant, 'seule une déclaration rectificative de TVA serait de nature à justifier une demande de remboursement au titre de la C3S' (souligné dans l'original des conclusions). Or, la Société ne fait état d'aucune déclaration rectificative. Pourtant, la Société 'conserve la faculté de régulariser spontanément une déclaration de TVA en déposant une déclaration rectificative de chiffre d'affaires', laquelle se distingue de la demande de restitution contentieuse. Au demeurant, la Société ne fait pas état d'un litige l'opposant à l'administration fiscale en matière de TVA.

L'URSSAF conteste, enfin, toute atteinte aux droits fondamentaux. Elle rappelle que, par arrêt en date du 14 juin 2018 (Civ 2ème, 17-28022), la Cour de cassation a rejeté une question prioritaire de constitutionnalité ('QPC'), en considérant qu'il n'existait 'aucune rupture d'égalité caractérisée entre le délégataire du service de distribution d'eau potable et d'assainissement qui n'a pas reçu mandat de recouvrer les redevances auprès des usagers et celui qui aurait reçu un tel mandat'.

L'article 1 du Protocole additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme (ci-après, le 'Protocole additionnel) prévoit expressément que les États possèdent le droit de 'mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes', la CEDH considérant que les États disposent d'un large pouvoir d'appréciation en la matière.

Par ailleurs, il n'appartient pas à la cour d'appel d'apprécier elle-même la conformité de la loi à la Constitution ou à des principes constitutionnels, étant observé en tout état de cause, que le principe d'égalité n'a vocation à s'appliquer qu'à l'égard de personnes se trouvant dans des situations objectivement identiques.

L'URSSAF rappelle que le législateur a retenu, en l'espèce, le principe d'une contribution à faible taux et à assiette large. Elle souligne que même les sociétés déficitaires sont soumises à la C3S. L'assiette de la C3S n'étant 'pas constituée par le résultat ou par une marge', 'il n'existe  aucun motif de neutraliser l'inclusion du chiffre d'affaires relatif aux diverses recevables perçues par la Société'. Celle-ci n'apporte au demeurant aucune démonstration que les règles d'assiette retenues par la loi seraient manifestement inappropriées à l'objectif visé.

Sur ce

Il convient sans doute de rappeler, à titre préliminaire, que la C3S est calculée par l'URSSAF, pour une société déterminée, sur la base du chiffre d'affaires que celle-ci a déclaré à l'administration fiscale.

Aux termes du premier paragraphe de l'article L. 651-5 du code de la sécurité sociale (alors en vigueur ; il est devenu l'article L. 137-33 du même code) :

Les sociétés et entreprises assujetties à la contribution sociale de solidarité sont tenues d'indiquer annuellement à l'organisme chargé du recouvrement de cette contribution le montant de leur chiffre d'affaires global déclaré à l'administration fiscale, calculé hors taxes sur le chiffre d'affaires et taxes assimilées. De ce montant sont déduits, en outre, les droits ou taxes indirects et les taxes intérieures de consommation, versés par ces sociétés et entreprises, grevant les produits médicamenteux et de parfumerie, les boissons, ainsi que les produits pétroliers. (souligné par la cour)

La Société considère que le terme le plus important dans ce texte est 'leur', qui signifierait que c'est 'leur chiffre d'affaires' déclaré à l'administration fiscale et non celui qu'elles encaissent au nom et pour le compte d'un tiers, qui doit être pris en compte.

Cette analyse ne résiste pas à la simple lecture du texte.

Ce qui importe dans ces dispositions est 'le chiffre d'affaires global déclaré à l'administration fiscale'.

La Cour de cassation a précisé, à cet égard (Civ 2ème, 7 novembre 2013, 12-25776) que 'l'assiette de la (C3S) est, selon l'article L. 651-5 du code de la sécurité sociale, celle du chiffre d'affaires global déclaré à l'administration fiscale, lequel n'est autre que celui entrant, selon les termes du même texte, dans le champ d'application des taxes sur le chiffre d'affaires que, selon l'article 256 du code général des impôts, sont soumises à la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) les livraisons de biens effectuées à titre onéreux par un assujetti agissant en tant que tel, qu'est assimilé à une livraison de biens le transfert par un assujetti d'un bien de son entreprise à destination d'un autre Etat membre de la Communauté européenne, et qu'est considéré comme un transfert l'expédition ou le transport, par un assujetti ou pour son compte, d'un bien meuble corporel pour le besoin de son entreprise sauf quatre exceptions énumérées par le même article ; que le transfert par la société de stocks de produits finis destinés à la vente ne relève pas des quatre exceptions prévues par l'article 256 du code général des impôts et qu'il est donc assimilé à des livraisons intracommunautaires, et que les livraisons intracommunautaires et les transferts qui lui est assimilé, dès lors qu'ils sont opérés en vue de la vente, entrent dans le champ d'application territoriale de la TVA tout en bénéficiant d'une exonération en France ; que le régime fiscal des sociétés au regard de l'impôt sur les bénéfices est sans incidence sur leur obligation au versement de la contribution sociale de solidarité, laquelle est assise sur le chiffre d'affaires déclaré, peu important que celui-ci ait donné lieu ou non au recouvrement de la TVA, et que seule une éventuelle modification du chiffre déclaré serait de nature à permettre de modifier l'assiette de la contribution sociale de solidarité, ce qui n'est pas le cas en l'espèce, aucune contestation n'existant sur le chiffre d'affaires déclaré au titre de la TVA' (souligné par la cour de céans).

En l'occurrence, la Société ne plaide pas même que l'activité en cause relèverait de l'une des exceptions prévues à l'article 256 du code général des impôts. La cour note, d'ailleurs, que les articles 256 et suivants du code général des impôts précisent, dans leur version applicable à l'époque des faits, que même les personnes morales de droit public qui fournissent de l'eau aux communes de plus de 3 000 habitants sont soumises à la TVA.

Quoi qu'il en soit, les dispositions de l'article L. 651-5 du code de la sécurité sociale précisent que c'est le chiffre d'affaires 'global', déclaré à l'administration fiscale, qui doit être pris en compte, ce qui ne permet d'envisager aucune autre exception que celles limitativement énumérées par ce même article.

Il est donc indifférent que la Société ait inclus dans le chiffre d'affaires, qu'elle a elle-même déclaré à l'administration fiscale, le montant des redevances (notamment la RMRC) qu'elle perçoit pour l'Agence de l'eau, puisque ce type de 'chiffre d'affaires' n'est pas expressément exclu.

Sans doute faut-il rappeler ici que si le juge de la C3S est le juge judiciaire au travers des affaires soumises aux juridictions de sécurité sociale, le juge de la TVA est le juge administratif.

Dans le cas présent, la Société n'a engagé aucune procédure, devant le juge administratif, relative aux déclarations qu'elle a effectuées pour les années en cause.

Surtout, comme l'URSSAF le relève à juste titre, si la Société considérait qu'elle avait déclaré un chiffre d'affaires erroné, il lui appartenait de prendre les mesures qu'elle estimait appropriée à l'égard de l'administration fiscale. En d'autres termes, il appartenait à la Société de procéder à une déclaration rectificative de TVA. Seule une telle déclaration, à supposer qu'elle ait été retenue comme valable par l'administration fiscale, aurait permis à celle-ci d'adresser un rectificatif à l'URSSAF, autorisant à son tour à ce qu'il soit effectué par celle-ci un nouveau calcul de la C3S.

La Société n'en a rien fait.

Ainsi, à supposer qu'une erreur ait été commise dans le montant déclaré à l'administration fiscale, elle s'en trouve à l'origine et se trouve seule responsable de ne pas avoir entrepris les démarches qui lui auraient éventuellement permis d'obtenir satisfaction.

Dès lors, il n'est pas permis d'envisager qu'une quelconque violation des droits fondamentaux de la Société puisse résulter du seul fait de l'inclusion dans l'assiette de la C3S de la RMRC ou autres redevances qu'elle collecterait pour le compte d'autrui, la Société ayant elle-même renoncé à faire valoir ses droits en matière de déclaration de chiffre d'affaires.

En tout état de cause, aucune violation des droits fondamentaux n'est établie ni caractérisée, qu'il s'agisse de l'atteinte aux biens ou de l'égalité devant les charges publiques.

La jurisprudence de la CEDH citée par la Société (en langue anglaise) est dépourvue de toute pertinence dès lors que, dans ce cas d'espèce, le plaignant déplorait une taxation confiscatoire à hauteur de 98%, ce qui n'est aucunement le cas ici : comme l'URSSAF l'a justement rappelé, le principe de la C3S est celui d'une taxe à taux faible sur une assiette large.

Au demeurant, l'article 1er du Protocole additionnel et l'interprétation qu'en a donnée la CEDH envisagent expressément d'une part, qu'en matière d'impôts et taxes, les États peuvent 'mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaire pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général' et, d'autre part, qu'ils disposent à cette fin d'une assez large marge d'appréciation.

La cour ne peut que constater, d'ailleurs, que la Société ne démontre en aucune manière que la taxation opérée par l'URSSAF présenterait un caractère confiscatoire, ou même abusif.

Aucune violation du principe d'égalité devant les charges publiques n'est plus généralement caractérisé.

Il est intéressant de rappeler, dans cette perspective, que la Cour de cassation a été saisie d'une QPC relative à l'article L. 651-5 du code de la sécurité sociale, dans une affaire où, précisément, était invoquée une rupture d'égalité entre deux délégataires du service public de distribution de l'eau, l'un ayant reçu mandat de recouvrer les redevances auprès des usagers et l'autre pas, la Cour de cassation, pour rejeter la QPC, a statué dans les termes suivants :

le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit ; que la disposition critiquée faisant obligation à l'ensemble des entreprises et organismes assujettis au paiement de la contribution sociale de solidarité des sociétés d'indiquer annuellement à cette fin à l'organisme de recouvrement le montant de leur chiffre d'affaires global déclaré à l'administration fiscale, calculé hors taxes sur le chiffre d'affaires et taxes assimilées, et de déclarer ainsi les montants ayant servi à l'application des taxes sur le chiffre d'affaires par l'administration fiscale, il ne saurait être sérieusement soutenu que la différence d'assiette de la contribution résultant, entre deux catégories de redevables, des conditions distinctes dans lesquelles ces derniers exercent leur activité dans le cadre d'une délégation de service public, méconnaît les exigences du principe de l'égalité devant les charges publiques énoncé à l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789. (souligné par la cour de céans)

Cette décision a été prise sur le rapport de la conseillère référendaire qui relevait notamment :

La chambre sociale, puis la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, ont affirmé le principe suivant lequel l'assiette de la C3S est le chiffre d'affaires, peu important que celui-ci ait donné lieu ou non au recouvrement de la taxe sur la valeur ajoutée (Soc., 12 décembre 1991, n° 89-16.603, Bull., V, n° 585 ; 2 Civ., 23 avril 2003, n° 01-21.443 ; 2 Civ., 14 février 2013, n° 12-10.124 ; dans le même sens : 2 Civ., 4 avril 2018, n° 17-13.987, au sujet des règles fiscales applicables en Guyane) et plus précisément, le chiffre d'affaires mentionné au compte de résultat et seul à déclarer à l'administration fiscale (2 Civ., 6 juillet 2017, n° 16-17.920 et 16- 20.506 ; et concernant l'obligation pour les sociétés assujetties à la C3S de déclarer à l'organisme de recouvrement les montants ayant servi à l'application, par l'administration fiscale, des taxes sur le chiffre d'affaires : 2 Civ., 12 mars 2015, n° 14-13.035).

Le Conseil constitutionnel a considéré, s'agissant des entreprises du secteur des assurances, qu'en élargissant l'assiette de la C3S pour les entreprises du secteur des assurances, le législateur, d'une part, établi une assiette en lien avec les capacités contributives de ces entreprises, d'autre part, retenu des critères objectifs et rationnels en relation avec le caractère annuel de la taxation et avec la définition de l'autre fraction de l'assiette assujettie à cette contribution. Le Conseil constitutionnel a, en conséquence, écarté les griefs tirés de la méconnaissance du principe d'égalité devant les charges publiques (décision n 2012-659 DC du 13 décembre 2012, sur la conformité à la Constitution de l'article 12 de la LFSS pour 2013). Notre chambre a, quant à elle, refusé de transmettre au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité tirée, notamment, de l'atteinte aux principes d'égalité devant la loi de l'article L. 651-5, alinéa 1, du code de la sécurité sociale, auquel renvoie l'article L. 651-3 du même code, au motif que le texte ne donnerait pas une définition précise du chiffre d'affaires constituant l'assiette de la C3S : « Et attendu (...) que la disposition critiquée faisant obligation aux sociétés assujetties à la contribution litigieuse d'indiquer annuellement à l'organisme chargé du recouvrement de celle-ci le montant de leur chiffre d'affaires global déclaré à l'administration fiscale, calculé hors taxes sur le chiffre d'affaires et taxes assimilées, et de déclarer ainsi les montants ayant servi à l'application des taxes sur le chiffre d'affaires par l'administration fiscale, il ne saurait être sérieusement soutenu, au motif que le chiffre d'affaires ne donne pas lieu à la mise en recouvrement de la taxe sur la valeur ajoutée dans le département de la Guyane, qu'elle porte atteinte aux dispositions, règles et principes de valeur constitutionnelle invoqués » (2 Civ., 12 octobre 2017, n 17-13.98).

Ces considérations sont d'autant plus pertinentes ici que, outre qu'elles soulignent que le texte de l'article L. 651-5 du code de la sécurité sociale ne porte pas atteinte au principe de l'égalité devant les charges publiques, elle soulignent que le facteur déclenchant, en matière de C3S, n'est pas que la TVA doive être réglée mais que le chiffre d'affaires devant être déclaré à ce titre l'ait effectivement été.

C'est donc à juste titre que l'URSSAF a calculé la C3S au titre des années 2014, 2015 et 2016 comme elle l'a fait pour la Société.

Au demeurant, la cour ne peut que constater que celle-ci place le juge dans l'impossibilité de vérifier comment elle parvient à réclamer à l'URSSAF le remboursement d'une somme de plus de 300 000 euros.

D'une part, la Société ne précise en aucune mesure les montants de la rémunération qu'elle perçoit pour collecter les redevances, alors qu'en tout état de cause, ils devraient être inclus dans le chiffre d'affaires à déclarer.

D'autre part, les documents soumis à la cour sont à cet égard inexploitables. De quelque façon qu'ils soient examinées et que l'on tente de procéder à différents calculs (la Société s'étant gardée de fournir le moindre mode d'emploi de ces imprimés de déclaration de 'redevance pour pollution de l'eau d'origine domestique, RMRC', dont la cour relève qu'ils concernent au demeurant l'année 2019), il n'est pas possible de réconcilier les informations figurant dans ces imprimés avec les sommes mentionnées plus haut. Si les années antérieures figurent sur certaines pages de ces imprimés, la seule chose que la chambre puisse en déduire est que la Société n'a au demeurant pas fini de reverser à l'Agence, en 2019, des sommes perçues depuis avant la période en cause (le 'reste à encaisser' remonte à 2011).

Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que c'est à juste titre que le premier juge a débouté la société Véolia eau Île-de-France de toutes ses demandes.

Le jugement sera confirmé en toutes ses dispositions.

Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile  

La Société, qui succombe à l'instance, sera condamnée aux dépens d'appel.

Elle sera condamnée à payer à l'URSSAF, en cause d'appel, la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et déboutée de sa demande à cet égard.

PAR CES MOTIFS  

La cour, après en avoir délibéré, statuant par arrêt contradictoire,

Confirme le jugement (RG 17/01360) du pôle social du tribunal de grande instance de Nanterre, en date du 10 mai 2019, en toutes ses dispositions ;

Condamne la société Véolia eau Île-de-France aux dépens d'appel ;

Condamne la société Véolia eau Île-de-France à payer, en cause d'appel, à l'union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et des allocations familiales de Provence-Alpes-Côte d'azur C3S une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Déboute la société Véolia eau Île-de-France de sa demande d'indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Déboute les parties de toute demande autre, plus ample ou contraire.

Prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Signé par Monsieur Olivier Fourmy, Président, et par Madame Morgane Baché, Greffier, auquel le magistrat signataire a rendu la minute.

Le GREFFIER, Le PRESIDENT,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 5e chambre
Numéro d'arrêt : 19/02766
Date de la décision : 14/01/2021

Références :

Cour d'appel de Versailles 05, arrêt n°19/02766 : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2021-01-14;19.02766 ?
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