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14/05/2020 | FRANCE | N°18/07067

France | France, Cour d'appel de Versailles, 16e chambre, 14 mai 2020, 18/07067


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 78F



16e chambre



ARRET N°



CONTRADICTOIRE



DU 14 MAI 2020



N° RG 18/07067 - N° Portalis DBV3-V-B7C-SWXK



AFFAIRE :



[Y] [L]

C/

EPIC COMMUNAUTE D'AGGLOMERATION [Localité 11] prise en la personne de ses représentants légaux, domiciliés en cette qualité audit siège









Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 09 Avril 2018 par le Juge de l'exécution de P

ONTOISE

N° RG : 18/00315



Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :

à :



Me Gaëlle SOULARD, avocat au barreau de VERSAILLES



Me Cédric BUFFO de la SCP PETIT MARCOT HOUILLON ET ASSOCIES, avoca...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 78F

16e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 14 MAI 2020

N° RG 18/07067 - N° Portalis DBV3-V-B7C-SWXK

AFFAIRE :

[Y] [L]

C/

EPIC COMMUNAUTE D'AGGLOMERATION [Localité 11] prise en la personne de ses représentants légaux, domiciliés en cette qualité audit siège

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 09 Avril 2018 par le Juge de l'exécution de PONTOISE

N° RG : 18/00315

Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :

à :

Me Gaëlle SOULARD, avocat au barreau de VERSAILLES

Me Cédric BUFFO de la SCP PETIT MARCOT HOUILLON ET ASSOCIES, avocat au barreau de VAL D'OISE

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE QUATORZE MAI DEUX MILLE VINGT,

La cour d'appel de Versailles, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

Monsieur [Y] [L]

né le [Date naissance 2] 1956 à [Localité 9] (Algérie)

de nationalité Française

Chez l'Equipe [8]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Représentant : Me Gaëlle SOULARD, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 547 - N° du dossier 18GS598

(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2018/009086 du 24/09/2018 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de VERSAILLES)

APPELANT

****************

EPIC COMMUNAUTE D'AGGLOMERATION [Localité 11] prise en la personne de ses représentants légaux, domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 4]

[Adresse 4]

Représentant : Me Cédric BUFFO de la SCP PETIT MARCOT HOUILLON ET ASSOCIES, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de VAL D'OISE, vestiaire : 100 - N° du dossier 1301473

INTIMÉE

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 06 Février 2020 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Marie-Christine MASSUET, Conseiller chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Patricia GRASSO, Président,

Madame Marie-Christine MASSUET, Conseiller,

Madame Caroline Deryckere, Conseiller,

Greffier, lors des débats : Mme Mélanie RIBEIRO,

EXPOSE DU LITIGE :

Par ordonnance du 30 juillet 2010 rendue par le juge de l'expropriation du tribunal de grande instance de Pontoise, la communauté d'agglomération [Localité 10], aux droits de laquelle est venue ultérieurement l' EPIC Communauté d'agglomération [Localité 11], est devenue propriétaire des lots de copropriété 3, 6 et 12 dépendant de l'ensemble immobilier cadastré section [Cadastre 5] situé [Adresse 3], ayant appartenu à M. [Y] [L].

Par arrêt du 9 avril 2013, rectifié le 8 octobre 2013, la cour d' appel de Versailles, chambre de l'expropriation, entre autres dispositions, a :

fixé à la somme de 170.613,11 euros, l'indemnité pour dépossession des lots de copropriété susvisés ;

constaté, sur la demande de relogement, qu'en application des dispositions de l'article L. 14-1 du code de l'expropriation, M. [L] bénéficiait d'un droit de priorité pour son accession à la propriété compte tenu des revenus dont il justifiait.

Par ordonnance de référé du 17 décembre 2013, le juge de l'expropriation du tribunal de grande instance de Pontoise a ordonné l'expulsion de M. [L] des lieux expropriés et a autorisé la communauté d'agglomération [Localité 11] à requérir la force publique, après avoir constaté que le délai d'un mois après la consignation du prix par l'expropriant était expiré.

Cette décision, signifiée le 23 décembre 2013, a été frappée d'appel.

En exécution de celle-ci, M. [L] a été expulsé suivant procès-verbal d'expulsion du 1eravril 2014, signifié le 3 avril suivant et par jugement du 27 juin 2014, le juge de l'exécution près le tribunal de grande instance de Pontoise, statuant sur le sort des meubles de l'expulsé, les a déclarés abandonnés.

L'ordonnance d'expulsion a été confirmée par un arrêt du 4 novembre 2014, qui a fait l'objet d' une cassation en toutes ses dispositions par arrêt du 5 janvier 2017 (pour une question de recevabilité d'un mémoire complémentaire devant la CA).

Statuant sur renvoi après cassation, par arrêt du 31 octobre 2017, la cour d 'appel de Versailles a :

infirmé l'ordonnance déférée en toutes ses dispositions ;

déclaré irrecevables les demandes d'accession à la propriété, de relogement, de réévaluation de l' indemnité d'expropriation, d' allocation de l'indemnité de dépréciation et de déménagement formulées par M. [L] pour la première fois en cause d'appel, sur le fondement de l'article 564 du code de procédure civile.

Par acte d'huissier du 3 janvier 2018, M. [L] a fait assigner devant le juge de l'exécution près le tribunal de grande instance de Pontoise la communauté d'agglomération [Localité 11] aux fins de le voir :

constater l'annulation de toutes les décisions qui sont la suite ou l'application de l'ordonnance infirmée du 17 décembre 2013 ;

constater qu' il ne peut plus revenir dans son logement, celui-ci ayant été détruit par la communauté d'agglomération [Localité 11] ;

constater la compétence du juge de l'exécution pour connaître des demandes nées de l'exécution dommageable de l'ordonnance d'expulsion du 17 décembre 2013 ;

condamner la communauté d'agglomération [Localité 11] à le reloger avec sa famille gratuitement dans un appartement situé aux alentours de l'adresse de son logement détruit, sous astreinte de 1.000 euros par jour de retard au-delà de 15 jours suivant la notification du jugement à intervenir ;

condamner la communauté d'agglomération [Localité 11] à le dédommager comme suit :

*16.500 euros : dommages dus aux dépenses effectuées,

*30.000 euros : dommages dus à la destruction illégale de l'appartement,

*239.000 euros : dommages dus à l'expulsion,

condamner la communauté d'agglomération [Localité 11] à lui payer la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et à supporter les dépens.

Par jugement rendu le 9 avril 2018, le juge de l'exécution près le tribunal de grande instance de Pontoise a :

rejeté l'exception d'incompétence ;

rejeté la demande de M. [L] tendant à être relogé gratuitement en attendant l'attribution d'un logement en accession à la propriété ou à la location ;

rejeté toutes les demandes d'indemnisation de M. [L] ;

dit n' y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile ;

condamné M. [L] aux dépens ;

rappelé que les décisions du juge de l'exécution bénéficient de l'exécution provisoire de droit.

Le 16 octobre 2018, M. [L] a interjeté appel de la décision.

Dans ses conclusions récapitulatives transmises le 18 juin 2019, et auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé détaillé de ses prétentions et moyens, M. [L], appelant, demande à la cour de :

À titre principal,

recevoir son appel ;

renvoyer l'affaire à la chambre de l'expropriation de la cour d'appel de Versailles pour incompétence et litispendance ;

À titre subsidiaire,

surseoir à statuer jusqu'à la fin de l'affaire pénale en cours ;

À titre infiniment subsidiaire,

infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;

condamner la communauté d'agglomération [Localité 11] à le dédommager comme suit :

*17.432 euros : dommages dus aux dépenses effectuées,

*30.000 euros : dommage dû à la destruction illégale de l'appartement,

*309.000 euros : dommages dus à l'expulsion,

condamner la communauté d'agglomération [Localité 11] à lui payer la somme de 4.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

condamner la communauté d'agglomération [Localité 11] aux entiers dépens de première instance et d'appel, dont 1.500 euros avec distraction au profit de Me Gaëlle Soulard, avocat à la cour, sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Au soutien de ses demandes, M. [L] fait valoir :

qu' à titre principal, l'affaire doit être renvoyée devant la chambre de l'expropriation de la cour d'appel de Versailles pour motifs d'incompétence et de litispendance ;

qu' à titre subsidiaire, et en application de l'article 4 du code de procédure pénale, il doit être sursis à statuer jusqu'à la fin de l'affaire pénale en cours ; qu 'il a en effet procédé à une citation directe de la communauté d'agglomération [Localité 11] et de son conseil devant le tribunal correctionnel pour escroquerie au jugement et destruction illégale de son appartement ; que l'audience de plaidoirie de ladite affaire a été fixée au mois de septembre 2019 ;

qu' à titre infiniment subsidiaire, il est encore le propriétaire de l'appartement, puisque son relogement en accession à la propriété n'a pas été effectué et que seule une partie de l' indemnité d'expropriation lui a été versée, de sorte que les deux conditions cumulatives résultant des dispositions de l'article L. 15-1 du code de l'expropriation ne sont pas réunies ; que par conséquent, il a été expulsé illégalement de son appartement ; que toutes les décisions qui ont été rendues à la suite de l'ordonnance du 17 décembre 2013 ou qui ont été prises en exécution de celle-ci sont nulles ;

-qu' il a subi divers préjudices dont il demande réparation, lesquels résultent de l'exécution dommageable de l'ordonnance précitée, notamment en raison des dépenses effectuées par lui, de la destruction illégale de son logement et de son expulsion abusive.

Les conclusions d'incident de renvoi devant la chambre de l'expropriation transmises le 19 septembre 2019 par M. [L], qui ne font que reprendre la première demande formulée dans ses écritures, ont été jointes au fond.

Dans ses conclusions transmises le 15 avril 2019, et auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé détaillé de ses prétentions et moyens, la communauté d'agglomération [Localité 11], intimée, demande à la cour de :

À titre principal,

déclarer M. [L] irrecevable en ses demandes, compte tenu de l'autorité de la chose jugée ;

A titre subsidiaire,

constater qu'il n'est pas contesté que l'indemnité de dépossession a été payée ;

débouter M. [L] de toutes ses demandes ;

À titre reconventionnel,

condamner M. [L] à lui payer la somme de 4.000 euros pour procédure abusive et injustifiée ;

condamner M. [L] à lui payer la somme de 6.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

condamner M. [L] aux entiers dépens.

Au soutien de ses demandes, la communauté d'agglomération [Localité 11] fait valoir :

que les demandes de M. [L] sont irrecevables au regard des articles 1355 du code civil et 480 du code de procédure civile dans la mesure où (ces textes exigent qu') existe une triple identité de cause, de parties et de prétentions ;

que sur le fond, elle a bien versé l'indemnité de dépossession à M. [L] ; que l'arrêt de la cour d'appel du 31 octobre 2017 a précisé que M. [L] bénéficiait d'une priorité d'accession à la propriété ; que M. [L] n'a jamais déposé de dossier à cette fin et qu' elle ne peut se substituer à lui pour effectuer ces demandes ;

qu' elle sollicite la condamnation de M. [L] au paiement de la somme de 4.000 euros pour procédure abusive et injustifiée au motif que celui-ci connaît parfaitement ses droits mais également ce à quoi il n'a pas droit.

La clôture de l'instruction a été prononcée le 14 janvier 2020. L'audience de plaidoirie a été fixée au 6 février 2020.  

MOTIFS DE LA DECISION :

Sur l'exception d'incompétence et de litispendance

M. [L] fait valoir à l'appui de son exception d'incompétence du juge de l'exécution qu' aux termes de l'article L. 321-1 du code de l'expropriation, le juge de l'expropriation est seul compétent pour examiner les demandes de réparation des préjudices subis  par  l'exproprié, et qu'il existe  une litispendance entre les demandes formées dans la présente instance et les demandes pendantes devant la chambre de l'expropriation eu égard aux conclusions déposées devant cette chambre de la présente cour.

Sur l'exception d'incompétence

Il convient de rappeler qu'ainsi que l'a souligné le jugement entrepris, M. [L] n'a pas demandé devant le juge de l'exécution la réparation des préjudices dus à l'expropriation, mais seulement ceux résultant de l'expulsion opérée par la communauté d'agglomération [Localité 10] le 3 avril 2014 sur le fondement de l'ordonnance de référé du 19 décembre 2013, qui a été ultérieurement infirmée par arrêt de cette cour d'appel du 31 octobre 2017.

Dans le même sens on peut s'étonner de ce que l'auteur de l'exception d'incompétence soit la partie même qui dans son assignation du 3 janvier 2018, entendait expressément voir reconnaître la compétence du juge de l'exécution pour statuer sur les conséquences dommageables de l'expulsion ensuite annulée.

Sur l'exception de litispendance

Aux termes de l'article 100 du code de procédure civile 'si le même litige est pendant devant deux juridictions de même degré également compétentes pour en connaître, la juridiction dessaisie en second lieu doit se dessaisir au profit de l'autre si l'une des parties le demande. A défaut, elle peut le faire d'office.'

La litispendance suppose un triple identité de cause, de parties et de prétentions ; que tel n'est pas le cas de la saisine du juge de la cour d'appel en matière d'expropriation pour demander une augmentation de l'indemnité d'expropriation, ou la reconnaissance de l'illégalité de l'expropriation en raison du défaut de paiement de la totalité de l'indemnité, et du défaut de proposition de relogement à titre gratuit. La demande tendant à obtenir un relogement gratuit en attendant l'attribution d'un logement en accession à la copropriété, qui n'a pas été tranchée par l'arrêt du 31 octobre 2017 dont M. [L] invoque les difficultés d'exécution, ne ressort pas des attributions du juge de l'exécution, ni de celles de la cour statuant en appel des décisions de ce magistrat.

Il est constant qu'il n'appartient pas au juge de l'exécution d'ajouter aux décisions de justice une disposition on qu'elles ne comportent pas. M. [L] qui a déjà ressaisi la chambre de l'expropriation de la cour d'appel de cette question, juridiction également à compétence spéciale, est irrecevable en cette demande qui excède les pouvoirs conférés à la juridiction spéciale du juge de l'exécution.

C'est à bon droit que le premier juge, retenant la compétence du juge de l'exécution, juridiction spéciale à compétence exclusive, pour trancher les difficultés résultant d'une mesure d'exécution forcée telle que l'expulsion, a statué seulement sur cette mesure après avoir rejeté les exceptions d'incompétence et de litispendance.

 

Sur la demande de sursis à statuer jusqu'à la fin de l'affaire pénale en cours

Force est regrettablement de constater que l'acte d'huissier du 22 juin 2018 portant assignation par M. [L] pour citation directe de la Communauté d'agglomérations [Localité 11] et de son conseil est radicalement nulle dans la mesure où les citations directes sont délivrées à la diligence du Parquet : au surplus, M. [L] qui affirme vaguement sans en délivrer la moindre preuve avoir porté plainte devant le procureur de la République de [Localité 7] ne fournit aucun justificatif de la réalité de cette plainte ni de la mise en mouvement de l'action publique qui aurait suivi.

Dans ces conditions, l'affirmation selon laquelle ' l'affaire a été renvoyée au mois de septembre 2019 pour plaidoirie' apparaît totalement hasardeuse, - M. [L] n'a d'ailleurs apporté avant la clôture de la présente affaire prononcée le 10 janvier 2020, aucune précision sur la poursuite de la 'procédure'- voire mensongère, la mauvaise foi de M. [L] se manifestant par des affirmations entièrement fausses. En toute hypothèse, il n'y a donc pas lieu d'ordonner le moindre sursis à statuer en considération d'une procédure pénale dont le moins qu'on puisse dire est qu'elle est susceptible de n'avoir jamais été poursuivie par le Parquet.

Sur la demande de relogement gratuit en attendant l'attribution d'un logemnt en accession à la propriété

M. [L] présente cette demande comme relevant du juge de l'exécution compétent pour se prononcer sur les difficultés d'exécution d'un titre exécutoire et les conséquences dommageables d'une mesure d'exécution : la cour rappelle que le juge de l'exécution n'a pas le pouvoir de modifier le dispositif des décisions de justice sur le fondement desquelles il est saisi.

L'arrêt irrévocable rendu par la chambre de l'expropriation de cette cour le 9 avril 2013 tel que complété le 7 octobre suivant, a seulement constaté que M. [L] bénéficiait d'un droit de priorité pour son accession à la propriété et qu'il ne pouvait exiger une réparation en nature de son préjudice par un relogement, l'indemnité d'expropriation étant fixée en valeur libre à un montant plus élevé en considération de l'absence d'obligation de relogement. Quant à l'arrêt infirmatif de l'ordonnance de référé ayant ordonné l'expulsion, il n'a nulle part condamné la communauté d'agglomérations intimée à fournir un logement gratuit dans l'attente de l'attribution d'un logement en accession à la propriété. Il a au contraire déclaré irrecevable une telle demande comme présentée pour la première fois en appel.

En toute hypothèse, la cour statuant en appel du juge de l'exécution n'a pas pouvoir pour se prononcer  sur la demande de relogement gratuit à titre provisoire de M. [L], qui ne relève que du juge de l'expropriation.

Il n'est pas inutile de relever que le juge de l'expropriation du tribunal de grande instance de Pontoise a par décision du 4 octobre 2018, intervenant six mois après le jugement entrepris, estimé que la question du droit au relogement de M. [L] avait été tranchée par l'arrêt irrévocable du 9 avril 2013 complété le 7 octobre suivant, et précisée par l'arrêt également irrévocable du 8 novembre 2016.

Il s'ensuit que la demande de relogement gratuit de M. [L] est irrecevable devant le juge de l'exécution comme ne relevant pas de ses attributions, et il est permis d'ajouter qu'elle se heurte en outre à l'autorité de la chose jugée résultant des décisions définitives précitées.

Il importe de rappeler et préciser que trois arrêts sont maintenant devenus irrévocables concernant l'expropriation de M. [L] , et l'expulsion qui en est une des conséquences : celui de la cour d'appel de Versailles, chambre de l'expropriation, du 9 avril 2013 complété par celui du 7 octobre 2013, fixant l'indemnité de dépossession et reconnaissant à l'exproprié un droit de priorité dans l'attribution d'un logement en accession à la propriété à titre onéreux, celui de cette même cour, chambre de l'expropriation, du 8 novembre 2016,(pièce 12 de M. [L]), sur lequel ne s'étend pas l'appelant, qui a confirmé un jugement du 28 octobre 2015 reprochant à M. [L] de n'avoir jamais présenté la demande qui lui incombait pour faire valoir sa priorité à l'accession à la propriété, constatant que le paiement de l'indemnité d'expropriation était complet, et rejetant la demande d'augmentation de l'indemnité de dépossession, puisque cette indemnité avait été réglée, enfin l'arrêt de renvoi après cassation du 31 octobre 2017 infirmant la décision d'expulsion, au motif que la communauté d'agglomérations expropriante n'a pas respecté intégralement les conditions de sa prise de possession de l'immeuble exproprié, les conditions du paiement de l'indemnité et de la présentation d'une offre de remplacement étant cumulatives.

Sur les demandes de réparation des conséquences de l'expulsion infirmée

Aux termes de l'article L213-6 du code de l'organisation judiciaire, ' le juge de l'exécution connaît de manière exclusive des difficultés relatives aux titres exécutoires et des contestations qui s'élèvent à l'occasion de l'exécution forcée, même si elles portent sur le fond du droit à moins qu'elles n'échappent à la compétence des juridictions de l'ordre judiciaire. Il connaît sous la même réserve des demandes en réparation fondées sur l'exécution ou l'inexécution dommageables des mesures d'exécution forcée ou des mesures conservatoires.'

Au vu de l'infirmation par la cour d'appel d'une décision de première instance dont le créancier a choisi de mettre en 'uvre l'exécution provisoire, c'est pertinemment que le premier juge a admis sa compétence pour connaître des demandes, tendant à le voir se prononcer sur une difficulté liée à la remise des parties, après l'arrêt, dans l'état antérieur ainsi que sur la réparation du préjudice né des conséquences dommageables des actes d'exécution annulés.

En l'espèce, la remise en l'état antérieur à l'expulsion n'est plus possible, l'immeuble ayant été détruit en exécution de l'ordonnance d'expropriation du 30 juillet 2010 qui a transféré la propriété du bien de M. [L] à la communauté d'agglomération [Localité 10]. 

Il convient de reprendre un à un les différents postes de demande indemnitaire présentés par M. [L], le juge de l'exécution étant appelé à connaître des demandes en réparation fondées sur les conséquences dommageables des mesures d'exécution forcée, telle en l'espèce, l'expulsion.

sur la demande d'une somme de 17.432 euros au titre des frais des différentes procédures engagées par M. [L] après l'ordonnance d'expulsion ensuite infirmée

Tout d'abord M. [L] sollicite devant la cour une somme de 692,22 euros au titre des honoraires d'huissier qu'il a du prendre en charge pour assigner à huit reprises son adversaire et pour signifier l'arrêt du 31 octobre 2017. Or quatre de ces assignations sont bien antérieures à l'ordonnance d'expulsion pour avoir été délivrées les 4 juin 2009, 12 mars 2010, 6 décembre 2010 et le 8 juillet 2013, et ne peuvent avoir eu pour but de faire échec à l'expulsion proprement dite, prononcée le 17 décembre 2013.

Les trois actes de 2014 invoqués par M. [L] : deux assignations et une signification, doivent être examinés :

-assignation du 2 janvier 2014 : elle ne fait pas partie des actes mentionnés comme délivrés sur les factures d'huissier produites par M. [L] en cause d'appel. Elle pourrait constituer l'acte introductif de l'instance devant le juge de l'exécution d'Amiens, qui a donné lieu à un jugement du 25 mars 2014 constatant la caducité de l'assignation, à la suite de la carence de M. [L] qui après avoir demandé la convocation des parties sur son assignation à l'audience de plaidoiries s'est abstenu volontairement de comparaître à la date prévue, se bornant à demander un renvoi en raison d'un séjour à l'étranger, sans autre explication. Cette sanction et la condamnation aux dépens qui en découle sont afférentes à un comportement procédural fautif de M. [L], et en toute hypothèse l'appelant est mal fondé à réclamer le remboursement du coût de cette assignation non suivie ;

-assignation du 18 juin 2014 : cet acte introduit un référé d'heure à heure devant le président du tribunal de grande instance de Pontoise pour faire cesser un dommage imminent et des troubles manifestement illicites, et obtenir l'interdiction de procéder à la destruction de l'immeuble tant qu'il n'a pas été expulsé 'totalement et légalement'. Il résulte de l'ordonnance de référé du 4 uillet 2014, confirmée par arrêt du 3 mars 2016 de cette cour, que M. [L] a été en réalité légalement exproprié de son appartement et de sa cave, puis expulsé de ces deux lots de copropriété, mais qu'il avait saisi le juge des référés pour solliciter des dommages-intérêts pour trouble subi dans l'usage de sa cave 'alors qu'il a réinvesti les lieux'( i.e. la cave) 'après en avoir été expulsé' et après avoir reçu le montant de l'indemnité d'expropriation. M. [L] qui a été condamné aux dépens d'une nouvelle procédure engagée tant à la suite d'une voie de fait de sa part qu'au mépris de la compétence limitée du juge des référés, a mené là une procédure inutile en marge de l'appel qu'il avait interjeté de l'ordonnance d'expulsion, seul recours de nature de préserver ses droits ; à défaut de tout lien de causalité avec la réalisation de l'expulsion elle-même, il n'est pas admis à soutenir que l'infirmation postérieure de la décision d'expulsion du 19 décembre 2013 l'exonérerait des dépens de cette procédure téméraire ;

-signification du 14 mars 2014 : cette signification ne fait pas partie des factures produites émanant de l'huissier instrumentaire. Il n'est donc pas justifié de sa délivrance.

Quant à la signification en date du 15 décembre 2017 de l'arrêt du 31 octobre 2017, la cour reprendra l'analyse effectuée par le premier juge, selon laquelle la condamnation aux dépens prononcée contre l'établissement [Localité 10] par l'arrêt signifié inclut cet acte, qu'il appartient désormais à M. [L] de faire exécuter contre son adversaire sans nouvelle décision du juge.

Dans le même sens, le constat d'huissier d'un coût de 240 euros, effectué à l'initiative de M. [L] le 14 avril 2014, soit deux semaines après l'expulsion du 1er avril , dans le but de faire accroire qu'il n'avait pas été expulsé de la cave qu'il déclarait désormais occuper, et que les lieux avaient été volontairement laissés à l'abandon par l' établissement [Localité 10] pour le pousser à quitter son appartement, n'a aucune incidence sur l'expulsion elle-même, effective depuis le 3 avril précédent. Ce constat, dressé aux risques et périls de M. [L], ne constitue pas une mesure d'exécution forcée qui lui a été imposée et dont il a eu à supporter le coût.

Quant aux frais correspondant aux 'efforts de procédure' et aux déplacements allégués par M. [L], il est constant que celui-ci n'a pas engagé onze instances après le prononcé de son expulsion pour obtenir l'invalidation de cette décision, et qu'il ne démontre pas au demeurant la pertinence de ses actions, à l'exception de l'appel qu'il a formé à l'encontre de l'ordonnance d'expulsion du 19 décembre 2013. La saisine de juges de l'exécution extérieurs au ressort -d'Amiens et d'Evreux- incompétents territorialement pour le premier et non habilité à suspendre l'exécution d'une décision de justice pour le second est sans incidence sur la décision prise le 31 octobre 2017 et représente des actions vaines et génératrices de frais que la présente cour ne saurait considérer comme un préjudice réparable lié à l'arrêt infirmatif . De même, les frais de déplacement qu'il dit avoir exposés ont été entraînés par la mise en cause inutile-avec délocalisation en application de l'article 47 du code de procédure civile - des huissiers qui n'ont fait que délivrer le commandement de quitter les lieux et dresser le procès-verbal d'expulsion en exécution d'une décision de référé du juge de l'expropriation exécutoire de plein droit. Aucune indemnité ne saurait donc être accordée à M. [L], le préjudice qu'il invoque n'étant du qu'à son parti pris d'acharnement procédural, qui le conduit à engager des actions totalement inadaptées au but qu'il poursuit.

La prétention afférente aux frais de procédure est, par confirmation du jugement entrepris, rejetée.

sur la demande d'une somme de 30.000 euros pour destruction illégale d'appartement

Cette demande qui ne relève pas des attributions sus-rappelées du juge de l'exécution a été soumise au juge de l'expropriation du tribunal de grande instance de Pontoise par M. [L] , qui s'est en est ensuite désisté devant ce magistrat, celui-ci lui donnant acte de ce désistement dans le jugement rendu le 4 octobre 2018, également frappé d'appel par l'exproprié.

L'immeuble par ailleurs n'a pas été détruit en application de la décision d'expulsion de M. [L] : il convient de rappeler que la communauté d'agglomérations [Localité 11] est propriétaire depuis 2010 du logement qui a été habité par M. [L], et il a été constaté par une décision irrévocable de cette cour que l'exproprié a perçu en sa totalité l'indemnité d'expropriation qui lui était dûe.

La cour dira donc cette demande irrecevable devant la formation d'appel contre les décisions du juge de l'exécution.

sur la demande d'une somme de 309.000 euros en réparation des dommages résultant directement de l'expulsion

M. [L] sollicite l'octroi d'une indemnité de 9.000 euros correspondant selon lui à la valeur

du mobilier garnissant lors de l'expulsion son appartement ( 5.000 euros) et la cave attenante (4.000 euros), et d'une somme de 300.000 euros au titre du préjudice matériel et moral occasionné par sa condition de sans domicile fixe depuis la date de l'expulsion, calculé 'à raison de 5.000 euros par mois, pour une période de cinq ans au moment du jugement'.

Par une motivation que la cour adopte, le premier juge a souligné que M.[L] n'était pas venu chercher ses meubles dans le délai d'un mois de la signification du procès-verbal d'expulsion, que le jugement sur le sort des meubles du 27 juin 2014, même s'il est intervenu dans le cadre de l'expulsion ensuite annulée, vaut simple renseignement sur l'absence de valeur marchande du mobilier, que M.[L] ne fournit aucune pièce de nature à démontrer la valeur des meubles qu'il a laissé dans les lieux. Or M. [L] était en mesure de prévoir depuis 2010 que l'immeuble devait être détruit et qu'il serait expulsé, et il n'ignorait pas qu'il avait reçu l'indemnité d'expropriation depuis plusieurs mois lors de son expulsion.

Par ailleurs M. [L] se prévalant d'une impécuniosité totale, affirme sans justification aucune qu'il est depuis six ans sans domicile fixe, allant d'hébergements occasionnels en hébergements indécents, de façon anarchique, alors que la perception d'une somme nette de 130.000 euros lui donnait les moyens de souscrire au moins un contrat de location dans l'attente de l'obtention d'un logement en accession à la propriété, à condition qu'il en fasse la demande, constitue le dossier nécessaire et sollicite le prêts adéquats.

Pour prouver que son expulsion en 2014 l'a empêché d'exercer une activité qu'il prétend selon les termes du jugement, avoir été libérale avec une rémunération mensuelle de 5.200 euros nets, il ne verse aux débats qu'un seul bulletin de paye, mentionnant un salaire de 5.196,78 euros nets, remontant à janvier 2008, établi par une société A-Tech ayant son siège à [Localité 6], sur lequel il est qualifié d' 'employé'et qui indique qu' entré dans la société en septembre 2006, il en est précisément sorti le 31 janvier 2008. M. [L] avait donc quitté cette société plus de deux années avant l'ordonnance de transfert du droit de propriété du 30 juillet 2010, et plus de six ans avant l'expulsion effective. 

C'est en outre pertinemment que la décision entreprise retient qu'il se déduit de l'arrêt du 9 avril 2013 lui accordant un droit de priorité pour l'accession à la propriété en application de la législation sur les HLM compte tenu des revenus dont il justifie, que les revenus de l'appelant en 2013 n'avaient plus rien à voir avec le salaire qu'il allègue avoir perçu plus de cinq ans auparavant.

M. [L] n'établissant pas la preuve de préjudices découlant de l'expulsion opérée le 1er avril 2014, le jugement entrepris est confirmé en ce qu'il a rejeté ses demandes d'indemnisation.

Sur la demande incidente de dommages-intérêts pour procédure abusive

L'ardeur procédurière et le mépris avéré de l'autorité de la chose jugée qui animent M. [L] depuis de nombreuses années, le conduisent à chaque procédure qu'il engage, à représenter et répéter sans cesse les mêmes demandes, sans souci des réponses qui lui ont déjà apportées par les précédentes décisions irrévocables de la cour d'appel de Versailles, notamment celles du 9 avril complété le 7 octobre 2013, et du 8 novembre 2016.

La mauvaise foi de M. [L] qui connaît parfaitement ses droits, et en a été rempli au regard de la loi, l'a encore conduit à causer à la communauté d'agglomérations [Localité 11], par cette énième procédure abusive et dommageable, un préjudice que la cour estime devoir compenser par l'octroi d'une indemnité réparatoire de 1.500 euros.

Sur les demandes accessoires

L'équité commande d'allouer à la Communauté d'agglomérations [Localité 11] une somme ainsi qu'il sera dit au dispositif au titre des frais irrépétibles de procédure qu'elle a été contrainte d'exposer en défense à un appel injustifié.

Succombant en son recours, M. [L] supportera les dépens d'appel comme de première instance. 

PAR CES MOTIFS, LA COUR :

Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort :  

CONFIRME en toutes ses dispositions le jugement entrepris, sauf en ce qu'il rejeté les demandes de relogement gratuit en attendant l'attribution d'un logement en accession à la propriété ou la location, et de dommages-intérêts pour destruction illégale d'appartement ;

Statuant à nouveau de ces seuls chefs,

DÉCLARE ces deux demandes irrecevables devant la cour statuant en appel des décision du juge de l'exécution ; 

DÉBOUTE M.[Y] [L] du surplus de ses demandes ;

CONDAMNE M. [Y] [L] à verser à l'EPIC Communauté d'Agglomérations du [Localité 11] une somme de 1.500 euros à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive ;

CONDAMNE M. [Y] [L] à verser à l'EPIC Communauté d'Agglomérations du [Localité 11] une somme de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

DÉBOUTE le conseil de M. [L] de sa prétention en application de l'article 37-1 de la loi du 10 juillet 1991 sur l'aide juridictionnelle ;

CONDAMNE M. [Y] [L] aux entiers dépens.

- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Madame Patricia GRASSO, Président et par Mme RIBEIRO, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier,Le président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 16e chambre
Numéro d'arrêt : 18/07067
Date de la décision : 14/05/2020

Références :

Cour d'appel de Versailles 16, arrêt n°18/07067 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2020-05-14;18.07067 ?
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