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15/10/2020 | FRANCE | N°19/04669

France | France, Cour d'appel de Versailles, 3e chambre, 15 octobre 2020, 19/04669


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 63B



3e chambre



ARRET N°



CONTRADICTOIRE



DU 15 OCTOBRE 2020



N° RG 19/04669



N° Portalis DBV3-V-B7D-TJLR



AFFAIRE :



[H] [U]





C/



[A] [E] [S]

...





Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 11 Juin 2019 par le Tribunal de Grande Instance de PONTOISE

N° Chambre : 1

N° RG : 17/03031





Expédit

ions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :

à :







Me Oriane DONTOT



Me Michel RONZEAU







RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



LE QUINZE OCTOBRE DEUX MILLE VINGT,

La cour d'appel de Versailles, a rendu l'arrêt suivant dans l'af...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 63B

3e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 15 OCTOBRE 2020

N° RG 19/04669

N° Portalis DBV3-V-B7D-TJLR

AFFAIRE :

[H] [U]

C/

[A] [E] [S]

...

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 11 Juin 2019 par le Tribunal de Grande Instance de PONTOISE

N° Chambre : 1

N° RG : 17/03031

Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :

à :

Me Oriane DONTOT

Me Michel RONZEAU

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE QUINZE OCTOBRE DEUX MILLE VINGT,

La cour d'appel de Versailles, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

Monsieur [H] [U]

[Adresse 7]

[Localité 6]

Représentant : Me Oriane DONTOT de la SELARL JRF AVOCATS & ASSOCIES, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 617 - N° du dossier 20190563

Représentant : Me Fanny SACHEL de la SELARL Samman Cabinet d'avocats, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : G0160

APPELANT

****************

1/ Monsieur [A] [D], notaire retraité domicilié à l'adresse de la SCP Antoine Gaultier et François Ferrien

[Adresse 4]

B.P. 22

[Localité 8]

2/ SA MMA IARD

RCS 440 048 882

[Adresse 1]

[Localité 5]

prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

3/ SCP Antoine GAULTIER et François FERRIEN, étude de notaires

N° SIRET : 321 091 845

[Adresse 4]

[Adresse 9]

[Localité 8]

prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

Représentant : Me Michel RONZEAU de la SCP RONZEAU & ASSOCIES, Postulant, avocat au barreau du VAL D'OISE, vestiaire : 9 N° du dossier 1624808

Représentant : Maître Audrey MILHAMONT, Plaidant, avocat de la

SCP RONZAU & Associés, avocat au barreau du VAL D'OISE

INTIMES

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 03 Septembre 2020 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Marie-José BOU, Président chargé du rapport, et Madame Françoise BAZET, Conseiller.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Marie-José BOU, Président,

Madame Françoise BAZET, Conseiller,

Madame Caroline DERNIAUX, Conseiller,

Greffier, lors des débats : Madame Claudine AUBERT,

----------

[A] [U] est décédé le [Date décès 2] 2006, laissant pour lui succéder :

- son fils M. [H] [U], né d'une première union,

- son fils [M] [U], issu d'une seconde union,

- sa seconde épouse, Mme [P] [F].

Par acte du 8 novembre 1994 reçu par M. [A] [D], notaire, alors associé de la SCP [Z] [T] et [A] [D], [A] [U] a consenti à son épouse, Mme [F], une donation à cause de mort portant sur des biens et droits immobiliers constituant les lots n° 212 et 244 de la copropriété d'un immeuble situé à [Adresse 10], et sur la totalité des meubles et objets immobiliers s'y trouvant au décès du donateur. Il était stipulé que 'la présente donation entre époux, telle que contenue aux présentes, remplacera et substituera à elle seule à tous autres droits qui pourraient être accordés par la loi au conjoint survivant, à la suite du décès du donateur, et notamment tout droit d'usufruit légal.'.

Suivant acte authentique reçu le 27 juillet 2006 par le même notaire, exerçant alors au sein de la SCP [O] [T], [A] [D] et [G] [X], [A] [U] a fait donation à son épouse, Mme [F], de l'usufruit de l'universalité des biens composant sa succession, cette donation ayant révoqué la précédente.

Soutenant que son père était atteint de la maladie de [B] et en état de démence lors de la seconde donation, M. [H] [U] a, le 20 décembre 2017, assigné Mme [F] en son nom propre et en qualité d'administratrice légale de son fils [M] [U] devant le tribunal de grande instance de Paris en nullité de la donation du 27 juillet 2006.

Après avoir ordonné une expertise confiée à un collège de trois médecins, le tribunal a, par jugement du 21 février 2014 devenu irrévocable, prononcé la nullité de la donation du 27 juillet 2006 au motif de l'insanité d'esprit de [A] [U] au moment de l'acte et ordonné le partage judiciaire de la succession de [A] [U].

Par acte d'huissier du 1er juillet 2016, M. [H] [U] a assigné la SCP [O] [T] et [G] [X], M. [D] et la société Mutuelle du Mans assurances IARD assurances mutuelles, ci-après la société MMA IARD, en responsabilité et indemnisation de ses préjudices devant le tribunal de grande instance de Paris.

Selon ordonnance du 30 mars 2017, le juge de la mise en état a constaté 1'incompétence du tribunal de grande instance de Paris et désigné celui de Pontoise comme juridiction compétente.

Par jugement du 11 juin 2019, le tribunal de grande instance de Pontoise a :

- déclaré prescrite l'action en responsabilité intentée par M. [U] à l'encontre de la SCP Antoine Gaultier et [G] [X], M. [D] et la MMA IARD,

- en conséquence, déclaré ses demandes irrecevables,

- condamné M. [U] à payer à la SCP Antoine Gaultier et François Ferrien, M. [D] et la MMA IARD la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné M. [U] aux dépens, dont distraction conformément à l'article 699 du code de procédure civile,

- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire.

Suivant déclaration du 26 juin 2019, M. [U] a interjeté appel et prie la cour, par dernières conclusions du 9 juin 2020, de :

- infirmer le jugement,

statuant à nouveau :

- juger recevables les demandes de M. [U],

- juger que M. [D] de la SCP [O] [T] et [G] [X] a commis des fautes professionnelles,

- juger que M. [A] [D] et la SCP [O] [T] et [G] [X] sont solidairement responsables,

- juger que les préjudices subis par M. [U] sont nés, certains et actuels et résultent directement des fautes professionnelles de M. [D] de la SCP Antoine Gaultier et [G] [X],

- juger que la société MMA IARD doit garantir la SCP Antoine Gaultier et François Ferrien,

en conséquence,

- condamner in solidum M. [D], la SCP [O] [T] et [G] [X] et la société MMA IARD à lui verser une somme de 2 778 635 euros à titre de dommages et intérêts, avec intérêts au taux légal à compter de la décision à intervenir,

- condamner M. [D], la SCP [O] [T] et [G] [X] et la société MMA IARD aux entiers dépens qui seront recouvrés par Maître Dontot conformément à l'article 699 du code de procédure civile et à lui verser une somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Par dernières écritures du 23 juin 2020, M. [D], la SCP [O] [T] et [G] [X] et la société MMA IARD prient la cour de :

- confirmer le jugement en toutes ses dispositions,

en tout état de cause,

- juger prescrites et irrecevables les demandes et l'action dirigées par M. [U] à l'encontre de M. [D], la SCP [O] [T] et [G] [X] et la société MMA IARD,

subsidiairement :

- débouter M. [U] de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions dirigées à l'encontre de M. [D], la SCP [O] [T] et [G] [X] et la société MMA IARD,

- juger que M. [U] ne rapporte pas la preuve d'une faute professionnelle de M. [D] et de la SCP [O] [T] et [G] [X], notaires, qui soit de nature à engager leur responsabilité professionnelle,

- juger que M. [U] ne rapporte pas la preuve d'un préjudice certain, réel et actuel ayant un lien de causalité direct avec un manquement de M. [D] et de la SCP Antoine Gaultier et [G] [X],

en conséquence,

- débouter M. [U] de l'intégralité de ses demandes, y compris sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile et des dépens,

- condamner M. [U] à payer à M. [D], la SCP [O] [T] et [G] [X] et la société MMA IARD la somme de 8 000 euros chacun au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens, dont distraction au profit de Maître Ronzeau qui pourra les recouvrer directement en application de l'article 699 du code de procédure civile.

La cour renvoie aux écritures des parties en application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile pour un exposé complet de leur argumentation.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 9 juillet 2020.

MOTIFS DE LA DECISION

- Sur la fin de non-recevoir tirée de la prescription

Le tribunal a retenu que M. [U] avait eu connaissance du fait que l'acte du 27 juillet 2006 avait été conclu alors que son père n'était pas en mesure d'y consentir, au plus tard le 20 décembre 2007, date à laquelle il avait introduit une action en nullité de la donation.

Après avoir rappelé que M. [U] recherchait aussi la responsabilité du notaire et de la SCP pour avoir inséré dans la donation du 8 novembre 1994 une clause illégale car constitutive d'un pacte sur succession future, il a estimé que M. [U] ne contestait pas avoir eu connaissance de cette donation et de son contenu, ce qui ressortait aussi de la copie de l'acte faisant apparaître une transmission de l'acte par un fax de M. [U] à la SCP Gogué en date du 24 septembre 2007. Il a ainsi considéré que M. [U] était en mesure d'apprécier l'impact de cet acte sur ses droits successoraux.

Il en a conclu que l'action en responsabilité était prescrite depuis le 18 juin 2013, soit cinq ans après l'entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008.

M. [U] soutient que la prescription d'une action en responsabilité court à compter de la manifestation du dommage. Il fait valoir que lors de l'assignation du 20 décembre 2007, il n'avait pas connaissance de tous les éléments permettant d'établir la nullité de la donation du 27 juillet 2006, du préjudice en découlant et des frais qu'il allait engager dans la procédure. Il avance que son préjudice consécutif aux manquements commis par le notaire en 1994 et 2006 ne s'est manifesté que lorsqu'il a pris connaissance du jugement du 21 février 2014, devenu irrévocable le 4 mai 2014, puisque cette décision a notamment fait revivre la donation de 1994 infectée d'une clause d'exhérédation. Il en déduit que son action n'est pas prescrite.

Les intimés répliquent que la prescription court à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer. Ils soutiennent que M. [U] connaissait au moins depuis le 20 décembre 2007 les faits lui permettant d'exercer son action contre le notaire ayant reçu l'acte du 27 juillet 2006 et son assureur. S'agissant de la donation de 1994, ils prétendent que M. [U] aurait dû exercer son action dès le 24 septembre 2007, date à laquelle il a eu connaissance de cet acte. Ils font valoir que la victime doit agir dès qu'elle a conscience d'une situation dommageable, peu important que celle-ci n'ait pas encore été consacrée par une décision de justice.

Ils ajoutent qu'il existe en tout état de cause un délai butoir de 20 ans à compter du contrat, lequel était dépassé à la date de l'assignation pour ce qui concerne l'action relative à l'acte du 8 novembre 1994.

***

Selon l'article 2270-1 ancien du code civil, les actions en responsabilité civile extra-contractuelle se prescrivent par dix ans à compter de la manifestation du dommage et de son aggravation.

Aux termes de l'article 2224 du code civil issu de la loi du 17 juin 2008, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.

En application de l'article 26 II de la loi du 17 juin 2008, les dispositions de ladite loi réduisant la durée de la prescription s'appliquent aux prescriptions à compter du jour de l'entrée en vigueur de la loi, sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure.

Il en résulte qu'en matière de responsabilité délictuelle, la prescription court à compter de la réalisation du dommage ou de sa révélation à la victime lorsqu'elle n'en avait pas précédemment connaissance ou encore de sa manifestation.

La manifestation d'un dommage certain en son principe suffit à faire courir la prescription même si le préjudice n'est pas encore chiffrable et le dommage se révèle à la victime le jour où celle-ci prend conscience du caractère préjudiciable de sa situation même si l'ampleur exacte des pertes subies est encore ignorée à cette date.

Au cas d'espèce, M. [U] reproche d'abord au notaire d'avoir reçu la donation du 27 juillet 2006 sans avoir procédé au préalable à des vérifications sur l'état de santé psychique de son client dont l'altération était visible et soutient que cette faute lui a causé un préjudice moral, à raison de la difficile épreuve endurée pour faire valoir ses droits, un préjudice matériel résultant des frais qu'il a exposés pour faire annuler l'acte (avocat, expertise...) et une perte de jouissance, les actifs successoraux ayant été immobilisés pendant plusieurs années compte tenu de la procédure.

Or, M. [U] a incontestablement eu conscience des conséquences dommageables résultant de la situation incriminée le 20 décembre 2007, lorsque, après l'échec de la tentative de réaliser un partage amiable, il a lui-même agi en justice en assignant Mme [F] en nullité de la donation du 27 juillet 2006. Il importe peu qu'à cette date, M. [U] n'ait pas encore mesuré exactement dans toute son ampleur l'étendue du préjudice moral ainsi que de la perte de jouissance allégués et que le montant précis des frais liés à cette procédure judiciaire était ignoré dans la mesure où un dommage certain en son principe s'est alors manifesté.

En conséquence, le délai de prescription concernant cette demande a commencé à courir le 20 décembre 2007 et s'est terminé le 18 juin 2013, cinq ans après l'entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008. L'assignation ayant été délivrée le 1er juillet 2016, la demande de M. [U] est irrecevable comme prescrite en ce qu'elle porte sur la faute qui aurait été commise à l'occasion de la donation du 27 juillet 2006, le jugement étant confirmé en ce sens.

M. [U] fait par ailleurs grief au notaire d'avoir, lors de la donation du 8 novembre 1994, accepté de recevoir un pacte sur succession future prohibé par la loi et soutient que l'inapplicabilité de la clause d'exhérédation contenue dans cet acte conduit à des conséquences opposées aux intentions de [A] [U] en ce qu'elle permet à Mme [F] de cumuler l'usufruit et sa vocation légale portant sur le quart en pleine propriété. Il en déduit que la faute du notaire lui cause la perte de cet usufruit dont il aurait bénéficié si son père avait été bien conseillé.

M. [U] ne conteste pas avoir eu connaissance de la donation du 8 novembre 1994 et, par voie de conséquence, de son contenu dès 2007, ce que corrobore le fax daté du 24 septembre 2007 par lequel M. [U] a lui-même adressé cet acte à la SCP Gogué.

Cependant, rien ne permet d'établir qu'à cette époque, l'application de la donation du 8 novembre 1994 ait été revendiquée et que la validité de la clause litigieuse contenue dans cette donation ait été remise en cause. Il résulte au demeurant du jugement rendu le 21 février 2014 que même après l'expertise, tant M. [U] que Mme [F] demandaient, au cas de prononcé de la nullité de la donation du 27 juillet 2006, que la succession soit liquidée par la seule application des dispositions légales, soit un quart en toute propriété pour Mme [F], de telle sorte que la donation du 8 novembre 1994 n'était pas en débat. Seul le tribunal a, dans les motifs du jugement du 21 février 2014, évoqué l'impact d'un ou d'actes antérieurs en indiquant : 'par l'effet de l'annulation de la donation, les droits de chacun des héritiers devront être de nouveau établis par le notaire qui sera désigné en tenant compte des testaments précédents valides'. Et il résulte de la réponse faite le 23 novembre 2015 par le centre de recherches, d'information et de documentation notariales au notaire commis pour procéder au partage judiciaire que c'est seulement au cours des opérations de partage que les questions de l'application de la donation du 8 novembre 1994 par suite de l'annulation de celle du 27 juillet 2006, de l'éventuelle illégalité de l'exhérédation du conjoint survivant paraissant contenue dans la donation de 1994 et du possible cumul des droits légaux et des libéralités consenties au conjoint survivant se sont posées. M. [U] ne s'est d'ailleurs plaint d'une faute commise par le notaire à l'occasion de la donation du 8 novembre 1994 que le 22 avril 2016, après réception de cette réponse qui paraissait retenir l'illégalité de la clause contenue dans cet acte rappelée ci-dessus et le cumul par le conjoint survivant de la libéralité reçue du défunt et de sa vocation légale sous certaines conditions.

Au regard de ces éléments, il ne saurait être sérieusement invoqué que le dommage résultant de l'éventuelle faute du notaire commise à l'occasion de la donation du 8 novembre 1994 s'est manifesté pour M. [U] dès 2007 et même plus de cinq ans avant l'introduction de l'instance, le 1er juillet 2016.

L'article 2232 du code civil selon lequel le report du point de départ, la suspension ou l'interruption de la prescription ne peut avoir pour effet de porter le délai de la prescription extinctive au delà de vingt ans à compter du jour de la naissance du droit ne peut non plus être utilement invoqué par les intimés.

En effet, en toute hypothèse, le droit d'agir de M. [U] en responsabilité contre le notaire à raison de la faute qui aurait été commise lors de la donation du 8 novembre 1994 n'a pu naître avant sa connaissance de cet acte et de son contenu ainsi qu'avant toute remise en cause de la validité de la donation du 27 juillet 2006 ayant révoqué la précédente. Or, cette connaissance n'est établie qu'à partir de 2007 et la contestation de la donation du 27 juillet 2006 est concomitante alors qu'il a engagé son action en 2016.

La fin de non-recevoir tirée de la prescription sera donc rejetée concernant la demande relative à cette faute, le jugement étant infirmé en ce sens.

- Sur le fond

M. [U] fait valoir que la donation du 27 juillet 2006 ayant été annulée, la révocation des donations antérieures qu'elle contenait l'a été aussi, ce qui a pour conséquence de faire revivre la donation entre époux du 8 novembre 1994 qui contient une clause d'exhérédation. Il soutient que cette clause est constitutive d'un pacte sur succession future prohibé par la loi et que M. [D] a manqué à son devoir de conseil et commis une faute en recevant ladite clause. Il prétend qu'en conséquence, le conjoint survivant cumule l'usufruit et son quart légal, ce que précisément le défunt ne voulait pas, et que si [A] [U] l'avait su, il n'aurait pas donné à son épouse l'usufruit de ce bien. Il en déduit que la faute commise est la cause de la perte par lui de cet usufruit, évalué à 1 505 400 euros.

Les intimés contestent la faute alléguée. Ils avancent qu'il importe de se référer à la volonté de [A] [U] qui était de protéger son conjoint survivant et qu'il n'est pas prouvé qu'en l'absence de la clause litigieuse, il aurait renoncé au souhait de donner à son épouse l'usufruit du bien immobilier en cause. Ils contestent le préjudice invoqué, relevant que M. [U] ne justifie pas que Mme [F] ait perçu la somme de 1 505 400 euros au titre de la vente du bien concerné et qu'il n'est produit aucun document relatif au partage permettant de déterminer la position de celle-ci à cette occasion ainsi que le montant des droits de chacun. Ils relèvent en tout état de cause l'existence d'autres héritiers que M. [U]. Ils avancent aussi que le droit viager du conjoint survivant sur le logement institué par la réforme des successions de 2001 a les mêmes conséquences que l'usufruit vis-à-vis de M. [U]. Enfin, ils font valoir que ce dernier ne rapporte pas la preuve d'une perte de chance liée au manquement du notaire, laquelle perte ne pourrait être indemnisée à hauteur du montant du gain espéré si la chance s'était réalisée.

***

La mise en jeu de la responsabilité du notaire suppose non seulement une faute mais aussi l'existence d'un préjudice certain en lien de causalité avec la faute.

Au cas d'espèce, ainsi que le soulignent les intimés, M. [U] ne verse aux débats aucun document relatif aux opérations de partage, hormis la réponse faite le 23 novembre 2015 par le centre de recherches, d'information et de documentation notariales au notaire commis pour procéder au partage judiciaire. Il s'abstient d'ailleurs de fournir toute précision quant aux suites du partage ordonné par le jugement du 21 février 2014. Comme le relèvent les intimés, il ne justifie pas de la position prise par Mme [F] et de ses revendications effectives lors de ces opérations ainsi que de la répartition des droits entre Mme [F], M. [M] [U] et lui-même.

En outre, si M. [U] verse aux débats la promesse de vente du 15 juin 2016 portant sur les droits et biens immobiliers situées [Adresse 3], objets de la donation du 8 novembre 1994, cet acte ne mentionne pas la répartition des droits entre les promettants, dont M. [H] [U] fait partie, et l'appelant ne prouve pas la réalisation définitive de la vente, le prix reçu à ce titre et sa distribution entre les vendeurs.

Il s'ensuit qu'alors que la charge de la preuve lui incombe, il ne prouve pas la réalité du préjudice qu'il invoque, ni même d'une perte de chance d'éviter le dommage allégué. Il ne justifie pas d'un préjudice certain mais seulement hypothétique.

Il sera en conséquence débouté de sa demande.

- Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile

M. [U] sera condamné aux dépens d'appel, débouté de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile et condamné à payer aux intimés la somme de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles d'appel, le jugement étant confirmé sur les dépens et frais irrépétibles de première instance.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Confirme le jugement en toutes ses dispositions sauf en ce qu'il a déclaré prescrite l'action en responsabilité intentée en raison de la faute prétendument commise à l'occasion de la donation du 8 novembre 1994 et en ce qu'il a déclaré irrecevable la demande de M. [U] formée de ce chef ;

Statuant à nouveau dans cette limite et ajoutant :

Rejette la fin de non-recevoir tirée de la prescription concernant la demande relative à la faute prétendument commise à l'occasion de la donation du 8 novembre 1994 ;

Déboute M. [U] de la demande formée de ce chef et de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne M. [U] à payer à M. [A] [D], à la SCP Antoine Gaultier et [G] [X] et à la société MMA IARD la somme de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles d'appel ;

Le condamne aux dépens d'appel qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile.

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Madame Marie-José BOU, Président et par Madame Claudine AUBERT, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le Greffier,Le Président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 3e chambre
Numéro d'arrêt : 19/04669
Date de la décision : 15/10/2020

Références :

Cour d'appel de Versailles 03, arrêt n°19/04669 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2020-10-15;19.04669 ?
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