COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 88H
5e Chambre
ARRET N°20/989
CONTRADICTOIRE
DU 17 DECEMBRE 2020
N° RG 19/03573
N° Portalis
DBV3-V-B7D-TO35
AFFAIRE :
CAISSE PRIMAIRE ASSURANCE MALADIE DES YVELINES
C/
SA BOUYGUES BATIMENT ILE DE FRANCE
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 02 Septembre 2019 par le Tribunal de Grande Instance de VERSAILLES
N° RG : 1301809
Copies exécutoires délivrées à :
-Me Mylène BARRERE
-la SELEURL Anne-Laure Denize
Copies certifiées conformes délivrées à :
-CAISSE PRIMAIRE ASSURANCE MALADIE DES YVELINES représentée par Madame [Y] [D]
-SA BOUYGUES BATIMENT ILE DE FRANCE
le :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE DIX SEPT DECEMBRE DEUX MILLE VINGT,
La cour d'appel de Versailles, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
CAISSE PRIMAIRE ASSURANCE MALADIE DES YVELINES
[Adresse 4]
[Localité 2]
représentée par Me Mylène BARRERE, avocat au barreau de PARIS,
vestiaire : R295
APPELANTE
****************
SA BOUYGUES BATIMENT ILE DE FRANCE
[Adresse 1]
[Localité 3]
représentée par Me Anne-laure DENIZE de la SELEURL Anne-Laure Denize, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : D276
INTIMEE
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 02 Novembre 2020, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Valentine BUCK, Conseiller, chargé d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Monsieur Olivier FOURMY, Président,
Madame Marie-Bénédicte JACQUET, Conseiller,
Madame Valentine BUCK, Conseiller,
Greffier, lors des débats : Madame Clémence VICTORIA, greffier placé
M. [J] [U] a été embauché par la Société Bouygues bâtiments Île-de-France (ci-après la 'Société') le 5 juin 2000 en qualité de boiseur.
Le 18 mars 2008, M. [U] a souscrit une demande de reconnaissance de maladie professionnelle auprès de la caisse primaire d'assurance maladie des Yvelines (ci-après la 'Caisse' ou 'CPAM') au titre d'une 'PASH épaule droite'.
Le certificat médical initial établi le 4 février 2008 fait état d'une 'PASH droite, non calmée après 3 infiltrations-IRM le 05/01/2008 = rupture partielle tendon infra épineux. Intervention chirurgicale le 31/01/2008'.
Par lettre recommandée avec accusé de réception distribuée le 18 juillet 2008, la Caisse a informé la Société de la clôture de l'instruction, de la possibilité de consulter le dossier et que la prise de décision sur le caractère professionnel de la maladie interviendrait le 28 juillet 2008.
Par courrier en date du 28 juillet 2008, la Caisse a notifié à M. [U] la prise en charge de la pathologie au titre de la législation sur les risques professionnels.
Par courrier en date du 24 juillet 2013, la Société a saisi la commission de recours amiable (ci-après 'CRA') afin de contester l'opposabilité de la décision de prise en charge de la Caisse.
Le 23 octobre 2013, la Société a saisi le tribunal des affaires de sécurité social afin de contester la décision implicite de rejet de la CRA.
Considérant que la Caisse ne prouvait pas que la Société avait bien reçu le double de la déclaration de la maladie professionnelle, par jugement contradictoire en date du 2 septembre 2019 (RG n° 13/01809), le pôle social du tribunal de grande instance de Versailles (ci-après 'TGI') a :
- déclaré inopposable à la Société la décision de la Caisse en date du 28 juillet 2008 de prendre en charge au titre de la législation professionnelle la maladie du 4 février 2008 déclarée par M. [U] ;
- invité la Caisse à en tirer toutes les conséquences de droit ;
- condamné la Caisse aux dépens.
Par déclaration reçue le 25 septembre 2019, la Caisse a interjeté appel.
Les parties ont été convoquées à l'audience du 2 novembre 2020.
Par conclusions reprises à l'audience, la Caisse demande à la cour de :
à titre principal,
- déclarer irrecevable le recours de la Société pour cause de prescription ;
à titre subsidiaire,
- dire qu'elle a respecté les dispositions de l'article R. 444-11 du code de la sécurité sociale en vigueur au moment des faits ;
- dire opposable à la Société l'affection déclarée le 4 février 2008 par M. [U] ;
- se rapporter à la demande de la Société pour l'expertise médicale.
Par conclusions soutenues à l'audience, la Société demande de :
- la déclarer recevable et bien fondée ;
à titre principal,
- confirmer le jugement du TGI ;
à titre subsidiaire,
- ordonner, avant dire droit, au contradictoire du docteur [N], médecin-conseil de la Société, une expertise médicale judiciaire afin de vérifier la justification des lésions, prestations, soins et arrêts de travail pris en charge par la Caisse au titre de la maladie professionnelle de M. [U] du 4 février 2008 ;
- dire que l'expert aura pour mission de :
1°) prendre connaissance de l'entier dossier médical de M. [U] établi par la Caisse dont notamment, le cas échéant, le rapport d'évaluation des séquelles ;
2°) fixer la durée des arrêts de travail, prestations et des soins en relation directe et exclusive avec la maladie professionnelle du 4 février 2008 ;
3°) dire si pour certains soins et arrêts de travail, il s'agit d'un état pathologique indépendant de cette maladie ou d'une pathologie indépendante évoluant pour son propre compte :
4°) fixer la date de consolidation de cette maladie à l'exclusion de tout état pathologique indépendant ;
- condamner la Caisse au paiement d'une somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la cour, conformément à l'article 455 du code de procédure civile, renvoie aux conclusions et aux pièces déposées et soutenues à l'audience.
MOTIFS
Sur la fin de non recevoir tirée de la prescription
La Caisse soutient que le recours de la Société est irrecevable pour cause de prescription. Elle expose qu'avant l'entrée en vigueur du décret n° 2009-938 du 29 juillet 2009, le code de la sécurité sociale ne prévoyait pas la notification aux employeurs des décisions de prise en charge des sinistres, qu'à défaut de dispositions particulières prévues par le code de la sécurité sociale pour la prescription des contestations des employeurs, la prescription de droit commun de l'article 2224 du code civil est applicable.
Elle explique alors que par courrier du 16 juillet 2008, elle a informé la Société de la clôture de l'instruction et de la date de sa décision sur le caractère professionnel de la maladie le 28 juillet 2008, que la Société reconnait avoir réceptionné ce courrier, que la saisine de la CRA n'interrompt pas la prescription, que la saisine du TASS le 23 octobre est donc tardif.
A titre subsidiaire, si la prescription quinquennale n'était pas applicable, elle se prévaut du délai de forclusion de deux mois.
La Société réplique que selon la jurisprudence constante de la cour de cassation, rappelée le 28 mai 2020, l'article 2224 du code civil n'est pas applicable et qu'en tout état de cause la Caisse ne rapporte pas la preuve de la date à laquelle la Société a eu connaissance de sa décision de prise en charge.
Sur ce,
En l'espèce, la Caisse ne justifie pas avoir adressé à la Société une copie de la décision de prise en charge de la maladie professionnelle de M. [U], ni même une lettre informant la Société de la date à laquelle cette prise en charge est intervenue.
La Caisse ne produit pas davantage de document permettant de vérifier la date à partir de laquelle la Société a pu avoir connaissance de la prise en charge de la maladie professionnelle de M. [U], comme un relevé des cotisations AT/MP sur lequel figurent habituellement les différentes occurrences justifiant le montant sollicité.
En d'autres termes, la Caisse ne soumet à l'examen de la cour aucun élément permettant de déterminer avec certitude la date à laquelle la Société a pu avoir effectivement connaissance de la décision de prise en charge par la Caisse de la maladie professionnelle de M. [U].
Il en résulte que, quelle que soit la prescription éventuellement applicable, aucune ne peut être opposée à la Société et il convient de statuer sur le fond.
Sur le respect du contradictoire
La Caisse considère avoir respecté le principe du contradictoire en notifiant à la Société la copie de la déclaration de la maladie professionnelle, le courrier indiquant la nécessité d'un délai complémentaire, en informant la Société de la clôture de l'instruction, de la possibilité de consulter les pièces du dossier avec un délai de consultation de cinq jours utiles et et de la date de prise de décision.
La Société souligne que les références de l'accusé de réception du courrier du 27 mars 2008 ne sont pas claires, qu'elles sont manuscrites et ne permettent pas de savoir si elles se rapportent au bon dossier de sorte qu'il n'est pas établi que la Caisse lui a adressé la copie de la déclaration de la maladie professionnelle.
Elle reproche à la Caisse de l'avoir informée de la clôture de l'instruction le 16 juillet 2008 alors que le 25 juillet suivant la Caisse a recueilli l'avis de son médecin-conseil qu'elle n'a reçu que le 6 août 2008, que l'information délivrée le 16 juillet était donc erronnée et déloyale.
Les parties ont été autorisées à l'audience à adresser une note en délibéré précisant à quoi correspond le numéro 080204753 figurant sur le courrier du 27 mars 2008 différent du numéro 0804203963 figurant sur l'accusé de réception.
La Caisse s'est contentée, par note en délibéré, de rappeler ce qu'elle avait déjà formulé dans ses écritures, à savoir que le numéro indiqué sur l'accusé de réception (0804203963) répond aux exigences de la CNIL de ne pas inscrire en totalité le n° d'immatriculation des assurés sur les accusés-réception. C'est pourquoi, n'apparait sur ceux-ci, afin de pouvoir néanmoins les identifier qu'une partie du numéro d'immatriculation comme le mois de naissance (en l'espèce le 08) puis les numéros de la commune de naissance de l'assuré et son n° d'enregistrement à l'état civil (en l'espèce 042 pour la commune et 039 pour l'enregistrement) et enfin l'année de naissance (en l'espèce 63).
Sur ce,
L'article R. 441-10 du code de la sécurité sociale, dans sa version issue du décret n°99-323 du 27 avril 1999, dispose que :
La caisse dispose d'un délai de trente jours à compter de la date à laquelle elle a eu connaissance de la déclaration d'accident ou de trois mois à compter de la date à laquelle elle a eu connaissance de la déclaration de maladie professionnelle pour statuer sur le caractère professionnel de l'accident ou de la maladie.
Il en est de même lorsque, sans préjudice de l'application des dispositions du chapitre Ier du titre IV du livre Ier et de l'article L. 432-6, il est fait état pour la première fois d'une lésion ou maladie présentée comme se rattachant à un accident du travail ou maladie professionnelle.
Sous réserve des dispositions de l'article R. 441-14, en l'absence de décision de la caisse dans le délai prévu au premier alinéa, le caractère professionnel de l'accident ou de la maladie est reconnu.
Aux termes de l'article R. 441-11 du code de la sécurité sociale, dans sa version applicable aux faits de l'espèce, c'est-à-dire dans sa version modifiée par le décret n° 2006-111 du 2 février 2006 :
Hors les cas de reconnaissance implicite, et en l'absence de réserves de l'employeur, la caisse primaire assure l'information de la victime, de ses ayants droit et de l'employeur, préalablement à sa décision, sur la procédure d'instruction et sur les points susceptibles de leur faire grief.
En cas de réserves de la part de l'employeur ou si elle l'estime nécessaire, la caisse, envoie avant décision à l'employeur et à la victime un questionnaire portant sur les circonstances ou la cause de l'accident ou de la maladie ou procède à une enquête auprès des intéressés. Une enquête est obligatoire en cas de décès.
La victime adresse à la caisse la déclaration de maladie professionnelle dont un double est envoyé par la caisse à l'employeur. La caisse adresse également un double de cette déclaration au médecin du travail. La même procédure s'applique lorsque la déclaration de l'accident, en application du deuxième alinéa de l'article L. 441-2, n'émane pas de l'employeur. Le double de la demande de reconnaissance de la rechute d'un accident du travail déposé par la victime est envoyé par la caisse primaire à l'employeur qui a déclaré l'accident dont la rechute est la conséquence. (Souligné par la cour)
L'article R. 441-12, alinéa un, du même code, dans sa version applicable, dispose que :
Après la déclaration de l'accident ou de la maladie, la victime ou ses ayants droit et l'employeur peuvent faire connaître leurs observations et toutes informations complémentaires ou en faire part directement à l'enquêteur de la caisse primaire.
La CPAM, avant de se prononcer sur le caractère professionnel d'un accident ou d'une maladie, doit informer l'employeur de la fin de la procédure d'instruction, des éléments recueillis susceptibles de lui faire grief, de la possibilité de consulter le dossier et de la date à laquelle elle prévoit de prendre sa décision.
La Caisse doit accorder un délai suffisant à l'employeur pour consulter le dossier afin de garantir le principe du contradictoire, à peine d'inopposabilité de sa décision à l'égard de l'employeur.
Avant la réforme applicable à compter du 1er janvier 2010 faisant référence à un délai en jours francs, le délai suffisant était apprécié par les juges du fond en fonction des jours utiles de consultation dont l'employeur a bénéficié.
En l'espèce, le colloque-médico administratif maladie professionnelle n'a été signé par le médecin-conseil que le 25 juillet 2008, soit après la date annoncée à la Société de la clôture de l'instruction et le dernier jour utile de consultation du dossier par la Société.
Or, compte-tenu du caractère indispensable de l'avis du médecin-conseil pour que la Caisse prenne une décision de prise en charge, celle-ci a manqué à son obligation loyale d'information en mettant le dossier à la disposition de la Société sans s'assurer préalablement que l'avis du médecin-conseil y figurait.
Le principe du contradictoire n'ayant pas été respecté, la décision de prise en charge sera déclaré inopposable à la Société.
Sur ce motif, qui se substitue à celui retenu par le premier juge, le jugement du TGI sera confirmé.
Sur les dépens et les frais irrépétibles
La Caisse, qui succombe à l'instance, supportera les dépens éventuellement exposés depuis le 1er janvier 2019.
Elle sera condamnée à payer à la Société la somme de 1 000 euros au titre des frais irrépétibles.
PAR CES MOTIFS
La cour, après en avoir délibéré, statuant par arrêt contradictoire,
Confirme le jugement rendu le 2 septembre 2019 (RG n° 13/01809) par le pôle social du tribunal de grande instance de Versailles ;
Condamne la caisse primaire d'assurance maladie des Yvelines aux dépens éventuellement exposés depuis le 1er janvier 2019 ;
Condamne la caisse primaire d'assurance maladie des Yvelines à payer à la société Bouygues bâtiments Île-de-France la somme de 1 000 euros au titre des frais irrépétibles
Prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Signé par Monsieur Olivier Fourmy, Président, et par Madame Morgane Baché, Greffier, auquel le magistrat signataire a rendu la minute.
Le GREFFIER, Le PRÉSIDENT,