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02/12/2020 | FRANCE | N°18/00969

France | France, Cour d'appel de Versailles, 17e chambre, 02 décembre 2020, 18/00969


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 80C



17e chambre



ARRET N°



CONTRADICTOIRE



DU 2 DECEMBRE 2020



N° RG 18/00969

N° Portalis DBV3-V-B7C-SFH5



AFFAIRE :



[W] [E]





C/



SAS VINCI CONSTRUCTION GRANDS PROJETS









Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 21 décembre 2017 par le Conseil de Prud'hommes Formation paritaire de NANTERRE

Section : E

N° RG : 1

4/03570



Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :



Me Drossoula PAPADOPOULOS



Me Claire RICARD







le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



LE DEUX DECEMBRE DEUX MILLE VINGT,

La cour d'appel de Versailles,...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80C

17e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 2 DECEMBRE 2020

N° RG 18/00969

N° Portalis DBV3-V-B7C-SFH5

AFFAIRE :

[W] [E]

C/

SAS VINCI CONSTRUCTION GRANDS PROJETS

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 21 décembre 2017 par le Conseil de Prud'hommes Formation paritaire de NANTERRE

Section : E

N° RG : 14/03570

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

Me Drossoula PAPADOPOULOS

Me Claire RICARD

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE DEUX DECEMBRE DEUX MILLE VINGT,

La cour d'appel de Versailles, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

Monsieur [W] [E]

né le [Date naissance 2] 1950 à [Localité 6] (50)

de nationalité française

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentant : Me Drossoula PAPADOPOULOS de la SELEURL PAPADOPOULOS SOCIETE D'AVOCAT, Plaidant/ Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : E2095

APPELANT

****************

SAS VINCI CONSTRUCTION GRANDS PROJETS

N° SIRET : 343 088 134

[Adresse 3]

[Localité 5]

Représentant : Me Stéphanie DUMAS de la SCP FLICHY GRANGÉ AVOCATS, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P0461 et Claire RICARD, Plaidant/ Constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 622

INTIMEE

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 16 octobre 2020 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Clotilde MAUGENDRE, présidente et Madame Evelyne SIRE-MARIN, présidente, chargées du rapport.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Clotilde MAUGENDRE, Présidente,

Madame Evelyne SIRE-MARIN, Présidente,

Monsieur Laurent BABY, Conseiller,

Greffier, lors des débats : Madame Dorothée MARCINEK,

Par jugement du 21 décembre 2017, le conseil de prud'hommes de Nanterre (section encadrement) a :

- dit M.'[E] irrecevable en son action pour cause de prescription,

- débouté la SAS Vinci construction grands projets de sa demande reconventionnelle,

- condamné aux dépens M.'[E] y compris aux éventuels frais et actes d'exécution et dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile.

Par déclaration adressée au greffe le 9 février 2018, M. [W] [E] a interjeté appel de ce jugement.

Une ordonnance de clôture a été prononcée le 30 juin 2020.

Par dernières conclusions déposées au greffe le 8 avril 2020, M. [E] demande à la cour de':

- d'infirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Nanterre du 21 décembre 2017 dans toutes ses dispositions,

en conséquence,

- dire que son action est recevable et non prescrite,

- condamner la société Vinci' à lui payer les sommes de :

.'138'058,65 euros à titre d'indemnité pour préjudice subi suite à l'absence d'affiliation au régime général de la sécurité sociale engendrant 19 trimestres manquants, ainsi que l'obligation pour lui de travailler 4 ans et 6 mois supplémentaires,

.'68'000 euros à titre de dommages et intérêts pour absence d'affiliation en qualité de cadre au régime complémentaire AGIRC de 1981 à 1989,

.'10'000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la société Vinci à verser des intérêts au taux légal à compter du prononcé du jugement à intervenir,

- condamner la société Vinci aux dépens.

Par dernières conclusions déposées au greffe le 12 juin 2020, la société Vinci construction grands projets demande à la cour de':

- confirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Nanterre du 21 décembre 2017 en ce qu'il a déclaré irrecevables car prescrites les demandes du salarié,

en conséquence, en tout état de cause,

- débouter le salarié de l'ensemble de ses demandes,

- condamner le salarié à lui verser la somme de 10'000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner le salarié aux entiers dépens.

LA COUR,

M.'[W] [E] a été engagé par la société Dumez SA agissant pour le compte du Groupement d'intérêt économique Dumez pour l'Arabie Saoudite (GIEDAS), en qualité de conducteur de travaux, à compter du 8 août 1981.

Il a travaillé sur des chantiers en Arabie Saoudite du 8 août 1981 au 12 mars 1989, date à laquelle il a quitté les effectifs de la société Dumez.

La convention collective applicable était celle du bâtiment et des travaux publics.

La société Vinci construction grands projets (ci-après société Vinci) vient aux droits de la société Dumez SA.

Le 1er avril 2011, le salarié a fait valoir ses droits à la retraite (sa pièce 10).

Par requête adressée par lettre recommandée avec accusé de réception le 5 décembre 2014, le salarié a saisi le conseil de prud'hommes de Nanterre aux fins de réclamer des indemnités pour préjudice subi de l'absence d'affiliation au régime général et complémentaire de la sécurité sociale.

Sur la prescription :

L'article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, dispose : '« 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. (...)'»

L'article 2224 du code civil issu de la loi du 17 juin 2008 prévoit : «' Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer. '»

L'article 2232 du code civil, issu également de la loi du 17 juin 2008, dans sa version applicable à l'espèce, dispose : «''Le report du point de départ, la suspension ou l'interruption de la prescription ne peut avoir pour effet de porter le délai de la prescription extinctive au-delà de vingt ans à compter du jour de la naissance du droit.

Le premier alinéa n'est pas applicable dans les cas mentionnés aux articles 2226, 2227, 2233 et 2236, au premier alinéa de l'article 2241 et à l'article 2244. Il ne s'applique pas non plus aux actions relatives à l'état des personnes.'»

La société Vinci expose qu'il résulte des débats parlementaires relatifs à la loi du 17 juin 2008 que le législateur en instaurant par l'article 2232 du code civil un délai butoir de 20 ans a voulu, pour assurer l'équilibre des droits de chaque partie, mettre en place une contrepartie à la réduction du délai de droit commun passé de 30 ans à 5 ans et aux effets du point de départ «'glissant » de la prescription.

Elle ajoute que l'article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, qui affirme le droit accordé à chaque personne d'avoir accès à un tribunal, n'organise pas un droit absolu et permet que soit apportée une limite au droit au juge à condition que celle-ci soit légitime et proportionnée au but recherché.

Elle précise que la CEDH a jugé que l'absence de délai de prescription peut constituer une menace grave pour la sécurité juridique et méconnaître ainsi les droits de la défense, également garantis par la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Elle affirme donc que l'action en responsabilité contractuelle en réparation à l'encontre de l'employeur qui n'aurait pas ou pas assez versés de cotisations de retraite et/ou de retraite complémentaire sur les salaires est définitivement prescrite en 20 ans après le fait générateur, c'est-à-dire 20 ans après le paiement des salaires.

En ce qui concerne la prescription quinquennale de l'article 2224 du code civil, s'agissant de M.[E], elle soutient que, d'après ses propres écritures le salarié a eu connaissance des faits lui permettant d'exercer son action dès 2006, que la prescription de droit commun a commencé à courir à cette date et que son action est donc prescrite.

Au surplus, en ce qui concerne le délai butoir, elle fait valoir que seules les demandes relatives aux cotisations afférentes à des salaires payés après le 12 décembre 1994 sont recevables et que, la période de cotisations concernée étant celle de 1981-1989, les demandes sont irrecevables.

Le salarié expose qu'en demandant un relevé de carrière en 2006 il s'est rendu compte que la société Vinci n'avait assuré aucune cotisation pour son compte au titre du régime général de base de l'assurance vieillesse pour la période du 1er avril 1984 au 31 décembre 1987 et qu'il avait ainsi perdu 19 trimestres de cotisation. Il précise qu'il a liquidé ses droits à la retraite le 1er avril 2011.

Il se prévaut de l'article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et affirme que la CEDH refuse l'application systématique des règles de prescription qui fermeraient l'action en justice aux victimes alors qu'elles n'ont pas encore connaissance soit du dommage soit de l'étendue du dommage subi.

Il souligne la complexité des modalités juridiques régissant les droits à la retraite qui fait obstacle à la connaissance exacte et certaine de l'étendue du préjudice.

Il soutient que le délai butoir n'a commencé à courir qu'à compter de la date de la liquidation de ses droits à la retraite soit le 1er avril 2011.

L'action en responsabilité d'un salarié contre son employeur qui n'a pas versé les cotisations aux organismes de retraite est une action en responsabilité civile contractuelle.

Elle est donc soumise au délai de de prescription de droit commun de cinq ans en application des dispositions de l'article 2224 du code civil issu de la loi du 17 juin 2008 et ne court qu'à compter de la réalisation du dommage ou de la date à laquelle il est révélé à la victime si celle-ci établit qu'elle n'en avait pas eu précédemment connaissance.

En application des dispositions de l'article 2232 du code civil interprétées à la lumière de l'article 6 § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de celles de l'article 2224 du même code, le délai de prescription de l'action fondée sur l'obligation pour l'employeur d'affilier son personnel à un régime de retraite, régime de base ou régime complémentaire, et de régler les cotisations qui en découlent court à compter de la liquidation par le salarié de ses droits à la retraite, jour où le salarié a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son action.

Contrairement à ce que prétend le salarié, le délai butoir de 20 ans instauré par l'article 2232 du code civil n'a pas pour effet de se substituer au délai quinquennal mais au contraire, potentiellement, d'en limiter les effets.

Ainsi, quand bien même le salarié a été, dès 2006, en possession d'éléments mettant en évidence un problème de trimestres de cotisation, le délai de prescription de l'action fondée sur l'obligation pour l'employeur d'affilier son personnel à un régime de retraite et de régler les cotisations qui en découlent n'a couru qu'à compter de la liquidation par le salarié de ses droits à la retraite, jour où le préjudice né de la perte des droits correspondant à des cotisations non versées est devenu certain.

En l'espèce, le délai de l'article 2224 du code civil ayant commencé à courir à compter du 1er avril 2011, date de liquidation de sa retraite, le salarié qui a adressé sa requête au conseil de prud'hommes le 5 décembre 2014 a introduit son action dans le délai de prescription.

Il convient donc, infirmant le jugement, de dire les demandes du salarié recevables.

Sur les dommages et intérêts pour absence d'affiliation au régime général de la sécurité sociale durant l'expatriation :

Le salarié admet que la société en vertu du principe de territorialité n'avait pas l'obligation légale de l'affilier au régime général de sécurité sociale française. En revanche, il affirme que l'annexe de la convention collective du Bâtiment, cadres, «' Déplacements hors de la France métropolitaine » en son article 4, l'annexe VIII de la convention collective nationale des ETAM des travaux publics et l'annexe IV de la convention collective des Ingénieurs, Assimilés et Cadres, (I.A.C) des entreprises de travaux publics prévoient que les salariés expatriés bénéficient de garanties relatives à la retraite équivalentes à celles dont ils auraient bénéficié s'ils étaient restés en métropole.

Il soutient que la société n'a pas respecté cette obligation en ne l'affiliant pas au régime général pendant son expatriation.

Il ajoute que la société a détourné les règles conventionnelles en ne l'engageant pas d'abord pour un contrat de travail initial exécuté pendant trois mois en France avant de lui faire signer un contrat de travail français à exécuter en Arabie Saoudite. Il prétend que la société a ainsi mis en place une inégalité de traitement entre salariés expatriés engendrant une discrimination entre ceux n'ayant pas exécuté trois mois de travail en métropole et les autres.

Il fait valoir que la société ne peut prétendre avoir rempli son obligation d'offrir des garanties équivalentes en matière de garantie vieillesse en l'ayant affilié à la Caisse de Retraite des Expatriés (CRE).

Il précise qu'en application des articles L. 762-1 et L. 742-1 du code de la sécurité sociale l'employeur peut affilier le salarié expatrié à l'assurance volontaire contre le risque vieillesse de la Sécurité sociale et le faire bénéficier du régime de retraite de base de la Sécurité sociale en cotisant à la Caisse des Français de l'Etranger (CFE) qui gère l'assurance vieillesse pour le compte de la caisse Nationale de l'Assurance Vieillesse (CNAV) et permet d'acquérir des trimestres pour la retraite de base.

Il ajoute qu'en outre l'employeur peut souscrire pour le salarié une assurance de retraite complémentaire auprès de la CRE ce qui permet d'accumuler des points au titre de la retraite complémentaires dans les mêmes conditions que pour les régimes ARRCO et AGIRC mais ne permet pas d'acquérir des droits ni des trimestres au titre du régime général de la Sécurité sociale.

Il affirme que pour le faire bénéficier de garantie équivalente la société aurait dû cotiser pour lui à la fois auprès de la CFE, pour le régime de base, et auprès de la CRE pour le régime complémentaire.

Il indique qu'avant même la création du CFE la société avait la possibilité d'adhérer à une assurance volontaire, que les cotisations étaient alors versées directement à la CNAV et qu'en tout état de cause sa période d'expatriation est postérieure à la création de la CFE.

Enfin, il affirme n'avoir jamais été informé par la société du fait que l'expatriation interrompait son affiliation au régime général de la sécurité sociale et que la société a manqué à son obligation d'information.

Il ajoute que malgré sa prolongation d'activité il n'a pas pu obtenir une retraite à taux plein.

La société répond que lorsqu'un salarié a le statut d'expatrié l'employeur n'a pas l'obligation de cotiser au régime français mais peut souscrire un contrat d'assurance volontaire.

Elle explique qu'en 1948 a été créée la Caisse de Retraite des Expatriés (CRE) destinée à combler en partie le vide existant dans la protection sociale des expatriés, caisse qui a été affiliée à l'ARRCO en 1968, et qu'à partir du décret du 11 décembre 1970 les salariés français expatriés ont eu la possibilité de s'assurer volontairement à la caisse de retraite ou de demander à l'employeur de prendre en charge les cotisations.

Elle ajoute que la convention collective des travaux publics, par avenant de 1975 pour les I.A.C déplacés et de 1977 pour les ETAM, a prévu la mise en place de garanties équivalentes à celles dont bénéficient les salariés travaillant en métropole.

Elle affirme que ces garanties pouvaient être assurées par l'adhésion à la CRE sans qu'il soit nécessaire que le salarié sur la base d'une adhésion individuelle volontaire cotise au CFE, créée en 1978.

En ce qui concerne M. [E], la société fait valoir qu'elle n'avait pas l'obligation d'employer le salarié en France avant de signer un contrat d'expatriation et que, dès lors qu'il n'avait pas trois mois d'ancienneté en métropole avant d'être expatrié, il ne peut pas prétendre aux dispositions conventionnelles.

Elle soutient qu'elle a fait face à ses obligations contractuelles en cotisant pour M. [E] à la CRE comme elle s'y était engagée dans le contrat de travail.

Enfin, elle affirme que le salarié disposait par son contrat de travail et ses bulletins de paie, qui mentionnaient expressément l'adhésion à la CRE, de toutes les informations relatives à sa retraite.

Sur le respect des dispositions conventionnelles :

L'article 1 de l'annexe IV du 17 janvier 1975 de la convention collective du bâtiment relative aux déplacements hors de la France métropolitaine prévoit :

«'Les IAC, qui ont été en service pendant au moins trois mois dans un ou plusieurs établissements métropolitains d'une entreprise relevant de la présente convention et qui, sans avoir quitté l'entreprise depuis lors, sont déplacés par leur employeur pour exercer temporairement une fonction hors de la France métropolitaine, Corse comprise, sont visés par les dispositions du présent texte sous réserve que la durée prévue de leur déplacement soit de trois mois au moins.

Sont visés également les IAC mutés dans l'entreprise dans les conditions prévues aux deux derniers alinéas de l'article 17 de la présente convention collective, pour autant qu'ils aient exercé leur activité pendant trois mois en France métropolitaine dans l'entreprise qui les a mutés.

Dans le cas de déplacements de plus courte durée à l'extérieur, les dispositions, en vigueur dans la métropole, de la convention collective du déplacement restent applicables. »

L'article 2 prévoit : «' Il est établi un contrat se substituant, pendant le déplacement au contrat contrat de travail initial et qui régit les conditions dans lesquelles s'effectue le séjour à l'extérieur.

Le contrat de travail initial rentre en vigueur de plein droit dès le retour en métropole. »

L'article 4 du même document prévoit que dans le contrat de travail doit obligatoirement figurer un certain nombre de stipulations notamment relatives à la couverture des risques vieillesse (sécurité sociale ou régime équivalent et régimes complémentaires), invalidité, décès, accidents du travail, maladie et accidents, perte d'emploi. Il stipule : «' Les garanties et avantages résultant, pour l'IAC, de l'application des dispositions à prévoir à cet égard dans le contrat, doivent être équivalents à ceux contenus dans le titre III de la convention collective des IAC.'»

L'annexe VIII de la convention collective des travaux publics ETAM relative aux déplacements hors de la France métropolitaine du 7 juillet 1977 reprend en son article 1 le même champ d'application que l'annexe IV du 17 janvier 1975 et en son article 2 les mêmes dispositions relatives à l'établissement du contrat de travail pour la durée de l'expatriation. Il prévoit en son article 12 «' Les ETAM déplacés continuent, pendant la durée de leur séjour à l'extérieur, à bénéficier de garanties relatives à la retraite et à la couverture des risques invalidité, décès, accidents du travail, maladie, accidents et perte d'emploi »

L'article 14 précise : «'Ces garanties seront, dans l'ensemble et toutes choses égales d'ailleurs équivalentes à celles dont l'ETAM bénéficierait s'il était resté en métropole. »

Ainsi, sous certaines conditions, notamment de période de travail d'au moins trois mois en métropole avant l'expatriation, le salarié devait bénéficier de garanties certes pas identiques mais équivalentes en terme de droit à la retraite.

En l'espèce, le salarié ne démontre pas que son embauche directement par un contrat organisant son expatriation, sans période de travail préalable en métropole, résulte d'une volonté frauduleuse de la part de l'employeur qui n'avait pas l'obligation de le faire travailler trois mois en métropole avant de signer avec lui un contrat d'expatriation.

En application des dispositions de la convention collective, le salarié est donc exclu du droit au maintien de garanties équivalentes.

Cependant, il se prévaut d'une inégalité de traitement entre les salariés expatriés, tous engagés sur le même chantier en Arabie Saoudite, qui n'ont pas les mêmes droits selon qu'ils ont ou non travaillé 3'mois en métropole.

Les différences de traitement entre catégories professionnelles ou entre des salariés exerçant, au sein d'une même catégorie professionnelle, des fonctions distinctes, opérées par voie de convention ou d'accord collectifs, négociés et signés par les organisations syndicales représentatives investies de la défense des droits et intérêts des salariés et à l'habilitation desquelles ces derniers participent directement par leur vote, sont présumées justifiées de sorte qu'il appartient à celui qui les conteste de démontrer qu'elles sont étrangères à toute considération de nature professionnelle.

En l'espèce, l'exécution du contrat de travail en métropole pendant une durée de trois mois avant son affectation sur un chantier à l'étranger a permis au salarié d'acquérir une certaine ancienneté et de bénéficier pendant cette période du régime social en vigueur en métropole. La différence de traitement repose ainsi sur une considération de nature professionnelle.

Le salarié ne peut donc se prévaloir d'une inégalité de traitement et c'est à juste titre que la société soutient qu'elle n'avait pas à le faire bénéficier des garanties conventionnelles.

Sur l'obligation d'information :

L'employeur tenu d'une obligation de bonne foi dans l'exécution du contrat de travail doit informer préalablement le salarié expatrié de sa situation au regard de la protection sociale pendant la durée de son expatriation. Il en découle qu'il doit informer le salarié que son activité ne donne pas lieu à affiliation au régime d'assurance vieillesse de la sécurité sociale et de la faculté d'adhérer volontairement à ce régime.

La société ne peut sérieusement se prévaloir de la mention sur le contrat de travail et les bulletins de salaire de l'existence de cotisations au CRE pour soutenir que le salarié, qui en sa qualité de conducteur de travaux n'avait aucune compétence juridique, était informé de la spécificité de sa situation d'expatrié au regard des cotisations retraite.

Le manquement à l'obligation d'information est établi et a causé au salarié, qui a été privé de plusieurs trimestres de cotisation à la retraite de base, un préjudice qui doit être réparé.

Sur le préjudice :

Le salarié réclame la réparation du préjudice subi du fait de l'absence de cotisation auprès de la CFE du 1er avril 1984 au 31 décembre 1987 en expliquant que n'ayant pas les moyens de racheter les 19 trimestres manquants pour obtenir une retraite complète il a dû travailler jusqu'à l'âge de 61 ans, soit 4 ans et 6 mois de plus.

Il soutient que son préjudice correspond à l'impossibilité pour lui de liquider sa retraite à 57 ans et à l'absence de versement de sa pension de retraite et de sa retraite complémentaire durant 4 ans et 6 mois. Il sollicite le paiement au titre de la retraite de base de la somme de 58 295,70 euros, 1 079,55 de pension mensuelle X 54 mois (4 ans et 6 mois) et au titre de la retraite complémentaire un montant de 79 762,95 euros, 17 725,10 euros X 4 ans et 6 mois, soit un montant total de 138 058,65 euros.

Il ajoute que malgré sa prolongation d'activité il n'a pas pu obtenir une retraite à taux plein.

Au vu des éléments du dossier, il sera alloué au salarié en réparation du préjudice subi la somme de 73 300 euros.

Sur l'absence d'affiliation en qualité de cadre au régime complémentaire AGIRC :

Le salarié affirme que le coefficient 845 de la convention collective applicable lui ayant été attribué à son embauche, la classification de son emploi le rendait éligible aux dispositions de l'article 36 de l'annexe I de la convention collective nationale AGIRC et qu'il aurait dû être affilié au régime des cadres durant la totalité de son engagement, soit de 1981 à 1989, ce qui lui aurait permis d'accéder à ses points de retraite complémentaire au titre de l'AGIRC.

En réparation de l'absence d'affiliation au régime AGIRC de 1981 à 1989 soit pendant 8 ans il sollicite l'allocation de la somme de 8 500 euros par mois, soit 68 000 euros.

La société réplique d'abord qu'il résulte du relevé AGIRC du salarié, obtenu après de multiples relances, que le salarié a cotisé à l'AGIRC entre le 12 septembre 1988 et le 12 mars 1989.

Ensuite, qu'il ne remplissait pas les trois conditions cumulatives prévues pour bénéficier de l'article 36 de l'annexe I de la convention collective nationale AGIRC.

La convention collective nationale AGIRC du 14 mars 1947 prévoit en son article 3§ 1 qu'elle ne s'applique obligatoirement qu'aux bénéficiaires définis aux articles 4 et 4 bis qui sont occupés sur le territoire français pour le compte d'une entreprise ne relevant pas d'un régime spécial de sécurité sociale.

L'article 4 stipule qu'elle s'applique obligatoirement aux ingénieurs et cadres définis par les arrêtés de mise en ordre des salaires des diverses branches professionnelles ou par des conventions ou accords conclus sur le plan national ou régional en application des dispositions légales en vigueur en matière de convention collective et qui se sont substitués aux arrêtés de salaire.

L'article 4 bis prévoit qu'elle s'applique aussi aux employés, techniciens et agents de maîtrise assimilés aux ingénieurs et cadres dans les cas où ils occupent des fonctions classées par référence aux arrêtés de mise en ordre des salaire à une cote hiérarchique égale ou supérieure à 300, par référence aux arrêtés de mise en ordre des salaires intervenus avant la loi du 11 février 1950.

L'article 36 de l'annexe I prévoit que le régime peut être étendu par convention collective ou accord collectif de retraite, ou par ratification telle que prévue à l'article L. 911-1 du code de la Sécurité sociale, aux collaborateurs autres que ceux pour lesquels c'est obligatoire. Il précise que la définition des bénéficiaires de l'extension doit être opérée par référence à une cote hiérarchique au moins égale à 200 dans les arrêtés de mise en ordre des salaires.

Par avenant n°6 du 19 décembre 1975 l'ancienne classification nationale des employés, techniciens et agents de maîtrise des industries du bâtiment et des travaux public, dite classification Parodi, a été remplacée. Les ETAM du bâtiment et des travaux publics ont été répartis en six positions, chacune faisant l'objet d'une définition générale.

Les plages des coefficients hiérarchiques des six positions ont été ainsi définies :

Position III : 300 à 345 inclus,

Position III : 350 à 435 inclus,

Position III : 440 à 540 inclus,

Position IV : 545 à 645 inclus,

Position IV : 650 à 745 inclus,

Position VI : 750 à 860 inclus.

L'annexe 3 du titre III relatif aux conditions d'application des nouvelles classifications au regard du régime AGIRC, compte tenu du fait qu'il n'existe aucune correspondance entre les anciens coefficients et les nouvelles positions a fixé le seuil d'accès à l'article 36 de l'annexe I à la position IV et a stipulé qu'à compter du 1er juillet 1976 ou du 1er janvier 1977 seuls peuvent être inscrits au régime AGIRC les agents classés en position IV, V, VI selon le critère retenu dans l'entreprise où ils sont employés.

M. [E], anciennement classé au coefficient 845, par l'effet de la nouvelle classification bénéficiait de la position VI et pouvait donc être inscrit au régime AGIRC sous réserve que la société en application de l'article 36 de l'annexe I ait prévu une extension pour les ETAM de cette catégorie travaillant en France et à l'étranger, ce que la société conteste.

Le salarié se prévaut de divers arrêts rendus par des cours d'appel concernant d'anciens salariés du GIEDAS et de la société Dumez et du courrier envoyé le 28 décembre 1966 par la société Dumez à la Caisse de Retraites des Expatriés.

Dans ce courrier, la société Dumez confirme son désir d'unifier et de modifier les adhésions qu'elle a données à la CRE jusqu'à ce jour pour ses agences et chantiers extra-métropolitains ou pour certaines sociétés du groupe Dumez. D'abord, elle précise les adhésions qu'elle souhaite regrouper. Ensuite, elle détaille les conditions générales souhaitées du nouveau contrat avec effet au 1er janvier 1966.

Elle joint une nouvelle grille d'emploi et précise avoir demandé à la Caisse Nationale de Prévoyance du Bâtiment, des Travaux Publics et des Industries Connexes l'extension du bénéfice de la convention collective nationale du 14 mars 1947 pour les ingénieurs et cadres de ses agences, chantiers et filiales d'Outre-mer.

Elle ajoute que les modifications apportées au régime de retraite constituent une amélioration extrêmement importante des garanties données à son personnel que ce soit pour ses ingénieurs et cadres par l'extension du régime de la convention collective nationale de 1947 ou que ce soit pour ses ouvriers et ETAM par l'amélioration de son adhésion au régime particulier.

Il ne peut qu'être constaté que dans ce courrier, adressé à la CRE qui cotise à l'ARRCO et non à l'AGIRC, la société Dumez évoque seulement l'extension du bénéfice de la convention collective nationale du 14 mars 1947 aux ingénieurs et cadres de ses agences, chantiers et filiales d'Outre-mer, en application donc de l'article 4 de la convention. Il s'agit donc d'une extension géographique réservée aux salariés visés par les articles 4.

La société ne mentionne la situation des ETAM et ouvriers qu'en ce qui concerne l'amélioration de leur régime, le montant annuel des cotisations passant de 1 260 à 2520 points, sans pour autant faire bénéficier les ETAM en application de l'article 36 du bénéfice de l'extension de la convention collective nationale du 14 mars 1947.

Pour sa part, la société Vinci communique le courrier du GIEDAS-Dumez adressé le 11 janvier 1979 à la Caisse Nationale de Prévoyance du Bâtiment, des travaux publics et des industries connexes lui notifiant l'extension territoriale de la convention collective nationale du 14 mars 1947 aux ingénieurs, cadres et assimilés, français et étrangers relevant des articles 4 et 4 bis engagés sur le territoire métropolitain et détachés hors métropole dans ses établissements propres.

Elle produit aussi un courrier du 9 décembre 2015 que lui a adressé PRO BTP dans lequel cet organisme indique que la vérification des archives a permis de constater que pour les entreprises Dumez SA venues aux droits de Dumez Travaux Publics, GTM BTP venue aux droits de Dumez Bâtiments et GIEDAS il est en possession de courriers adressés à la CNPBTPIC en date respectivement du 20 juin 1973, 5 mars 1976 et du 11 janvier 1979, demandant l'extension territoriale pour le régime AGIRC, extension limitée cependant aux seuls ingénieurs, cadres et assimilés relevant des article 4 et 4 bis de la convention AGIRC, ce qui exclut les ETAM relevant de l'article 36 de la convention AGIRC.

Il doit être rappelé que la cour doit statuer sur la base des circonstances particulières de l'espèce.

Il a été démontré que le courrier du 28 décembre 1966 de la société Dumez ne peut aucunement être interprété comme un courrier évoquant une extension du bénéfice de la convention AGIRC aux ETAM en application de l'article 36.

Au surplus, non seulement l'existence d'une telle extension n'est pas démontrée mais au contraire PRO BTP affirme que la Caisse nationale de Prévoyance du Bâtiment, des Travaux Publics et des Industries Connexes (CNPBTPIC) constituée le 1er avril 1947 et adhérente à l'AGIRC pour assurer aux salariés des entreprises de la profession des avantages complémentaires à ceux de la Sécurité sociale en matière de retraite et de prévoyance, n'a pas reçu de notification d'extensions au profit des salariés visés par l'article 36, alors qu'elle en est la destinataire naturelle.

Faute d'extension de la convention collective nationale du 14 mars 1947 aux ETAM visés par l'article 36, le salarié ne peut valablement reprocher à la société de ne pas avoir cotisé à son profit à l'AGIRC.

Il convient donc, ajoutant au jugement, de le débouter de sa demande de ce chef.

Sur la demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile :

Il est inéquitable de laisser à la charge du salarié les frais par lui exposés en première instance et en cause d'appel non compris dans les dépens à hauteur de 2 000 euros.

PAR CES MOTIFS :

Statuant publiquement et contradictoirement, en dernier ressort et par mise à disposition au greffe,

INFIRME le jugement,

Statuant à nouveau,

DÉCLARE les demandes de M. [E] recevables,

CONDAMNE la SAS Vinci construction grands projets à payer à M. [E] la somme de

73 300 'euros à titre d'indemnité pour préjudice subi du fait de l'absence d'affiliation au régime général de la Sécurité sociale, avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt,

DÉBOUTE M. [E] de sa demande au titre de l'absence d'affiliation au régime AGIRC,

DÉBOUTE les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires,

CONDAMNE la SAS Vinci construction grands projets à payer à M. [E] la somme de 2'000'euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel et en première instance,

DÉBOUTE la SAS Vinci construction grands projets de sa demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE la SAS Vinci construction grands projets aux dépens.

- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Madame Clotilde Maugendre, présidente et par Madame Dorothée Marcinek, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

'''''''''''''''''''''''''''''''''''''''''''''''''''''''''''''''''''''''''''''''''''''''''''''''''''''''''''''

La greffière La présidente

Dorothée Marcinek Clotilde Maugendre


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 17e chambre
Numéro d'arrêt : 18/00969
Date de la décision : 02/12/2020

Références :

Cour d'appel de Versailles 17, arrêt n°18/00969 : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2020-12-02;18.00969 ?
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