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30/09/2020 | FRANCE | N°17/056801

France | France, Cour d'appel de Versailles, 4b, 30 septembre 2020, 17/056801


COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES

Code nac : 52A

4e chambre 2e section

ARRET No

CONTRADICTOIRE

DU 30 SEPTEMBRE 2020

No RG 17/05680 - No Portalis DBV3-V-B7B-RXD7

AFFAIRE :

M. W..., F..., H... R...

C/
Mme I..., D..., H... E... VEUVE R... agissant par l'intermédiaire de Mme M... C..., es-qualité de tutrice légale
...

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 7 Juillet 2017 par le Tribunal paritaire des baux ruraux de CHARTRES

No RG : 5111000004

Expéditions exécutoires
Expéditions
Copies<

br>délivrées le :
à :

Me Mathieu KARM

Me Isabelle GUERIN

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE TRENTE SEPTEMBRE DEUX MILLE VINGT,
La c...

COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES

Code nac : 52A

4e chambre 2e section

ARRET No

CONTRADICTOIRE

DU 30 SEPTEMBRE 2020

No RG 17/05680 - No Portalis DBV3-V-B7B-RXD7

AFFAIRE :

M. W..., F..., H... R...

C/
Mme I..., D..., H... E... VEUVE R... agissant par l'intermédiaire de Mme M... C..., es-qualité de tutrice légale
...

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 7 Juillet 2017 par le Tribunal paritaire des baux ruraux de CHARTRES

No RG : 5111000004

Expéditions exécutoires
Expéditions
Copies
délivrées le :
à :

Me Mathieu KARM

Me Isabelle GUERIN

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE TRENTE SEPTEMBRE DEUX MILLE VINGT,
La cour d'appel de Versailles, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

Monsieur W..., F..., H... R...
"Ferme de [...]"
[...]
[...]

Représentant : Maître Mathieu KARM de la SCP PICHARD DEVEMY KARM, avocat au barreau de CHARTRES, vestiaire : 000040

APPELANT
****************

Madame I..., D..., H... E... VEUVE R... agissant par l'intermédiaire de Mme M... C..., es-qualité de tutrice légale
[...]
[...]

Madame M... C... es-qualité de tutrice légale de Mme I... R...
[...]
[...]

Représentant : Maître Isabelle GUERIN de la SELARL ISABELLE GUERIN AVOCATS et ASSOCIES, avocat au barreau de CHARTRES, vestiaire : 000053

INTIMEES
****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 2 Septembre 2020 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Agnès BODARD-HERMANT, Présidente.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

,
Madame Agnès BODARD-HERMANT, Présidente,
Madame Anna MANES, Présidente,
Madame Pascale CARIOU, Conseillère.

Greffier, lors des débats : Madame Françoise DUCAMIN,

FAITS ET PROCEDURE,

Le 5 octobre 1985, J... R... et son épouse, Mme I... R..., née E..., agissant en qualité d'usufruitiers d'une partie et de propriétaires pour le surplus, et deux de leur quatre enfants, Mmes L... et B... R..., en leur qualité de nu-propriétaires d'une partie des immeubles concernés, ont consenti à M. W... R..., leur fils ou frère, un bail rural à long terme reçu par Me P..., notaire à Chartres.

Le bail consenti porte sur les biens de la "Ferme de [...]" situés sur la commune de [...], comportant une maison d'habitation, des bâtiments d'exploitation, deux maisons ouvrières et des terres agricoles d'une superficie de 183 ha et 40 ca.

Ce bail consenti pour une durée de 18 ans est arrivé à échéance le 30 septembre 2003. Il s'est tacitement renouvelé à partir du 1er octobre 2003 par périodes de neuf ans.

Par jugement du 1er février 2013, le tribunal paritaire des baux ruraux de Chartres a notamment débouté Mme I... R... de sa demande de révision du prix du fermage de ce bail renouvelé et a ordonné une expertise judiciaire portant sur les biens de la "Ferme de [...]".

L'expert judiciaire, M. Q..., a déposé le 3 juin 2014 son rapport daté du 31 mai 2014.

Par jugement du 7 juillet 2017, le tribunal paritaire des baux ruraux de Chartres a :

Vu l'article L 411-11 du code rural,
-Fixé à la somme de 25848,47 euros, telle que définie par l'expert judiciaire dans son rapport du 3 juin 2014, la valeur annuelle du fermage de la "Ferme de [...]", et ce à compter du 1er octobre 2012,
-Dit n'y avoir lieu à majoration de 24 % en vertu de la révision d'un fermage à long terme,
-Condamné M. W... R... à payer à Mme C..., en sa qualité de tutrice légale de Mme I... R..., la somme de 92206,05 euros au titre des fermages impayés sur la période de l'année 2011 à l'année 2016 incluse,

-Condamné Mme C..., en sa qualité de tutrice légale de Mme I... R... à payer à M. W... R... la somme de 130 140 euros au titre des travaux à la charge du bailleur et non effectués en temps utile par elle, ainsi qu'à la réparation du dommage dû à la tempête de 1999,
Vu l'article 1289 du code civil,
-Condamné Mme C..., ès qualités de tutrice légale de Mme I... R..., à payer à M. W... R... la somme de 37933,95 euros, outre intérêts au taux légal à compter de la date du présent jugement,
-Débouté M. W... R..., de sa demande d'indemnisation pour améliorations du fonds litigieux, comme présentée prématurément,
-Débouté M. W... R... de sa demande d'indemnisation pour les pertes alléguées de récoltes et de matériels se trouvant dans le silo endommagé par la tempête de la fin de l'année 1999,
-Débouté les parties de toutes autres demandes plus amples ou contraires,
-Dit n'y avoir lieu à faire application en l'espèce des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
-Dit que les dépens seront partagés par moitié entre les parties à l'instance,
-Ordonné l'exécution provisoire du présent jugement.

M. W... R... est appelant de cette décision, suivant déclaration reçue au greffe le 24 juillet 2017 et par ses dernières conclusions no 2 signifiées le 22 janvier 2020, développées oralement à l'audience, il demande à la cour, au visa des articles L 411-11, L 411-69, L 415-4 et L 415-12 du code rural, des articles 1347 et suivants, 1719, 1720 et 2277 ancien du code civil et du rapport déposé le 31 mai 2014 par M. Q..., expert judiciaire, de :

-Le dire recevable et fondé en son appel partiel du jugement entrepris,
-Dire tant irrecevable que particulièrement mal fondée Mme C... en sa qualité de tutrice légale de Mme I... E... veuve R... en l'ensemble de ses moyens, fins et prétentions ainsi qu'en son appel incident, les rejeter,
-Confirmer le jugement déféré en ce qu'il a fixé le fermage exigible à compter de 2014 (et non 2012 comme mentionné par erreur simplement matérielle par le premier juge vu que ledit fermage a été calculé par l'expert judiciaire selon l'arrêté préfectoral du 27 septembre 2013) du bail rural à long terme du 5 octobre 1985, renouvelé tacitement le 1er octobre 2012, à la somme annuelle de 25848,47 euros et dit que le solde des fermages échus et non prescrits de 2006 (et non 2011 comme mentionné également par erreur purement matérielle audit jugement) à 2016 compris s'élève au total à la somme de 92206,05 euros,

Réformant pour le surplus la décision déférée,
-Condamner Mme C... en sa qualité de tutrice légale de Mme E... veuve R... à lui verser la somme de 421660,85 euros TTC en réparation des préjudices subis par lui sur la période 2006 à 2016 incluse et déduction faite du solde des fermages ci-dessus dus par celui-ci, avec laquelle ils se compenseront,

Subsidiairement, pour le cas où la cour confirmerait qu'il n'est dû immédiatement à M. W... R... que la somme de 130140,00 euros HT sur celle de 315890,00 euros HT au total au titre des travaux déjà effectués par celui-ci à ce jour et renverrait en conséquence M. W... R... à mieux se pourvoir concernant le coût desdits travaux qui constituerait alors des dépenses d'amélioration au sens de l'article L411-69 alinéa 2 du code rural devant être liquidées dans le cadre du compte de sortie à établir en fin de bail entre les parties,
-Condamner Mme C..., toujours en sa qualité de tutrice légale de Mme I... E... veuve R..., à lui verser la somme de 198760,09 euros, toujours en réparation des préjudices subis par lui, et dire que celle-ci se compensera à due concurrence avec les fermages dus par lui échus à compter de la récolte 2017,

En tout état de cause,
-Enjoindre Mme C... en sa qualité de tutrice légale de Mme I... R... à faire effectuer par tels entrepreneurs de son choix compétents et dûment assurés l'ensemble des travaux de réfection décrits et chiffrés par M. Q... dans son rapport pour la somme au total de 352464,00 euros HT avec indexation suivant l'indice BT01 du bâtiment depuis la date du dépôt du rapport de M. Q..., soit le 31 mai 2014,
-Dire que faute par Mme C... ès qualité d'avoir engagé lesdits travaux dans le mois de la signification de la décision à intervenir, M. W... R... sera autorisé à faire exécuter ceux-ci par telles entreprises de son choix et à en obtenir le remboursement par Mme C... ès qualités au fur et à mesure de leur exécution sur production de simples factures, à due concurrence et par prélèvements sur les fonds détenus par M. le bâtonnier de l'ordre des avocats du barreau de Chartres entre les mains duquel M. W... R... sera également autorisé à séquestrer les fermages échus à compter de la récolte 2017 (exigibles les 1er septembre 2017 et 25 décembre 2017), réduits d'un quart, jusqu'à constat de bonne fin de l'ensemble desdits travaux par M. Q..., expert qui sera redésigné pour ce faire par la cour, aux frais de Mme I... R...,
-Condamner Mme C... en sa qualité de tutrice légale de Mme I... R... à lui verser la somme de 5000,00 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
-Condamner Mme C... en sa qualité de tutrice légale de Mme I... R... en tous les dépens de première instance et d'appel, lesquels comprendront les frais d'expertise.

***

Mme I... E... veuve R..., représentée par Mme C... en sa qualité de tutrice légale, intimée, par ses dernières conclusions no 2 du 17 août 2020, développées oralement à l'audience, demande à la cour, de :
Vu les dispositions des articles L 411-11 et suivants du Code rural
Vu les dispositions de l'article 1722 du Code civil,
Vu le bail rural à long terme consenti en 2005, tacitement renouvelé pour neuf ans à compter du 1er octobre 2012,
Vu le défaut d'entretien des bâtiments par M. R...
Vu le défaut de paiement des fermages récurent depuis 1985
-Confirmer que le montant du fermage du bail renouvelé à compter du 1er octobre 2012 s'élève à la somme de 25.848,47 € avant application de la majoration du fermage.
-Confirmer la condamnation de M. R... , aux fermages impayés de 2006 à 2016 de 92.206,05 € en principal, sauf à la porter à la somme de 92.391,57 € après rectification d'indice

Y AJOUTANT,

-Condamner M. R... à payer à Mme C... ès qualités de tutrice légale de Mme I... R..., les fermages échus en 2017, 2018 et 2019, d'un montant respectif en principal de 21.211,63 €, 20.619,43 € et 20.973,83 €.

Vu les dispositions de l'article L 411-11 du Code rural applicable dans sa version postérieure à la réforme du 13 juillet 2006,

Infirmer le jugement et statuant à nouveau
-Juger que les fermages dus depuis 2012 doivent être majorés de 24 %, outre le remboursement de la moitié des taxes foncières et des taxes de Chambre d'Agriculture à compter des fermages échus au 1er octobre 2012.
-Condamner M. R... à payer à Mme C... ès qualités, la majoration de 24 % des fermages annuels à compter des fermages échus en 2012
-Infirmer le jugement en ce qu'il a débouté Mme C... ès qualités de sa demande d'application du taux d'intérêt conventionnel de 12 %.
-Condamner M. R..., débiteur des fermages impayés de 2006 à 2018, à l'intérêt conventionnel de
12 % à compter de l'échéance de chacun des fermages impayés, soit une demi-récolte au 1er septembre de chaque année et le solde le 25 décembre de la même année, jusqu'au parfait paiement, outre la capitalisation des intérêts.

Sur les demandes d'indemnisation de M. R...
-Infirmer le jugement condamnant Madame R... à payer au titre des travaux la somme de
130.140 € et la compensation avec les fermages dus
-Débouter M. R... de toutes ses demandes, fins et conclusions.
-Ordonner la restitution par M. R... à Mme C... en sa qualité de tutrice légale de Mme I... R... de cette somme correspondant pour partie aux fermages impayés indument compensés et au paiement complémentaire réalisé par la tutrice, es qualités à hauteur de 130.140 €.
A titre principal,
Vu les dispositions de l'article 1722 du Code civil,
-Prononcer la résiliation de plein droit du bail rural pour disparition de la chose, sans indemnisation au profit du preneur ou en tout état de cause, la résiliation partielle du bail les bâtiments d'habitation et d'exploitation.
En tout état de cause
-Déclarer irrecevables, comme prématurées, les demandes d'indemnisation de M. R...,
En tout état de cause,
-Condamner M. W... R... à payer à Mme C... ès qualités, la somme de 5.000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile et aux entiers dépens, qui comprendront les frais d'expertise judiciaire.

Les parties ont été régulièrement convoquées à l'audience du 1er avril 2020, reportée en raison de la crise sanitaire au 2 septembre 2020, à laquelle elles ont été représentées par leur conseil respectif.

Conformément à l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé à la décision et aux conclusions susvisées pour plus ample exposé du litige.

SUR CE LA COUR

1 - Sur la fixation du montant des fermages annuels

Les parties s'accordent sur la fixation du montant du fermage retenue par le jugement entrepris, conformément aux conclusions de l'expert, à hauteur de la valeur annuelle de 25.848,47 euros.

Quant au point de départ de cette fixation, soit le 1er octobre 2012, la circonstance que l'expert précise avoir réalisé cette évaluation en fonction de l'arrêté préfectoral d'Eure et Loire du 27 septembre 2013 ne suffit pas à retenir la date postérieure du 1er octobre 2014, étant observé que l'expert s'est situé dans la fourchette très basse des valeurs de cet arrêté.

Le jugement entrepris sera donc confirmé de ce chef.

2 - Sur la majoration de 24% des fermages annuels à compter de 2012

Le jugement entrepris retient à bon droit qu'il est de jurisprudence constante que les baux à long terme renouvelés avant l'entrée en vigueur de l'ordonnance no 2006-870 du 13 juillet 2006 - comme c'est le cas en l'espèce du renouvellement du bail en 2003 - n'entrent pas dans le champ de son application et que les baux qui leur font suite deviennent des baux ordinaires de neuf années, renouvelés dans les conditions de droit commun de cette catégorie de baux.

L'argumentaire en appel de l'intimée qui postule le contraire au vu du second renouvellement du bail en 2012, n'est pas de nature à remettre en cause cette motivation que la cour adopte.

Le jugement entrepris sera donc également confirmé de ce chef.

3 - Sur le solde de fermages impayés

Les parties s'accordent sur la somme de 92. 206,05 euros retenue par l'expert pour la période 2006-2016 qu'il convient d'actualiser en y ajoutant la somme totale de 62.804,89 euros pour la période 2017-2019, conformément à la demande de l'intimée (pièces intimée 25-28), sur laquelle M. R... ne s'explique pas, se bornant à solliciter un abattement de 25 % minimum pour préjudice de jouissance sur le mérite duquel il sera statué au point 5 de l'arrêt.

Cette actualisation porte à 155 010.94 euros le montant total des fermages impayés en principal, sans qu'il y ait lieu à la rectification d'indice 2016 que la pièce intimée 22 n'est pas de nature à justifier.

L'intimée sollicite l'application du taux d'intérêts conventionnel de 12 % l'an à compter de l'échéance de chacun des fermages impayés, prévu au bail initial (p. 10-11) tacitement renouvelé, avec capitalisation des intérêts conforme à l'article 1343-2 du code civil et M. R... soutient vainement que cette disposition du bail initial n'est plus applicable, sans plus de précision. Il sera donc fait droit à cette demande fondée sur une disposition du bail rural à long terme initial devenu de droit commun, régulièrement renouvelé tacitement aux termes et conditions initiales.

4 - Sur les demandes formées au titre des travaux

Vu les articles 1719 et 1720 du code civil,
Vu les articles L.415-3 et L.415-4 du code rural,
Vu l'article 605 du code civil,

L'expert évalue les travaux de remise en état des lieux loués, réalisés, sans précision de date, par M. R... par ses propres moyens, sur la base de factures de fournitures de matériaux, à la somme HT de 315.890 euros soit 379.068 euros TTC (rapport p. 17-18)

L'expert évalue à 352.464 euros HT les désordres subsistants, consécutifs à la vétusté, au manque d'entretien et à l'absence de rénovation générale, aucun d'eux n'étant urgents, relevant que Mme R... a attesté le 12 février 1996 n'avoir payé aucune facture de réparation depuis le début du bail en 1985 ( rapport p. 11-12).

M. R... soutient que :
-le jugement entrepris qui met à la charge de la bailleresse la somme de 130.140 euros au titre des travaux d'entretien lui incombant, minore sans fondement juridique ni justification factuelle le montant des travaux, dument autorisés, qu'il a dû entreprendre par ses propres moyens depuis de nombreuses années sur les batiments d'exploitation pour en éviter la ruine, chiffrés par l'expert, poste par poste, à hauteur de 315.890 euros HT soit 379.068 euros TTC,
-ces travaux relatifs à la réfection d'un silo suite à la tempête, à la mise aux normes électriques ou à l'isolation, incombent au bailleur puisqu'ils excèdent notablement son obligation d'entretien,
-subsidiairement, la différence entre ces deux sommes correspond nécessairement à des travaux d'amélioration indemnisable en fin de contrat au sens de l'article L.411-69 alinéa 2 du code rural.
-l'intimée doit en outre être condamnée sous astreinte à effectuer les travaux de reprise des désordres subsistants ou à en payer le prix et lui-même doit être autorisé à séquestrer le montant des fermages à échoir, diminués des 25 % précités, jusqu'à leur parfait achèvement.

L'intimée soutient que :
-le total des sommes demandées soit 936.822 euros justifient la résiliation de plein droit du bail rural au moins quant au bâti, pour disparition de la chose, sans dédommagement, au visa de l'article 1722 du code civil, faisant valoir que le montant des travaux mis à sa charge par le jugement entrepris soit 134.140 euros, représente 11 années de fermage des bâtiments et que celui de la remise en état sollicitée correspond à 32 années de ces fermages, ou 72 ans de fermages du seul bâti,
-M. R... qui exploite depuis 35 ans une ferme de plus de 180 ha avec de nombreux bâtiments d'exploitation et qui habite une maison spacieuse de près de 300 m2 dotée d'une piscine, ne s'est plus acquitté d'aucune somme depuis 1998 alors même que le montant du fermage est extrèmement faible,
-l'exception d'inexécution appliquée d'initiative par M. R... depuis 1998 n'est pas fondée à défaut de privation de jouissance totale, ce d'autant que les fermages impayés sont prescrits pour un montant de 42.862,37 euros,
- M. R... ne justifie d'aucun travaux d'entretien régulier notamment des toitures et gouttières et a sous loué les maisons ouvrières en contravention aux clauses du bail rural ; il doit donc être débouté de ses diverses demandes de travaux,
-les travaux réalisés l'ont été sans autorisation expresse, à l'exception de ceux du hangar neuf en 1996 et ne sont dûs qu'à l'absence d'entretien incombant au preneur, principal nu-propriétaire, dont la démarche qui tend à s'enrichir au préjudice de sa mère, usufruitière, et de ses soeurs, est indigne.

La cour retient ce qui suit.

4.1 - Sur les travaux réalisés

L'expert relève pertinement qu'une partie de ces travaux sont, au sens de l'article L.411-69 du code rural, des améliorations à indemniser en fin de contrat, dans le cadre du compte de sortie du preneur , sous réserve :
-qu'une date certaine soit établie sur la réalisation des travaux indemnisables,
-qu'ils ne soient pas amortis,
-qu'ils conservent une utilité.

Ainsi en est-il :
-des travaux d'isolation dans les chambres du rez de chaussée, la salle de bain, l'arrière cuisine, l'entrée principale, l'étage,
-des travaux d'électricité, dont rien ne justifie qu'ils consistent en une mise aux normes,
-des travaux "extérieur maison" et cours,
-des travaux décoratifs,
tels que listés par l'expert (Rapport p.17-18).

Pour le surplus, si l'expert énonce avoir pu vérifier la matérialité des travaux allégués, poste par poste, lors de ses visites des 29 mai et 2 octobre 2013, tels que repris au tableau établi en page 17-18 et "repris dans la pièce 96 de la SCP Pichard avec un chiffrage actualisé à la somme de 315.890 € 64", il énonce aussi que M. R... n'a pas pu présenter de facture de réalisation de ces travaux , mais seulement des factures de matériaux, qu'il ne lui a pas été présenté d'état des lieux contradictoire et que les dates de réalisation des travaux n'ont pas été renseignées avec précision par ce dernier.

En cet état, à supposer même que les autorisations du bailleur données en termes généraux et imprécis, ce dont attestent les pièces 4 et 98-100 produites par M. R... suffisent à établir que tous les travaux en examen, qui ne sont pas datés, l'ont effectivement été, il n'est pas justifié de l'utilisation effective dans les lieux loués de toutes les factures de matériaux ayant servi de base au chiffrage ci-dessus.

Or, l'intimée soutient sans être contredite que M. R... est propriétaire de nombreuses maisons et bâtiments qu'il donne à bail et qu'il a pu rénover avec ces matériaux. La cour observe en outre qu'il n'est justifié d'aucune demande ou même alerte quant à la nécessité de ces travaux comme incombant au bailleur au titre des grosses réparations ou de son obligation d'entretien général ( mise aux normes).

Par suite, la cour évalue à 47.000 euros la somme totale due par l'intimée à M. R... à titre de remboursement des travaux nécesaires qu'il a réalisés, exception faite de ceux du silo examinés au point 5 de l'arrêt, cette somme se décomposant comme suit, :
-la somme de 20.000 euros pour le garage atelier,
-celle de 15.000 euros pour le grand hangar
-celle de 3.000 euros pour le hangar matériel,
-celle de 9.000 euros pour le sous sol (chauffe eau, changement de chaudière).

Le jugement entrepris sera donc infirmé en conséquence.

4-2 - Sur les travaux restant à faire

La demande en résiliation de plein droit du bail pour disparition de la chose louée par cas fortuit au sens de l'article 1722 du code civil, est certes nouvelle mais néanmoins recevable, vu l'article 564 du code de procédure civile, en ce qu'elle tend à faire écarter les prétentions adverses relatives à l'exécution de travaux de remise en état.

Cependant, elle n'est pas fondée, dès lors que les travaux restant à faire, que l'expert imputent pour l'essentiel à la vétusté et au manque d'entretien, ne s'analysent manifestement pas en une perte de la chose louée au sens du texte susvisé. En effet, l'intimée bailleresse a attesté le 12 février 1996 n'avoir payé aucune facture de réparation depuis le début du bail en 1985 et ne justifie pas en avoir payée une depuis, de sorte qu'elle n'établit pas que cet état de vétusté et de manque d'entretien qu'elle considère comme équivalent à la perte de la chose louée ne résulte pas de sa négligence à cet égard. Elle prétend donc vainement pour s'exonérer de son obligation au titre des grosses réparations sollicitées qu'elles sont hors de proportion avec la valeur actuelle des bâtiments, à charge pour elle, en tant qu'usufruitière, de se retourner le cas échéant contre les nu-propriétaires, au visa de l'article 605 du code civil selon lequel les grosses réparations n'incombent pas à l'usufruitier.

L'intimée ne discute pas précisément le détail des postes retenus et des calculs fondant les évaluations finales de l'expert. Quant à la maison ouvrière, prétendument sous-louée en contravention avec les termes du bail rural, les pièces 101 et 102 de M. R... démontrent qu'il n'en est rien. Quant au défaut de preuve d'un entretien régulier des lieux loués, il n'est pas démontré au vu des divers travaux dont l'expert atteste de la réalité qu'il constitue une faute grave au sens de l'article L 415-3 du code rural.

Au vu du rapport d'expertise (p. 11-12 et 29) et de ce qui précède, la cour évalue donc à la somme maximale de 190.842 euros, TVA en sus, avec indexation suivant l'indice BT01 du bâtiment depuis le 3 juin 2014 , suivant détail ci-dessous, les travaux restant à faire qui sont imputables à l'intimée bailleur, s'agissant de grosses réparations - au sens des articles L. 415-3 et 4 précités, peu important, à ce stade, sa qualité d'usufruitière - soit essentiellement de travaux de toiture et d'étanchéité ainsi que de mise aux normes élecriques et assainissement :
-maison d'habitation :
*assainissement : 8.306 €
*couverture des auvents Sud : 28.906 €
-garage, remise : étanchéité du pignon sud : 7.573 €
-grand hangar, électricité : 3.708 €
-hangar matériel, reconstruction : 87.504 €
-garage atelier, toiture côté est ouest et nord : 13.522 €
-maison ouvrière : toiture, mur gonflé, plancher, assainissement : 41.323 €.

Les énonciations de l'expert ne suffisent pas à justifier de l'imputation au bailleur au titre des "grosses réparations" ou de "l'entretien normal" des lieux loués, le surplus des travaux listés pages 11-12 de son rapport.

Il convient donc de faire droit dans les conditions fixées au dispositif de l'arrêt à la demande d'injonction du preneur.

L'astreinte n'est pas justifiée.

Enfin, la demande de M. R... tendant à être autorisé à séquestrer le montant des fermages n'est justifie par aucun élément en débat.

5 - Sur les préjudices allégués par M. R...

M. R... soutient :
-au titre de son préjudice de jouissance, que les travaux réalisés sur le bâti qui correspond, au vu du rapport de l'expert, à 25% du montant total du fermage, ainsi que les travaux encore indispensables à hauteur de 379.068 euros TTC (rapport p. 11-12), justifient une réduction du quart du montant du fermage soit 58.988,14 euros pour la période 2006-2016,
-au titre de son préjudice matériel, que l'expert l'a évalué à 75.810 euros TTC pour perte de récolte suite aux dommages subis par le silo à grain lors de la tempête de l'hiver 2002 (rapport p. 19-20).

L'intimée soutient :
-que la demande afférente au préjudice de jouissance est prématurée s'agissant de travaux d'amélioration, ce d'autant qu'il n'est pas justifié de la date certaine des travaux ni de leur amortissement, ni de l'accord du bailleur,
-que M. R... n'exploite plus le silo, dont il n'a plus l'utilité, depuis plus de 10 ans et dont la réfection à hauteur de 63.175 euros est demandé alors que sa valeur locative annuelle est fixée à 291 euros.

La cour retient ce qui suit.

Le jugement entrepris a exactement évalué à 31.536 euros HT correspondant, aux dires de l'expert (tableau p.17), à la réfection de la toiture du silo à grain endommagé par une tempête, après avoir relevé que l'intimée avait été indemnisée de son assurance à ce titre. Le jugement entrepris a également débouté à bon droit M. R... du surplus de ses demandes relatives à ce silo, faute de diligence suffisante de sa part.

L'argumentaire en appel de M. R... qui se borne à renvoyer à l'évaluation factuelle de l'expert ne suffit pas à remettre en cause ces motifs.

Pour le surplus et compte tenu du sens de l'arrêt au point qui précède, M. R... n'établit aucun préjudice financier justifiant de la décôte sollicitée à compter de 2006, que sa pièce comptable 104 faisant état de ses pertes des quatre derniers exercices ne suffit pas à étayer, alors que selon l'expert, l'origine des désordres provient souvent d'un manque d'entretien, imputable au preneur s'agissant des réparations locatives et que, surtout, le montant du fermage, très faible, tient compte de l'état ancien des lieux loués et de l'évolution des techniques d'exploitation qui ne permettent plus celle-ci avec le type de bâtiment en cause.

6 - Sur le compte entre les parties

Il doit être fait droit à la demande de compensation des sommes respectivement dues par chacune des parties à l'autre, conformément aux articles 1347 et s. du code civil.

7 - Sur les demandes accessoires

Il n'appartient pas à la cour de se prononcer sur les demandes de restitution de sommes payées au titre de l'exécution provisoire, étant observé que l'arrêt à intervenir constitue un titre exécutoire.

Vu les articles 696 et 700 du code de procédure civile, il sera fait masse des dépens de première instance et d'appel, comprenant les frais d'expertise, qui seront supportés par moitié par chacune des parties si bien que les demandes d'indemnité de procédure doivent être rejetées. Le jugement entrepris sera donc confirmé de ces chefs.

PAR CES MOTIFS

Statuant par arrêt contradictoire,

Déclare recevable mais non fondée la demande nouvelle de Mme R..., représentée par Mme C... en sa qualité de tutrice légale de Mme I... R..., en résiliation de plein droit du bail rural litigieux ;

Confirme le jugement entrepris des chefs :
-de la fixation de la valeur annuelle du fermage à compter du 1er octobre 2012,
-de la majoration de 24 %,
-des fermages impayés,
*sauf à rectifier l'erreur matérielle relative à la période concernée- soit 2006-2016 et non 2011-2016
*et sauf à actualiser la dette de fermages impayés en portant à 155.010.94 euros la somme principale que M. R... est condamné à payer à Mme C..., en sa qualité de tutrice légale de Mme I... R... , pour la période 2006-2019 ;
-des dépens,
-et de l'indemnité de procédure ;

L'infirme pour le surplus ;

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Condamne M. R... à payer à Mme C..., en sa qualité de tutrice légale de Mme I... R... les intérêts de retard au taux conventionnel de 12 % l'an sur les fermages impayés 2006-2019 à compter de l'échéance de chacun des fermages impayés et dit que ces intérêts seront capitalisés conformément à l'article 1343-2 du code civil ;

Condamne Mme C..., en sa qualité de tutrice légale de Mme I... R... à payer à M. R... la somme de 47.000 euros, au titre du remboursement de travaux à la charge du bailleur qu'il a effectués ;

Ordonne la compensation, conformément aux articles 1347 et suivants du code civil, entre les sommes ci-dessus respectivement dues par l'une des parties à l'autre ;

Condamne Mme C..., en sa qualité de tutrice légale de Mme I... R... à faire effectuer par tels entrepreneurs de son choix dûment assurés les travaux de réfection décrits et chiffrés par l'expert dans son rapport pour la somme de 190.842 euros, TVA en sus, avec indexation suivant l'indice BT01 du bâtiment depuis le 3 juin 2014 , laquelle se décompose comme suit :
-maison d'habitation :
*assainissement : 8.306 €
*couverture des auvents Sud : 28.906 €
-garage, remise : étanchéité du pignon sud : 7.573 €
-grand hangar , électricité : 3.708 €
-hangar matériel, reconstruction : 87.504 €
-garage atelier, toiture côté est ouest et nord : 13.522 €
-maison ouvrière : toiture, mur gonflé ,plancher, assainissement : 41.323 €.

-Dit que faute par Mme C..., en sa qualité de tutrice légale de Mme I... R..., d'avoir engagé lesdits travaux dans les dix mois de la signification de la décision à intervenir, M. W... R... sera autorisé à les faire exécuter par telles entreprises de son choix et à en obtenir le remboursement, dans la limite de la somme totale de 190.842 euros, TVA en sus, avec indexation suivant l'indice BT01 du bâtiment depuis le 3 juin 2014 ;

Fait masse des dépens de première instance et d'appel, qui comprendront les frais d'expertise, et dit qu'ils seront supportés par moitié par chacune des parties ;

Rejette toute autre demande.

-prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

-signé par Madame Agnès BODARD-HERMANT, Présidente, et par Madame Françoise DUCAMIN, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LE GREFFIER, LA PRÉSIDENTE,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 4b
Numéro d'arrêt : 17/056801
Date de la décision : 30/09/2020
Sens de l'arrêt : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée

Analyses

Arrêt du 30 septembre 2020 rendu par la 4 ème chambre 2 ème section de la cour d’appel de Versailles RG 17/05680 Bail rural, usufruitier d’une partie des biens loués et propriétaire pour le surplus, bailleur, obligations, garantie, perte de la chose louée, cas fortuit, vétusté, conditions. Bail rural, manquements du bailleur/ usufruitier (oui), travaux restant à réaliser, travaux rendus nécessaires par la vétusté et par un défaut d’entretien, travaux à réaliser résultant de la négligence du bailleur / usufruitier (oui), exonération de l’obligation du bailleur / usufruitier au titre des grosses réparations (non) recours au visa de 605 du code civil, le cas échéant, du bailleur/usufruitier contre les nus-propriétaires (oui). La Cour considère que la demande en résiliation de plein droit du bail pour disparition de la chose louée par cas fortuit au sens de l'article 1722 du code civil n'est pas fondée, dès lors que les travaux restant à faire ne s'analysent pas en une perte de la chose louée au sens du texte susvisé. En l’espèce, la Cour retient que la bailleresse a attesté n'avoir payé aucune facture de réparation depuis le début du bail en 1985 et ne justifie pas en avoir payée une depuis, de sorte qu'elle n'établit pas que l’état de vétusté et de manque d'entretien qu'elle considère comme équivalent à la perte de la chose louée ne résulte pas de sa négligence à cet égard. Et c’est vainement qu’elle prétend encore pour s'exonérer de son obligation au titre des grosses réparations sollicitées qu'elles sont hors de proportion avec la valeur actuelle des bâtiments à charge pour elle, en tant qu'usufruitière, de se retourner le cas échéant contre les nus-propriétaires, au visa de l'article 605 du code civil selon lequel les grosses réparations n'incombent pas à l'usufruitier.


Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.versailles;arret;2020-09-30;17.056801 ?
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