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14/01/2021 | FRANCE | N°19/00357

France | France, Cour d'appel de Versailles, 11e chambre, 14 janvier 2021, 19/00357


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 80A



11e chambre



ARRET N°



CONTRADICTOIRE



DU 14 JANVIER 2021



N° RG 19/00357 - N° Portalis DBV3-V-B7D-S6A2



AFFAIRE :



SAS SAFRAN AIRCRAFT ENGINES







C/

[W] [F]











Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 15 Janvier 2019 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de RAMBOUILLET

N° Chambre :

N° Section

: I

N° RG : F 18/00008



Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :



Me Christophe DEBRAY



Me Nicolas SANFELLE







le :





RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



LE QUATORZE JANVIER DEUX MILLE VINGT ET UN,

La...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80A

11e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 14 JANVIER 2021

N° RG 19/00357 - N° Portalis DBV3-V-B7D-S6A2

AFFAIRE :

SAS SAFRAN AIRCRAFT ENGINES

C/

[W] [F]

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 15 Janvier 2019 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de RAMBOUILLET

N° Chambre :

N° Section : I

N° RG : F 18/00008

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

Me Christophe DEBRAY

Me Nicolas SANFELLE

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE QUATORZE JANVIER DEUX MILLE VINGT ET UN,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

SAS SAFRAN AIRCRAFT ENGINES

N° SIRET : 414 815 217

[Adresse 3]

[Localité 4]

Représentant : Me Pierre SAFAR de la SELARL SOCIETE DUPUY ET ASSOCIES, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P0061 - Représentant : Me Christophe DEBRAY, Constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 627 - N° du dossier 19054

APPELANTE

****************

Monsieur [W] [F]

né le [Date naissance 1] 1971 à MAROC

de nationalité Française

[Adresse 2]

[Localité 5]

Représentant : Me Nicolas SANFELLE, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 445 substitué par Me Ivana COURSEAU, avocat au barreau de VERSAILLES

INTIME

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 04 Décembre 2020 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Hélène PRUDHOMME, Président chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Hélène PRUDHOMME, Président,

Monsieur Eric LEGRIS, Conseiller,

Madame Bérangère MEURANT, Conseiller,

Greffier lors des débats : Madame Sophie RIVIERE,

Le 12 septembre 1998, M. [W] [F] était embauché par la société Safran Aircraft Engines (anciennement Snecma et auparavant Sochata) en qualité de technicien supérieur support production niveau IV et échelon 2 par contrat à durée indéterminée. En dernier lieu, M. [F] occupait les fonctions de technicien supérieur production niveau V, échelon 3 et le poste de « gestionnaire de sous-traitance ».

En février 2016, la société Safran recevait un premier courrier anonyme, signé d'un ''représentant du syndicat CFDT'' qui dénonçait des agissements et des décisions managériales, visant nominativement des collaborateurs contenant des propos injurieux. Le 7 avril 2016, une deuxième lettre parvenait à la direction émanant d'un « membre du CHSCT de Snecma ».

A compter du 23 juin 2017, M. [W] [F] était placé en arrêt de travail se plaignant d'un harcèlement professionnel.

Le 4 juillet 2017, la société recevait une troisième lettre non signée.

A réception, la société confiait la mission d'identifier l'auteur de ces lettres (avis de réception et recommandés) à Mmes [U] et [N], graphologues experts près la cour d'appel de Paris. Le 5 août 2017, Mme [U] concluait que les avis de réception des lettres envoyées en avril 2016 étaient écrits de la main de M. [F]. Ces mêmes conclusions étaient faites par l'autre experte le 28 août 2017 pour les trois avis de réception.

Au retour dans l'entreprise de M. [F], le médecin du travail concluait le 31 juillet 2017 à son aptitude à son poste de travail. Mais compte tenu des difficultés relationnelles et professionnelles indiquées par M. [F], il lui était proposé de changer de poste. M. [F] refusait.

Par lettre du 11 septembre 2017, la société Safran Aircraft Engines convoquait M. [F] à un entretien disciplinaire 'xé au 18 septembre 2017 avec mise à pied conservatoire. Par courrier du 25 septembre 2017, la société Safran noti'ait à M. [F] son licenciement pour faute lourde.

Le 15 janvier 2018, M. [W] [F] saisissait le conseil de prud'hommes de Rambouillet.

Vu le jugement du 15 janvier 2019 rendu en formation paritaire par le conseil de prud'hommes de Rambouillet qui a :

- dit que le licenciement repose sur une cause réelle et sérieuse.

- condamné la SAS Safran Aircraft Engines à payer à M. [F] les sommes suivantes :

- 24 568,87 euros au titre de l'indemnité de licenciement

- 13 401,21 euros au titre de l'indemnité de préavis

- 1 340,12 euros au titre des congés payés afférents

- 2 061 euros au titre de la mise à pied

- 206,10 euros au titre des congés payés afférents.

- débouté les parties de l'ensemble de leurs autres demandes.

- condamné la SAS Safran Aircraft Engines aux entiers dépens y compris les frais éventuels d'exécution.

Vu l'appel interjeté par la SAS Safran Aircraft Engines le 6 février 2019.

Vu les conclusions de l'appelante, la SAS Safran Aircraft Engines, notifiées le 1er décembre 2020, soutenues à l'audience par son avocat, auxquelles il convient de se référer pour plus ample exposé et par lesquelles il est demandé à la cour d'appel de:

- déclarer M. [F] mal fondé en son appel principal et incident et l'en débouter

- recevoir la SAS Safran Aircraft Engines en son appel et ses conclusions

- les dire bien fondées,

En conséquence :

- infirmer le jugement du 15 janvier 2019 en ce qu'il a dit que licenciement est fondé sur une cause réelle et sérieuse,

- infirmer le jugement du 15 janvier 2019 en ce qu'il a condamné la SAS Safran Aircraft Engines à verser à M. [F] les sommes suivantes :

- 24 68,87 euros au titre de l'indemnité de licenciement,

- 13 401,21 euros au titre de l'indemnité de préavis,

- 1 340,12 euros au titre des congés payés afférents,

- 2 061 euros au titre de la mise à pied,

- 206,10 euros au titre des congés payés afférents,

- dépens,

Et statuant à nouveau :

- juger que le licenciement pour faute lourde est fondé,

Subsidiairement,

- juger que le licenciement pour faute lourde sera requalifié en licenciement pour faute grave,

En conséquence,

- débouter M. [F] de l'intégralité de ses demandes,

- le condamner à verser à la SAS Safran Aircraft Engines la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- le condamner aux entiers dépens qui seront directement recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Vu les conclusions de l'intimé, M. [W] [F], notifiées le 3 décembre 2020, soutenues à l'audience par son avocat, auxquelles il convient de se référer pour plus ample exposé et par lesquelles il est demandé à la cour d'appel de :

- déclarer M. [F] recevable et bien fondé en son appel incident,

En conséquence,

- infirmer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Rambouillet le 15 janvier 2019 en ce qu'il a dit que le licenciement de M. [F] reposait sur une cause réelle et sérieuse,

- le confirmer en ce qu'il a condamné la SAS Safran Aircraft Engines à verser à M. [F] les sommes suivantes :

- 13 401,21 euros brut à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

- 1 340,12 euros brut au titre des congés payés y afférents,

- 2 061 euros brut à titre de rappels de salaires sur mise à pied,

- 206,10 euros brut au titre des congés payés y afférents,

Et statuant à nouveau,

- dire et juger que le licenciement de M. [F] ne repose pas sur une cause réelle et sérieuse,

- condamner la SAS Safran Aircraft Engines à verser à M. [F] les sommes de :

- 80 000 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- 15 000 euros de dommages-et-intérêts pour harcèlement moral,

- 25 734,66 euros à titre d'indemnité légale de licenciement,

- 1 440,12 euros bruts à titre de rappel de salaires pour le mois de septembre 2017,

- 144,01 euros bruts au titre des congés payés y afférents,

- 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.

Vu l'ordonnance de clôture du 4 décembre 2020.

SUR CE,

Sur l'exécution du contrat de travail :

M. [F] reproche à son employeur, la SA Safran Aircraft Engines, de lui avoir fait subir un harcèlement moral durant le temps de l'exécution de sa prestation de travail, exposant avoir bénéficié de diverses promotions depuis son embauche en 1998 en qualité de technicien de maintenance coefficient 255 jusqu'à sa nomination en 2013 en qualité de chef de projet, sans que sa fiche de poste n'ait été mise à jour depuis 2004 ce qui fait que ses responsabilités, bien plus importantes que celles prévues à cette époque, n'ont pas été reconnues alors qu'il donnait pleine satisfaction. Il dit qu'il a subi en 2014 une rétrogradation, sans motif, au poste de '' leader '' puis que deux services lui ont été confiés en 2015, le service maintenance et le service outillage alors qu'il n'avait pas bénéficié de formation pour lui permettre de gérer des fonctions managériales et s'est trouvé en difficultés sans soutien de sa hiérarchie. Aussi, pour y parvenir, il a été dans l'obligation de travailler près de 12 heures par jour ce qui a eu un impact sur son état de santé, l'obligeant à subir plusieurs arrêts maladie et les deux services qu'il gérait ont connu de nombreux troubles dans leur fonctionnement, de sorte qu'en juin 2015, l'ensemble de son service dénonçait des faits de harcèlement et préconisait la mise en place d'une cellule psychologique pour apporter des réponses au mal-être au travail suivant compte rendu de réunion du 23 juin 2015. Le médecin du travail l'a orienté en mars 2016 vers un psychiatre qui a préconisé son suivi médical renforcé. Il indique que les organisations syndicales, dont la CGT, ont alerté la direction sur le mal-être des salariés. Pour réponse, la direction l'a rétrogradé au poste de '' gestionnaire de contrat ''. Il indique qu'il a subi une véritable mise à l'écart puisqu'en mai 2016, un nouveau poste de responsable maintenance a été ouvert, qu'il a postulé, mais n'a jamais reçu de réponse. À l'arrivée de M. [M] en juillet 2016 à ce poste, sa situation s'est encore dégradée, il a été mis dans l'impossibilité de mener à bien ses missions puisque M. [M] refusait toutes ses demandes. Après retour d'un nouvel arrêt maladie le 1er août 2017, il dit avoir subi une véritable agression le 7 août 2017 de la part de M. [M] et le responsable des ressources humaines, informé par lui des difficultés rencontrées, l'a finalement affecté à un nouveau poste le 18 août 2018 où il a donné pleine satisfaction à sa nouvelle supérieure hiérarchique jusqu'à sa convocation à l'entretien préalable et sa mise à pied à titre conservatoire.

Selon l'article L. 1152-1 du code du travail, salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou compromettre son avenir professionnel. Selon l'article L. 1152-2 du code du travail, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral et pour avoir témoigné de tels agissements ou de les avoir relatés.

L'article L. 1154-1 du code du travail prévoit qu'en cas de litige, les salariés concernés établissent des faits qui permettent de présumer l'existence du harcèlement et il incombe alors à l'employeur, au vu de ces éléments, de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Pour étayer ses affirmations, M. [F] produit notamment :

- ses entretiens individuels qui mentionnent qu'il donnait pleine satisfaction aux postes d'adjoint-responsable maintenance auxquels il était affecté entre 2011 et 2014. Il verse son entretien de 2016 où il est mentionné que l'objectif est '' assurer le rôle de leader vis-à-vis de l'équipe d'intervention ''et en déduit qu'il a été rétrogradé par cette mention ; néanmoins, cette déduction ne peut être faite du terme anglais utilisé que le salarié ne conteste pas comprendre et aucun fait de rétrogradation n'est matériellement établi

- son entretien de performance de 2017 (pièce 69) dont il affirme qu'il consacre sa rétrogradation du poste de leader à celui de pilote ; néanmoins, le terme utilisé, maintenant en français, recouvre la même notion de sorte que ce grief n'est pas matériellement établi

- le compte-rendu de la réunion à laquelle il a participé le 23/06/2015( pièce 22) émanant de M. [L] au cours de laquelle 8 salariés ont sollicité la mise en place d'une cellule psychologique à la suite de la réunion du 08/06/2015 avec la direction ; aucun manquement relatif à la personne de M. [F] n'est mentionné, ce fait n'apporte aucun élément au soutien de sa demande

- ses arrêts maladies de 2016 sans qu'il ne justifie que la SA Safran Aircraft Engines l'a contraint à poursuivre son travail pendant son arrêt maladie de mars 2016 comme il l'affirme ; ce fait n'est pas matériellement établi

- le tract de la CGT de la Snecma-[Localité 6] (pièce 23) dénonçant des risques psychosociaux le 6 octobre 2016 à la suite d'un burn-out d'un technicien Livret moteur le 14 septembre précédent ; aucun élément ne permet de rattacher ce cas à celui de M. [F] de sorte que ce grief n'est pas matériellement établi

- l'attestation de M. [X] (pièce 63) représentant du personnel CGT au CHSCT, indiquant '' à l'époque, le secteur de la maintenance a vécu un mal-être, comme malheureusement d'autres sites, M. [F] a été très affecté par ce mal-être comme bien d'autres dans différents secteurs '' ce qui n'apporte aucun élément sur la réalité du harcèlement que M. [F] reproche à son employeur

- sa candidature au poste de responsable maintenance du 2 mai 2016 (pièce 19, qui n'a pas été satisfaite ; mais s'agissant d'un poste statut ingénieur et cadre que M. [F] n'avait pas, ce grief n'est pas matériellement établi

- son hospitalisation du 7/12/2016 à l'hôpital [P] [T] de [Localité 7] '' à la suite d'une dispute avec son patron au travail '' ; mais cette mention résulte de la seule affirmation de M. [F] sans autre témoignage et sans que l'hôpital qui le mentionne ne l'ait constaté de sorte que ce grief n'est pas matériellement établi, nul ne pouvant se faire une preuve à soi même

- son arrêt de travail du 30 juin 2017 (pièce 7) pour « harcèlement professionnel » mais de même, cette mention résulte de la seule affirmation de M. [F] au professionnel de santé, sans que le médecin n'ait constaté lui-même ce harcèlement tel que relaté comme « élément d'ordre médical », de sorte que ce grief n'est pas matériellement établi, nul ne pouvant se faire une preuve à soi même

- sur l'agression du 7 août 2017 (pièce 32), celle-ci ne résulte que de sa seule affirmation, sans aucun témoignage extérieur de sorte que de la même manière, ce grief n'est pas matériellement établi, nul ne pouvant se faire une preuve à soi même

- sur sa nouvelle affectation le 18 août, il verse en pièce 35 la proposition qui lui a été faite le 1er août par le responsable des ressources humaines de proximité pour ne plus travailler sous les ordres de M. [M] avec lequel il avait des difficultés relationnelles et son refus dans un premier temps de quitter M. [M], puis son acceptation ; aucun grief ne peut être tiré de cette proposition acceptée

- l'attestation de M. [R] en pièce 49 qui affirme avoir été lui même '' victime de harcèlement, menaces, discrimination et intimidation et n'avoir jamais vu M. [F] manquer de respect à qui que ce soit '' mais le témoin parle de sa propre situation et ne donne aucun élément sur celle de M. [F] de sorte que cette pièce n'apporte aucun élément sur le harcèlement moral dénoncé

- sa plainte contre X auprès du procureur de la République en date du 11 juillet 2019 n'apportant aucun élément supplémentaire puisqu'elle correspond aux seules affirmations du salarié qui ne peut se faire de preuve à lui-même

- son procès-verbal d'audition par la brigade de gendarmerie de son domicile le 5 août 2020 n'apportant aucun élément supplémentaire puisqu'elle correspond aux seules affirmations du salarié qui ne peut se faire de preuve à lui-même.

En l'état des explications et des pièces fournies, la matérialité de faits précis et concordants qui, pris dans leur ensemble, laisserait supposer l'existence d'un harcèlement moral n'est pas démontrée. Dès lors, il convient de débouter M. [F] de sa demande à ce titre. Le jugement sera confirmé de ce chef.

Sur la rupture du contrat de travail :

Par lettre du 25 septembre 2017, la SA Safran Aircraft Engines a licencié M. [F] pour faute lourde, pour les motifs suivants :

Le 24 juillet 017, nous avons été alertés par l'entreprise prestataire ADF de difficultés que vous avez causées. En effet, vous avez notamment exprimé auprès de vos collègues votre souhait '' d'obtenir le départ '' du responsable de contrat chez ADF. Cette société nous a également informé que vous aviez, devant des salariés d'ADF et de Safran Aircraft Engines, insulté à plusieurs reprises votre responsable hiérarchique en son absence, en indiquant notamment à son sujet '' ce con de [M] ''.

Par ailleurs, le 7 août 2017, votre hiérarchie a donné diverses indications à son équipe s'agissant du calcul de la prime d'insalubrité. Vous lui avez tenu tête devant toute l'équipe sans aucune raison valable, en tenant des propos excessifs. Cela ne peut que porter atteinte à l'autorité de votre hiérarchie et à la bonne cohésion de l'équipe.

Cette situation est d'autant moins admissible qu'elle n'est pas isolée. Notamment, le 22 juin 2017, vous aviez déjà remis en cause l'autorité de votre responsable hiérarchique. Ce dernier vous avait reçu pour votre entretien individuel durant lequel il faisait état d'une relation difficile entre vous depuis plus d'un an. Une vive discussion s'en était suivie,durant laquelle vous aviez haussé le ton et manifesté votre indifférence à l'égard des indications qu'il pouvait vous apporter.

En février 2016, vous avez écrit à divers dirigeants de Safran Aircraft Engines et du groupe, ainsi qu'au ministre de la défense, en émettant différents griefs à l'encontre de la direction du site de [Localité 6]. Vous n'avez pas indiqué votre nom sur ce courrier ni ne l'avez signé ; vous y avez seulement mentionné une qualité de salarié représentant de la CFDT. Le 7 avril 2016, vous avez de nouveau écrit de façon anonyme à l'entreprise, en vous prévalant cette fois de la qualité de membre du CHSCT, en vous adressant de manière directe au président de Safran Aircraft Engines pour compléter les propos tenus dans le courrier de février 2016. Le 4 juillet 2017, vous avez de nouveau adressé un courrier de façon anonyme, intitulé '' alerte n°3'', cette fois au dirigeant de Safran Aircraft Engines ainsi qu'au Premier ministre. Cette lettre contenait des griefs sur les conditions de travail et les processus industriels du site de Safran Aircraft Engines de [Localité 6]. Elle évoquait notamment des '' actes racistes, islamophobes et antisémites ''. D'après ce courrier, '' le personnel de couleur noir '' serait dans une situation de '' ségrégation ''. Les salariés musulmans et juifs auraient vu leur évolution de carrière arrêtée. Le courrier mettait également en cause un non-respect des procédures de sécurité de nature à '' entraîner la mort de passagers ''. Vous menaciez dans ce courrier de transmettre vos trois lettres ainsi que d'autres éléments en votre possession aux clients de l'entreprise.

À la suite de cette dernière lettre, nous avons identifié, sans aucun doute possible que vous étiez l'auteur de ces trois courriers. Lors de l'entretien du 18 septembre, vous l'avez par ailleurs confirmé.

Il résulte de ce qui précède que vous avez en parfaite connaissance de cause, et à plusieurs reprises, proféré tant au sein de la SA Safran Aircraft Engines qu'auprès de différentes autorités publiques, des propos à la fois inexacts, injustifiés et inacceptables à l'encontre de l'entreprise. De telles affirmations constituent à tout le moins des injures que nous ne pouvons tolérer. Dans le même temps, vous nous avez menacé de transmettre ces accusations mensongères à nos clients. Aussi, le courrier du 4 juillet 2017 traduit une intention claire de nuire à l'entreprise. Safran Aircraft Engines ne peut ni ne doit tolérer de tels abus. Par conséquent, nous n'avons pas d'autre choix que de prononcer votre licenciement immédiat pour faute lourde sans préavis ni indemnité ».

Lorsque le licenciement est motivé par une faute lourde, le salarié est privé non seulement du droit au préavis et à l'indemnité de licenciement, mais également, en application de l'article L.3141-26 du code du travail, de l'indemnité compensatrice de congés payés prévue à l'article L.3141-21 du même code.

La faute lourde est celle qui, comme la faute grave, résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputable au salarié qui constituent une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise même pendant la durée limitée du préavis. Elle suppose, en outre, l'intention de nuire du salarié. L'employeur qui invoque la faute lourde pour licencier doit en rapporter la preuve.

Sur les courriers anonymes :

La SA Safran Aircraft Engines verse 3 courriers non signés de leur auteur datés de février 2016, du 7 avril 2016 et du 4 juillet 2017 ainsi que les accusés réceptions des lettres qui lui ont été adressées en recommandé.

M. [F] conteste formellement être l'auteur de ces courriers anonymes. Il indique que les deux premiers sont prescrits pour avoir été rédigés plus de deux mois avant l'ouverture de la procédure de licenciement ; il explique ensuite que ces courriers sont partis de l'entreprise alors qu'il était en arrêt maladie en février et avril 2016 ainsi qu'entre le 23 et le 30 juillet 2017 de sorte qu'il ne peut lui être reproché de tels envois puisqu'il était en province ;

Alors, à la réception de la 3ème lettre, la SA Safran Aircraft Engines a fait analyser les accusés d'envoi de ces courriers par deux expertes en écritures inscrites près la cour d'appel de Paris et qui, de façon séparée et concordante, ont conclu :

- en ce qui concerne Mme [N], le 28 août 2017, que les mentions manuscrites sur les 3 avis de réception de la poste distribués le 18 avril 2016 ainsi que l'avis de passage et les mentions manuscrites datées sur le courrier à en-tête de Snecma de février 2016 étaient du même souscripteur et que [W] [F] en était l'auteur (pièce 12 de l'employeur)

- en ce qui concerne Mme [U], le 5 août 2017 que les avis de réception du 16 avril 2016 sont de la main de [W] [F] (pièce 10 de l'employeur).

En ce qui concerne le reproche de la prescription des faits, il apparaît que si la SA Safran Aircraft Engines a reçu en février et avril 2016 puis en juillet 2017 les courriers litigieux, après avoir eu des soupçons sur l'implication de M. [F] dans ces envois, elle n'en a eu la certitude qu'à réception des deux expertises de Mmes [U] et [N] en août 2017 ; de plus l'auteur de la lettre de juillet 2017 précisant ''ce courrier est le troisième courrier envoyé'' tandis que celui d'avril 2016 indiquait '' je me permets de revenir vers vous pour compléter le courrier de février 2016'', démontrant que l'auteur de ces missives était identique, et que compte tenu des doutes concernant le salarié vu les difficultés rencontrées avec lui les derniers temps, elle a fait effectuer ces expertises comparatives en écritures avec celle de M. [F], de sorte que ce dernier est mal-fondé à soulever la prescription de deux mois qui s'attache à la faute disciplinaire, l'employeur ayant introduit la procédure moins de deux mois après le dépôt de ces rapports.

La SA Safran Aircraft Engines verse l'attestation de M. [Y], représentant du personnel, qui reconnaît avoir été présent en cette qualité aux côtés du salarié, ce que ce dernier ne conteste pas, lors de l'entretien de M. [F] le 18 septembre 2017 dans laquelle ce représentant déclare « dès le début de l'entretien et sans pression particulière, à ce moment précis de la part du directeur d'établissement M. [K] et en présence de Mme [H] [I], M. [F] a reconnu être l'auteur des lettres anonymes et le regretter ».

Aussi, les dénégations de M. [F] dans ses écritures et ses contestations sur :

la fiabilité des expertises privées réalisées avec des éléments de comparaison de mauvaise qualité, des expertises réalisées avec peu de mots ou

l'absence de contemporanité des écrits et des éléments de comparaison, tous éléments qui ne permettaient pas la réalisation d'une expertise optimale ne sont pas retenues par la cour qui, examinant les moyens de preuve versés aux débats, alors que les expertes, reconnues chacune pour leur compétence par leur pair et figurant sur la liste des experts près la cour d'appel de Paris, ont donné à la cour tous les éléments leur permettant de conclure de manière séparée dans un sens commun, relève que les écrits de comparaison sont parfaitement contemporains des écrits expertisés, de sorte que ces experts ont disposé des éléments nécessaires et suffisants pour émettre une opinion valable sans lesquels elles n'auraient pas mis en jeu leur réputation d'experte auprès de la cour d'appel de Paris ou de la Cour de cassation de sorte qu'elle retient les conclusions de ces expertises concordantes et étayées de même que la reconnaissance des faits par M. [F] en présence de son conseiller, délégué syndical, lors de l'entretien préalable ce qui permet de retenir que ce salarié est l'auteur des courriers litigieux ;

L'envoi de ces lettres anonymes, tant à l'employeur qu'au ministre de la défense, au directeur général de l'entreprise et à l'inspection du travail pour dénigrer le comportement de la société Snecma de [Localité 6] sur les conditions de travail des collaborateurs et les processus industriels de cette entreprise, mentionnant que les encadrants demandaient que les procédures ne soient pas respectées, avec copie au Premier ministre en ce qui concernait l'alerte n° 3 du 4 juillet 2017, porte atteinte à la réputation de l'entreprise et à l'autorité de la hiérarchie. Sa dénonciation non démontrée par lui « d'actes racistes, islamophobes et antisémites » et d'une « situation de ségrégation à l'encontre du personnel noir du site de [Localité 6] avec arrêt de l'évolution de carrière pour les musulmans et les juifs » est calomnieuse à l'égard de l'entreprise tandis que sa conclusion « dans ces conditions de travail, plusieurs erreurs peuvent être commises entraînant la mort de plusieurs passagers. Si rien n'est fait rapidement, nous transfèrerons les 3 courriers et l'ensemble des informations à notre possession à nos clients GE, IATA, AESA, FAA... » est constitutive d'une menace pour la SA Safran Aircraft Engines que sa réputation et la fiabilité de ses processus de fabrication soient dénoncés à ses partenaires, sans preuve à l'appui des critiques portées. L'intention de nuire se déduit de ses menaces et accusations outrancières du salarié à l'encontre de son employeur.

La cour rappelle que, sauf abus, le salarié jouit dans l'entreprise de sa liberté d'expression consacrée par les articles 10 et 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ainsi que par l'article 10 de la CEDH à laquelle seules des restrictions justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché peuvent être apportées ; l'abus se caractérise comme résultant du recours à des termes injurieux, diffamatoires ou excessifs ;

Aussi, il convient de relever que M. [F] a abusé de termes injurieux et excessifs dans ses courriers en se cachant derrière un anonymat qui a été heureusement découvert, qu'il a adressé ce courrier à des interlocuteurs extérieurs à l'entreprise, qu'il a menacé celle-ci de transmettre à ses partenaires des informations portant sur les erreurs possibles pouvant entraîner la mort de passagers des engins fabriqués et vendus par l'employeur, ce qui relevait de l'intention de nuire à l'entreprise, de sorte que, qu'il soit besoin d'examiner les autres griefs portés par la SA Safran Aircraft Engines sur le comportement de M. [F] dans la lettre de licenciement, il convient de relever que M. [F] a commis une faute lourde à l'encontre de son employeur.

Il convient d'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il n'a retenu qu'une cause réelle et sérieuse et il y a lieu de débouter le salarié de ses demandes tant au titre des indemnités de rupture (rappel de salaire pendant la mise à pied conservatoire, indemnité légale de licenciement, indemnité compensatrice de préavis) qu'au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens

Compte tenu de la solution du litige, la décision entreprise sera infirmée de ces deux chefs et par application de l'article 696 du code de procédure civile, les dépens de première instance et d'appel seront mis à la charge de M. [F]  ;

La demande formée par la SA Safran Aircraft Engines au titre des frais irrépétibles en cause d'appel sera accueillie, à hauteur de 1 500 euros.

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

statuant publiquement et contradictoirement

Infirme le jugement entrepris sauf en celle de ses dispositions ayant débouté le salarié pour harcèlement moral

et statuant à nouveau du chef du licenciement ;

Dit que le licenciement de M. [W] [F] repose sur une faute lourde

En conséquence, déboute M. [W] [F] de l'intégralité de ses demandes

Condamne M. [W] [F] aux dépens de première instance et d'appel ;

Condamne M. [W] [F] à payer à la SA Safran Aircraft Engines la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Arrêt prononcé par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,

Signé par Mme Hélène PRUDHOMME, président, et Mme Sophie RIVIÈRE, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le GREFFIER Le PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 11e chambre
Numéro d'arrêt : 19/00357
Date de la décision : 14/01/2021

Références :

Cour d'appel de Versailles 11, arrêt n°19/00357 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2021-01-14;19.00357 ?
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