COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 82E
6e chambre
ARRET N°383
CONTRADICTOIRE
DU 12 NOVEMBRE 2020
N° RG 18/02251
N° Portalis DBV3-V-B7C-SL6K
AFFAIRE :
SA STORENGY
C/
COMITE SOCIAL ET ECONOMIQUE DE LA SOCIETE STORENGY
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 10 Avril 2018 par le Tribunal de Grande Instance de NANTERRE
N° Section :
N° RG : 17/09651
Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :
Me Oriane DONTOT
Me Stéphanie TERIITEHAU
le : 13 novembre 2020
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE DOUZE NOVEMBRE DEUX MILLE VINGT,
La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
SA STORENGY
N° SIRET : 487 650 632
[Adresse 1]
[Adresse 1]
Représentée par: Me Harold HERMAN, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : T03 substitué par Me NAVARRO Guillaume, avocat au barreau de PARIS ; et Me Oriane DONTOT de la SELARL JRF AVOCATS & ASSOCIES, constituée, avocate au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 617
APPELANTE
****************
COMITE SOCIAL ET ECONOMIQUE DE LA SOCIETE STORENGY
[Adresse 1]
[Adresse 1]
Représenté par : Me Vincent MALLEVAYS de la SCP Alain LEVY et Associés, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P0126 ; et Me Stéphanie TERIITEHAU de la SELEURL MINAULT TERIITEHAU, Constituée, avocate au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 732
INTIMÉE
****************
Composition de la cour :
L'affaire a été débattue à l'audience publique du 29 Septembre 2020, Madame Isabelle VENDRYES, président ayant été entendu en son rapport, devant la cour composée de :
Madame Isabelle VENDRYES, Président,
Madame Valérie DE LARMINAT, Conseiller,
Madame Nathalie GAUTRON-AUDIC, Conseiller,
qui en ont délibéré,
Greffier lors des débats : Madame Elodie BOUCHET-BERT
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
La société Storengy France, filiale de la société Engie, exploite et développe des sites de stockage souterrains de gaz, commercialise des capacités de stockage de gaz et développe des activités nouvelles dans le domaine du stockage d'énergie et de la géothermie.
Après avoir déclenché un droit d'alerte dans le cadre d'un projet de transformation lié à la régulation du stockage souterrain de gaz naturel en France lors d'une réunion du 17 juin 2016, le comité d'entreprise de cette société (CE) a déclenché ce même droit le 27 avril 2017 dans le cadre d'un projet de réorganisation de l'entreprise.
Ainsi, lors d'une réunion du 27 avril 2017, les élus ont voté la résolution suivante :
'Compte tenu de l'ampleur de la réorganisation envisagée et de l'impact sur l'avenir de nombreux salariés de Storengy, les élus du CE constatent que les éléments figurant dans ce dossier de présentation présentent une situation de nature à affecter de manière préoccupante la situation économique et sociale de l'entreprise, correspondant au déclenchement d'un droit d'alerte économique conformément aux dispositions de l'article L. 2323-50 du code du travail. En conséquence, les élus demandent à la direction d'apporter avant la prochaine réunion des réponses circonstanciées aux différentes questions figurant en annexe de la présente résolution.'
Puis lors d'une réunion postérieure du 31 août 2017, les élus du comité d'entreprise ont décidé de poursuivre la procédure d'alerte économique dans les termes de la résolution suivante :
'Les membres du CE considèrent que les réponses et les éléments d'informations complémentaires apportés par la direction dans le cadre de la procédure du droit d'alerte initiée lors de la séance du 27 avril 2017 ne permettent pas de lever leurs inquiétudes quant aux conséquences de la réorganisation projetée.
Le fait que les réponses de la direction ne soient pas convaincantes en termes économiques et organisationnels nous laisse même à penser que ce projet est en réalité le prélude à une scission juridique de l'entreprise.
En d'autres termes, le présent projet constitue à l'évidence la première étape de la séparation juridique qui avait été présentée en 2016 puis suspendue compte tenu des vicissitudes qu'a connues la mise en place de la régulation des stockages. Il ravive de ce fait nos inquiétudes quant à l'avenir des salariés de la future direction EISE, d'une part, et aux difficultés juridiques que soulèverait inévitablement ce montage dans le futur cadre de la régulation, d'autre part.
Les explications et les réponses de la direction fournies lors de la précédente séance du 18 mai 2017 sont insuffisantes, parcellaires et viennent malheureusement confirmer le constat du caractère préoccupant de la situation.
De plus, la direction n'a pas véritablement répondu aux interrogations suivantes, dans le cadre d'un projet qui vise la suppression de 127 postes :
*L'impact prévu de la réorganisation annoncée sur l'économie de l'entreprise peut-il se limiter aux baisses de frais de personnel générées par les suppressions de postes à court terme et à long terme, particulièrement dans un cadre régulé '
*La part de l'externe dans le chiffre d'affaires prévisionnel Centre d'expertise du GIP justifie-t-elle un tel changement d'organisation '
*Les modalités de fonctionnement de l'entreprise post-réorganisation dans un contexte d'effectifs réduits sont-elles réalistes '
*Quel est le devenir des salariés impactés par les suppressions de postes et les moyens d'accompagnement mis à leur disposition '
*Quel serait l'impact de la réorganisation sur l'activité de sites du fait de la suppression des interfaces '
De ce fait, les élus décident de poursuivre la procédure de droit d'alerte économique conformément à l'article L. 2323-50 du code du travail et de se faire assister à cet effet par le cabinet d'expertise comptable 3E Consultants (...)'
Après avoir été autorisée à assigner le comité d'entreprise à jour fixe, la société Storengy France a demandé au tribunal de grande instance de Nanterre de dire que la poursuite de la procédure d'alerte économique est infondée et abusive et d'annuler en conséquence la résolution votée le 31 août 2017.
Par jugement du 10 avril 2018, le tribunal de grande instance de Nanterre a :
- débouté la SA Storengy France de ses demandes,
- l'a condamnée à payer au comité d'entreprise la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
- l'a condamnée aux dépens.
La SA Storengy France a interjeté appel de ce jugement le 9 mai 2018.
Par conclusions adressées par voie électronique au greffe le 3 mars 2020, la SA Storengy France demande à la cour de :
- infirmer en toutes ses dispositions le jugement entrepris,
- dire et juger que la poursuite, par le comité d'entreprise de la société Storengy France, du droit d'alerte économique en application des dispositions de l'article L. 2323-50 du code du travail était infondée et abusive,
- d'annuler en conséquence, la résolution votée, le 31 août 2017, par le comité d'entreprise de la société Storengy France décidant la poursuite du droit d'alerte économique et la désignation du cabinet 3E consultants en qualité d'expert-comptable,
- dire et juger que si le cabinet 3E consultants a commencé ses travaux, les honoraires correspondants resteront à la charge du comité social et économique de la société Storengy France,
- condamner le comité social et économique de la société Storengy France, venant aux droits du comité d'entreprise de la société Storengy France, à lui verser la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens qui pourront être recouvrés dans les conditions de l'article 699 du même code par Maître Dontot, AARPI JRF avocats.
Par conclusions adressées par voie électronique au greffe le 21 février 2020, le comité social et économique de la société Storengy, venant aux droits du comité d'entreprise de la société Storengy, demande à la cour de :
- donner acte au comité social et économique de la société Storengy, venant aux droits du comité d'entreprise de la société Storengy, de la reprise et poursuite de l'instance,
- confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
- condamner la société Storengy à devoir lui verser la somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la société Storengy aux entiers dépens de première instance et d'appel comprenant les frais de signification de la décision à intervenir, dont distraction au profit de la SELARL Patricia Minault, agissant par Maître Patricia Minault, avocate, et ce conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Par ordonnance rendue le 4 mars 2020, le magistrat chargé de la mise en état a ordonné la clôture de l'instruction et a fixé la date des plaidoiries au 17 mars 2020.
L'affaire a été appelée en dernier lieu à l'audience du 29 septembre 2020.
En application de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions des parties pour un plus ample exposé de leurs prétentions et moyens.
MOTIFS
Il est produit aux débats la résolution du 20 février 2020 du comité social et économique de la société Storengy SA donnant mandat à Maître [X] [S] de le représenter en justice, ce comité venant aux droits du comité d'entreprise dans les termes de l'article 9-VI de l'ordonnance n° 2017-1386 du 22 septembre 2017 aux termes duquel l'ensemble des biens, droits et obligations, créances et dettes des comités d'entreprise (...) existant à la date de publication de l'ordonnance est transféré de plein droit et en pleine propriété aux comités sociaux et économiques prévus au titre Ier du livre III de la deuxième partie du code du travail mis en place au terme du mandat en cours des instances précitées et au plus tard au 31 décembre 2019.
Il est ainsi acté que le comité social et économique de la société Storengy vient aux droits de l'ancien comité d'entreprise de cette société.
En vertu de l'article L. 2323-50 du code du travail, dans sa version applicable au litige, lorsque le comité d'entreprise a connaissance de faits de nature à affecter de manière préoccupante la situation économique de l'entreprise, il peut demander à l'employeur de lui fournir des explications.
Cette demande est inscrite de droit à l'ordre du jour de la prochaine séance du comité d'entreprise.
Si le comité d'entreprise n'a pu obtenir de réponse suffisante de l'employeur ou si celle-ci confirme le caractère préoccupant de la situation, il établit un rapport. Dans les entreprises employant au moins mille salariés, ce rapport est établi par la commission économique prévue par l'article L. 2325-23.
Ce rapport, au titre du droit d'alerte économique, est transmis à l'employeur et au commissaire aux comptes.
Il est rappelé ici que le droit d'alerte économique ne se limite pas au cas où la survie de l'entreprise est en cause, qu'il peut notamment être mis en oeuvre lorsque le comité d'entreprise invoque des faits d'ordre économique et non seulement comptables qui lui apparaissent de nature à affecter de manière préoccupante la situation de l'entreprise.
En l'espèce, il ressort de la résolution votée le 31 août 2017 que les membres du comité d'entreprise se sont estimés incomplètement informés sur certains points relatifs à la réorganisation de la société et son contexte et ont maintenu leurs inquiétudes concernant le caractère préoccupant de la situation.
Afin de trancher la question du caractère légitime ou non du maintien du droit d'alerte, chacun des points soulevés par le comité d'entreprise sera examiné, ce qui permettra d'en déduire si, dans les termes soulevés par l'employeur, le maintien du processus d'alerte le 31 août 2017 présentait un caractère abusif au regard des réponses qui lui avaient été apportées et de la situation de l'entreprise, la cour rappelant que le fait pour le comité d'entreprise de voter une telle résolution, y compris en présence d'une procédure d'information-consultation en cours, ne peut être en soi abusif.
L'examen s'effectuera sur la base des informations données au comité d'entreprise dans le cadre des réunions des 16 mars, 27 avril, 18 mai ainsi qu'en vue de la réunion du 31 août 2017, étant observé qu'à compter du 18 mai 2017, la direction a mis en place des groupes de travail collaboratifs autour de thématiques transverses, dont l'état des travaux menés entre le 14 juin et le 13 juillet 2017 a été transmis au comité d'entreprise avant la réunion du 31 août 2017.
Sur le projet de réorganisation Storengy 2000 et son lien avec la séparation juridique présentée en 2016
Il est justifié par les pièces produites aux débats qu'antérieurement à la résolution du 31 août 2017, la société avait fait l'objet de deux projets de réorganisation dont le premier, lié à la régulation, avait donné lieu à consultations selon un calendrier fixé jusqu'en décembre 2016 et dont le second, lié à la réorganisation de la société dans le cadre du projet Storengy 2020, avait fait l'objet d'informations-consultations du comité d'entreprise lors de réunions préalables à celle du 31 août.
Le premier projet avait trait à la transformation de la société Storengy dans le cadre de la régulation du stockage souterrain de gaz naturel en France projetée par les pouvoirs publics (et soutenue par l'appelante) sur la base d'une délibération de la Commission de régulation de l'énergie (CRE) du 10 mars 2016, laquelle devait aboutir à un texte des pouvoirs publics relatif, notamment, à la régulation du revenu des opérateurs de stockage passant par la définition d'un volume minimal de gaz devant être stocké sur le territoire au 1er novembre de chaque année.
Dans les termes d'un rapport de l'Inspection générale des finances, du Conseil général de l'économie et du Conseil général de l'environnement et du développement durable d'avril 2017, ce projet répondait à la volonté d'enrayer l'instabilité du secteur des stockages souterrains de gaz depuis 2010 tandis qu'un projet d'ordonnance était préparé par les pouvoirs publics prévoyant, en application d'une directive européenne du 13 juillet 2009, la séparation juridique et comptable, par les opérateurs du secteur du stockage de gaz naturel, de leurs activités régulées des autres activités.
Dans le cadre de ces orientations dépendant des pouvoirs publics, il résulte des pièces produites que la société Storengy a soumis, courant 2016, aux membres du comité d'entreprise un projet de transformation en deux étapes de la société, l'une à effet du 1er octobre 2016 visant le regroupement organisationnel des activités opérationnelles régulées d'une part et non régulées d'autre part, l'autre, à effet du 1er janvier 2017, visant le transfert à une nouvelle société, des activités opérationnelles non exclusivement liées à l'activité régulée et des fonctions supports associées.
Ce projet a donné lieu au vote par les élus du comité d'entreprise, dans sa séance du 17 juin 2016, d'une résolution fondée sur l'article L. 2323-78 du code du travail, des questions restant posées portant sur le projet de transfert du GIP et du centre d'expertise à la nouvelle société axée sur les activités non régulées, outre sur les conséquences induites par la division des activités et les perspectives du marché du gaz sur la société et ses salariés.
Sachant que les pouvoirs publics ont reporté la date de la régulation de l'activité de stockage de gaz et la sortie des textes y afférents, la procédure d'information et de consultation du comité d'entreprise ayant donné lieu à la procédure d'alerte du 17 juin 2016 a été stoppée au 31 décembre 2016 ce, compte tenu des délais de consultation du comité d'entreprise retenus dans un accord en date du 23 septembre 2016 visant que 'si le 31 décembre 2016, le processus d'information et de consultation du CE relatif au projet de transformation de la société liée à la régulation n'a pas repris, il sera considéré comme étant définitivement arrêté '.
S'agissant de la seconde consultation ayant abouti à la résolution votée le 31 août 2017, il ressort des pièces produites que, lors de la séance du comité d'entreprise du 16 décembre 2016, la direction a acté que l'accord du 23 septembre 2016 cessait de produire effet au 31 décembre 2016 tandis que le projet de scission ne serait repris qu'en fonction d'une mise en place de la régulation espérée en 2018.
Elle informe néanmoins le comité d'entreprise de ce que l'évolution de l'organisation interne continue à faire l'objet d'une réflexion dans le cadre du projet Storengy 2020 se déroulant sur quatre ans (2016 à 2020), d'ores et déjà abordé lors d'une séance du 15 novembre 2016, avec un accent mis sur les nouveaux métiers, une simplification de l'organisation de l'opérateur industriel et le rassemblement de l'expertise dans une seule direction. Il est visé qu'il s'agit, pour la société, 'd'apporter des solutions performantes et innovantes au service des clients, d'être un auteur engagé de la transition énergétique, d'être plus ouverts et collaboratifs', un projet de réorganisation devant être communiqué au comité d'entreprise dès qu'elle aura achevé ses réflexions.
A cet égard, il résulte du projet de réorganisation de la société présenté pour avis au comité d'entreprise le 16 mars 2017 et, de façon plus détaillée, le 27 avril 2017, que celui-ci impacte plusieurs entités de la société, soit l'opérateur industriel (pôles et directions métiers, département projet/centre d'expertise et Groupe d'Interventions sur Puits (GIP), le secrétariat général en ce qui concerne les achats, la communication et la logistique, et l'Asset Management en ce qui concerne la stratégie.
S'agissant de l'opérateur industriel, l'entité direction opérationnelle est supprimée, les départements sous-sol et surface du centre d'expertise (hors Pôle sécurité intégrité des équipements (PSIE) dont les missions resteraient à l'opérateur industriel) et le GIP constituent l'expertise industrielle des solutions pour l'énergie (EISE).
Par ailleurs, des directions sont créées, soit une direction qualité hygiène sécurité environnement regroupant les Pôles SIE/SIPE/SST du centre d'expertise, une direction projets et transitions énergétiques, deux directions métiers (exploitation et maintenance), deux directions opérationnelles (salins et aquifères), l'organisation des sites restant inchangée.
S'agissant plus précisément du centre d'expertise (hors HSE et PSIE et du GIP), ces derniers se voient intégrés dans une entité, l'expertise industrielle et solutions pour l'énergie (EISE), rattachée à la direction générale, organisée par domaines de compétences projet de développement, géosciences et solution Mining (GSM), process et installations et GIP).
Le secrétariat général comprend désormais cinq départements (achats, logistique, audit risque contrôle interne éthique, biodiversité responsabilité sociétale d'entreprise et innovation et digital), son département communication étant transféré vers la direction générale.
Le pôle stratégie de la direction Asset Management est transféré vers une nouvelle direction créée à cet effet (business development et stratégie).
Dans le cadre de l'information en vue de consultation donnée au comité d'entreprise du 27 avril 2017, il est précisé que la société Storengy passerait de 970 à 821 emplois.
L'exposé ainsi fait des deux projets permet d'en distinguer les objectifs et les termes.
En effet, le projet de transformation présenté en 2016 et suspendu depuis lors était construit dans la perspective d'une entrée de la société dans une régulation orchestrée par les pouvoirs publics et visait à distinguer en son sein des entités axées sur des activités régulées et des activités non régulées, la division aboutissant, conformément à la réglementation, à la création d'une nouvelle filiale au sein du groupe, axée sur les activités non régulées et les fonctions supports y afférentes.
Le projet d'entreprise Storengy 2000 porte sur des orientations stratégiques de la société afin de trouver de nouveaux gains de performance et d'aboutir à la diminution des coûts de fonctionnement dans le cadre de nouvelles activités tant en France qu'à l'international (géothermie, marché de l'hydrogène), tout en pérennisant le c'ur de métier historique (le stockage souterrain en France). Il n'est plus fait état d'une scission de l'entreprise mais d'une réorganisation interne.
Les éléments en présence ne permettent donc pas de retenir que le projet Storengy 2000 constituait la première étape de la séparation juridique présentée en 2016, la question de l'adéquation de la réorganisation avec une régulation future du marché étant distincte.
Sur le centre d'expertise et le GIP ainsi que la future direction EISE
Le comité d'entreprise pose ici les questions de la nécessité du changement affectant le centre d'expertise et le GIP et de l'avenir des salariés de la future direction EISE.
Il ressort du projet de réorganisation de la société Storengy, communiqué lors de la séance du 27 avril 2017, qu'une nouvelle direction EISE, structurée en quatre départements est créée, incorporant le GIP et le centre d'expertise (hors HSE et PSIE) sans être plus rattachée à l'opérateur industriel.
La raison d'être de cette nouvelle direction est explicitée dans le projet porté à la connaissance du comité d'entreprise le 27 avril 2017 ainsi que dans les réponses apportées par l'employeur aux questions du comité le 18 mai.
Il s'agit de créer de façon coordonnée une direction Expertises industrielles et solutions pour l'énergie (EISE) qui jouera un rôle proactif de conseil en proposant des solutions techniques optimisées et le recours à des technologies innovantes en vue de mettre en 'uvre des actions concrètes définies par l'Asset Management.
L'organisation de la direction est déclinée par domaines de compétences (projet de développement, géosciences et solution Mining, Process et installations, GIP).
La direction doit comprendre 131 emplois et être un acteur incontournable sur le plan de l'expertise au sein du groupe.
Il est mentionné que les acteurs clés en seront des chargés d'affaires classés en quatre familles (experts, seniors, confirmés et juniors), dont certains seront des référents produits en proximité avec des donneurs d'ordres et d'autres des référents compétence.
S'il se déduit des informations données que la structure antérieure, composée par le centre d'expertise et le groupe d'interventions sur puits (GIP) et composée de 146 emplois au 31 décembre 2016, a vocation à perdre 15 emplois, il est cependant visé qu'au titre des dispositions portant sur le plan d'accompagnement social de la nouvelle organisation, un dispositif d'accompagnement doit être mis en place pour les salariés dont l'emploi est directement impacté avec un accompagnement RH dédié, orienté notamment vers une mobilité intra-groupe.
Par ailleurs, dans le cadre des travaux des groupes de travail collaboratifs dont le comité d'entreprise a eu connaissance avant la séance du 31 août 2017, l'accent a été mis sur l'accompagnement de la mise en 'uvre de la nouvelle direction avec la participation de 32 collaborateurs du centre d'expertise et du GIP.
Dans le cadre des réponses apportées aux interrogations du comité d'entreprise du 27 avril 2017, il est par ailleurs précisé par la direction que cette entité n'a pas vocation à être un centre de profit et ne porte pas d'objectifs commerciaux et de développement, toute contractualisation entre entités internes de la société Storengy étant exclue.
Les informations ainsi données permettent de retenir que la direction EISE n'a pas vocation en l'état à avoir une autonomie spécifique sur un plan comptable ou juridique, ni que la part externe de son chiffre d'affaires prévisionnel serait à la base de sa création.
Sur le devenir des salariés impactés par les suppressions de postes, les moyens d'accompagnement mis à leur disposition et les modalités de fonctionnement de l'entreprise dans un contexte d'effectifs réduits
Sur ces points, la cour observe que le projet de réorganisation aboutit à réduire le nombre d'emplois de 907 à 821, que cependant, parmi les 86 emplois concernés, 56 concernent des emplois non pourvus c'est-à-dire non occupés par des salariés. Dès lors 30 emplois sont réellement impactés.
La répartition des emplois supprimés est précisée dans les réponses au comité d'entreprise données par l'employeur antérieurement à la réunion du 18 mai 2017 (point 8), celles-ci étant accompagnées d'une matrice de transferts par direction et par service.
Le projet de réorganisation communiqué pour la séance du 27 avril 2017 décline l'accompagnement qui sera donné aux salariés dont l'emploi sera directement impacté par l'organisation ainsi que le dispositif d'accompagnement axé sur la mobilité géographique et fonctionnelle à l'intérieur du groupe, des départs anticipés, l'examen des parcours individuels internes et externes.
Ces éléments sont réitérés dans les réponses de l'employeur au comité d'entreprise antérieures à la réunion du 18 mai 2017, celui-ci précisant alors que le coût des mesures sera provisionné dans les comptes à l'issue des négociations avec les partenaires sociaux ouvertes à compter de mai 2017.
Il y est précisé que les salariés dont le poste est supprimé se verront confier des missions spécifiques, pourront bénéficier de plans de formation dont le budget est d'ores et déjà retenu à 350 000 euros et seront informés de plans de mobilité.
S'agissant des modalités de fonctionnement de l'entreprise dans le contexte susvisé de suppression de 30 emplois pourvus, il convient d'observer que le projet de réorganisation communiqué pour la réunion du 27 avril 2017 décline service par service le nombre d'emplois prévus tandis qu'il ne résulte pas des synthèses des groupes de travail de lacunes à cet égard.
Sur l'impact de la réorganisation de l'activité des sites du fait de la suppression des interfaces
S'agissant des sites, les informations communiquées au comité d'entreprise dès le 16 mars 2017 (point 2.1, pièce n°2 de l'appelante) visent que l'évolution de l'organisation n'a pas d'impact sur la structure organisationnelle des sites.
Par ailleurs, il est précisé, dans le cadre des réponses données par l'employeur en vue de la réunion du 18 mai 2017, que l'interface des sites reste maintenue s'agissant des activités de maintenance et des activités d'exploitation-conduite tandis que des salariés des directions Aquifères et Salins positionnés sur les sites y contribuent également.
Sur le caractère préoccupant de la situation économique
Le tribunal de grande instance a ici retenu que ce caractère préoccupant se déduisait des propos de membres de la direction rapportés au procès-verbal de séance du 16 décembre 2016.
Cette réunion s'est cependant tenue huit mois avant le vote par le comité d'enreprise du droit d'alerte et il se déduit des éléments susvisés que celui-ci a été, postérieurement, détenteur d'informations précises quant à l'avenir de l'entreprise.
La cour observe en outre que s'il est fait alors état de ce que le chiffre d'affaires 2016 devrait être inférieur de 12 % par rapport à celui de l'année 2015 dans un contexte de marché peu favorable au regard d'une demande en baisse et, en conséquence, d'une diminution des prix (pages 13 et 23), il est fait également état lors de la séance de ce que Storengy continue de générer plus de 100 millions d'euros de résultat par an et plus de 150 millions de cash après investissement (page 3) tandis que le vote sur la situation économique et financière de l'entreprise n'a, à cette date, recueilli que trois voix défavorables.
Sur l'adéquation de la nouvelle organisation en cas de régulation
La question est posée en août 2017 par le comité d'entreprise de savoir si la nouvelle organisation de la société ne sera pas de nature à soulever des difficultés juridiques dans le futur cadre de la régulation.
Il est rappelé ici que le projet de régulation du stockage souterrain de gaz naturel en France (fixation de son périmètre, partage entre les acteurs soit plus précisément entre les entités de stockage et les fournisseurs) a été suspendu courant 2016 notamment du fait du défaut de validation par le Conseil d'État du projet d'ordonnance qui lui était soumis en juin dans le cadre de la loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte.
Ce projet étant suspendu, il convient d'examiner, au regard de la question posée par le comité d'entreprise si la décision de la société Storengy de continuer une réorganisation interne de l'entreprise a alors été prématurée et préoccupante dans l'optique d'une régulation future du marché.
A cet égard, il ressort des éléments portés à la connaissance du comité d'entreprise du 16 décembre 2016 que d'autres questions se posaient cette année là portant sur les orientations stratégiques de la société, étant tenu compte de l'évolution du marché en Europe, l'amorce d'une réorganisation des opérateurs gaziers européens et la transition énergétique.
Il est ainsi explicité par l'employeur dans ses réponses aux questions antérieures à la réunion du 18 mai 2017 que dans un environnement économique difficile, la nécessité de trouver des gains de performance et d'améliorer son efficience s'impose à toute entreprise, que son activité s'inscrive dans un modèle régulé ou dans un modèle non régulé.
Aucun élément ne vient justifier de ce que le projet de réorganisation risquait d'obérer le passage à une réglementation fondée sur la régulation , la décision de son maintien n'apparait donc pas prématurée.
La société Storengy justifie d'ailleurs que depuis lors, la régulation de l'activité de stockage de gaz naturel en France a été mise en place à compter du 1er janvier 2018 par la loi n° 2017-1839 du 30 décembre 2017, ce qui a conduit à une réorganisation de la société Storengy dont le comité d'entreprise a eu connaissance le 25 janvier 2018. Cette réorganisation a conduit, d'ici juin 2018, à la création d'une nouvelle société Storengy axée sur les expertises, le développement et les services et les business support incluant l'EISE à côté de la société Storengy France axée sur les activités régulées, sans qu'il ne soit justifié de l'obstacle qu'aurait constitué à cet égard la réorganisation issue du projet Storengy 2000.
Il se déduit dès lors des éléments susvisés qu'au regard des informations dont disposait le comité d'entreprise à la date du 31 aout 2017 et compte tenu de l'absence de faits de nature à affecter de manière préoccupante la situation économique de l'entreprise, le maintien du droit d'alerte ne se justifiait manifestement pas.
Par infirmation du jugement entrepris, il conviendra donc d'annuler la résolution votée le 31 août 2017 décidant de la poursuite du droit d'alerte économique et la désignation du cabinet 3E consultants en qualité d'expert comptable et de mettre à la charge du CSE les éventuels honoraires de ce cabinet.
Aucune considération tirée de l'équité ou de la situation économique des parties ne vient justifier l'allocation d'une indemnité au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
PAR CES MOTIFS
La COUR, statuant publiquement par arrêt contradictoire et en dernier ressort,
INFIRME le jugement entrepris ;
Statuant à nouveau et y ajoutant,
ANNULE la résolution votée le 31 août 2017 par le comité d'entreprise de la société Storengy France décidant la poursuite du droit d'alerte économique et la désignation du cabinet 3E consultants en qualité d'expert-comptable ;
MET à la charge du comité social et économique de la société Storengy France, venant aux droits du comité d'entreprise de la société Storengy France, les honoraires correspondant éventuellement à ces travaux ;
DIT n'y avoir lieu de faire application de l'article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE le comité social et économique de la société Storengy France, venant aux droits du comité d'entreprise de la société Storengy France, aux dépens dont recouvrement par Maître Dontot, AARPI JRF avocats, dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile.
Arrêt prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, et signé par Madame Isabelle VENDRYES, Président et par Madame Elodie BOUCHET-BERT, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LE GREFFIER,LE PRÉSIDENT,