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12/11/2020 | FRANCE | N°19/08103

France | France, Cour d'appel de Versailles, 12e chambre, 12 novembre 2020, 19/08103


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 58E



12e chambre



ARRET N°



CONTRADICTOIRE



DU 12 NOVEMBRE 2020



N° RG 19/08103 - N° Portalis DBV3-V-B7D-TSOL



AFFAIRE :



Société TOGO FOOD





C/

SA HELVETIA ASSURANCES venant aux droits de GROUPAMA TRANSPORT









Décision déférée à la cour : Jugement rendu(e) le 11 Mai 2016 par le Tribunal de Commerce de NANTERRE

N° Chambre : 06

N° Se

ction :

N° RG : 2014F02164



Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :

à :

Me Anne-laure WIART,

Me Véronique BUQUET-ROUSSEL

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



LE DOUZE NOVEMBRE DEUX MILLE VING...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 58E

12e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 12 NOVEMBRE 2020

N° RG 19/08103 - N° Portalis DBV3-V-B7D-TSOL

AFFAIRE :

Société TOGO FOOD

C/

SA HELVETIA ASSURANCES venant aux droits de GROUPAMA TRANSPORT

Décision déférée à la cour : Jugement rendu(e) le 11 Mai 2016 par le Tribunal de Commerce de NANTERRE

N° Chambre : 06

N° Section :

N° RG : 2014F02164

Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :

à :

Me Anne-laure WIART,

Me Véronique BUQUET-ROUSSEL

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE DOUZE NOVEMBRE DEUX MILLE VINGT,

La cour d'appel de VERSAILLES, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

DEMANDERESSE devant la cour d'appel de Versailles saisie comme cour de renvoi, en exécution d'un arrêt de la Cour de cassation du 23 Octobre 2019 cassant et annulant partiellement l'arrêt rendu par la cour d'appel de Versailles le 25 Janvier 2018, 12ème chambre section 2.

Société TOGO FOOD

[Adresse 2]

[Localité 5] (TOGO)

Représentant : Me Anne-laure WIART, Postulant avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 437 - N° du dossier 24946

Représentant : Me Jean-pierre DAGORNE, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : D0118,

****************

DEFENDERESSE DEVANT LA COUR DE RENVOI

SA HELVETIA ASSURANCES venant aux droits de GROUPAMA TRANSPORT

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentant : Me Véronique BUQUET-ROUSSEL de la SCP BUQUET-ROUSSEL-DE CARFORT, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 462 - N° du dossier 26319

Représentant : Représentant : Me Olivier DECOUR de l'AARPI GODIN ASSOCIES, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : R259

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 01 Octobre 2020 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Mme Véronique MULLER, Conseiller chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Monsieur François THOMAS, Président,,

Mme Véronique MULLER, Conseiller,

Monsieur Bruno NUT, Conseiller,

Greffier, lors des débats : Monsieur Alexandre GAVACHE,

EXPOSE DU LITIGE

La société Togo Food a acheté, sous l'incoterm CAF (Coût, Assurance et Fret), des poissons congelés d'origine espagnole à la société Compagnie du Cap Blanc (la société CCB) qui en a confié le transport par voie maritime à la société Maersk et les a assurés, au nom et pour le compte de la société Togo Food, auprès de la société Groupama Transport, aux droits de laquelle se trouve aujourd'hui la société Helvetia Assurances.

La marchandise, embarquée dans des conteneurs frigorifiques au port de [Localité 4], selon connaissement émis le 1° octobre 2013, est arrivée au Port de [Localité 5] le 14 octobre 2013.

A réception, le 19 octobre 2013, par la société Togo Food, celle-ci ayant constaté que trois conteneurs dégageaient une forte odeur de putréfaction, a fait réaliser une expertise contradictoire confiée au commissaire d'avaries qui a estimé, dans un premier courriel du 21 octobre 2013, que les dommages étaient dus à une rupture de la chaîne du froid.

Une expertise complémentaire portant sur l'ensemble de la cargaison a été réalisée le 30 octobre 2013 et le même commissaire d'avaries a conclu, dans un rapport du 5 décembre 2013, que les dommages subis par la marchandise provenaient de sa décongélation, les avaries étant nécessairement antérieures à la prise en charge par le réceptionnaire. Le préjudice a été évalué à la somme de 370.713,12 euros.

Par actes des 18 et 23 septembre 2014, la société Togo Food a assigné les sociétés CCB et Helvetia devant le tribunal de commerce de Nanterre, aux fins d'indemnisation de son préjudice.

Par jugement du 11 mai 2016, le tribunal de commerce de Nanterre a :

- déclaré recevable l'exception d'incompétence soulevée par la compagnie du cap blanc, mais l'a dite mal fondée et s'est déclaré compétent ;

- Condamné la société Helvetia Assurances à payer à la société de droit togolais Togo Food en principal la somme de 309 162.48 euros outre les intérêts au taux légal à compter du 27 janvier 2014 ;

- Ordonné la capitalisation des intérêts ;

- Débouté la société Togo Food de sa demande en principal à l'encontre de la compagnie du cap blanc ;

- Debouté la société Helvetia assurances de toutes ses demandes ,

- Condamné solidairement la société Helvetia assurances et la compagnie du cap blanc à payer à la société Togo Food la somme de 10.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

- Condamné solidairement la société Helvetia assurances et la compagnie du cap blanc aux dépens ;

- Dit n'y avoir lieu à exécution provisoire, sauf en ce qui concerne la condamnation solidaire prononcée au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

La société Helvetia a interjeté appel de ce jugement.

Par arrêt du 25 janvier 2018, la cour d'appel de Versailles a :

- Confirmé le jugement entrepris en toutes ses dispositions sauf en ce qu'il a condamné la société Helvetia assurances à payer à la société Togo Food la somme de 309.162,48 euros, outre les intérêts au taux légal à compter du 27 janvier 2014 et capitalisation des dits intérêts dans les termes de l'article 1154 du code civil, d'une part, et en ce qu'il a prononcé des condamnations solidaires au titre des frais irrépétibles et des dépens, d'autre part,

- Statuant de nouveau du seul chef de dispositions réformées et y ajoutant :

- Débouté la société Togo Food de sa demande de condamnation formée contre la société Compagnie du Cap blanc

- Condamné la société Togo Food aux entiers dépens de première instance et d'appel conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

- Condamné la société Togo Food à verser à la société Compagnie du cap blanc et à la société Helvetia assurances chacune, une indemnité de 7.000 euros à titre de frais irrépétibles de première instance et d'appel.

- Débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires

Par arrêt du 23 octobre 2019 la chambre commerciale de la Cour de cassation a cassé et annulé, sauf en ce qu'il rejette la demande formée par la société Togo Food contre la société Compagnie du Cap Blanc, l'arrêt rendu le 25 janvier 2018, et a remis en conséquence, sur les autres points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et les a renvoyées devant la cour d'appel de Versailles, autrement composée. La Cour de cassation a en outre mis hors de cause la société Compagnie du Cap Blanc dont la présence devant la cour de renvoi n'est plus nécessaire à la solution du litige.

PRÉTENTIONS DES PARTIES

Par dernières conclusions notifiées le 23 mars 2020, la société Togo Food demande à la cour de :

- Relever qu'aux termes de ses écritures en réplique, la société appelante sollicite une réduction proportionnelle de la garantie et invoque deux déchéances à l'encontre de la société Togo Food, l'une pour ne pas avoir prétendument requis dans les délais contractuels l'intervention du commissaire d'avaries au port de destination, l'autre pour un prétendu défaut de mise en garde du transporteur sur le maintien de la marchandise à une température de -20°C.

- Relever que toutes ces demandes de la société Helvetia constituent des demandes nouvelles, au sens des dispositions de l'article 564 du code de procédure civile, pour avoir été formées pour la première fois en cause d'appel.

- En conséquence, déclarer ces nouvelles prétentions irrecevables car elles diffèrent par leur objet des demandes initiales.

- En tout état de cause,

- Statuer conformément à l'alinéa 3 l'article 954 du code de procédure civile exclusivement sur les prétentions énoncées au dispositif des conclusions de la société Helvetia ;

- Sur les autres demandes :

- Déclarer la société Helvetia Assurances irrecevable et mal fondée en son appel ; et la déclarer irrecevable et mal fondée en toutes ses demandes, fins et conclusions et l'en débouter purement et simplement ;

- Confirmer le jugement du 11 mai 2016 en ce qu'après s'être déclaré compétent, il a dit recevable la société Togo Food en ses demandes formées à l'encontre la société Helvetia assurances, et l'a condamnée à verser à la société Togo Food une indemnité en principal outre les intérêts au taux légal à compter du 27 janvier 2014, outre la capitalisation des intérêts et débouté la société Helvetia assurances de toutes ses demandes ;

- Et l'infirmer pour le surplus ;

Recevoir la société Togo Food en son appel incident et y faisant droit ;

- Condamner la société Helvetia assurances à verser à la société Togo Food, la somme en principal d'un montant de 370.851,07 € outre les intérêts au taux légal à compter du 27 janvier 2014, avec capitalisation ;

Très subsidiairement

- Confirmer le jugement rendu le 11 mai 2016 en toutes ses dispositions ;

En tout état de cause,

- Déclarer que la société Helvetia a fait preuve d'une résistance abusive en s'opposant au versement de l'indemnité d'assurance au-delà de 30 jours après la remise complète des pièces justificatives conformément aux stipulations de la police.

- Condamner la société Helvetia assurances à payer à la société Togo Food la somme de 50.000 € à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive et abus du droit d'ester en justice ;

- Condamner la société Helvetia assurances à payer à la société Togo Food la somme de 30.000 € à titre de dommages et intérêts pour le temps passé par le dirigeant de la société Togo Food à suivre cette procédure de recouvrement d'une indemnité d'assurances depuis janvier 2014 ;

- Condamner la société Helvetia assurances au paiement d'une indemnité de 25.000 € au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, en complément de celle allouée par les premiers Juges ;

- Condamner la société Helvetia assurances aux entiers dépens de première instance et d'appel y compris ceux afférents à la décision cassée qui seront recouvrés en application des articles 639 et 699 du code de procédure civile.

Par dernières conclusions notifiées le 10 juin 2020, la société Helvetia Assurances demande à la cour de :

- Dire et juger la société Togo Food mal fondée en ses demandes de condamnation pour « résistance abusive et l'abus d'ester en justice de la société Helvetia »

- Dire et juger la société Togo Food irrecevable et mal fondée en sa « demande de dommages et intérêts pour l'implication du gérant de la société Togo Food dans le traitement du contentieux »

L'en débouter.

- Infirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Nanterre en toutes ses dispositions.

Et, statuant à nouveau,

- Dire et juger que le rapport de Monsieur [I] [N] ne démontre rien ; que ses conclusions sont des digressions hypothétiques et de complaisance ;

- Dire et juger que ce rapport n'a aucune valeur probante ; L'écarter purement et simplement et au besoin l'annuler. (IV. A)

- Dire et juger la société Togo Food ne rapporte pas la preuve de la survenance des dommages pendant la garantie prévue par le premier alinéa de l'article 10.2. à savoir le voyage maritime stricto sensu du 20 septembre 2013 au 14 octobre 2013 ; (IV. B. 1.)

- Dire et juger, en toute hypothèse, qu'à supposer que la garantie prévue par le premier alinéa de l'article 10.2. puisse être retenue :

* la société Togo Food est déchue de cette garantie pour tardiveté des constatations (IV. B. 2)

* l'indemnité doit être réduite à 0,00 € pour perte du recours contre la compagnie maritime Maersk ; (IV. B. 3.)

- Dire et juger la société Togo Food ne rapporte pas la preuve de la survenance des dommages pendant la garantie prévue par le second alinéa de l'article 10.2. à savoir « le branchement des conteneurs sur le terminal » ; (IV. C. 1.)

- Dire et juger, en toute hypothèse, qu'à supposer que la garantie prévue par le second alinéa de l'article 10.2. puisse être retenue :

* la société Togo Food est déchue de cette garantie pour tardiveté des constatations (IV. C. 2)

* la société Togo Food est déchue de cette garantie pour manquement à ses obligations prévues par l'article 10.2. §5 (IV. C. 3)

* l'indemnité doit être réduite à 0,00 € pour perte des recours contre son transitaire NERE-TRANSIT, le port, les transporteurs (routiers) ; (IV. C. 4.)

Dire et juger, en toute hypothèse, que :

* les « constatations » sur les 19 600 cartons ne sont pas crédibles ;

* la garantie ne couvrait pas l'entreposage dans les locaux de la société Togo Food

* la société Togo Food est déchue de toute garantie pour tardiveté des constatations du 30 octobre 2013 ;

* débouter de plus fort la société Togo Food de sa réclamation tenant aux 3675 cartons dépréciés à 80% soit une réclamation de 71 148 € et, a fortiori, sur les 19 600 cartons dépréciés à 50% soit 237 160 € ; (IV. D.)

- Dire et juger la société Togo Food mal fondée en ses demandes dirigées contre la compagnie Helvetia Assurances.

L'en débouter.

- Condamner la société Togo Food à payer à la compagnie Helvetia Assurances la somme de 3 000 € à titre de dommages et intérêts.

- Condamner la société Togo Food à payer à la compagnie Helvetia Assurances la somme de 30 000 € au titre des frais irrépétibles exposés en première instance et en appel, tant dans le cadre de la procédure ayant donné lieu à l'arrêt cassé que dans le cadre de la présente procédure, et ce sur le fondement de l'article 700 du code de procédure.

- Condamner la société Togo Food aux entiers dépens de première instance et d'appel, y compris ceux afférents à l'arrêt cassé conformément aux dispositions de l'article 639 du code de procédure civile.

Subsidiairement:

- Dire et juger la société Togo Food mal fondée en son appel incident.

- Confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la société Togo Food de sa demande dirigée contre la compagnie Helvetia en paiement d'une somme complémentaire de 61.688,59 € et de toutes autres demandes plus amples ou contraires au titre de son appel incident.

- Condamner la société Togo Food à payer à la compagnie Helvetia Assurances la somme de 30 000 € au titre des frais irrépétibles exposés en première instance et en appel, tant dans le cadre de la procédure ayant donné lieu à l'arrêt cassé que dans le cadre de la présente procédure, et ce sur le fondement de l'article 700 du code de procédure.

- Condamner la société Togo Food aux entiers dépens de première instance et d'appel, y compris ceux afférents à l'arrêt cassé conformément aux dispositions de l'article 639 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 09 juillet 2020.

Pour un exposé complet des faits et de la procédure, la cour renvoie expressément au jugement déféré et aux écritures des parties ainsi que cela est prescrit à l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DÉCISION

La cour observe en premier lieu que la société Togo Food soulève, dans le dispositif de ses conclusions l'irrecevabilité de l'appel formé par la société Helvetia Assurances, sans toutefois invoquer dans le corps de ses conclusions un quelconque moyen au soutien de cette irrecevabilité, de sorte que cette fin de non-recevoir sera rejetée.

La cour observe également que le premier juge a rejeté l'exception d'incompétence qui avait été soulevée par la société CCB. La société Togo Food sollicite la confirmation du jugement sur ce point. La société Helvetia Assurances conclut de manière générale à l'infirmation du jugement 'en toutes ses dispositions', sans toutefois énoncer dans le corps de ses conclusions aucun moyen quant à l'exception d'incompétence qui avait été soulevée initialement par la société CCB, de sorte que le jugement sera confirmé en ce que le tribunal de Nanterre s'est déclaré compétent.

1 - Sur la portée de la cassation, et les pouvoirs de la cour de renvoi

Il résulte de l'article 638 du code de procédure civile que l'affaire est à nouveau jugée en fait et en droit par la juridiction de renvoi à l'exclusion des chefs non atteints par la cassation.

Dans son arrêt du 23 octobre 2019, la Cour de cassation reproche à la cour d'appel d'avoir inversé la charge de la preuve, en retenant que la société Togo Food ne rapportait pas la preuve de la variation de température pendant la durée de la garantie, alors qu'il appartenait au contraire : 'à la société Helvetia Assurances, dont le principe de la garantie était acquis dès lors que la marchandise avait été réceptionnée avariée à la suite de la rupture de la chaîne du froid au plus tard le cinquième jour suivant l'arrivée du navire au port de [Localité 5], d'établir une éventuelle cause d'exclusion de sa garantie.'

En l'espèce, la société Helvetia soutient que la Cour de cassation a : ' commis un contre-sens sur le sens de la décision de la cour d'appel', ainsi que sur la garantie qu'elle offre. Elle fait valoir que : 'affirmer, comme l'a fait la Cour de cassation que le principe de la garantie était acquis est une dénaturation tant des faits que des clauses et conditions, pourtant claires, de la police d'assurances.'

La société Helvetia fait valoir qu'aux termes de la police, sa garantie s'achève au déchargement des marchandises (qui doit intervenir au plus tard dans les 5 jours de l'arrivée du navire), avec toutefois une possibilité d'extension dans la limite de quatorze jours de branchement des conteneurs sur le terminal portuaire après déchargement. Elle ajoute que le délai des constatations est de 48 heures de la fin de garantie. La société Helvetia Assurances soutient que la société Togo Food n'apporte pas la preuve qui lui incombe de ce que les conditions de la garantie sont réunies sur le fondement de l'article 10.2, §2 des conditions particulières, qu'il s'agisse de l'alinéa 1 (garantie durant le voyage maritime stricto sensu) ou de l'alinéa 2 (extension de garantie lors du branchement des conteneurs sur le terminal portuaire).

La société Togo Food soutient pour sa part que la durée de garantie s'étend au-delà de la phase transport maritime, durant 5 jours à compter du déchargement au port, puis durant 14 jours du moment que les conteneurs sont rebranchés. Elle rappelle que le constat d'avaries a été réalisé dès le 19 octobre 2013, date à laquelle elle a adressé des réserves écrites et fait réaliser une expertise.

2 - Sur le principe de la garantie de la société Helvetia Assurances

Il appartient à celui qui réclame le bénéfice de l'assurance d'établir que sont réunies les conditions requises par la police pour mettre en jeu cette garantie tandis que la charge de la preuve de l'exclusion de garantie pèse sur l'assureur. Ces principes ne sont que l'application des règles de droit commun selon lesquelles celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver, tandis que celui qui se prétend libéré doit justifier du paiement ou du fait extinctif de son obligation. La cour observe en premier lieu que les parties s'accordent à dire que le sinistre résulte d'une variation de température, du fait d'une rupture de la chaîne du froid, ce risque étant garanti par la police d'assurance en son article 10.1.

Les parties s'opposent uniquement sur la durée de la garantie.

Il résulte de l'article 10.2 paragraphe 2 des conditions particulières de la police, intitulé 'durée de la garantie' tel qu'il résulte de l'avenant du 16 avril 2013 que :

'- la garantie commence au moment de la mise à bord du navire et finit au déchargement, dans la limite de cinq jours à l'arrivée du navire ou de sa présentation devant le port de déchargement,

- cette garantie est étendue dans la limite de QUATORZE jours de branchement des conteneurs sur le terminal portuaire après déchargement,

- par dérogation aux dispositions de l'article 17 des conditions générales, le délai pour les contestations est fixé à 48 heures de la fin de la garantie.'

* Le premier alinéa de l'article 10.2 précité définit le principe de la garantie.

Contrairement à ce que soutient la société Togo Food, il n'est pas possible de considérer que la garantie est due jusqu'à 5 jours après le déchargement.

En effet, l'article précité définit le point de départ et le point d'arrivée de la garantie de la manière suivante : 'la garantie commence....et finit au déchargement'. La seconde partie de la phrase : 'dans la limite....' vient uniquement préciser la limite du déchargement dans le temps, en ce que la garantie ne pourra pas s'appliquer si le déchargement intervient plus de 5 jours après l'arrivée du navire, ou sa présentation devant le port de déchargement.

Pour contester l'application de sa garantie, la société Helvetia Assurances soutient en premier lieu que le rapport d'expertise - selon lequel les avaries sont survenues 'avant prise en charge des conteneurs par le réceptionnaire' - est dépourvu de valeur probante, faisant notamment valoir que cette prise en charge n'est pas la référence pertinente pour déterminer la fin de la garantie fixée soit au déchargement, soit au débranchement des conteneurs sur le terminal. Elle fait ensuite valoir que le déchargement était achevé le 15 octobre 2013, le transporteur Maersk bénéficiant alors, sur le fondement de la convention de Bruxelles de 1924 (amendée en 1968 et 1979) d'une présomption de livraison conforme, à défaut de réserves émises au plus tard 3 jours après la livraison. Elle fait ainsi valoir qu'à défaut de réserves émises le 18 octobre 2013 au plus tard, la preuve de la survenance des avaries pendant sa garantie n'est pas rapportée, de sorte que les conditions de sa garantie ne sont pas réunies. Elle invoque enfin une déchéance de garantie du fait que la société Togo Food n'a pas émis de contestations dans les 48 heures de la fin de garantie, à savoir dans les 48 heures du déchargement achevé le 15 octobre 2013.

La société Togo Food rappelle pour sa part qu'elle a adressé des réserves écrites dès le 19 octobre 2013, et soutient que la valeur probante du rapport d'expertise n'est pas contestable, en ce que le commissaire d'avaries est l'expert désigné au certificat d'assurances. Elle affirme que la rupture de la chaîne du froid est bien intervenue au cours de la période de garantie.

****

Les éléments du dossier, et notamment les factures émises par le port autonome de [Localité 5], font apparaître - ainsi que l'admet expressément la société Togo Food en page 16 de ses conclusions - que le déchargement est intervenu les 14 et 15 octobre, les conteneurs ayant ensuite séjourné durant 4/5 jours sur le terminal portuaire avant d'être livrés dans l'entrepôt frigorifique de la société Togo Food, réceptionnaire, le 19 octobre 2013.

Il apparaît ainsi que le déchargement du navire était achevé le 15 octobre, et que la prise en charge des conteneurs par le réceptionnaire est intervenue le 19 octobre.

La garantie de l'assureur s'achevant au déchargement le 15 octobre 2013 (sauf extension éventuelle qui sera examinée plus avant), il appartient à la société Togo Food de rapporter la preuve que l'avarie s'est produite au plus tard le 15 octobre 2013.

L'expert conclut son rapport en ces termes : 'l'altération en qualité affectant ces poissons est survenue du fait d'une rupture de la chaîne du froid, avant, pendant ou après le voyage maritime, donc dans des circonstances précises que nous n'avons pas pu déterminer à ce stade. Toutefois ces avaries sont survenues avant prise en charge des conteneurs par le réceptionnaire.'

Le rapport d'expertise permet ainsi d'établir la survenance de l'avarie à une date antérieure à la réception du 19 octobre 2013, ce qui ne permet pas toutefois de démontrer que l'avarie est survenue durant la période de garantie qui s'est achevée le 15 octobre 2013.

La société Togo Food ne rapporte donc pas la preuve qui lui incombe que les conditions de mise en jeu de la garantie sont réunies sur le fondement du premier alinéa de l'article 10.2 précité.

* Le second alinéa de l'article 10.2 précité prévoit une extension de la garantie dans la limite de 14 jours de branchement des conteneurs sur le terminal portuaire après déchargement.

La société Helvetia Assurances soutient que la société Togo Food ne rapporte pas la preuve des conditions de mise en jeu de sa garantie dès lors qu'il n'est pas démontré que les conteneurs sont bien restés branchés entre leur déchargement le 15 octobre et leur livraison le 19 octobre à la société Togo Food. Elle fait notamment valoir que les bons de livraison sont datés du 18 octobre 2013.

La société Togo Food soutient au contraire que les factures du Port autonome de [Localité 5] établissent avec certitude que le branchement des conteneurs a bien été réalisé du 14 au 19 octobre 2013, jour du transfert et de la livraison des conteneurs dans ses entrepôts frigorifiques.

Le fait que le bordereau de livraison contienne la mention manuscrite :' livré au vu du BL T1 Terminal n°(...) du 18 octobre 2013" n'est pas suffisant pour attester d'une livraison à cette date, alors que le même bordereau porte la mention dactylographiée 'livré le 19/10/2013".

De plus, la société Togo Food produit aux débats la facture du Port autonome de [Localité 5] du 17 octobre 2013 portant le numéro 201330021973 intitulée 'branchement et débranchement de 19 TC 40' frigorifiques' qui précise que la prestation porte sur la période '15/10/2013 au 19/10/2013", et se décompose en : 'location matériels, branchement et gardinage (sic), forfait de consommation'. Ce document suffit à établir que les 19 conteneurs TC 40' ont bien fait l'objet d'un branchement sur la période du 15 au 19 octobre, soit durant 4 jours entre le déchargement du navire et la livraison à la société Togo Food qui est manifestement intervenue le 19 octobre.

Ces éléments suffisent ainsi à justifier du branchement entre le déchargement et la livraison, de sorte que la société Togo Food apporte bien la preuve qui lui incombe que les conditions de mise en oeuvre de la garantie sont remplies, au regard de l'extension de cette garantie.

3 - sur les déchéances de garantie invoquées par la société Helvetia Assurances

Pour s'opposer à l'application de sa garantie, la société Helvetia Assurances invoque une déchéance du fait que la société Togo Food a tardé à requérir l'intervention du commissaire d'avarie. Force est toutefois de constater que cette intervention a bien été requise par courriel du 19 octobre, soit le jour même du constat de l'avarie, de sorte que la condition - tenant au fait que le délai de contestation doit être inférieur aux '48 heures de la fin de la garantie' fixé à l'article 10.2 précité - est remplie.

La société Helvetia Assurances invoque une autre déchéance du fait que, contrairement à l'article 10.2 § 5, la société Togo Food ne justifie pas avoir respecté ses obligations, notamment en avisant ' tous intermédiaires et transporteurs des obligations de température (minima et maxima) auxquelles sont soumises les facultés (marchandises), et à en apporter la preuve sur demande des assureurs.'

La société Togo Food soulève en premier lieu l'irrecevabilité de la 'prétention' constituée de la déchéance de garantie, sur le fondement des articles 564 et 954 du code de procédure civile, au motif qu'elle est formée pour la première fois en cause d'appel, ajoutant que la cour ne peut statuer sur cette prétention qui n'est pas énoncée au dispositif des conclusions. Elle indique enfin que l'information donnée au transporteur maritime quant au respect des températures est suffisamment établie par la lecture du connaissement.

*****

Il résulte de l'article 564 du code de procédure civile qu'à peine d'irrecevabilité relevée d'office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d'un fait.

Il résulte en outre de l'article 954 du même code que la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n'examine les moyens au soutien de ces prétentions que s'ils sont invoqués dans la discussion.

Contrairement à ce que soutient la société Togo Food, la déchéance alléguée par la société Helvetia Assurances ne constitue pas une prétention, mais un moyen qu'elle invoque pour faire échec aux prétentions adverses, de sorte que l'irrecevabilité soulevée n'est pas fondée. La cour constate au surplus que le moyen soulevé, qui n'avait pas à être énoncé au dispositif dès lors qu'il ne s'agit que d'un moyen, figure néanmoins au dispositif, en ce que la société Helvetia Assurances demande à la cour de 'juger que la société Togo Food est déchue de cette garantie pour manquement à ses obligations prévues par l'article 10.2§5".

Il ressort des dispositions précitées (article 10.2 paragraphe 1) que les dommages et pertes subis par les facultés (marchandises) congelées ou surgelées voyageant sous température dirigée sont garantis lorsqu'ils sont la conséquence de variation de température.

L'article 10.2 §5 est ainsi rédigé :

' l'assuré s'engage en outre à donner ou faire donner toutes instructions et mettre en oeuvre tous moyens afin :

- d'aviser tous intermédiaires et transporteurs des obligations de température (minima et maxima) auxquelles sont soumises les facultés,

- et plus généralement de choisir tous moyens aptes à maintenir la chaîne du froid- ou de température adéquate - au long du voyage assuré

et à en apporter la preuve sur demande des assureurs (soulignement ajouté par la cour)

Il est enfin précisé, in fine, en caractère gras et majuscules : 'l'inobservation de ces engagements entraînera la déchéance du droit à l'indemnité.'

Il ressort de ces éléments que la société Togo Food a ainsi pris l'engagement d'aviser tous les intermédiaires et transporteurs des obligations de température, et à en apporter la preuve sur demande des assureurs, faute de quoi elle encourt la déchéance de son droit à indemnité.

Si la société Togo Food apporte bien la preuve - par la production du connaissement - de l'avis qu'elle a donné au transporteur maritime Maersk (en ce qu'il est mentionné que la marchandise doit voyager à -20° Celsius), elle ne produit toutefois aucun élément - ainsi que le fait observer la société Helvetia Assurances - permettant de justifier de l'avis qu'elle aurait donné aux autres intermédiaires, et notamment au Port de [Localité 5], à la société Nere Transit qui a assuré l'entreposage sur le port, ainsi qu'aux transporteurs routiers qui ont livré les conteneurs.

Contrairement à ce que soutient la société Togo Food, la clause visée à l'article 10.2 §5 est bien mentionnée en caractères très apparents, la sanction de la déchéance étant en outre mentionnée en caractères majuscules et gras, de sorte que cette clause est conforme à l'article L. 112-4 du code des assurances au terme duquel : 'Les clauses des polices édictant des nullités, des déchéances ou des exclusions ne sont valables que si elles sont mentionnées en caractères très apparents'.

Faute pour la société Togo Food d'apporter la preuve qu'elle a avisé tous intermédiaires et transporteurs des obligations de température auxquelles sont soumises les marchandises, elle encourt la déchéance de son droit à indemnité. Le jugement sera donc infirmé en ce qu'il a condamné la société Helvetia Assurances à régler à la société Togo Food la somme de 309.162,48 euros au titre de l'indemnité d'assurance, outre les intérêts et la capitalisation des intérêts.

4 - sur les demandes accessoires

Compte tenu du rejet de la demande principale, les demandes accessoires formées par la société Togo Food en paiement de dommages et intérêts pour résistance abusive et pour suivi de la procédure de recouvrement de l'indemnité d'assurance seront rejetées.

La société Helvetia Assurances sollicite pour sa part remboursement de la somme de 3.000 euros qu'elle a réglée au titre de l'indemnité de procédure mise à sa charge par la Cour de cassation. La cour de renvoi n'a cependant pas le pouvoir de revenir sur la condamnation prononcée par la Cour de cassation au titre des frais irrépétibles, de sorte que cette demande sera rejetée.

5 - Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile 

Il résulte de l'article 639 du code de procédure civile que la juridiction de renvoi statue sur la charge de tous les dépens exposés devant les juridictions du fond y compris sur ceux afférents à la décision cassée.

Le jugement du 11 mai 2016 sera infirmé en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et aux dépens.

La société Togo Food qui succombe, sera condamnée aux dépens de première instance, et des deux instances d'appel.

Il est équitable d'allouer à la société Helvetia Assurances une indemnité de procédure de 10.000 euros.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire,

Vu l'arrêt de la Cour de cassation du 23 octobre 2019 cassant l'arrêt de la présente cour d'appel du 25 janvier 2018, sauf en ce qu'il rejette la demande formée contre la société Compagnie du Cap Blanc,

Confirme le jugement du tribunal de commerce de Nanterre du 11 mai 2016 en ce qu'il a retenu la compétence de cette juridiction,

Infirme ce jugement pour le surplus,

Et statuant à nouveau,

Déboute la société Togo Food, déchue de son droit à indemnité, de ses demandes à l'encontre de la société Helvetia Assurances,

Rejette toutes autres demandes,

Condamne la société Togo Food à payer à la société Helvetia Assurances la somme de 10.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne la société Togo Food aux dépens de première instance et des deux instances d'appel.

prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

signé par Monsieur François THOMAS, Président, et par Monsieur GAVACHE, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le GREFFIER, Le PRESIDENT,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 12e chambre
Numéro d'arrêt : 19/08103
Date de la décision : 12/11/2020

Références :

Cour d'appel de Versailles 12, arrêt n°19/08103 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2020-11-12;19.08103 ?
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