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02/07/2020 | FRANCE | N°19/02249

France | France, Cour d'appel de Versailles, 5e chambre, 02 juillet 2020, 19/02249


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 89E

5e Chambre



ARRET N°



CONTRADICTOIRE



DU 02 JUILLET 2020



N° RG 19/02249 - N° Portalis DBV3-V-B7D-TGRP



AFFAIRE :



SA SOPRA STERIA GROUP





C/

CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DES YVELINES

...







Décision déférée à la cour : Jugement rendu(e) le 17 Avril 2019 par le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de VERSAILLES

N° RG : 14/01560






Copies exécutoires délivrées à :



Me Pauline MORDACQ



Me Mylène BARRERE



Me David METIN



Copies certifiées conformes délivrées à :



SA SOPRA STERIA GROUP



CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DES YVELINES,



[P] ...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 89E

5e Chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 02 JUILLET 2020

N° RG 19/02249 - N° Portalis DBV3-V-B7D-TGRP

AFFAIRE :

SA SOPRA STERIA GROUP

C/

CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DES YVELINES

...

Décision déférée à la cour : Jugement rendu(e) le 17 Avril 2019 par le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de VERSAILLES

N° RG : 14/01560

Copies exécutoires délivrées à :

Me Pauline MORDACQ

Me Mylène BARRERE

Me David METIN

Copies certifiées conformes délivrées à :

SA SOPRA STERIA GROUP

CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DES YVELINES,

[P] [G]

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE DEUX JUILLET DEUX MILLE VINGT,

La cour d'appel de VERSAILLES, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

SA SOPRA STERIA GROUP

[Adresse 1]

[Adresse 1]

[Localité 2]

représentée par Me Pauline MORDACQ de l'AARPI ERGON Avocats, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P0380

APPELANTE

****************

CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DES YVELINES

Département juridique

[Adresse 6]

[Localité 5]

représentée par Me Mylène BARRERE, avocat au barreau de PARIS,

vestiaire : R295

Madame [P] [G]

[Adresse 3]

[Localité 4]

représentée par Me David METIN de l'AARPI METIN & ASSOCIES, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 159

INTIMEES

****************

Composition de la cour :

L'affaire a été débattue le 28 Mai 2020, en audience publique, devant la cour composée de :

Monsieur Olivier FOURMY, Président,

Madame Marie-Bénédicte JACQUET, Conseiller,

Madame Caroline BON, Vice président placée,

qui en ont délibéré,

Greffier, lors des débats : Monsieur Mame NDIAYE

FAITS ET PROCÉDURE

Madame [P] [G] a travaillé au sein de la société Sopra Steria Group SA (ci-après, la 'Société' ou 'l'employeur') à compter de 1991 en qualité de secrétaire de direction.

En 1993, elle a subi une dépression en relation, selon elle, avec des problèmes familiaux.

Le 29 novembre 2007, le docteur [B], psychiatre, certifie que Mme [G] 'presente un etat anxio depressif en relation avec des conflits au travail'. Il sera précisé dans le rapport médical d'évaluation du taux d'incapacité permanente ('IPP') en maladie professionnelle dressé le 6 octobre 2015 (ci-après, le 'Rapport').

Le 11 avril 2011, Mme [G] a été placée en arrêt de travail pour 'dépression'. Elle se voit prescrire un traitement avec de nombreux médicaments et le Rapport indique que Mme [G] rencontrait son psychiatre trois à quatre fois par semaine.

Mme [G] n'a pas repris le travail par la suite.

Le 21 juin 2011, le docteur [U], médecin traitant de Mme [G], adresse au médecin-conseil de la société Gan Eurocourtage une attestation médicale (ci-après, l' 'Attestation'), établie à la demande de sa patiente, selon laquelle il suit cette dernière depuis 'vingt ans' pour une 'Dépression réactionnelle' et est le médecin prescripteur des arrêts de travail depuis 'vingt ans'.

Le docteur [U] précise qu'en 2007, Mme [G] a déjà bénéficié d'un arrêt de travail d'une durée d'un an, pour la même pathologie.

Le 16 décembre 2011, le docteur [B] délivre une certificat selon lequel 'l'etat depressif de Madame [G] [P] est en relation avec un conflit au travail'.

A compter du 19 avril 2013, ce n'est plus le docteur [U] (ou, en une occasion, le docteur [M]) qui signe les arrêts de travail, c'est le docteur [B].

Par déclaration en date du 12 juin 2013, Mme [G] a formulé une demande de reconnaissance de maladie professionnelle, sur la base d'un certificat médical établi par le docteur [B] le 6 juin 2013, qui certifie que Mme [G] 'presente un etat depressif grave avec asthenie apragmatisme, pleurs, idées noires, fatigue chronique, angoisses (Le') tout est à mettre en relation avec son travail.

Cet etat depressif rentre dans le cadre d'une maladie professionnelle'.

Par décision rendue le 1er avril 2014, le comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles Ile-de-France (ci après, le 'CRRMP') saisi par la caisse primaire d'assurance maladie des Yvelines (ci-après, la 'CPAM'), en retenant un taux d'incapacité permanente partielle supérieur à 25%, a estimé que ' l'analyse des conditions de travail telles qu'elles ressortent de l'ensemble des pièces du dossier ainsi que la chronologie d'apparition des symptômes et leur nature permettent de retenir un lien direct et essentiel entre les conditions de travail habituel et la maladie déclarée par certificat médical du 06/06/2013 '.

Par décision notifiée le 14 mai 2014 à Mme [G], la CPAM a déclaré comme étant d'origine professionnelle l'affection 'dépression sévère' dont souffre Mme [G].

La Société a saisi la commission de recours amiable de la CPAM (ci-après, la 'CRA') afin de contester la décision de prise en charge de la pathologie déclarée par Mme [G] le 12 juin 2013 sur la base du certificat établi le 6 juin 2013.

Dans le silence de la CRA, la Société a saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale des Yvelines (ci-après, le 'TASS').

Parallèlement, Mme [G] a saisi le TASS aux fins de voir reconnaître la faute inexcusable de son employeur comme étant à l'origine de son état dépressif pris en charge au titre de la législation professionnelle.

Le 6 octobre 2015, le médecin-conseil de la Caisse a, dans le Rapport, considéré la consolidation acquise au 21 octobre 2015.

Par jugement contradictoire en date du 11 janvier 2018, le TASS a :

- donné acte à Mme [G] de son intervention volontaire dans l'instance engagée par son employeur ;

- ordonné la jonction des deux instances ;

- désigné en application de l'article R.142-24-2 du code de la sécurité sociale le CRRMP de la région Hauts-de-France avec pour mission de dire si l'affection « dépression sévère » dont est atteinte Mme [G] a été directement causée par son travail habituel ;

- sursis à statuer sur l'ensemble des autres demandes dans l'attente de cet avis.

Le CRRMP de la région Hauts-de-France ayant rendu son avis en date du 15 mai 2018, les parties ont été convoquées à une audience le 28 février 2019, devant le pôle social du tribunal de grande instance de Versailles.

Par jugement contradictoire en date du 17 avril 2019, le tribunal a :

- dit que les recours 14-01560 et 16-00270 ayant précédemment fait l'objet d'une jonction le recours porte désormais le seul numéro 14-01560 ;

- débouté la Société de sa demande d'inopposabilité de la décision du 14 mai 2014 de la CPAM de prise en charge de la maladie professionnelle de Mme [G] constatée médicalement le 6 juin 2013 ;

- dit que la maladie professionnelle de Mme [G] constatée médicalement le 6 juin 2013 résulte de la faute inexcusable de son employeur ; en conséquence :

-dit que la rente de Mme [G] doit être majorée à son maximum conformément aux dispositions de l'article L.452-2 du code de la sécurité sociale, qu'elle suivra l'évolution de son taux d'incapacité et qu'elle sera versée directement par la CPAM ;

-dit que la CPAM devra verser à Mme [G] la somme de 1 000 euros à titre de provision à valoir sur les préjudices visés à l'article L.452-3 du code de la sécurité sociale ;

- dit que les sommes versées à Mme [G] par la CPAM à titre d'indemnisation suite à la reconnaissance de cette faute inexcusable de l'employeur seront récupérées auprès de la Société ;

- ordonné une expertise judiciaire confiée au docteur [L], afin qu'il donne son avis sur l'ensemble des postes de préjudices invoqués par Mme [G] ;

- a renvoyé l'affaire à une audience ultérieure.

Pour l'essentiel, le tribunal s'est fondé sur un rapport d'enquête établi par le comité d'hygiène et de sécurité de l'entreprise ('CHSCT') en 2013 et l'ensemble des éléments versés au dossier pour débouter la Société de sa demande d'inopposabilité de la décision de prise en charge de la maladie professionnelle de Mme [G] et constater que l'employeur avait bien manqué à son obligation de sécurité, de sorte qu'il convenait de faire droit à la demande en reconnaissance de la faute inexcusable de la Société.

La Société a interjeté appel de ce jugement en date du 14 mai 2019.

Par conclusions communiquées et soutenues oralement à l'audience, la Société sollicite de la cour qu'elle :

- la reçoive en son appel et la déclare bien fondée ;

- dise et juge que Mme [G] a été informée dès le mois de novembre 2007 de l'éventuel lien entre son état de santé et sa situation professionnelle ;

- dise et juge Mme [G] prescrite en sa demande de reconnaissance de maladie professionnelle formée le 12 juin 2013 ;

- infirme la décision entreprise en toutes ses dispositions et statuant à nouveau ;

- dise et juge inopposable à la société dans ses rapports avec la CPAM la reconnaissance de la maladie professionnelle de Mme [G] ;

- dise et juge que l'ensemble des conséquences financières de la décision de la cour à intervenir devront demeurer à la charge de la CPAM sans pouvoir être récupérées d'aucune manière sur l'employeur ;

- dise et juge que la demande initiale de reconnaissance d'une maladie professionnelle est irrégulière faute de certificat médical initial ;

- dise et juge que la CPAM n'a pas communiqué l'enquête complémentaire à la société ;

- dise et juge que la CPAM ainsi que le CRRMP d'Ile-de-France et le CRRMP des Hauts-de-France ne peuvent valablement se fonder sur l'enquête accident du travail ;

- dise et juge que les décisions successives du CRRMP d'Ile-de-France et celle du CRRMP des Hauts-de-France sont irrégulières ;

- dise et juge qu'elle n'a pas exposé Mme [G] à une quelconque situation pouvant être préjudiciable pour sa santé ;

- lui dise et juge inopposable la reconnaissance de maladie professionnelle de Mme [G] ;

- dise et juge que Mme [G] ne démontre pas sa faute inexcusable ;

- déboute Mme [G] de ses demandes, fins et conclusions au titre de la prétendue faute inexcusable ;

A titre subsidiaire,

- dise et juge que l'ensemble des conséquences financières de la décision de la cour à intervenir devront demeurer à la charge de la CPAM sans pouvoir être récupérées d'aucune manière sur la société ;

En tout état de cause,

- condamne Mme [G] et la CPAM in solidum à payer à la société la somme de 5 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Par conclusions déposées et soutenues à l'audience, Mme [P] [G] demande à la cour de :

- la recevoir en ses demandes de l'y déclarer bien fondée ;

- confirmer le jugement entrepris en ce que la Société a été déboutée de sa demande d'inopposabilité de la décision du 14 mai 2014 de la CPAM, laquelle reconnaît l'origine professionnelle de sa maladie ;

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a jugé que sa maladie professionnelle est due à la faute inexcusable de son employeur, la société Steria Group ;

En conséquence,

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a été jugé de fixer au maximum le montant de la rente allouée à Mme [G], conformément aux dispositions de l'article L. 452-2 du code de la sécurité sociale ;

- donner acte que l'expertise ordonnée par le juge a été réalisée ;

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a fixé à la somme de 1 000 euros le montant de la provision à lui verser à valoir sur l'indemnisation de ses préjudices ;

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la Société à lui verser la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ; y ajoutant,

- condamner la Société à lui verser la somme de 2 000 euros au titre des frais engagés en cause d'appel sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner la Société aux entiers dépens y compris les éventuels frais d'exécution de l'arrêt à intervenir ;

- débouter la Société de toutes ses demandes ;

- renvoyer l'affaire devant le pôle social du tribunal de grande instance de Versailles aux fins de liquidation des préjudices sur la base du rapport d'expertise qui sera rendu (sic).

Par conclusions écrites soutenues à l'audience, la CPAM sollicite de la cour qu'elle :

- confirme le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la Société de sa demande d'inopposabilité de sa décision du 14 mai 2014 ayant reconnu le caractère professionnel de la maladie de Mme [G]-[S] constatée médicalement le 6 juin 2013 ;

- débouter la Société de toutes ses demandes, fins et conclusions en ce qui concerne la demande d'inopposabilité ;

- lui donner acte de ce qu'elle s'en rapporte à justice sur le mérite de la demande de Mme [G]-[S] de reconnaissance de la faute inexcusable de la Société à l'origine de sa maladie professionnelle du 6 juin 2013 ;

- lui donner acte de ce qu'elle s'en rapporte à justice sur l'évaluation des préjudices prévus à l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale ;

- lui donner acte de ce qu'elle s'en rapporte à justice sur la demande de majoration de la rente ;

- évaluer s'il y a lieu les préjudices complémentaires à leur juste proportion, en excluant les chefs de préjudice dont la réparation est assurée, en tout ou partie, par les prestations du Livre IV du code de la sécurité sociale ;

- dire le cas échéant, que la réparation de ces préjudices sera versée directement à Mme [G] par la Caisse qui en récupérera le montant auprès de la Société ;

- condamner la Société ) lui verser la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la cour, conformément à l'article 455 du code de procédure civile, renvoie aux conclusions et aux pièces déposées et soutenues à l'audience.

MOTIFS

Sur la prescription

La Société soutient en particulier que 'lorsque Madame [G] a formé sa demande en reconnaissance de maladie professionnelle, elle était radicalement prescrite', en application des articles L. 431-2 et L. 461-1 du code de la sécurité sociale.

Dès lors que la victime a été 'informée du lien possible entre sa maladie et une activité professionnelle, le point de départ de la prescription biennale doit, même si aucun arrêt de travail n'a été prescrit, être fixé à la date de ce certificat' (en gras dans l'original des conclusions ; souligné comme dans l'original).

La Société considère que dans la mesure où la reconnaissance de la maladie fait grief à l'employeur et que ce denier a contesté cette décision dans le délai de deux mois, elle est 'parfaitement fondée à invoquer la prescription' (en gras dans l'original des conclusions), la méconnaissance par la Caisse de la prescription causant grief à l'employeur.

Enfin, dans le cadre d'une action en recherche de sa faute inexcusable, l'employeur est fondé à remettre en cause l'imputabilité au travail du risque pris en charge.

Mme [G] fait notamment valoir, pour sa part, que 'la connaissance du lien possible entre la maladie développée et l'activité professionnelle n'est pas le seul point de départ du délai de prescription de deux ans. (...) le délai commence également à courir à compter de la date de cessation du travail lorsque la victime a déjà été informée que la maladie a un lien avec son travail ou de la date à laquelle le paiement des indemnités journalières a cessé' (en gras comme dans l'original des conclusions).

Mme [G] relève qu'elle a perçu des indemnités journalières jusqu'au 30 juin 2013. Elle 'disposait jusqu'au 30 juin 2015' pour formuler sa demande.

Mme [G] partage, au demeurant, l'avis du premier juge qui a considéré que 'le fait que la (CPAM) ait renoncé à soulever la prescription de la demande de reconnaissance de la maladie professionnelle ne fait pas partie des motifs pour lesquels l'employeur peut obtenir l'inopposabilité de la décision de prise en charge, dès lors qu'il ne s'agit ni d'établir que la maladie professionnelle n'est pas caractérisée, ni de démontrer que la caisse primaire d'assurance maladie des Yvelines n'a pas respecté le principe du contradictoire au cours de la procédure d'enquête'.

En tout état de cause, le caractère professionnel de la maladie est acquis à l'égard de Mme [G] et '(p)artant, l'action (de celle-ci) portant sur la reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur est quant à elle parfaitement recevable (...)'.

La Caisse plaide en particulier, en ce qui la concerne, que l'argumentation de la Société 'ne saurait prospérer puisque l'instruction de la demande de la reconnaissance de la maladie au titre de la législation professionnel par la Caisse est régulière'.

En effet, la Caisse a instruit la demande à partir de la déclaration de maladie professionnelle faite le 12 juin 2013, sur la base du certificat médical initial du 6 juin 2013.

La Caisse note qu'elle 'n'a jamais été en possession d'un certificat médical du 29 novembre 2007, et ne l'est toujours pas à ce jour. Quant au certificat médical du 11 avril 2011, ce dernier était relatif à la demande de Madame [G]-[S] de prise en charge d'un accident au titre de la législation professionnelle et faisait donc état d'un lien entre un accident survenu au travail et des lésions', il s'agissait donc d'une procédure distincte.

La Caisse reprend également les arguments retenus par le premier juge pour écarter la prescription, pour les approuver.

Sur ce

Il semble qu'il ait pu exister une certaine confusion entre la notion de prescription de l'action en reconnaissance de la faute inexcusable, d'une part, et la prescription qui pourrait être opposée à l'action en reconnaissance de la maladie professionnelle, d'autre part.

C'est cette seconde que plaide la Société.

L'article L. 452-1 du code de la sécurité sociale se lit

Lorsque l'accident est dû à la faute inexcusable de l'employeur ou de ceux qu'il s'est substitués dans la direction, la victime ou ses ayants droit ont droit à une indemnisation complémentaire dans les conditions définies aux articles suivants.

Aux termes de l'article L. 431-2 du code de la sécurité sociale :

Les droits de la victime ou de ses ayants droit aux prestations et indemnités prévues par le présent livre se prescrivent par deux ans à dater :

1°) du jour de l'accident ou de la cessation du paiement de l'indemnité journalière ;

2°) dans les cas prévus respectivement au premier alinéa de l'article L. 443-1 et à l'article L. 443-2, de la date de la première constatation par le médecin traitant de la modification survenue dans l'état de la victime, sous réserve, en cas de contestation, de l'avis émis par l'expert ou de la date de cessation du paiement de l'indemnité journalière allouée en raison de la rechute ;

3°) du jour du décès de la victime en ce qui concerne la demande en révision prévue au troisième alinéa de l'article L. 443-1 ;

4°) de la date de la guérison ou de la consolidation de la blessure pour un détenu exécutant un travail pénal ou un pupille de l'éducation surveillée dans le cas où la victime n'a pas droit aux indemnités journalières.

(...)

Cette prescription est également applicable, à compter du paiement des prestations entre les mains du bénéficiaire, à l'action intentée par un organisme payeur en recouvrement des prestations indûment payées, sauf en cas de fraude ou de fausse déclaration.

Les prescriptions prévues aux trois alinéas précédents sont soumises aux règles de droit commun.

Toutefois, en cas d'accident susceptible d'entraîner la reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur, ou de ceux qu'il s'est substitués dans la direction, la prescription de deux ans opposable aux demandes d'indemnisation complémentaire visée aux articles L. 452-1 et suivants est interrompue par l'exercice de l'action pénale engagée pour les mêmes faits ou de l'action en reconnaissance du caractère professionnel de l'accident.

Les dispositions de l'article L. 461-1 du même code sont les suivantes (dans leur version applicable aux faits)  :

Les dispositions du présent livre sont applicables aux maladies d'origine professionnelle sous réserve des dispositions du présent titre. En ce qui concerne les maladies professionnelles, la date à laquelle la victime est informée par un certificat médical du lien possible entre sa maladie et une activité professionnelle est assimilée à la date de l'accident.

Est présumée d'origine professionnelle toute maladie désignée dans un tableau de maladies professionnelles et contractée dans les conditions mentionnées à ce tableau.

Si une ou plusieurs conditions tenant au délai de prise en charge, à la durée d'exposition ou à la liste limitative des travaux ne sont pas remplies, la maladie telle qu'elle est désignée dans un tableau de maladies professionnelles peut être reconnue d'origine professionnelle lorsqu'il est établi qu'elle est directement causée par le travail habituel de la victime.

Peut être également reconnue d'origine professionnelle une maladie caractérisée non désignée dans un tableau de maladies professionnelles lorsqu'il est établi qu'elle est essentiellement et directement causée par le travail habituel de la victime et qu'elle entraîne le décès de celle-ci ou une incapacité permanente d'un taux évalué dans les conditions mentionnées à l'article L. 434-2 et au moins égal à un pourcentage déterminé.

Dans les cas mentionnés aux deux alinéas précédents, la caisse primaire reconnaît l'origine professionnelle de la maladie après avis motivé d'un comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles. La composition, le fonctionnement et le ressort territorial de ce comité ainsi que les éléments du dossier au vu duquel il rend son avis sont fixés par décret. L'avis du comité s'impose à la caisse dans les mêmes conditions que celles fixées à l'article L. 315-1. (souligné par la cour)

Enfin, l'article L. 461-5 du même code prévoit :

Toute maladie professionnelle dont la réparation est demandée en vertu du présent livre doit être, par les soins de la victime, déclarée à la caisse primaire dans un délai déterminé, même si elle a déjà été portée à la connaissance de la caisse en application de l'article L. 321-2.

Dans le cas prévu au quatrième alinéa de l'article L. 461-2, il est fixé un délai plus long courant à compter de la date d'entrée en vigueur du nouveau tableau annexé au décret.

Le praticien établit en triple exemplaire et remet à la victime un certificat indiquant la nature de la maladie, notamment les manifestations mentionnées aux tableaux et constatées ainsi que les suites probables. Deux exemplaires du certificat doivent compléter la déclaration mentionnée au premier alinéa dont la forme a été déterminée par arrêté ministériel.

Une copie de cette déclaration et un exemplaire du certificat médical sont transmis immédiatement par la caisse primaire à l'inspecteur du travail chargé de la surveillance de l'entreprise ou, s'il y a lieu, au fonctionnaire qui en exerce les attributions en vertu d'une législation spéciale.

Sans préjudice des dispositions du premier alinéa de l'article L. 461-1, le délai de prescription prévu à l'article L. 431-2 court à compter de la cessation du travail. (souligné par la cour)

En l'espèce, dès le 29 novembre 2007, le docteur [B], a certifié que Mme [G] 'present(ait) un etat anxio depressif en relation avec des conflits au travail'.

C'est donc au plus tard à cette date que Mme [G] a été clairement informée du lien entre le travail et une éventuelle maladie professionnelle, au sens de l'article L. 461-1 du code de la sécurité sociale, précité.

Bien plus, le 11 avril 2011, Mme [G] a été placée en arrêt de travail pour 'dépression'. Elle n'a pas repris le travail. Les éléments, dont elle-même fait état, attestent d'une situation particulièrement grave puisqu'elle se serait trouvée confrontée à une volonté de se suicider (rapport d'enquête du CHSCT, lequel fait au demeurant remonter la dégradation des conditions de travail de Mme [G] à 2005).

Pourtant, ce n'est que le 12 juin 2013 que Mme [G] a présenté une demande de reconnaissance de maladie professionnelle, au titre d'une 'dépression sévère'.

La pathologie pour laquelle Mme [G] sollicite cette reconnaissance puis est venue invoquer la faute inexcusable de l'employeur est la même que celle ayant fait l'objet du certificat médical du 29 novembre 2007, la même que celle pour laquelle est a été placée en arrêt de travail le 11 avril 2011.

La cour ajoute que la Caisse a pour le moins manqué de vigilance dès lors qu'il résulte de ses propres constatations que Mme [G] était affectée d'une dépression depuis près de 20 ans au moment où elle a formulé sa demande.

De plus, il importe peu que la Caisse n'ait pas été en mesure de retrouver le certificat médical du 29 novembre 2007, dès lors qu'il résulte de ses propres vérifications qu'en fait, Mme [G] a été placée en arrêt de travail le 17 janvier 2007 pour, selon le Rapport, 'Etat dépressif rapporté par la patiente à des problèmes professionnels'.

Contrairement à ce que soutient Mme [G], l'employeur est fondé à contester le caractère professionnel d'une pathologie, y compris dans le cadre d'une procédure en reconnaissance de sa faute inexcusable.

L'indépendance des rapports entre la Caisse et la salariée, d'une part, la Caisse et l'employeur, d'autre part, ne fait que renforcer cette possibilité, dès lors que la décision de la Caisse reste définitivement acquise à la salariée, quand bien même elle ne serait pas opposable à la Société.

C'est donc à juste titre que la Société fait valoir que, la demande de Mme [G] de reconnaissance de la maladie professionnelle étant, depuis longtemps au demeurant, prescrite, la décision de la Caisse de prendre en charge la 'dépression' dont souffre Mme [G] au titre de la législation professionnelle est inopposable à la Société.

En l'absence de maladie professionnelle avérée (à l'égard de l'employeur), la faute inexcusable de la Société ne saurait être invoquée.

Dès lors, si l'action en reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur engagée par Mme [G] n'est pas en elle-même, pour les raisons qu'elle invoque et au regard des dispositions du code de la sécurité sociale, prescrite, elle ne peut qu'en être déboutée.

Le jugement entrepris sera infirmé en toutes ses dispositions.

Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile

Mme [G] et la Caisse, qui succombent à l'instance, seront condamnées, à parts égales, aux dépens d'appel éventuellement encourus depuis le 1er janvier 2019.

La cour rappelle que les dépens ne comprennent pas les frais d'expertise, lesquels devront rester à la charge de la Caisse.

La cour rappelle également qu'il n'existe pas de solidarité pour l'application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

L'équité commande de ne pas condamner Mme [G], qui sera déboutée de sa demande à cet égard, à payer une indemnité à la Société.

La Caisse sera condamnée à payer une indemnité d'un montant de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et déboutée de sa demande à cet égard.

PAR CES MOTIFS

La cour, après en avoir délibéré, statuant publiquement par décision contradictoire,

Infirme le jugement du pôle social du tribunal de grande instance de Versailles en date du 17 avril 2019 (14/01560) en toutes ses dispositions,  ;

Décide que l'action en reconnaissance de la maladie professionnelle déclarée par Mme [P] [G] était prescrite au moment où elle a été formée, le 12 juin 2013 ;

Déboute Mme [P] [G] de sa demande en reconnaissance de la faute inexcusable de la société Sopra Steria Group en ce qui concerne la pathologie ainsi déclarée ;

Condamne Mme [G] et la Caisse, à parts égales, aux dépens éventuellement encourus depuis le 1er janvier 2019 ;

Rappelle que les dépens ne comprennent pas les frais d'expertise, et condamne la caisse primaire d'assurance maladie des Yvelines à supporter ces frais ;

Décide que l'équité commande de ne pas condamner Mme [G] à payer à la société Sopra Steria Group une indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Déboute Mme [G] de sa demande d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la caisse primaire d'assurance maladie des Yvelines à payer une indemnité d'un montant de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Déboute la caisse primaire d'assurance maladie des Yvelines de sa demande de condamnation de la société Sopra Steria Group sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Déboute les parties de toute demande autre, plus ample ou contraire.

Prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Signé par Monsieur Olivier Fourmy, Président, et par M. Tampreau Achille, Greffier, auquel le magistrat signataire a rendu la minute.

Le GREFFIER,Le PRESIDENT,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 5e chambre
Numéro d'arrêt : 19/02249
Date de la décision : 02/07/2020

Références :

Cour d'appel de Versailles 05, arrêt n°19/02249 : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2020-07-02;19.02249 ?
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