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30/04/2020 | FRANCE | N°19/03513

France | France, Cour d'appel de Versailles, 3e chambre, 30 avril 2020, 19/03513


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 59C



3e chambre



ARRET N°



CONTRADICTOIRE



DU 30 AVRIL 2020



N° RG 19/03513



N° Portalis DBV3-V-B7D-TGNK



AFFAIRE :



[F] [X]



C/



[I], [X] [P]









Décisions déférées à la cour : Jugement rendu le 05 mars 2019 rectifié le 12 Mars 2019 par le Tribunal de Grande Instance de PONTOISE

N° Chambre : 1

N° RG : 17/02667

° RG : 19/1345



Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :

à :





Me Fabrice HONGRE-BOYELDIEU de l'ASSOCIATION AVOCALYS





Me Estelle FAGUERET-

LABALLETTE de la SCP COURTAIGNE AVOCATS





RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE ...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 59C

3e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 30 AVRIL 2020

N° RG 19/03513

N° Portalis DBV3-V-B7D-TGNK

AFFAIRE :

[F] [X]

C/

[I], [X] [P]

Décisions déférées à la cour : Jugement rendu le 05 mars 2019 rectifié le 12 Mars 2019 par le Tribunal de Grande Instance de PONTOISE

N° Chambre : 1

N° RG : 17/02667

N° RG : 19/1345

Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :

à :

Me Fabrice HONGRE-BOYELDIEU de l'ASSOCIATION AVOCALYS

Me Estelle FAGUERET-

LABALLETTE de la SCP COURTAIGNE AVOCATS

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE TRENTE AVRIL DEUX MILLE VINGT

prorogé du VINGT SIX MARS DEUX MILLE VINGT,

La cour d'appel de Versailles, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

Madame [F] [X]

née le [Date naissance 1] 1939 à [Localité 1] (06)

de nationalité Française

[Adresse 1]

[Localité 2]

Représentant : Me Fabrice HONGRE-BOYELDIEU de l'ASSOCIATION AVOCALYS, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 620 - N° du dossier 004266

Représentant : Me Christian CALFAYAN, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : E1732

APPELANTE

****************

Monsieur [I], [X] [P]

né le [Date naissance 2] 1957 à [Localité 3] 4ème (75)

de nationalité Française

ci-devant [Adresse 2]

et actuellement [Adresse 3]

Représentant : Me Estelle FAGUERET-LABALLETTE de la SCP COURTAIGNE AVOCATS, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 518 - N° du dossier 020575 -

Représentant : Me François DIZIER, Plaidant, avocat au barreau de PARIS

INTIME

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 06 Février 2020 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Marie-José BOU, Président chargé du rapport et Madame Françoise BAZET conseiller .

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Marie-José BOU, Président,

Madame Françoise BAZET, Conseiller,

Madame Caroline DERNIAUX, Conseiller,

Greffier, lors des débats : Madame Claudine AUBERT,

Mme [F] [X], qui indique avoir été dans sa jeunesse la muse d'[W] [E], est propriétaire d'un tableau attribué à cet artiste recouvert par de la peinture puis par une forme religieuse fixée à l'aide de clous apposées par Mme [X].

Le 10 mai 2015, elle a reçu la visite à son domicile de M. [I] [X] [P], exerçant la profession d'antiquaire et de vendeur de tableaux

Ce même jour, Mme [X] a signé le document manuscrit suivant :

'Je soussignée Mme [X] avoir remit un tableau pour restauration à M. [X] [P] pour M. [X] [D] restaurateur de tableaux.

Les frais seront entièrement réglés par M. [X] [P].

En contrepartie, je m'engage à mettre en association moitié moitié 50% chacun pour le tableau de mon ami [W] [E] et moi-même'.

Le 10 novembre 2015, M. [D] a attesté avoir reçu le même jour de M. [P] le tableau de Mme [X] en vue d'un travail de restauration consistant à dégager la couche picturale en surface afin de faire réapparaître le tableau se trouvant dessous, à savoir un monochrome bleu attribué à [W] [E].

Le 16 décembre 2015, Mme [X] a remis à M. [P] un bon pour pouvoir, lui donnant pouvoir ainsi qu'à M. [M] [T] de faire restaurer le tableau litigieux en sa possession et précisant 'A cet effet, ces personnes pourront pour moi et en mon nom faire toutes démarches en vue d'obtenir le certificat d'authenticité, ainsi que tout formulaire et document nécessaire'.

Le tableau a été déposé le 7 mars 2016 par M. [T] à la société RUK (archives [W] [E]- recherche-communication-information publique).

Le 9 novembre 2016, M. [P] a adressé à Mme [X] un chèque de banque de 30 000 euros en règlement partiel du prix de la restauration de l''uvre.

Le 1er décembre 2016, le conseil de Mme [X] a fait retour à M. [P] de ce chèque pour le motif suivant 'son mandat ayant été révoqué (dont acte par les présentes) et les démarches ayant été exécutées par M. [T].'.

Par ordonnances des 8 et 22 mars 2017 rendues sur requête de M. [P], le juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Paris a autorisé la saisie-revendication du tableau.

Suivant jugement du 14 juin 2017, ce même juge a rétracté l'ordonnance du 22 mars 2017 en raison de l'incompétence territoriale du tribunal de Paris.

Par ordonnance du 26 avril 2017,1e juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Pontoise a autorisé la saisie-revendication du tableau et ordonné à Mme [X] de le remettre à Maître [R], institué gardien, sous astreinte.

Selon ordonnance du 2 mai 2017, la présidente du même tribunal a ordonné à Mme [X] de remettre le tableau à Maître [R], désigné gardien, à compter de la notification de la décision sous astreinte.

Par ordonnance du 19 décembre 2017, le juge de l'exécution de Pontoise a autorisé la saisie-revendication du tableau entre les mains de la société LP Art désignée séquestre judiciaire, ordonné à Mme [X] de le lui remettre sous astreinte et autorisé l'huissier instrumentaire à se rendre au domicile de la partie en défense ou en tout autre lieu qui serait porté à sa connaissance afin d'appréhender le tableau.

Selon ordonnance du 31 janvier 2018, le juge de l'exécution de Pontoise, compte tenu de l'impossibilité de procéder aux opérations autorisées par l'ordonnance du 19 décembre 2017, a autorisé Maître [J], huissier de justice, à se faire assister d'un serrurier et de témoins pour pénétrer au domicile de Mme [X] afin d'appréhender le tableau et le remettre au séquestre désigné dans ladite ordonnance.

Ces ordonnances n'ont pas été exécutées.

Par jugements du 23 février 2018, le juge de l'exécution de Pontoise a constaté la caducité de toutes les autorisations et prescriptions contenues dans l'ordonnance du 26 avril 2017. Ces jugements ont été frappés d'appel, les procédures étant toujours pendantes à la date de clôture de la présente affaire.

Par ordonnances des 8 et 21 juin 2018, le juge de l'exécution de Pontoise a autorisé une nouvelle fois la saisie-revendication du tableau et ordonné à Mme [X] sa remise sous astreinte.

Le 3 septembre 2018, un procès-verbal de saisie-revendication infructueux a été dressé.

Par jugement du 17 décembre 2018, les demandes de Mme [X] de rétractation des ordonnances des 8 et 21 juin 2018 et des actes subséquents ont été rejetées. Mme [X] a fait appel de ce jugement, l'appel étant toujours en cours.

Elle a également relevé appel du jugement du 23 avril 2019 qui l'a notamment condamnée à payer la somme de 47 000 euros au titre de la liquidation de l'astreinte, cet appel étant aussi toujours en cours.

Dans l'intervalle, par actes des 10 et 13 avril 2017, M. [P], arguant que Mme [X] et lui-même sont propriétaires indivis par moitié de la toile litigieuse, a assigné cette dernière ainsi que les sociétés Ruk et Tête à tête arts devant le tribunal de grande instance de Pontoise, lequel, par jugement du 5 mars 2019, a :

- dit et jugé que Mme [X] et M. [P] sont copropriétaires indivis du tableau de 126 cm x 84 cm attribué à [W] [E] de la période 1955 à [Localité 1] recouvert par de la peinture et par une forme religieuse fixée à l'aide de clous et qu'ils détiennent chacun 50 % de sa propriété,

- dit qu'à défaut d'accord entre les parties, le partage de l'indivision devra être réalisé,

- mis hors de cause la société Tête à tête arts,

- dit que la société RUK n'a commis aucune faute de nature à engager sa responsabilité,

- débouté M. [P] de ses demandes formées contre les sociétés RUK et Tête à tête arts,

- débouté Mme [X] de sa demande indemnitaire,

- condamné Mme [X] à payer à M. [P] la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné M. [P] à payer aux sociétés RUK et Tête à tête arts la somme de 3 000 euros chacune sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné Mme [X] et M. [P] aux dépens,

- débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,

- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire.

Par jugement du 12 mars 2019, le tribunal de grande instance de Pontoise a :

- constaté que le jugement rendu le 5 mars 2019 est entaché de deux erreurs matérielles,

- dit qu'en page 1, le paragraphe suivant concernant le demandeur :

"M. [P], né le [Date naissance 3] 1957 à [Localité 3], demeurant [Adresse 4] représenté par Maître Jean-Christophe Leroux, avocat postulant au barreau du Val d'Oise et assisté de Maître Jean-Claude Cohen et Maître Léon-Lef Forster, avocats plaidants au barreau de Paris"

est remplacé par :

"M. [P], né le [Date naissance 3] 1957 à [Localité 3], demeurant [Adresse 2] représenté par Maître Jean-Christophe Leroux, avocat postulant au barreau du Val d'Oise et assisté de Maître Jean-Claude Cohen et Maître Christian Patrimonio, avocats plaidants au barreau de Paris"

- dit que mention sera faite de cette décision en marge de la minute de la décision du 5 mars 2019.

Dans son jugement du 5 mars 2019, le tribunal a d'abord retenu que le non-respect de l'article 1325 du code civil relatif à l'exigence d'un double original en cas de deux parties ayant des intérêts distincts était sans portée dès lors que l'existence et les mentions de l'écrit n'étaient pas contestées.

Il a ensuite écarté les vices du consentement allégués par la défenderesse, faute de preuve de manoeuvres dolosives, d'une erreur, de violences ou d'une particulière vulnérabilité de Mme [X], le tribunal ayant notamment estimé que cette dernière connaissait parfaitement le marché de l'art et avait toute possibilité de se renseigner sur la capacité du restaurateur désigné dans la convention à procéder à la restauration de l'oeuvre.

Il a défini l'indivision et rappelé ses modalités d'établissement. Il a également défini le contrat d'association comme la cession d'une partie de son droit de propriété en contrepartie d'un avantage qui peut consister en une prestation. Il a considéré que l'acte du 10 novembre 2015 ne traduisait pas des pourparlers, ni ne constituait un avant-contrat mais caractérisait un engagement contractuel portant sur un bien précisément déterminé avec une contrepartie réelle et qu'il n'existait aucun doute sur la volonté de Mme [X]. Il a estimé que M. [P] n'a pu exécuter ses obligations en raison de l'attitude de cette dernière qui a remis unilatéralement en cause son engagement. Il en a déduit que la toile est la propriété indivise de Mme [X] et de M. [P].

Par déclaration du 15 mai 2019, Mme [X] a interjeté appel de ces jugements à l'encontre de M. [P] en ce qu'il a jugé que Mme [X] et M [P] sont copropriétaires indivis du tableau, dit qu'à défaut d'accord entre les parties, le partage de l'indivision devra être réalisé, débouté Mme [X] de sa demande indemnitaire, condamné Mme [X] à payer la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, condamné Mme [X] et M. [P] aux dépens et débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.

Par dernières écritures du 6 janvier 2020, Mme [X] demande à la cour de :

- dire Mme [X] recevable et bien fondée en ses demandes,

par conséquent,

- infirmer le jugement rendu le 5 mars 2019 en ses dispositions précitées, ensemble, le jugement rendu le 12 mars 2019 en ce que ce dernier rectifie deux erreurs matérielles du jugement primitif du 5 mars 2019,

et statuant à nouveau,

- débouter M. [P] de toutes ses demandes,

- ordonner la restitution du tableau de 126 cm x 84 cm attribué à [W] [E] de la période 1955 à [Localité 1] à Mme [X],

- condamner M. [P] à verser à Mme [X] la somme de 12 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner M. [P] aux entiers dépens, ainsi qu'il est dit à l'article 699 du code de procédure civile.

Par dernières écritures du 14 janvier 2020, M. [P] prie la cour de :

- confirmer en toutes ses dispositions le jugement de première instance,

- condamner Mme [X] à payer à M. [P] la somme de 8 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner Mme [X] aux entiers dépens de l'instance.

La cour renvoie aux écritures des parties en application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile pour un exposé complet de leur argumentation.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 16 janvier 2020.

MOTIFS DE LA DECISION

- Sur les demandes de M. [P]

Il convient d'examiner successivement les moyens soulevés par Mme [X] pour s'opposer aux demandes de M. [P].

Sur la contestation du contenu de l'écrit

Mme [X] demande d'abord à la cour de considérer que l'écrit du 10 novembre 2015 est dépourvu de toute force probante au motif que, contrairement à ce qu'a retenu le tribunal, les mentions de cet écrit sont contestées par elle, Mme [X] soutenant que M. [P] l'a complété après qu'elle l'a signé et qu'il est impossible de connaître les modifications et/ou ajouts apportés a posteriori par celui-ci.

M. [P] ne fait pas valoir d'observation sur ce point.

***

La personne à laquelle est opposé un acte sous seing privé peut désavouer son écriture, auquel cas il y a lieu à vérification d'écriture conformément aux articles 287 et suivants du code de procédure civile sauf si le juge peut statuer sans tenir compte de l'écrit litigieux.

Il suit de là que la seule contestation par Mme [X] des mentions de l'écrit du 10 novembre 2015 n'a pas pour effet ipso facto de priver celui-ci de toute force probante et ne peut conduire par elle-même à écarter l'acte ainsi qu'à débouter M. [P] de ses demandes fondées sur l'écrit.

M. [P] produit l'exemplaire de l'acte en sa possession.

Mme [X] verse aux débats cet exemplaire, déjà produit en première instance par M. [P], ainsi qu'un exemplaire en sa possession, exactement identique dans son contenu quant à sa date et aux obligations réciproques des parties, mais comportant des surcharges indiquant 'copie de l'original, copie' et qui est barré avec la mention suivante à deux reprises 'annulé'.

Mme [X] ne s'explique pas sur ces surcharges, ne précisant pas si les mentions susvisées sont celles dont elle dit qu'elles auraient été complétées par M. [P].

Mais il convient de noter que ces mentions figurent exclusivement sur le document en la possession de l'appelante et que Mme [X] indique elle-même que l'écrit du 10 novembre 2015 n'a été établi qu'en un seul original. Il s'en déduit que ces surcharges n'ont pas été convenues entre les parties et ont été apportées après l'établissement de l'écrit, sur la seule 'copie' de Mme [X] et non sur l'original.

Celle-ci produit aussi un procès-verbal de constat d'huissier du 20 juillet 2018 comportant description de trois enregistrements vidéo réalisés le 10 novembre 2015 dans son domicile la montrant dans la cuisine, rédigeant un document manuscrit en présence de deux personnes désignées comme M. [P] et le frère de celui-ci. L'huissier, après avoir indiqué que Mme [X] apparaît rédiger un document sous la dictée de M. [P], mentionne en pages et 8 et 9 de son constat :

'A la fin de la rédaction, elle (Mme [X]) confie la feuille à celui qui est en face d'elle, M. [I] [X] [P] qui la signe.

L'autre homme debout montre le haut de la page et semble indiquer qu'il manque des informations ou des mentions, que l'homme complète à son tour.

Les deux hommes ont la feuille face à eux, celui qui est assis tient le stylo et semble rédiger ou compléter des informations que Mme [F] [X] aurait pu omettre. (...)'.

Le document auquel il est fait référence dans ce constat ne peut être que l'original détenu par M. [P] de sorte que les surcharges figurant sur la copie susvisée produite par Mme [X] sont étrangères à la scène décrite par l'huissier.

Ce constat, du fait de l'emploi des termes 'semble rédiger ou compléter', ne prouve pas de manière certaine l'ajout ou la modification de certaines mentions sur l'acte litigieux.

En outre, force est de constater que Mme [X] ne précise pas les mentions qui auraient été ajoutées ou modifiées sur l'original alors que sa dénégation n'apparaît que partielle puisqu'elle impute à M. [P] d'avoir 'complété' le document et qu'elle ne justifie pas être dans l'impossibilité d'identifier les passages qui ne seraient pas écrits de sa main ou auraient été complétés par un tiers.

En toute hypothèse, l'examen de l'écrit ne révèle aucune rature, aucun ajout manifeste dans le corps de l'acte et aucune différence d'écriture. La pièce communiquée par l'appelante qui comporte son écriture sous le numéro 12 (bon pour pouvoir) ne laisse pas apparaître de différence par rapport à tout ou partie de l'écrit litigieux. Ainsi, au vu des éléments dont la cour dispose, cet acte sera considéré comme sincère, la contestation du contenu de l'écrit étant écartée.

Sur l'absence de convention formée

Mme [X] prétend ensuite qu'aucune convention n'a été formée entre M. [P] et elle au motif qu'ils ne se sont jamais entendus sur la même chose. Elle soutient que l'expression 'mettre en association moitié moitié 50% chacun pour le tableau' a toujours signifié pour elle de s'associer pour l'exploitation du tableau restauré, soit de partager les recettes de cette exploitation résultant notamment de son exposition, afin de promouvoir ses oeuvres personnelles et pour M. [P] d'acquérir la propriété indivise pour moitié du tableau restauré, du moins comme cela est apparu rétrospectivement, une fois le tableau quasiment restauré sans son intervention. Elle en veut pour preuves le bon pour pouvoir du 16 novembre 2015, une attestation de M. [T] et une lettre de la société RUK. Elle en déduit que l'écrit du 10 novembre 2015 ne correspond qu'à une invitation à entrer en pourparlers, voire à un avant-contrat, relevant d'ailleurs que M. [P] a tenté ensuite d'obtenir de sa part un nouveau document, faute de clarté de l'écrit litigieux.

M. [P] réplique que l'appelante se prévaut de l'existence d'une erreur obstacle, qu'il conteste. Il prétend que les termes de l'acte du 10 novembre 2015 sont d'une parfaite clarté, sans comporter d'ambiguïté quant à l'objet du contrat. Il dénie que celui-ci porte sur l'exploitation de l'oeuvre et la promotion de celles de Mme [X], relevant notamment l'absence d'emploi de tout terme en ce sens dans l'écrit et faisant valoir que l' 'association moitié moitié 50% chacun' implique qu'il ne s'agissait pas d'une collaboration mais du partage de la propriété du tableau. Au soutien de sa position, il invoque une autre attestation de M. [T] et celle de M. [D]. Il admet tout au plus que Mme [X] a consenti à la restauration du tableau en espérant bénéficier de l'impact médiatique pour la promotion de ses propres oeuvres mais avance qu'il ne s'agit que du motif de Mme [X] pour contracter, l'erreur portant sur un tel motif étant indifférente. Il reconnaît aussi avoir sollicité l'établissement d'un nouvel écrit mais soutient que cette demande n'avait qu'une visée probatoire.

***

Aux termes de l'article 1101 du code civil dans sa version en vigueur applicable à la date de la convention litigieuse, le contrat est une convention par laquelle une ou plusieurs personnes s'obligent, envers une ou plusieurs autres, à donner, à faire ou à ne pas faire quelque chose.

Le contrat est réputé formé dès qu'il y a accord des parties sur ses éléments essentiels.

Au cas particulier, selon l'acte du 10 novembre 2015, Mme [X] a remis le tableau en cause à M. [P] en vue de sa restauration par M. [D] à charge pour M. [P] d'en régler les frais et pour Mme [X] de 'mettre en association moitié moitié 50% chacun pour le tableau de mon ami [W] [E] et moi-même'.

C'est à tort que Mme [X] invoque que l'écrit ne traduirait que des pourparlers ou un avant-contrat dans la mesure où ses termes ne révèlent aucune négociation ou discussion en cours ou restant à achever, ni même un accord préparatoire en vue de la conclusion d'un contrat à venir mais, au contraire, présentent l'acte comme un engagement définitif.

Il n'en demeure pas moins que M. [P] ne saurait sérieusement soutenir que cet acte est parfaitement clair. En effet, la nature du partage à concurrence de moitié se rapportant au tableau qui y est évoqué n'est pas définie. Si M. [P] fait justement valoir que l'écrit ne fait nullement référence à l'exploitation de l'oeuvre d'[W] [E] et à la promotion de celles de Mme [X], force est de constater qu'il n'évoque pas davantage la vente à venir du tableau, ni un transfert du droit de propriété sur ce bien, le terme d'association ne signifiant qu'une mise en commun de moyens et non nécessairement la cession d'une partie du droit de propriété comme l'a retenu le tribunal. Au demeurant, M. [P] admet avoir sollicité de Mme [X] l'établissement d'un nouvel écrit afin de 'clarifier les termes de l'engagement pris' par elle, ce qui confirme le défaut de clarté et de précision de l'acte litigieux.

Il importe dès lors de rechercher si, au delà de l'imprécision des termes de l'acte, il existe une commune intention des parties.

Mme [X] relève à juste titre que le pouvoir qu'elle a confié le 16 décembre 2015 à MM. [T] et [P] aux fins de faire restaurer en son nom le tableau et son refus d'établir un nouvel écrit à la suite d'un avis émis le 23 novembre 2015 par Maître [Q], selon lequel 'la formulation 50/50 est à préciser (pas claire). Je crois comprendre que le prix de vente du tableau sera partagé entre les deux contractants', sont de nature à démontrer que de manière quasiment concomitante à l'établissement de l'écrit, elle s'est comportée comme manifestant la volonté de conserver l'entière propriété du bien au contraire de ce que voulait M. [P].

Du reste, la lettre adressée le 6 mars 2017 par la société RUK à Maître [R] dans laquelle celle-ci indique : 'Lorsque ce tableau attribué à [W] [E] nous a été présenté une première fois par Mme [X] en présence de votre client M. [P], en date du 21 décembre 2015, celui-ci s'est présenté non pas en tant que copropriétaire mais comme marchand de Mme [X], seule propriétaire de cette oeuvre' confirme cette intention de Mme [X] mais contredit aussi qu'aux yeux des tiers, au vu du comportement des deux parties, il y ait eu manifestation d'une volonté commune de partage de la propriété du tableau.

L'appelante et l'intimé se prévalent en outre chacun d'une attestation de M. [T].

Celle versée aux débats par Mme [X], en date du 22 mars 2017, indique en substance que Mme [X] lui a appris le passage à son domicile des frères [P] ainsi que l'existence de l'écrit en cause rédigé sous leur dictée sans qu'elle ait eu le temps de comprendre ce qui se passait et que Mme [X] a refusé en sa présence d'établir quelques jours plus tard un nouvel écrit au motif qu'il n'avait jamais été convenu que M. [P] soit propriétaire du tableau mais que celui-ci devait au contraire s'occuper de la promotion de ses oeuvres.

Dans celle produite par M. [P], datée du 15 janvier 2018, M. [T] précise que sa première attestation a été rédigée en présence de l'avocate de Mme [X] qui l' 'a orienté sur certains points' et qu' 'il a toujours été question de restaurer le tableau d'[W] [E] afin de le mettre en vente par l'intermédiaire de M. [P]. Il a toujours été question d'un partage équitable du prix de la vente du tableau. Le partage convenu était de moitié pour chacun après paiement des frais'.

Ces attestations étant contradictoires et la seconde ayant été établie quelques mois après la plainte déposée le 22 août 2017 par Mme [X] à l'encontre de M. [T] pour abus de confiance concernant un véhicule, il ne saurait être attaché une quelconque force probante à ces éléments.

M. [D] indique pour sa part qu'il a reçu M. [P] accompagné de Mme [X], que pour lui, il était tout à fait clair qu'il devait faire réapparaître l'oeuvre originale d'[W] [E] afin de permettre à M. [P] de la vendre et qu'en fonction des conversations auxquelles il a assisté, il était évident que 'M. [P] devait vendre le tableau dont il était partie prenante'.

Toutefois, cette attestation n'est pas suffisamment circonstanciée, tant en ce qui concerne le contenu précis et les auteurs des conversations évoquées que le sens des termes 'partie prenante', pour lui conférer une valeur probante.

M. [P] argue encore de l'attestation de M. [Z]. Celui-ci indique que M. [P] a proposé 'd'assurer seul le pari de faire restaurer cette oeuvre (le tableau d'[W] [E])-entièrement à ses frais- pour tenter de sauver le tableau. Mme [X] a alors accepté de passer un contrat avec M. [P] sur ce point et lui a garanti qu'en cas de réussite (qu'elle pensait plus qu'hypothétique!) elle partagerait le fruit de cette renaissance (inespérée de son point de vue). En outre, M. [P] avait de son côté pris l'engagement de s'occuper et promouvoir la propre production de Mme [X]'.

Cette attestation est également imprécise quant à la nature de ce qui devait être partagé. Elle ne corrobore pas la volonté de Mme [X] d'une mise en indivision de la propriété du tableau, le fruit de la renaissance du tableau pouvant tout aussi bien s'entendre, ainsi que le soutient l'appelante, comme le partage du résultat et des recettes de l'exploitation de l'oeuvre d'[W] [E] une fois restaurée. En revanche, cette attestation confirme le lien allégué par l'appelante entre la restauration du tableau d'[W] [E] et la promotion de ses propres oeuvres. Or, il n'est pas établi en quoi la vente d'une oeuvre d'[W] [E] aurait pu participer à la médiatisation de la production artistique de Mme [X] alors que l'exploitation commune du tableau d'[W] [E] et de ses propres oeuvres était d'évidence un moyen de valoriser ces dernières aux yeux du public, du fait de la notoriété attachée à [W] [E], ce qui corrobore l'intention de Mme [X] telle qu'elle s'en prévaut.

Il s'en déduit que si M. [P] a pu vouloir acquérir la propriété indivise du tableau par l'acte du 10 novembre 2015, Mme [X] n'a jamais partagé cette volonté, ayant seulement cru s'associer avec M. [P] en vue de partager les fruits de son exploitation. Il apparaît que les parties ne se sont pas entendues sur la nature de la contrepartie convenue, et donc sur celle du contrat. En tout état de cause, cet acte est dépourvu de tout objet certain. Il en résulte que le contrat n'a pu valablement se former.

En conséquence, sans qu'il soit nécessaire d'examiner les autres moyens de Mme [X], le jugement sera infirmé en ce qu'il a retenu que cette dernière et M. [P] sont copropriétaires indivis du tableau à hauteur de 50% chacun et en ce qu'il a ordonné le partage de l'indivision à défaut d'accord des parties, M. [P] étant débouté des demandes formées à ce titre.

- Sur la demande de restitution du tableau

Mme [X] sollicite la restitution du tableau. M. [P] ne formule pas d'observation sur ce point.

Mme [X] ne prétend, ni a fortiori ne justifie que le tableau soit actuellement en la possession de M. [P] ou d'un mandataire de ce dernier, l'appelante évoquant dans le rappel des faits et de la procédure figurant dans ses écritures que le tableau s'est trouvé en dernier lieu dans les mains de son ancien conseil, Maître [L] qui l'aurait abusée, avant que celle-ci le remette à la société LP Art. L'appelante sera donc déboutée de sa demande de restitution du tableau formée à l'occasion du présent litige l'opposant à M. [P].

- Sur la demande de dommages et intérêts de Mme [X]

Bien que Mme [X] ait relevé appel de la disposition du jugement l'ayant déboutée de sa demande indemnitaire et maintienne, aux termes de ses dernières conclusions, la demande d'infirmation du jugement de ce chef, elle ne réclame pas de dommages et intérêts, ni ne développe de moyen à cet égard. Partant, la disposition concernée sera confirmée.

- Sur les dépens et frais irrépétibles

M. [P] sera condamné aux dépens de première instance et d'appel, débouté de toute demande au titre de l'article de l'article 700 du code de procédure civile et condamné à payer à Mme [X] la somme de 3 000 euros sur ce fondement.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Infirme le jugement du 5 mars 2009, rectifié par le jugement du 12 mars 2009, en ses dispositions déférées à la cour sauf en celle ayant débouté Mme [X] de sa demande indemnitaire ;

Statuant à nouveau dans cette limite et ajoutant :

Déboute M. [P] de toutes ses demandes à l'encontre de Mme [X] ;

Le condamne à payer à Mme [X] la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Déboute Mme [X] de sa demande de restitution du tableau ;

Condamne M. [P] aux dépens de première instance et d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Madame Marie-José BOU, Président et par Monsieur Alexandre GAVACHE, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le Greffier,Le Président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 3e chambre
Numéro d'arrêt : 19/03513
Date de la décision : 30/04/2020

Références :

Cour d'appel de Versailles 03, arrêt n°19/03513 : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2020-04-30;19.03513 ?
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