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13/01/2021 | FRANCE | N°18/01172

France | France, Cour d'appel de Versailles, 17e chambre, 13 janvier 2021, 18/01172


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 80A



17e chambre



ARRET N°



CONTRADICTOIRE



DU 13 JANVIER 2021



N° RG 18/01172

N° Portalis DBV3-V-B7C-SGCY



AFFAIRE :



[O] [P]





C/



SAS L'ÉQUIPE









Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 25 janvier 2018 par le Conseil de Prud'hommes Formation paritaire de BOULOGNE BILLANCOURT

Section : E

N° RG : F 16/00305
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Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :



Me Mélina PEDROLETTI



Me Isabelle DELORME-MUNIGLIA







le :





RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



LE TREIZE JANVIER DEUX MILLE VINGT ET UN,

La cour d'appel de Versa...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80A

17e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 13 JANVIER 2021

N° RG 18/01172

N° Portalis DBV3-V-B7C-SGCY

AFFAIRE :

[O] [P]

C/

SAS L'ÉQUIPE

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 25 janvier 2018 par le Conseil de Prud'hommes Formation paritaire de BOULOGNE BILLANCOURT

Section : E

N° RG : F 16/00305

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

Me Mélina PEDROLETTI

Me Isabelle DELORME-MUNIGLIA

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE TREIZE JANVIER DEUX MILLE VINGT ET UN,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

Monsieur [O] [P]

né le [Date naissance 1] 1961 à [Localité 6] (22)

de nationalité française

[Adresse 5]

[Localité 2]

Représentant : Me Hubert MAZINGUE de la SELAFA HUBERT MAZINGUE ET ASSOCIES, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : K0008 et Me Mélina PEDROLETTI, Constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 626

APPELANT

****************

SAS L'ÉQUIPE

N° SIRET : 332 978 485

[Adresse 3]

[Localité 4]

Représentant : Me Isabelle DELORME-MUNIGLIA de la SCP COURTAIGNE AVOCATS, Constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 52 et Me Arnaud TEISSIER de la SELARL CAPSTAN LMS, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : K0020

INTIMEE

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 29 octobre 2020 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Evelyne SIRE-MARIN, Présidente chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Clotilde MAUGENDRE, Présidente,

Madame Evelyne SIRE-MARIN, Présidente,

Monsieur Laurent BABY, Conseiller,

Greffier lors des débats : Madame Dorothée MARCINEK

Par jugement du 25 janvier 2018, le conseil de prudhommes de Boulogne-Billancourt (section encadrement) a :

- fixé le salaire moyen brut mensuel de M. [O] [P] à la somme de 8 635,15 euros,

- dit que le licenciement de M. [P] par la société L'Équipe est pourvu d'une cause réelle et sérieuse,

- débouté, en conséquence, M. [P] de sa demande à ce titre ainsi que du surplus de ses demandes,

- débouté la société L'Équipe de sa demande,

- condamné M. [P] aux entiers dépens.

Par déclaration adressée au greffe le 21 février 2018, M. [P] a interjeté appel de ce jugement.

Une ordonnance de clôture a été prononcée le 15 septembre 2020.

Par dernières conclusions déposées au greffe le 7 septembre 2020, M. [P] demande à la cour de':

- infirmer le jugement du 25 janvier 2018 en toutes ses dispositions,

en conséquence,

- recevoir ses demandes et l'en déclarer bien fondé,

- dire son licenciement dénué de cause réelle et sérieuse,

- condamner la société L'Équipe au paiement dune somme de 184 300 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- dire que la condamnation portera intérêts à compter de la date de la décision à intervenir, conformément aux dispositions de l'article 1231-7 du code civil,

- ordonner la capitalisation des intérêts,

- condamner la société L'Équipe au paiement dune somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile en remboursement des frais irrépétibles,

- débouter la société L'Équipe de toutes ses demandes, fins et conclusions,

- condamner la société L'Équipe aux entiers dépens dont distraction au profit de Me Pedroletti, avocat au Barreau de Versailles, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Par dernières conclusions déposées au greffe le 4 mars 2019, la société L'Équipe demande à la cour de :

- confirmer dans son intégralité le jugement du conseil de prudhommes de Boulogne-Billancourt en date du 25 janvier 2018

en conséquence de,

- constater que le licenciement de M. [P] est parfaitement justifié,

- débouter M. [P] de l'ensemble de ses demandes,

- condamner M. [P] à lui verser la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner M. [P] aux entiers dépens.

LA COUR,

La société L'Équipe constitue le principal titre de presse sportive du groupe Amaury et est un quotidien national sportif généraliste.

L'effectif de la société est de plus de 10 salariés.

M. [O] [P] a été engagé par la société L'Équipe, en qualité d'agent de fabrication, par contrat de travail à durée indéterminée, à compter du 1er septembre 1991 (sa pièce 1).

Les relations contractuelles étaient régies par la convention collective de travail des cadres administratifs de la presse quotidienne Parisienne.

Le 17 juillet 2003, M. [P] a été promu chef de fabrication, 2ème échelon (sa pièce 4), puis responsable adjoint de fabrication le 25 janvier 2006. (sa pièce 3).

Les parties s'accordent sur le montant de sa rémunération moyenne brute mensuelle de

8 635,15 euros (calculé sur 12 mois).

La société L'Équipe a présenté, le 2 juillet 2014, aux représentants du personnel un projet de réorganisation accompagné d'un plan de sauvegarde de l'emploi homologué par la DIRECCTE et justifié par le déclin de la presse papier (pièce 8 du salarié).

Le poste de responsable adjoint de la fabrication de M. [P] au sein de la société L'Équipe a été supprimé et il lui a été proposé par courrier du 6 janvier 2015, le poste de responsable adjoint de fabrication au sein de la société Amaury Services (sa pièce 10).

Par une mention datée du 8 janvier 2015 et signée, M. [P] a refusé cette solution de reclassement interne (pièce 5 de l'employeur).

Le 24 février 2015, M. [P] a été mis à la disposition de la société Amaury Services dans le cadre d'une convention de mise à disposition pour effectuer les missions de responsable adjoint fabrication (sa pièce 12).

Il a été licencié par courrier du 30 juin 2015 pour motif économique (sa pièce 11).

M. [P] a adhéré au congé reclassement prévu dans le cadre du PSE et son contrat de travail a été rompu le 30 mars 2016 à l'issue de ce congé de reclassement.

Le 4 avril 2016, la Société a versé à M. [P] l'ensemble de ses indemnités de rupture, soit 200 524,66 euros (pièce 9 de l'employeur - document de rupture du contrat de travail).

Le 5 février 2016, M. [P] a saisi le conseil de prud'hommes de Boulogne-Billancourt aux fins de contester son licenciement et le dire sans cause réelle et sérieuse ainsi que de solliciter le paiement de diverses sommes.

SUR LE LICENCIEMENT ECONOMIQUE,

Le licenciement a été notifié au salarié pour motif économique par courrier du 30 juin 2015 (sa pièce 11) :

« Monsieur, Dans le cadre du plan de sauvegarde de l'emploi qui a fait l'objet d'une procédure d'information et de consultation des représentants du personnel, nous sommes au regret de vous notifier, par la présente, votre licenciement pour motif économique.

En ce qui concerne les motifs de ce licenciement, il s'agit de ceux qui ont été soumis à la consultation des instances représentatives du personnel conformément aux dispositions légales et qui sont rappelées ci-après.

Le secteur de la presse quotidienne française dans lequel évolue le Groupe Amaury traverse une crise sans précédent liée à la transformation des modes de consommation des médias conjuguée à un contexte publicitaire peu favorable depuis 2009.

En 2013, l'ensemble des ventes au numéro en France des différents titres a reculé de 10%. Cette baisse s'élève à -10% pour l'année 2014.

Dans ce contexte de baisse globale des diffusions, les titres du Groupe Amaury reculent fortement. Compte tenu de la faiblesse des prix de vente de ses titres, le Groupe n'est pas en mesure d'utiliser le levier du prix pour améliorer de manière importante son résultat.

Depuis quelques années, le chiffre d'affaires du Groupe Amaury ne croît plus. En effet, celui-ci est passé de 671,7 millions d'euros en 2011 à 669,6 millions d'euros en 2012 et à 658,3 millions d'euros en 2013. En 2014, son chiffre d'affaires devrait être stable en raison de l'évolution du chiffre d'affaires du pôle événements sportifs.

Le Groupe Amaury a perdu près de 6 points de valeur ajoutée entre 2011 et 2013, soit une perte de près de 46 millions d'euros de marge. Son résultat courant est passé de 42,6 millions d'euros en 2011 à 9,4 millions d'euros en 2013, soit une baisse de -78%. En 2014, le résultat courant du Groupe devrait s'élever à 30 millions d'euros compte tenu des hausses de tarifs appliqués sur nos quotidiens et à la hausse sensible du résultat du pôle événements sportifs.

Le Pôle Médias du Groupe Amaury qui rassemble l'ensemble de l'activité d'édition d'informations générales et sportives, à travers des supports et des technologies variés (journaux, magazines, sites internet, télévision et radio numérique), est fortement impacté par ce contexte économique dégradé.

L'année 2013 a marqué une accélération de la baisse du Pôle Médias malgré les lancements de nouveaux produits tels que L'Équipe 21 et le magazine du Parisien en 2012.

Son chiffre d'affaires est passé de 486,5 millions d'euros en 2012 à 452,6 millions d'euros pour l'année 2014, soit une nouvelle baisse par rapport à 2013.

Le recul du chiffre d'affaires en 2013 ainsi que le coût du lancement de télévision L'Équipe 21 (environ 21 millions d'euros) a augmenté les pertes du Pôle Médias de l'ordre de 5 millions d'euros pour arriver à plus de 58 millions d'euros de pertes avant impôts.

Le résultat courant du Pôle Médias est passé de -11,3 millions d'euros en 2011 à -54,9 millions d'euros en 2013. En 2014, le résultat courant devrait s'élever à -42,5 millions. Cette baisse de rentabilité du Pôle Médias depuis quelques années se retrouve également au niveau de l'évolution de ses capitaux propres qui sont passés de 113,8 millions d'euros en 2009 à 15,8 millions d'euros en 2013.

La conjugaison de ces facteurs contraint le Pôle Médias du Groupe Amaury à, d'une part, chercher des moyens de maintenir un positionnement de premier ordre sur le marché de la vente de presse quotidienne nationale et, d'autre part, développer de nouveaux revenus via de nouveaux produits.

Le Pôle Médias du Groupe Amaury est également contraint d'optimiser ses charges.

Son organisation en silo ne permettant plus de répondre à ces objectifs, la Direction du Groupe entreprend une transformation de l'organisation des fonctions supports communes aux filiales du Pôle Médias en les regroupant au sein de Pôles d'Expertises Communs au groupe.

L'objectif de cette transformation est de renforcer l'expertise de ces fonctions supports afin de permettre un accompagnement rapide de la mutation du marché de la presse quotidienne française et d'activer de nouveaux leviers de croissance tout en assurant une meilleure maîtrise des coûts.

La réorganisation des fonctions supports du Pôle Médias permettra également :

- un alignement de la qualité de service sur les standards du marché et un positionnement des Services support en qualité de partenaires des Services opérationnels du Pôle Médias,

- une simplification des processus en vigueur au sein du Pôle Médias avec une accélération de la circulation de l'information et des prises de décision permettant de délivrer plus efficacement,

- une évolution des méthodes de travail pour répondre aux besoins de pilotages croissants.

La mutualisation d'une partie des fonctions support répondra au besoin d'adaptation du Pôle Médias au contexte économique dans lequel il évolue et aux nouveaux enjeux auxquels il doit faire face.

C'est dans un contexte d'une situation financière qui se dégrade que s'impose une nécessaire sauvegarde de la compétitivité. Cette dernière a conduit à envisager la modification de l'organisation du Pôle Médias entraînant la suppression du poste de responsable adjoint fabrication que vous occupez au sein de notre société.

Tous les postes de la catégorie à laquelle appartient votre poste étant supprimés, vous êtes impacté par cette suppression de poste.

La création des Pôles d'Expertises Communs a entraîné la création de 118 postes de travail au sein de la Société Amaury Services pouvant correspondre à autant de solutions de reclassement.

C'est dans ce cadre que nous vous avons proposé, par courrier en date du 6 janvier 2015, à titre d'offre de reclassement individualisée, le poste de responsable adjoint fabrication.

Vous avez disposé d'un délai de 15 jours calendaires pour accepter ou refuser ce poste de reclassement.

Vous avez refusé ce poste de reclassement, pendant la période probatoire, à la date du 8 janvier 2015 par courrier remis en main propre contre décharge.

Malgré nos recherches de solutions de reclassement effectuées au sein de la Société et du groupe, il ne nous a malheureusement pas été possible de vous proposer un autre poste de reclassement, fût-ce au prix d'une modification de votre contrat de travail.

Dans ces conditions, nous sommes au regret de devoir vous notifier par la présente votre licenciement pour motif économique.

Conformément aux dispositions de l'article L. 1233-7 du code du travail, nous vous proposons le bénéfice d'un congé de reclassement dont les conditions de mise en 'uvre vous sont explicitées en annexe. Nous vous rappelons que vous disposez d'un délai de réflexion de 8 jours à compter de la présente notification pour nous faire part de votre position. L'absence de réponse expresse de votre part sera assimilée à un refus de cette proposition.

Ce congé de reclassement est pris pendant le préavis. En cas de refus du congé de reclassement, la date de première présentation de la présente lettre constitue le point de départ de votre préavis au terme duquel votre contrat de travail sera définitivement rompu.

Nous vous précisons cependant que nous vous dispensons de l'exécution de ce préavis et que vous percevrez donc au mois l'indemnité compensatrice correspondante.

Nous vous informons que, conformément à l'article L. 1233-45 du code du travail, vous pourrez bénéficier d'une priorité de réembauchage durant un délai d'un an à compter de la date de rupture de votre contrat de travail.»

M. [P] conteste :

- le fait que la société ait envisagé son licenciement dans le cadre du PSE plutôt que de lui proposer une novation de son contrat de travail,

- l'opportunité de la réorganisation « PEC 1 » qu'il considère comme inutile au vu du rachat du Parisien par le Groupe LVMH.

- l'absence de reclassement.

La société L'Équipe réplique que le licenciement pour motif économique de M. [P] est motivé par la crise de la presse quotidienne française, secteur dans lequel évolue le groupe Amaury liée à la transformation des usages de consommation des médias, par la baisse de rentabilité depuis quelques années du Pôle Médias, par la nécessité de réorganiser le Pôle fabrication du Pôle Médias du Groupe Amaury qui employait M. [P], afin de remédier aux difficultés économiques, et qu'elle a tenté de préserver l'emploi du salarié en lui proposant un reclassement en qualité de responsable adjoint de fabrication au sein de la société Amaury Services.

1/ Sur le licenciement dans le cadre du PSE,

M. [P] estime que la société L'Équipe aurait dû lui proposer une novation de son contrat de travail plutôt qu'un licenciement économique.

La société L'Équipe réplique que le tribunal administratif de Cergy Pontoise a validé le PSE.

La cour constate que la réorganisation du groupe et le Plan de Sauvegarde de l'Emploi (PSE) qui l'accompagnait ont reçu l'aval de la DIRECCTE, le 11 décembre 2014 (pièce 19 de l'employeur).

Selon ce PSE, 122 postes ont été supprimés dans la société L'Équipe et 46 postes de reclassement ont été crées dans la nouvelle entité juridique regroupant les sociétés du groupe "la société Amaury Services" (pièces 8 et 6, page 15 du salarié).

Le poste de M. [P] de responsable adjoint de fabrication de la société "L'Équipe" faisait partie des postes supprimés.

Il n'est pas contesté que les conditions d'application de l'article L. 1224-1 du code du travail n'étant pas réunies pour imposer automatiquement le transfert des contrats de travail, chaque salarié concerné se voyait proposer le choix suivant :

- le transfert volontaire de son contrat de travail,

- son licenciement pour motif économique après, le cas échéant, une proposition de reclassement.

L'homologation du PSE a été confirmée par le tribunal administratif de Cergy-Pontoise le 15 octobre 2015 (pièce 15 de l'employeur).

La DIRECCTE a aussi accordé à l'employeur l'autorisation de licenciement d'un salarié protégé dans le cadre de ce PSE (pièce 22 de l'employeur, décision du 5 mai 2015).

En l'espèce M. [P] ne peut contester le choix de gestion de l'employeur consistant à procéder à des licenciements économiques collectifs, et non pas à des novations des contrats de travail, car cette question relève, non pas la juridiction judiciaire, mais de la juridiction administrative, qui a validé le contenu du PSE.

2/ Sur la réorganisation,

Article L.1233-3 du code du travail dans sa version en vigueur du 27 juin 2008 au 1 décembre 2016, lors du licenciement de M. [P], prévoyait : «'Constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification, refusée par le salarié, d'un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment à des difficultés économiques ou à des mutations technologiques.'»

Pour satisfaire aux exigences des articles L1233-1, L1233-3, L1233-4, L1232-6, L1233-16, et L1233-42 du code du travail, la lettre de licenciement doit tout à la fois invoquer l'une des causes économiques prévues par la loi, et mentionner l'incidence de cette cause économique sur l'emploi ou le contrat de travail du salarié, à défaut de quoi, le licenciement se trouve ipso facto privé de cause réelle et sérieuse.

En matière de licenciement pour motif économique, la lettre doit énoncer :

- la « raison » économique (difficultés économiques, mutations technologiques, réorganisation de l'entreprise, voire cessation d'activité),

- son « incidence » précise sur l'emploi (suppression ou transformation d'emploi) ou sur le contrat de travail (modification du contrat.

Il appartient aux juges du fond d'apprécier la réalité des difficultés économiques invoquées à l'appui d'un licenciement pour motif économique.

Elles s'apprécient à la date du licenciement et ne peuvent résulter de prévisions, fussent-elles confirmées après le licenciement.

Lorsque l'entreprise fait partie d'un groupe, les difficultés économiques doivent être appréciées et vérifiées au niveau de l'ensemble des sociétés composant le groupe parmi celles 'uvrant dans le même secteur d'activité.

La cour constate que M. [P] ne conteste pas la motivation de la lettre de licenciement ni la réalité des difficultés économiques qui ont frappé le secteur d'activité de la presse écrite, et particulièrement le Pôle Médias du Groupe Amaury qui l'employait, ni la nécessité de sauvegarder la compétitivité du Pôle Médias du Groupe, compte tenu des difficultés rencontrées par ce pôle (accélération de la baisse de rentabilité du pôle Médias et nécessaire optimisation des charges) ayant conduit à l'établissement d'un PSE homologué par la DIRECCTE.

Ce que conteste M. [P] est la « réorganisation des fonctions support du Pôle Médias, à travers la mutualisation d'une partie des fonctions supports » car selon lui, cette réorganisation, mise en 'uvre par le groupe Amaury était inutile, au motif que Le Parisien, qui faisait lui aussi partie du Pôle Médias, a été racheté par le Groupe LVMH.

La société L'Équipe réplique que les projets de réorganisation « PEC 1 » (Pôle d'Expertise Commun Fabrication) et « PEC 2 » :

- étaient bien antérieurs au rachat du Parisien,

- ont été validés par la DIRECCTE et confirmés par le Tribunal de Cergy Pontoise,

- étaient indépendants du rachat du Parisien.

La réorganisation de l'entreprise doit être justifiée par des difficultés économiques ou par des mutations technologiques de l'entreprise ou du groupe, sans que la loi ne précise, à l'époque, que licenciement puisse être motivé par la sauvegarde de sa compétitivité ou de celle du secteur d'activité du groupe auquel elle appartient.

Cependant, lorsqu'elle n'est pas liée à des difficultés économiques ou à des mutations technologiques, il est constant qu'une réorganisation peut constituer un motif économique pour sauvegarder la compétitivité de l'entreprise ou du groupe.

La mesure de mutualisation impliquait des mutations intergroupe à savoir le transfert de certains contrats de travail d'une structure du Groupe Amaury vers une autre.

En l'espèce, il n'est pas contesté que, dans le cadre de cette réorganisation, la mutualisation des fonctions supports de chacune des entités pôle média du groupe auquel appartient la société L'Équipe, a été proposée.

Le PSE prévoyait qu'au sein d'une structure dédiée, la société Amaury Services, étaient regroupés cinq pôles d'expertises communs des diverses sociétés du groupe (projet de PSE, pièce 2 de l'employeur).

Un de ces cinq pôles était constitué de la fabrication qui devenait commune à l'ensemble des éditeurs du groupe, ce qui a entraîné la suppression de l' emploi du salarié.

Il ressort en effet du projet de création du pôle fabrication du groupe Amaury du 2 juillet 2014, homologué par la DIRECCTE le 11 décembre 2014 (pièce 19 de l'employeur) que le poste de M. [P] de responsable adjoint de la fabrication était affecté à la fabrication au sein de la société "L'Équipe" et du Parisien (projet de création de pôles d'expertises communs, pièces 5 du salarié, pages 79 et page 88).

Dans le cadre de la réorganisation du « PEC 1 » (Pôle d Expertise Commun), il était prévu que le pôle Fabrication effectue la fabrication des titres du Groupe Amaury suivants (pièce 5 du salarié, page 82), dans le cadre d'un Pôle d Expertise Commun « PEC 2 » également homologué par la DIRECCTE, le 9 juin 2015 (pièce 14 de l'employeur) :

- Les quotidiens Le Parisien et Aujourd'hui en France ainsi que leurs suppléments thématiques,

- La Parisienne,

- Le Parisien Magazine,

- Les Hors Séries du Parisien,

- Le quotidien L'Équipe,

- L'Équipe Magazine,

- France Football,

- Vélo Magazine,

- Les Guides et Suppléments du groupe L'Équipe,

- Sport & Style et ses suppléments,

- Les Hors-Séries du groupe L'Équipe,

- Le Programme Officiel du Tour pour ASO,

- Les livres du pôle Édition de L'Équipe.

Il apparaît donc que la réorganisation du pôle fabrication de la société L'Équipe, qui employait M. [P] avait pour but la mutualisation de la fabrication de nombreux titres de presse, au sein du pôle fabrication du Pôle Médias de la société Amaury Services, et non pas seulement de L'Équipe et du Parisien.

Ainsi, l'argument de M. [P], selon lequel cette réorganisation mise en 'uvre par le Groupe Amaury était inutile au motif que Le Parisien, qui faisait lui aussi partie du Pôle Médias, a été racheté par le Groupe LVMH, n'est pas pertinent, puisque ce nouveau pôle d'Expertise Commun devait effectuer la fabrication de 13 autres titres ou publications du Groupe Amaury, dont le Parisien.

Le projet de réorganisation « PEC 1 » a été présenté aux représentants du personnel de la société dès le 2 juillet 2014 (pièce 2 et 3 de l'employeur). Les membres du CHSCT ont rendu leur avis sur le projet de réorganisation le 29 octobre 2014 et les membres du CE le 31 octobre 2014 (pièces 20 et 21 de l'employeur). M. [P] a été licencié le 30 juin 2015.

Lorsque le reclassement interne de M. [P] dans le poste de responsable adjoint fabrication dans le nouveau pôle d'Expertise Commun lui a été proposé, le 6 janvier 2015, aucun projet de rachat du "Parisien" n'était officiellement envisagé, car ce n'est que le 28 mai 2015 que le Directeur Général du Groupe Amaury a informé les membres du CE qu'une offre d'achat du Parisien avait faite par le Groupe LVMH (pièce 13 de l'employeur).

Les articles de presse de fin mai, juin et octobre 2015, produits par M. [P] ne peuvent suffire à démontrer que ce projet de rachat par LVMH du Parisien, postérieur à la proposition de reclassement qu'il a refusée, remettait en question la mutualisation des Services supports du Pôle Médias du Groupe Amaury et la création du PEC Fabrication au sein de la Société Amaury Services, alors que la mutualisation de la fabrication concernait en tout état de cause tous les autres titres de presse du groupe.

La DIRECCTE estimait d'ailleurs le 27 août 2015, que la cession hypothétique du Parisien au groupe LVMH ne remettait pas en cause la validité de la procédure concernant le projet de réorganisation « PEC 2 » dans lequel était détaillé la mutualisation du service fabrication du Pôle Médias du Groupe Amaury (pièce 14 de l'employeur) :

« En l'occurrence, il n'est pas contesté que le projet de réorganisation de la société L'Équipe SAS, conduisant à la suppression en son sein de 23 postes, n'est pas remis en question par l'annonce du projet de rachat qui a été faite.

Quand bien même le projet de cession viendrait à se réaliser, ce qui n'est pas acquis à ce jour, il convient de dissocier ce projet qui concerne directement des filiales du groupe Amaury, de celui-ci touchant directement la société L'Équipe SAS (...). Cette information sur une cession toujours hypothétique n'a pas vocation à remettre en cause la procédure d'information consultation qui a été conduite au titre de l'article L. 1233-30 du code du travail ».

Le tribunal Administratif de Cergy-Pontoise, dans sa décision du 15 octobre 2015 , confirmait cette analyse (pièce 15 de l'employeur) : « la circonstance que les institutions représentatives du personnel aient été informées, lors de la réunion extraordinaire du comité d'entreprise du 28 mai 2015, par le directeur général du groupe Amaury de l'existence d'une offre d'achat par le groupe LVMH du Parisien et d'autres filiales du groupe Amaury au titre desquelles figurait notamment la société AM Diffusion où étaient envisagé la plupart des reclassements, du fait de la mutualisation du pôle commercial du pôle presse du Groupe Amaury, qui à ce jour n'a toujours pas abouti, n'est pas, à elle seule, de nature à établir que ces institutions n'auraient pas été régulièrement consultées ; qu'en effet, il convient de dissocier ce projet qui concerne directement les filiales du groupe Amaury, du plan de sauvegarde de l'emploi touchant directement la société L'Équipe ; que, par suite, le moyen tiré de ce que la consultation des institutions représentatives du personnel sur le projet de réorganisation aurait été irrégulière doit être écarté. »

Enfin, le salarié ne produit aucun élément à l'appui de son allégation selon laquelle «'la faisabilité de la réorganisation projetée du Service Fabrication était obérée lors de son licenciement, et la nécessité de supprimer son poste à la date du licenciement était improbable » et ne conteste pas l'affirmation de l'employeur selon laquelle cette réorganisation par mutualisation du pôle fabrication a bien eu lieu, Le Parisien et Amaury Services ayant conclu des conventions de prestations de services permettant à Amaury Services de conserver ses emplois et d'éviter les licenciements économiques à la suite du rachat du Parisien par le Groupe LVMH.

Le salarié affirme que " le service Fabrication de la société L'Équipe a été réduit à trois salariés au sein de la société Amaury Services", cela signifie bien que ce pôle mutualisé a été créé au sein de la Société Amaury Services.

Le jugement sera confirmé en ce qu'il a dit que la cause économique du licenciement est établie et justifiée par la nécessité de la réorganisation de l'entreprise imposée par des difficultés économiques, des mutations technologiques et par la nécessité de sauvegarder la compétitivité de l'entreprise dans son secteur d'activité ou dans celui du groupe auquel elle appartient.

3/ Sur le respect de l'obligation de reclassement,

Aux termes des articles L. 1233-61, L. 1233-62, L. 1233-63, L. 1235- 10 et L. 1235- 11 du code du travail dans leurs versions en vigueur : «'Dans les entreprises de cinquante salariés et plus, lorsque le projet de licenciement concerne dix salariés ou plus dans une même période de trente jours, l'employeur établit et met en 'uvre un plan de sauvegarde de l'emploi pour éviter les licenciements ou en limiter le nombre.

Ce plan intègre un plan de reclassement visant à faciliter le reclassement des salariés dont le licenciement ne pourrait être évité, notamment celui des salariés âgés ou présentant des caractéristiques sociales ou de qualification rendant leur réinsertion professionnelle particulièrement difficile.» ( article L. 1233-61).

En application de l'article L. 1233-4 du code du travail, dans sa version en vigueur lors du licenciement, «' Le licenciement pour motif économique d'un salarié ne peut intervenir que lorsque tous les efforts de formation et d'adaptation ont été réalisés et que le reclassement de l'intéressé ne peut être opéré dans l'entreprise ou dans les entreprises du groupe auquel l'entreprise appartient.

Le reclassement du salarié s'effectue sur un emploi relevant de la même catégorie que celui qu'il occupe ou sur un emploi équivalent assorti d'une rémunération équivalente. A défaut, et sous réserve de l'accord exprès du salarié, le reclassement s'effectue sur un emploi d'une catégorie inférieure.

Les offres de reclassement proposées au salarié sont écrites et précises.»

Ces dispositions imposent à l'employeur de rechercher des possibilités de reclassement du salarié, préalablement à son licenciement.

Ce n'est qu'à défaut de reclassement que l'employeur peut procéder au licenciement du salarié.

Ainsi, même justifié par une cause économique avérée, le licenciement du salarié ne peut être légitimement prononcé que si l'employeur a préalablement satisfait de bonne foi à son obligation générale de reclassement et sur des emplois équivalents de l'entreprise ou, s'il n'en existe pas, du groupe auquel appartient l'entreprise.

Il appartient à l'employeur de justifier par des éléments objectifs des recherches entreprises, éventuellement étendues aux sociétés du groupe, et de l'impossibilité de reclassement à laquelle il s'est trouvé confronté.

En l'espèce, M. [P] était responsable adjoint de fabrication au sein de la société L'Équipe (sa pièce 3).

Il est établi que le PSE prévoyait la création d'un poste de responsable adjoint de fabrication et que ce poste a été proposé à M. [P] par courrier du 6 janvier 2015 au sein de la société Amaury Services, pour une rémunération brute identique à son salaire précédent hors prime d'ancienneté (pièces 4 et 12 de l'employeur 10). Une fiche de poste accompagnait ce courrier.

Par une mention datée du 8 janvier 2015 et signée, M. [P] a refusé cette solution de reclassement interne (pièce 5 de l'employeur).

Sans qu'il soit nécessaire d'examiner le caractère déloyal ou non de cette proposition, il ne peut qu'être constaté qu'à juste titre le salarié se prévaut de ce qu'il n'a bénéficié que d'une offre de reclassement qu'il avait le droit de refuser et que l'employeur ne justifie d'aucune recherche au sein de la société et du groupe, se bornant à affirmer, ce que le salarié conteste, que le poste proposé à M. [P] était identique à celui qu'il occupait précédemment.

Il convient donc de dire que l'employeur n'a pas respecté son obligation de reclassement et, infirmant, le jugement de dire le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse.

SUR LES CONSÉQUENCES DU LICENCIEMENT DÉPOURVU DE CAUSE RÉELLE ET SÉRIEUSE,

M. [P] qui, à la date du licenciement, comptait au moins deux ans d'ancienneté dans une entreprise employant habituellement au moins onze salariés a droit, en application de l'article L. 1235-3 du code du travail, dans sa version applicable à l'espèce, à une indemnité qui ne saurait être inférieure aux salaires bruts perçus au cours des six derniers mois précédant son licenciement.

Au regard de son âge au moment du licenciement, 54 ans de son ancienneté dans l'entreprise, du montant de la rémunération qui lui était versée et de la justification de ce qu'il n'a pas retrouvé d'emploi, il convient de lui allouer, en réparation du préjudice matériel et moral subi la somme de 40 000 euros.

En application de l'article L. 1235-4 du code du travail, il convient d'ordonner d'office le remboursement par l'employeur, à l'organisme concerné, du montant des indemnités de chômage éventuellement servies au salarié du jour de son licenciement au jour du prononcé de l'arrêt dans la limite de 6 mois d'indemnités.

SUR L'ARTICLE 700 DU CODE DE PROCÉDURE CIVILE

Il est inéquitable de laisser à la charge de M. [P] les frais par lui exposés en première instance et en cause d'appel à hauteur de 3 000 euros.

PAR CES MOTIFS :

Statuant publiquement et contradictoirement,

INFIRME en toutes ses dispositions le jugement,

Statuant à nouveau,

DIT le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse,

CONDAMNE la société l'EQUIPE à payer à M. [P] la somme de 40 000 euros au titre d'indemnité pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse,

ORDONNE d'office le remboursement par l'employeur, à l'organisme concerné, du montant des indemnités de chômage éventuellement servies au salarié du jour de son licenciement au jour du prononcé de l'arrêt dans la limite de 6 mois d'indemnités,

DÉBOUTE les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires,

CONDAMNE la société l'EQUIPE à payer à M. [P] la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais par lui exposés en première instance et en cause d'appel,

CONDAMNE la société l'EQUIPE aux entiers dépens dont distraction au profit de Maître Mélina Pedroletti, avocat au barreau de Versailles, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Madame Clotilde MAUGENDRE, Présidente et par Madame Dorothée MARCINEK, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

La Greffière La Présidente

Dorothée Marcinek Clotilde Maugendre


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 17e chambre
Numéro d'arrêt : 18/01172
Date de la décision : 13/01/2021

Références :

Cour d'appel de Versailles 17, arrêt n°18/01172 : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2021-01-13;18.01172 ?
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