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10/09/2020 | FRANCE | N°17/05511

France | France, Cour d'appel de Versailles, 6e chambre, 10 septembre 2020, 17/05511


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 83C



6e chambre







ARRÊT N° 261



CONTRADICTOIRE



DU 10 SEPTEMBRE 2020



N° RG 17/05511



N° Portalis : DBV3-V-B7B-R6TW







AFFAIRE :



[K] [R]



C/



SAS RENAULT









Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 29 Septembre 2017 par le conseil de prud'hommes - Formation de départage de Boulogne-Billancourt
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N° RG : 14/01796







Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées le 11 Septembre 2020 à :

- Me Marie-Laure DUFRESNE-CASTETS

- Me Christophe PLAGNIOL

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





LE DIX SEPTEMBRE DEUX MILL...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 83C

6e chambre

ARRÊT N° 261

CONTRADICTOIRE

DU 10 SEPTEMBRE 2020

N° RG 17/05511

N° Portalis : DBV3-V-B7B-R6TW

AFFAIRE :

[K] [R]

C/

SAS RENAULT

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 29 Septembre 2017 par le conseil de prud'hommes - Formation de départage de Boulogne-Billancourt

Section : Industrie

N° RG : 14/01796

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées le 11 Septembre 2020 à :

- Me Marie-Laure DUFRESNE-CASTETS

- Me Christophe PLAGNIOL

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE DIX SEPTEMBRE DEUX MILLE VINGT,

La cour d'appel de Versailles, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

Monsieur [K] [R]

né le [Date naissance 2] 1959 à [Localité 7]

de nationalité Française

[Adresse 3]

[Adresse 3]

Représenté par Me Marie-Laure DUFRESNE-CASTETS, constituée/ plaidant, avocate au barreau de PARIS, vestiaire : E1485

APPELANT

****************

La SAS RENAULT

N° SIRET : 780 129 987

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Représentée par Me Jennifer AVENEL, avocate au barreau des HAUTS-DE-SEINE, substituant Me Christophe PLAGNIOL de la SELAFA CMS Francis Lefebvre Avocats, constitué/plaidant, avocat au barreau des HAUTS-DE- SEINE, vestiaire : 1701

INTIMÉE

****************

Composition de la cour :

L'affaire a été débattue à l'audience publique du 30 Juin 2020, Madame, Valérie DE LARMINAT, conseiller, ayant été entendue en son rapport, devant la cour composée de :

Madame Isabelle VENDRYES, Président,

Madame Valérie DE LARMINAT, Conseiller,

Madame Nathalie GAUTRON-AUDIC, Conseiller,

qui en ont délibéré,

Greffier, lors des débats : Monsieur Nicolas CAMBOLAS

FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Rappel des faits constants

La SAS Renault, dont le siège social est situé à [Localité 4] dans les Hauts-de-Seine, a pour activité l'industrie et le commerce automobiles. Elle emploie environ 32 000 salariés au total et 3 500 salariés au sein de l'établissement de [Localité 5] situé dans le département de la Seine-Maritime en région Normandie.

M. [K] [R], né le [Date naissance 2] 1959, a été engagé par la SAS Renault par contrat à durée indéterminée à compter du 1er octobre 1978 en qualité d'agent productif au sein de l'établissement de [Localité 5].

Ainsi que l'expose M. [R], sa carrière s'est déroulée de la façon suivante : il a obtenu un BEP de mécanicien monteur et un CAP de tourneur en 1976. Du 1er juillet au 30 septembre 1978, il a d'abord été engagé par la SAS Renault, dans le cadre de contrats d'intérim, en qualité d'ouvrier sur des chaînes d'assemblage et d'usinage de boites de vitesse. Le 1er octobre 1978, à l'âge de 19 ans et demi, il a été engagé dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée à l'usine de [Localité 5], en qualité d'agent productif au coefficient 165. En novembre 1978, il est passé au coefficient 170 en atelier de fabrication de boites de vitesse. Le 1er octobre 1980, il est devenu P1 tourneur, au coefficient 180 dans un atelier de maintenance. Au cours de l'année 1981, il a obtenu un CAP de dessinateur industriel, en suivant des cours du soir. Le 1er juillet 1982, il a occupé un poste de tourneur, P2, coefficient 195 dans le même atelier. En 1982, il a obtenu un baccalauréat type « F1 » en construction mécanique. Ces diplômes lui ont permis d'occuper un poste au service méthodes en octobre 1982. Le 1er mars 1983, il a été nommé « agent de méthodes débutant niveau 3 échelon 2 » au coefficient 225. Le 1er mars 1984, il était nommé « agent de méthodes niveau 3 échelon 3 » au coefficient 240. Le 1er février 1985, il a été nommé « technicien méthodes qualifié niveau 4 échelon 1 » au coefficient 260. Le 1er avril 1989, il a été nommé « technicien méthodes principal » niveau 4 échelon 3 au coefficient 285. Le 1er novembre 1994, il a été nommé « technicien méthodes principal » niveau 5 échelon 1 au coefficient 305. Le 1er mars 2000, il a été nommé « technicien méthodes principal » au coefficient 335. Ensuite, il deviendra « process-usinage arbre à came » et ne changera plus de coefficient.

La relation de travail est régie par la convention collective de la métallurgie [Localité 8]-[Localité 6].

A compter du 20 novembre 2003, M. [R] a exercé différentes fonctions syndicales au sein de différentes institutions représentatives du personnel :

- membre titulaire du comité d'entreprise (CE),

- délégué syndical d'établissement,

- représentant du personnel au comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT),

- représentant syndical au CHSCT,

- membre de la commission Formation,

- membre titulaire du comité central d'entreprise (CCE),

- représentant syndical au CHSCT,

- représentant syndical au CE

- membre de la coordination du CHSCT,

- délégué syndical d'établissement.

En dernier lieu, M. [R] occupait le poste de concepteur process arbre à came coefficient 335 et percevait une rémunération annuelle brute de 43 345 euros.

Le 1er avril 2016, M. [R] a bénéficié d'une dispense d'activité et a perçu 75% de son salaire jusqu'à son départ à la retraite le 1er avril 2019.

Entre-temps, le 3 novembre 2014, M. [R] a saisi le conseil de prud'hommes de Boulogne-Billancourt en reconnaissance d'une discrimination en raison de sa qualité de représentant du personnel.

La décision contestée

Par jugement contradictoire rendu le 29 septembre 2017, la formation de départage de la section industrie du conseil de prud'hommes de Boulogne-Billancourt a :

- déclaré M. [R] recevable en ses demandes,

- constaté que M. [R] a été victime d'une discrimination en raison de ses activités syndicales et de représentant du personnel au sein de la SAS Renault,

- condamné en conséquence la SAS Renault à verser à M. [R] les sommes de :

' 11 763,16 euros au titre du préjudice matériel lié à la discrimination syndicale,

' 16 000 euros au titre du préjudice moral lié à la discrimination syndicale,

- dit que ces sommes porteront intérêt au taux légal à compter de la date de réception de la convocation devant le bureau de conciliation,

- débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,

- condamné la SAS Renault à payer à M. [R] la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la SAS Renault aux dépens.

Le conseil a reconnu l'existence d'une discrimination syndicale, a accordé des dommages-intérêts en réparation du préjudice subi mais a débouté le salarié de sa demande de passage au coefficient 400, retenant que le salarié ne remplissait pas les conditions exigées, notamment en compétences informatiques.

La procédure d'appel

M. [R] a interjeté appel du jugement par déclaration n° 17/05511 du 17 novembre 2017.

Prétentions de M. [R], appelant

Par conclusions adressées par voie électronique le 23 janvier 2020, M. [R] demande à la cour d'appel de :

- confirmer la décision entreprise en ce qu'elle a :

- rejeté la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action,

- constaté l'existence d'une discrimination à son égard en raison de ses activités syndicales et de représentation du personnel de la part de la SAS Renault,

- condamné la SAS Renault à lui verser la somme de 11 763,16 euros au titre du préjudice matériel lié à la discrimination syndicale,

- condamné la SAS Renault à lui verser la somme de 16 000 euros au titre du préjudice moral lié à la discrimination syndicale,

- la réformer pour le surplus, en conséquence,

- condamner la SAS Renault à lui verser la somme de 128 071,80 euros + 54 944,41 euros + 8 529,24 euros, soit 191 545,45 euros au titre du préjudice matériel ainsi que 25 000 euros au titre du préjudice moral, ce qui représente un total de 216 545,45 euros, soit déduction faite des 27 763,16 euros accordés en première instance, la somme de 188 782,29 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice matériel et moral résultant de la discrimination syndicale,

- ordonner à la SAS Renault de lui attribuer le coefficient 400 à compter de l'année 2010 et ce, jusqu'à son départ à la retraite le 1er avril 2019.

L'appelant sollicite en outre les intérêts de retard au taux légal à compter de la saisine du bureau de conciliation et d'orientation et une somme de 2 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Prétentions de la SAS Renault, intimée

Par conclusions adressées par voie électronique le 29 janvier 2020, la SAS Renault conclut à l'infirmation de la décision entreprise sauf en ce qu'elle a débouté le salarié de sa demande de repositionnement au coefficient 400, présente un appel incident et demande en conséquence à la cour d'appel de :

- déclarer la demande de dommages-intérêts pour discrimination syndicale formulée par M. [R] irrecevable comme prescrite,

- débouter M. [R] de ses chefs de demande.

Elle sollicite une somme de 1 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Pour plus ample exposé des moyens des parties, il est renvoyé à leurs conclusions respectives, en application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

Par ordonnance rendue le 5 février 2020, le magistrat chargé de la mise en état a ordonné la clôture de l'instruction et a fixé la date des plaidoiries au 30 juin 2020.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la prescription

La SAS Renault soutient, à l'appui de sa fin de non-recevoir tenant à la prescription de l'action engagée par M. [R], que la révélation de la discrimination n'est pas constituée par la révélation de la portée juridique d'éléments de comparaison portés à la connaissance du salarié, mais en la connaissance elle-même de ces éléments de comparaison. Elle prétend avoir attiré l'attention du salarié dès le 17 juin 2008 sur un document de transparence ayant pour objet de lui permettre de situer sa rémunération par rapport à celle de ses collègues de travail. Elle souligne que M. [R], en sa qualité de représentant du personnel depuis 2003, avait en sa possession ces éléments d'informations.

M. [R] considère que son action n'est pas prescrite. Il fait valoir que le point de départ du délai est la révélation de la discrimination et non la révélation de certains faits qui pourraient l'établir. Il prétend qu'au cas d'espèce, le point de départ du délai est la révélation opérée par l'utilisation des lettres de transparence, à la lecture des arrêts de condamnation de Renault le 29 janvier 2013 par la cour d'appel de Versailles.

Sur ce,

L'article L. 1134-5 du code du travail dispose : « L'action en réparation du préjudice résultant d'une discrimination se prescrit par cinq ans à compter de la révélation de la discrimination.Ce délai n'est pas susceptible d'aménagement conventionnel.

Les dommages et intérêts réparent l'entier préjudice résultant de la discrimination, pendant toute sa durée ».

En application des dispositions précitées, le point de départ de l'action en réparation du préjudice résultant d'une discrimination doit être fixé à sa révélation, du jour où le salarié est en possession des éléments l'amenant à penser qu'il est discriminé, notamment des éléments de comparaison mettant en évidence une discrimination.

Au cas d'espèce, M. [R] a saisi le conseil de prud'hommes le 3 novembre 2014 d'une action en discrimination syndicale qu'il prétend avoir subie depuis le 20 novembre 2003, date de début de ses activités syndicales, de sorte que son action doit être dite prescrite si le salarié était déjà en possession des éléments l'amenant à penser qu'il était discriminé avant le 3 novembre 2009.

Pour dire l'action prescrite, la SAS Renault invoque en premier lieu le document de transparence de 2008, dont les parties admettent qu'il a été porté à la connaissance de M. [R].

Ce seul document (pièce 41.2 du salarié) ne permettait toutefois pas à M. [R] de penser qu'il était discriminé dès lors qu'il en résulte que son salaire de référence au 31 décembre 2007 de 39 297 euros était dans la fourchette des rémunérations de son coefficient : 305 à 400 : rémunération annuelle moyenne : 40 907 euros, rémunération la plus basse : 35 206 euros, rémunération la plus haute : 47 503 euros et médiane : 40 201 euros.

La SA Renault invoque en deuxième lieu le document de transparence 2009 adressé à M. [R] le 25 juin 2009. De la même façon que le document de l'année 2008, ces informations permettaient uniquement au salarié de se situer par rapport à ses collègues du même coefficient mais ne mettaient pas en évidence un élément de discrimination.

La SA Renault invoque enfin les bilans sociaux de la société mentionnant le taux de promotion du personnel et la durée moyenne entre deux promotions, dont M. [R] avait connaissance en raison de ses fonctions syndicales. La société ne produit toutefois pas ces bilans aux débats, de sorte que leur contenu ne peut être examiné. Ils sont en toute hypothèse des documents de portée générale par nature, qui ne peuvent permettre de retenir que M. [R] aurait été en possession d'éléments l'amenant à penser qu'il est discriminé.

Au regard de ces éléments, la SAS Renault ne démontre pas que M. [R] était déjà en possession d'éléments l'amenant à penser qu'il était discriminé avant le 3 novembre 2009.

Dès lors, son action n'est pas prescrite, le jugement devant être confirmé sur ce point.

Sur la discrimination syndicale

L'article L. 1132-1 du code du travail dispose : « Aucune personne ne peut être écartée d'une procédure de recrutement ou de nomination ou de l'accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, telle que définie à l'article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, notamment en matière de rémunération, au sens de l'article L. 3221-3, de mesures d'intéressement ou de distribution d'actions, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat en raison de son origine, de son sexe, de ses m'urs, de son orientation sexuelle, de son identité de genre, de son âge, de sa situation de famille ou de sa grossesse, de ses caractéristiques génétiques, de la particulière vulnérabilité résultant de sa situation économique, apparente ou connue de son auteur, de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une prétendue race, de ses opinions politiques, de ses activités syndicales ou mutualistes, de son exercice d'un mandat électif local, de ses convictions religieuses, de son apparence physique, de son nom de famille, de son lieu de résidence ou de sa domiciliation bancaire, ou en raison de son état de santé, de sa perte d'autonomie ou de son handicap, de sa capacité à s'exprimer dans une langue autre que le français ».

L'article L. 1134-1 du code du travail prévoit qu'en cas de litige relatif à l'application de ce texte, le salarié concerné présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte, au vu desquels il incombe à l'employeur de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination, et le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

M. [R] prétend avoir fait l'objet de plusieurs mesures discriminatoires en raison de ses activités syndicales et invoque à l'appui de son allégation, comme éléments de fait susceptibles d'établir la discrimination, une évolution de carrière d'abord rapide et constante puis une stagnation anormalement longue au coefficient 335 concomitante au début de son activité syndicale, qui s'est également traduite sur sa rémunération, d'une part, et les mentions relatives à ses activités syndicales portées sur ses évaluations annuelles, d'autre part.

- Concernant l'évolution de carrière

L'étude de la carrière de M. [R] montre qu'après avoir été engagé par la SAS Renault en 1978, il a évolué de manière rapide et constante pour atteindre le 1er mars 2000 le statut de « technicien méthodes principal » au coefficient 335 ; que cependant à partir de 2002, date à laquelle M. [R] indique avoir commencé à militer, il n'a fait l'objet d'aucune promotion, stagnant pendant plus de 16 ans au coefficient 335 jusqu'à son départ à la retraite à ce même coefficient.

Au regard de ces éléments, il y a lieu de constater une stagnation anormalement longue au coefficient 335 et une différence entre le rythme d'évolution avant la connaissance par la société de son activité syndicale et celui postérieur.

Les parties s'accordent sur l'évolution de carrière telle qu'elle est décrite par M. [R] et celle-ci permet à elle seule de retenir les constats énoncés. Ceux-ci résultent par ailleurs de différents éléments.

L'ancienneté moyenne dans les coefficients de la filière 700, à laquelle appartient M. [R], présentée par la direction centrale lors de la réunion de négociation du 14 septembre 2010 (pièce 34 du salarié) était de 5 ans pour la moyenne des coefficients 335 alors que M. [R] va rester 16 ans à ce coefficient.

Les bilans sociaux de la SAS Renault et de Renault Cléon indiquent des durées moyennes entre deux promotions de l'ordre de 6 années, l'indicateur existant depuis 2008 (pièce 32 du salarié).

Avant sa prise de mandat, la durée du temps écoulé entre le passage de M. [R] du coefficient 225 à 305 a été de 12,5 années alors que la moyenne annoncée par la SAS Renault pour ces coefficients était de 25,4 années. En revanche, après sa prise de mandat, il n'a connu aucune évolution de carrière en 16 ans alors que la durée moyenne entre le coefficient 335 et 365 était de 4,6 années et entre les coefficients 365 et 400, de 4,7 ans.

La lettre de transparence 2014 indique une ancienneté moyenne dans le coefficient 400 de 29 ans alors que M. [R] totalisait 37 années et stagnait au coefficient 335.

La rémunération de M. [R] était le reflet de son évolution professionnelle.

Ces faits sont matériellement établis.

- Concernant les mentions relatives à ses activités syndicales portées sur les évaluations du salarié

A neuf reprises, l'employeur a fait mention des absences dues aux mandats exercés par M. [R] dans ses évaluations.

Pour l'année 2003, il est mentionné : « (') Ce complément de charges devra s'intégrer dans ses objectifs connus pour 2004 et en tenant compte des mandats syndicaux dont il a la responsabilité. (') Il devra particulièrement bien structurer son organisation professionnelle pour réussir ses objectifs 2004 et assumer ses responsabilités syndicales »

Pour l'année 2005, il est mentionné : « Une optimisation de son organisation sera nécessaire pour prioriser et gérer l'ensemble de ses dossiers, tout en assurant ses responsabilités syndicales. »

Pour l'année 2009, il est mentionné : « Entre ses activités syndicales, ses formations, ses congés et les jours de chômage, il n'a été présent qu'à 50 % de son temps dans l'UET. Il ne s'est donc consacré qu'aux sujets prioritaires, notamment le projet Aac H79. »

Pour l'année 2010, il est mentionné : « L'intensification de l'activité syndicale d'[K] pendant le second semestre a largement contribué à la non-atteinte des objectifs 2010. »

Pour l'année 2011, il est mentionné : « prévenir l'animateur de la réunion, lors d'un départ en délégation s'il y a une réunion programmée. », « Une activité syndicale à hauteur de 50 % de sa charge. »

Par la suite, les mandats de M. [R] ne seront plus visés dans les entretiens d'évaluation, une note de la direction des ressources humaines du 30 janvier 2012 ayant invité les évaluateurs à ne pas faire mention des mandats des représentants du personnel.

Ainsi, tant la stagnation de la carrière de M. [R] que les mentions portées sur ses évaluations, laissent supposer une discrimination syndicale.

En réponse, l'employeur fait valoir, pour expliquer la stagnation de carrière, que si les évaluations du salarié étaient bonnes au niveau de son engagement professionnel, des lacunes avaient été constatées en ce qui concerne ses compétences professionnelles.

Les évaluations 2011, 2012, 2013 et 2014 évoquées plus particulièrement par l'employeur ne font toutefois pas état d'insuffisances professionnelles.

Les points à améliorer sont renseignés ainsi :

2011 : comme l'année dernière, [K] devra accentuer ses efforts en termes de respect des délais des affaires qu'il a en compte.

2012 : comme l'année dernière, [K] devra accentuer ses efforts en termes de respect des délais des affaires qu'il a en compte.

2013 : apporter du pragmatisme dans son analyse métier /processus et règles.

2014 : se renforcer dans la proposition et la résolution de problèmes en s'appuyant sur un formalisme clair et synthétique (problème, solutions, délai, pilote).

Ils traduisent un souci d'amélioration du travail du salarié sans dénoncer un manque de compétence.

Le fait que M. [R] ait suivi des formations professionnelles au sein de la SAS Renault s'inscrit dans ce même cadre et ne peut lui être reproché comme étant révélateur d'un manque de compétence, comme le fait pourtant l'employeur, page 16 de ses conclusions.

La SAS Renault produit également (sa pièce 14) un courriel daté du 9 octobre 2015 émanant de M. [V], supérieur hiérarchique de M. [R], lequel indique : « le pilotage et l'autonomie de [K] ne justifient pas aujourd'hui un positionnement sur un coefficient supérieur (les actions caractérisant le cran d'emploi 365 ne sont pas atteintes voire même certaines du 335 ne sont pas remplies non plus (prévoir, concevoir, animer, étudier),

- manque d'autonomie sur les outils du concepteur process, de prise de décision (demande de validation ou d'assistance du PFI),

- (') ne va pas au bout de sa mission de concepteur process dans l'organisation et la planification des runs sous sa responsabilité (...). »

Cette appréciation portée en 2015 alors que l'instance prud'homale était déjà engagée, en dehors de toute procédure d'évaluation contradictoire, ne peut être prise en considération, faute de force probante suffisante.

Ainsi, contrairement à ce que soutient l'employeur, la stagnation de carrière de M. [R] ne peut s'expliquer par des évaluations professionnelles défavorables.

La SAS Renault invoque ensuite, pour expliquer les mentions figurant sur les évaluations, l'existence d'un accord de droit syndical du 23 juin 2000 visant à valoriser ou à assurer la neutralité de l'exercice des activités syndicales.

Cet accord prévoit à l'article 2 du chapitre 2 intitulé « Aménagement du poste de travail » : « En cas de nécessité, il peut être envisagé, en concertation avec le représentant du personnel, et afin de tenir compte de sa moindre disponibilité professionnelle, 1'adaptation de l'organisation du travail en veillant à préserver l'intérêt de l'emploi ainsi que les possibilités d'évolution professionnelle de l'intéressé. Cette question peut être évoquée, à la demande du représentant du personnel, lors de la prise de mandats et à l'occasion des entretiens individuels. »

Les mentions figurant dans les évaluations de M. [R] rappelées précédemment ne visaient ni à assigner au salarié des objectifs proportionnés, ni à lui proposer une organisation particulière quelconque. Elles visaient à relever ses absences, l'organisation de son temps de travail relevant de sa seule responsabilité.

Dans ces conditions, l'accord de méthode ne peut expliquer les mentions discriminantes figurant dans les évaluations de M. [R].

L'ensemble de ces éléments conduit à retenir l'existence d'une discrimination commise par la SAS Renault à l'égard de M. [R], en raison de son activité syndicale.

Le jugement, en ce qu'il a reconnu l'existence d'une discrimination syndicale, sera dès lors confirmé.

Sur l'indemnisation du salarié

Le salarié victime d'une discrimination syndicale est bien fondé à solliciter des dommages- intérêts qui ont pour objet de réparer la perte de salaire résultant de la discrimination mais également d'indemniser l'ensemble des préjudices subis du fait de cette discrimination.

En l'espèce, il y a lieu de retenir au titre du préjudice économique, une perte de salaires évaluée à 128 071,80 euros, selon le calcul proposé par M. [R] qui s'est appuyé sur l'écart entre les salaires qu'il a reçus entre 2002 et 2013 et la moyenne des salaires touchés dans le 9ème décile de sa catégorie revalorisés en euros constants.

Il y a lieu de prendre en compte également l'incidence sur les droits à la retraite Agirc arrêtée, selon le calcul proposé par le salarié et repris par la cour, à la somme de 54 944,41 euros.

L'incidence de ce rappel de salaires sur l'indemnité de départ à la retraite doit être fixée à la somme de 8 529,24 euros.

Soit une somme totale due de 191 545,45 euros.

M. [R] justifie par ailleurs avoir subi un préjudice moral en lien avec l'ancienneté de la discrimination et l'absence de réponse satisfaisante de l'employeur à ses réclamations, qu'il convient de réparer par l'allocation d'une somme de 20 000 euros.

Le jugement sera infirmé de ces chefs.

Le bénéfice du coefficient 400, tel que réclamé par M. [R], en complément de son indemnisation, avec une unique incidence sur son indemnité de départ à la retraite, n'est pas fondé, le préjudice apparaissant déjà totalement indemnisé au vu des sommes précédemment allouées.

Le jugement sera confirmé de ce chef.

Sur la demande d'imputation des sommes versées au titre de l'exécution provisoire

La demande d'imputation des sommes d'ores-et-déjà versées par l'employeur au titre de l'exécution provisoire du jugement de première instance, formulée par le salarié aux termes de ses conclusions, est sans objet.

Sur les intérêts moratoires

Le créancier peut prétendre aux intérêts de retard calculés au taux légal, en réparation du préjudice subi en raison du retard de paiement de sa créance par le débiteur.

Les condamnations prononcées produisent intérêts au taux légal à compter de l'arrêt s'agissant de créances indemnitaires.

Sur les dépens et les frais irrépétibles de procédure

La SAS Renault, qui succombe dans ses prétentions, supportera les dépens en application des dispositions de l'article 696 du code de procédure civile.

Elle sera en outre condamnée à payer à M. [R] une indemnité sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, que l'équité et la situation économique respective des parties conduisent à arbitrer à la somme de 1 500 euros.

La SAS Renault sera déboutée de sa demande présentée sur le même fondement.

PAR CES MOTIFS,

La Cour, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort :

INFIRME partiellement le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Boulogne-Billancourt le 29 septembre 2017 sur le quantum de l'indemnisation de la discrimination syndicale ;

Statuant à nouveau,

CONDAMNE la SAS Renault à payer à M. [K] [R] la somme de 191 545,45 euros en réparation du préjudice économique subi par le salarié ;

CONDAMNE la SAS Renault à payer à M. [K] [R] la somme de 20 000 euros en réparation du préjudice économique subi par le salarié ;

CONFIRME le jugement pour le surplus ;

Y ajoutant,

CONDAMNE la SAS Renault à payer à M. [K] [R] les intérêts de retard au taux légal à compter du prononcé de l'arrêt ;

CONDAMNE la SAS Renault à payer à M. [K] [R] une somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

DÉBOUTE la SAS Renault de sa demande présentée sur le même fondement ;

CONDAMNE la SAS Renault au paiement des entiers dépens ;

Arrêt prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, et signé par Madame Isabelle VENDRYES, Président, et par Monsieur Nicolas CAMBOLAS, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le GREFFIER,Le PRÉSIDENT,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 6e chambre
Numéro d'arrêt : 17/05511
Date de la décision : 10/09/2020

Références :

Cour d'appel de Versailles 06, arrêt n°17/05511 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2020-09-10;17.05511 ?
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