La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

26/03/2020 | FRANCE | N°18/01356

France | France, Cour d'appel de Versailles, 11e chambre, 26 mars 2020, 18/01356


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 80A



11e chambre



ARRÊT N°



CONTRADICTOIRE



DU 26 MARS 2020



N° RG 18/01356 - N° Portalis DBV3-V-B7C-SHC6



AFFAIRE :



[U] [O]





C/

SAS IDEX SERVICES









Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 25 Janvier 2018 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BOULOGNE BILLANCOURT

N° Section : E

N° RG : F16/01171



Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :



Me Sophie POURRUT CAPDEVILLE



la SCP GRYSON & PINHEIRO







le :



RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



LE VINGT SIX MARS DEUX MILLE VINGT,

La cour d'appel de Versa...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80A

11e chambre

ARRÊT N°

CONTRADICTOIRE

DU 26 MARS 2020

N° RG 18/01356 - N° Portalis DBV3-V-B7C-SHC6

AFFAIRE :

[U] [O]

C/

SAS IDEX SERVICES

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 25 Janvier 2018 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BOULOGNE BILLANCOURT

N° Section : E

N° RG : F16/01171

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

Me Sophie POURRUT CAPDEVILLE

la SCP GRYSON & PINHEIRO

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE VINGT SIX MARS DEUX MILLE VINGT,

La cour d'appel de Versailles, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

Madame [U] [O]

née le [Date naissance 1] 1966 à [Localité 6] ([Localité 6])

[Adresse 3]

[Localité 4]

Représentant : Me Sophie POURRUT CAPDEVILLE, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : C1700

APPELANTE

****************

SAS IDEX SERVICES

N° SIRET : 632 037 982

[Adresse 2]

[Localité 5]

Représentant : Me Sylvie PINHEIRO de la SCP GRYSON & PINHEIRO, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P0364

INTIMEE

****************

Composition de la cour :

L'affaire a été débattue à l'audience publique du 17 Février 2020, Monsieur Eric LEGRIS, conseiller, ayant été entendu en son rapport, devant la cour composée de :

Madame Hélène PRUDHOMME, Président,

Monsieur Eric LEGRIS, Conseiller,

Madame Bérangère MEURANT, Conseiller,

qui en ont délibéré,

Greffier, lors des débats : Madame Sophie RIVIERE

Le 10 septembre 2007, Mme [U] [O] était embauchée par la SAS Idex Services en qualité d'adjointe au responsable de facturation (statut cadre) par contrat à durée indéterminée. Le contrat de travail était régi par la convention des cadres, ingénieurs et assimilés des entreprises de gestion d'équipements thermiques et de climatisation.

Au cours de la relation contractuelle, la salariée était placée sous l'autorité de M. [X] [C], responsable du service facturation.

Suivant un courrier de son conseil du 30 avril 2015, Mme [U] [O] dénonçait des fait de harcèlement dont elle était l'objet de la part de M. [C] et se plaignait d'une charge de travail insuffisante au regard de ses fonctions.

Un avenant à son contrat de travail définissant de nouvelles fonctions était signé le 1er juin 2015.

La salariée était convoquée par lettre du 13 novembre 2015 à un entretien préalable en vue d'un éventuel licenciement assorti d'une mise à pied. Par lettre du 16 décembre 2015, elle était licenciée pour faute grave au motif de son comportement à l'égard de son supérieur hiérarchique.

Le 8 juin 2016, Mme [U] [O] saisissait le conseil de prud'hommes de Boulogne-Billancourt en contestation de son licenciement et en condamnation de son employeur pour harcèlement moral.

Vu le jugement du 25 janvier 2018 rendu en formation paritaire par le conseil de prud'hommes de Boulogne-Billancourt qui a :

- dit et juge que le licenciement de Mme [U] [O] par la SAS Idex Services ne peut être qualifié de nul,

- fixé salaire moyen mensuel brut de référence à la somme de 3 943,33 euros,

- dit et jugé que le licenciement de Mme [U] [O] par la SAS Idex Services est dépourvu de cause réelle et sérieuse,

en conséquence

- condamné la SAS Idex Services à verser à Mme [U] [O] les sommes suivantes :

- 12 859,28 euros à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement,

- 11 830,00 euros d'indemnité compensatrice de préavis,

- 1 478,70 euros d'indemnité compensatrice de congés payés sur préavis,

- 4 600,42 euros de rappel de salaire au titre de la mise à pied,

- 575,04 au titre des congés payés afférents,

- 24 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse,

- ordonné que soient calculés les intérêts légaux sur les salaires à compter de la saisine avec capitalisation des intérêts,

- ordonné la remise des documents de fin de contrat conformes ;

- ordonné l'exécution provisoire de droit,

- condamné la SAS Idex Services à rembourser à Pôle emploi les allocations versées à Mme [U] [O] dans la limite de deux mois de salaire,

- condamné la SAS Idex Services à verser à Mme [U] [O] la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté Mme [U] [O] du surplus de ses demandes,

- débouté la SAS Idex Services de ses demandes,

- condamné la SAS Idex Services aux entiers dépens.

Vu la notification de ce jugement le 13 février 2018.

Vu l'appel interjeté par Mme [U] [O] le 6 mars 2018.

Vu les conclusions de l'appelante, Mme [U] [O], notifiées le 6 février 2020 et soutenues à l'audience par son avocat auxquelles il convient de se référer pour plus ample exposé, il est demandé à la cour d'appel de :

- dire et juger Mme [U] [O] bien fondée en son appel, ses demandes, fins et conclusions,

Sauf ce qui concerne le quantum des condamnations,

- confirmer le jugement du conseil des prud'hommes de Boulogne-Billancourt du 25 janvier 2018 en ce qu'il a :

- Condamné la SAS Idex Services à payer à Mme [U] [O] une indemnité conventionnelle de licenciement, un rappel de salaire au titre de la mise à pied et l'indemnité de congés payés y afférent, une indemnité compensatrice de préavis et l'indemnité de congés payés y afférent, des dommages et intérêts et un article 700 du code de procédure civile,

- Appliqué des intérêts légaux sur les salaires à compter de la saisine avec capitalisation,

- Ordonné la remise des documents de fin de contrat conformes,

- Condamné la SAS Idex Services à rembourser à Pôle emploi les allocations que cette institution a versé à Mme [U] [O],

- Prononcé l'exécution provisoire de droit,

- Débouté la SAS Idex Services de ses demandes reconventionnelles tendant à voir condamner Mme [U] [O] à lui verser une somme de 5 000 euros pour harcèlement moral et une somme de 2 000 euros au titre de l'article 700,

- Condamné la SAS Idex Services aux dépens de première instance,

- infirmer le jugement du conseil des prud'hommes de Boulogne-Billancourt du 25 janvier 2018 en ce qu'il a débouté Mme [U] [O] des demandes suivantes et y faire droit :

- dire le licenciement entrepris nul et de nul effet (articles L.1152-2 et L.1152-3 du Code du travail et article 222-33 du code pénal),

- dire et juger nulle et de nul effet la clause de forfait-jours contenue au contrat de travail (articles L.3121-4, L.3121-46 et L.3121-45 du code du travail dans leur version alors applicable, l'alinéa 11 du préambule de la constitution du 27 octobre 1946, l'article 151 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne se référant à la Charte sociale européenne et à la Charte communautaire des droits sociaux fondamentaux des travailleurs et l'article 36 de la CCN),

- fixer le salaire de référence à la somme de : 4 373,10 euros,

- condamner la SAS Idex Services à payer Mme [U] [O] les sommes suivantes :

- Indemnité conventionnelle de licenciement (article 20 de la CCN): 14 261,16 euros

- Rappel de salaire pour période de mise à pied du 13/11/2015 au 17/12/2015 : 5 101,95 euros

- Indemnité de congés payés sur mise à pied (510,19 + 25 %) : 637,73 euros

- Indemnité compensatrice de préavis (3 mois): 13 481,76 euros

- Indemnité compensatrice de congés payés sur préavis (1.311,93 euros + 25 %) : 1 639,91 euros

- Dommages et intérêts pour licenciement nul : 60 000,00 euros

- Dommages et intérêts pour harcèlement pour la période antérieure au licenciement : 30 000 euros

- Dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de prévention et de sécurité (article L.1222-1, L.1421-1, L.1421-2, et L.1152-4 du CT) : 10 000 euros

- Dommages et intérêts pour atteinte à la dignité de la personne et discrimination (articles 225-14 et 225-2 du code pénal) : 10 000 euros

- Dommages et intérêts compte tenu des conditions vexatoires du licenciement (article L.1222-1 du code du travail et articles 1382 et 1383 anciens du code civil) : 10 000 euros

- Rappel de salaires pour heures supplémentaires de Juin 2011 à décembre 2015 : 32 516,40 euros

- Indemnité de congés payés sur rappel de salaires pour heures supplémentaires : 4 064,51 euros

- Dommages et intérêt pour non-respect de la durée légale du temps de travail et pour exécution déloyale de la convention de forfait : 10 000 euros

- Indemnité forfaitaire pour travail dissimulé (6 mois- article L 8223-1 CT) : 26 238,60 euros

- Article 700 du code de procédure civile : 10 000 euros

- ordonner l'affichage de la décision à intervenir dans le journal Les Echos aux frais d'Idex Services (article L.1155-2 du CT),

- ordonner la remise de documents sociaux conformes à la décision à intervenir,

- condamner la SAS Idex Services aux dépens d'appel.

Vu les écritures de l'intimée, la SAS Idex Services, notifiées le 19 janvier 2020 et développées à l'audience par son avocat auxquelles il est aussi renvoyé pour plus ample exposé, il est demandé à la cour d'appel de :

- confirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Boulogne-Billancourt en date du 25 janvier 2018 en ce qu'il a débouté Mme [U] [O] de ses demandes :

- de nullité du licenciement au titre du harcèlement moral ;

- de dommages et intérêts pour licenciement nul ;

- de dommages et intérêts pour harcèlement ;

- de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de prévention et de sécurité;

- de dommages et intérêts pour atteinte à la dignité de la personne et discrimination ;

- de dommages et intérêts au titre des conditions vexatoires du licenciement ;

- de rappel de salaries pour heures supplémentaires de juin 2011 à décembre 2015 ;

- de dommages et intérêts pour non-respect de la durée légale du temps de travail et pour exécution déloyale de la convention de forfait ;

- d'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé ;

- d'affichage de la décision à intervenir dans le journal les échos aux frais de la société idex services.

- infirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Boulogne-Billancourt en date du 25 janvier 2018 en ce qu'il a condamné la SAS Idex Services pour licenciement sans cause réelle et condamné la SAS Idex Services à payer à Mme [U] [O] l'indemnité conventionnelle de licenciement, l'indemnité compensatrice de préavis, l'indemnité compensatrice de congés payés sur préavis, les rappels de salaire au titre de la mise à pied conservatoire, des dommages et intérêts pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse ;

En conséquence,

- dire et juger que le licenciement pour faute grave de Mme [U] [O] notifié par lettre en date du 16 décembre 2015 est bien fondé ;

- débouter Mme [U] [O] de l'intégralité de ses demandes, fins et prétentions ;

A titre incident :

- condamner Mme [U] [O] à verser à la SAS Idex Services une somme de 5 000 euros à titre de dommages-intérêts consécutivement aux faits de harcèlement moral commis par Mme [U] [O] sur la personne de M. [X] [C] et d'autres salariés du service facturation contractuelle ;

- condamner Mme [U] [O] à verser chacune à la SAS Idex Services une somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens d'appel.

Vu l'ordonnance du conseiller de la mise en état du 17 février 2020 qui a :

- ordonné le rejet des débats des conclusions et pièces transmises le 12 février 2020 par l'intimée,

- ordonné la clôture de l'instruction.

Vu l'ordonnance de clôture du 17 février 2020.

SUR CE,

Sur l'exécution du contrat de travail :

Sur la clause de forfait jours et les heures supplémentaires

Mme [O] fait valoir que sa clause de forfait-jour est nulle et de nul effet et sollicite un rappel de salaires pour heures supplémentaires de juin 2011 à décembre 2015 à hauteur de la somme de 32 516,40 euros, outre les congés payés afférents ;

Elle demande par ailleurs des dommages et intérêts pour non-respect de la durée légale du temps de travail et pour exécution déloyale de la convention de forfait et une indemnité forfaitaire pour travail dissimulé de 26 238,60 euros ;

L'article « appointements » de son contrat de travail prévoyait et précisait sa rémunération annuelle « en contrepartie d'un temps de travail effectif de 218 jours maximum » ;

Comme le fait justement valoir Mme [O], d'une part le contrat de travail ne fixait pas le nombre de jours travaillés puisqu'il ne prévoyait qu'une limite maximale de 218 jours et au surplus la société Idex services ne justifie pas d'entretiens annuels qui auraient été passés en 2008, 2009, 2011 et 2012 ;

Compte tenu de ces éléments, la clause de forfait-jour est nulle et de nul effet et il y a lieu de faire application des règles probatoires de l'article L.3171-4 du code du travail ;

En application de l'article L.3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail effectuées, la preuve des horaires de travail effectués n'incombe spécialement à aucune des parties et si l'employeur doit être en mesure de fournir des éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié, il appartient cependant à ce dernier de fournir préalablement au juge des éléments de nature à étayer sa demande ;

 

En l'espèce, Mme [O] expose avoir effectué des heures supplémentaires impayées sur la période de juin 2011 à décembre 2015 ;

Pour étayer ses dires, elle produit notamment :

- un décompte mentionnant les horaires de travail la concernant et des heures supplémentaires au cours de la période de juin 2011 à décembre 2015,

- des courriels sur la période de décembre 2007 à décembre 2011,

- des organigrammes,

- des mentions de certains entretiens d'évaluation, comme en mars 2013 où elle relevait au titre de sa « charge de travail : trop de facturation courante pour pouvoir se consacrer davantage à des sujets transversaux (...) »,

- une attestation d'une collègue de travail,

- à un courrier en réponse de M. [C] estimant que Mme [F] avait beaucoup moins de travail que Mme [O] ;

La salariée produit ainsi des éléments préalables suffisamment précis qui peuvent être discutés par l'employeur et qui sont de nature à étayer sa demande ;

L'employeur indique que Mme [O] formule une demande de rappel de salaire sur cinq ans alors que la loi de sécurisation de l'emploi a réduit le délai de prescription de cinq à trois ans en la matière ;

Lorsque le contrat de travail a été rompu, la demande en répétition de salaire peut porter sur les sommes dues au titre des trois années précédant la rupture ; en l'espèce Mme [O] a été licenciée le 16 décembre 2015 ; il s'ensuit que Mme [O], qui a saisi le conseil de prud'hommes en juin 2016, est recevable en sa demande de rappel de salaire portant sur la période postérieure au 16 décembre 2012, ( soit du 16 décembre 2012 au 16 décembre 2015), mais que sa demande portant sur la période comprise entre juin 2011 et le 15 décembre 2012 est prescrite ;

L'employeur expose également que Mme [O] réclame désormais un rappel d'heures supplémentaires alors qu'elle considérait au contraire en 2014 et 2015 qu'elle avait une charge de travail insuffisante et une articulation correcte entre sa vie professionnelle et sa vie privée, ce qui ressort effectivement des entretiens annuels d'évaluation d'août 2014 et septembre 2015, outre qu'au cours de cette dernière année, son conseil avait dénoncé dans le même sens une « mise au placard », expression reprise par l'appelante elle-même (à compter de novembre 2013) dans ses écritures ;

Au vu de l'ensemble des éléments produits de part et d'autre, et sans qu'il soit besoin d'une mesure d'instruction, la cour retient que Mme [O] a bien effectué des heures supplémentaires non rémunérées, mais sur la seule période du 16 décembre 2012 à novembre 2013 et dans des proportions bien inférieures à celles alléguées ; il lui sera allouée la somme de 4 260,08 euros, outre la somme de 426,08 euros au titre des congés payés afférents ; le jugement sera infirmé de ces chefs ;

L'unique pièce produite par Mme [O] est insuffisante à démontrer un non-respect par l'employeur de la durée légale du temps de travail ; l'appelante ne justifie pas non plus d'un préjudice distinct au titre de l'exécution déloyale de la convention de forfait qu'elle invoque ; ses demandes de dommages et intérêts formées à ce titre seront donc rejetées ;

S'agissant de la demande de dommages et intérêts pour travail dissimulé, la dissimulation d'emploi salarié prévue par l'article L.8221-5 du code du travail n'est caractérisée que s'il est établi que l'employeur a, de manière intentionnelle, mentionné sur les bulletins de paie un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement effectué ; une telle intention, qui ne peut se déduire de la seule absence de mention des heures supplémentaires sur les bulletins de paie, n'est pas établie en l'espèce ; le rejet de la demande formée à ce titre sera donc confirmé.

Sur le harcèlement moral

Aux termes de l'article L.1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ;

Selon l'article L.1152-2 du code du travail, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral et pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés ;

Vu les articles L1152-1 et L1254-1 du code du travail,

Il résulte de ces textes que lorsque la salariée établit la matérialité de faits précis et concordants constituant selon elle un harcèlement, il appartient au juge d'apprécier si ces éléments, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral; dans l'affirmative, il appartient à l'employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement ;

En l'espèce, Mme [O] invoque les faits suivants :

- la diminution de ses responsabilités et sa mise au placard,

- isolement géographique,

- un refus de formation,

- une baisse de rémunération, observant notamment à ce titre avoir bénéficié en 2015 d'une augmentation moindre en 2015 qu'auparavant ou une minoration de prime,

- des brimades et humiliations,

- la détérioration de son état de santé ,

Elle dénonce particulièrement des méthodes de gestion dénigrantes mises en 'uvre par M. [C], son supérieur hiérarchique ;

Pour étayer ses affirmations, elle produit notamment des organigrammes, où elle apparaît dans des fonctions de « responsable portefeuille » puis « responsable outil, formation » à un niveau hiérarchique équivalent, sa propre appréciation d'une charge de travail insuffisante lors de son entretien d'évaluation de juillet 2014, un tableau récapitulatif de nombre de contrats de facturation initiés par elle en baisse en 2013 puis 2014, des échanges de courriels en ce compris des mails professionnels adressés par M. [C] moins nombreux en mai 2013 qu'en mai 2014, étant observé que ces échanges n'établissent pas l'« acharnement » de son supérieur tel qu'allégué par elle, un avenant à son contrat de travail qu'elle estime avoir « officialisé sa mise au placard », un plan de déménagement du service en novembre 2014, un courriel du 23 janvier 2015 l'informant que sa demande d'une formation « achat public d'énergie » n'a pas été inscrite au plan 2015 ceci « suite aux différents arbitrages menés par les responsables de service conjointement avec le service formation », des bulletins de paie, son entretien d'évaluation de juillet 2014 comprenant des appréciations sur son travail faisant état de ce que « les relations avec une partie de son équipe font qu'elle ne peut plus les manager » qu'elle estime dévalorisante, l'intimée faisant néanmoins observer que Mme [O] y a également mentionné elle-même que « je suis satisfaite de prendre en charge le reporting P1 de l'ensemble des DR », un courriel de Mme [R] indiquant avoir vu M. [C] « rabaisser » Mme [O] sans préciser d'actes précis à cet égard ni les paroles prononcées et une attestation de Mme [F], autre collègue de travail, faisant notamment état de nombreux « reproches » de M. [C] envers Mme [O] qui était « sermonée », l'intimée rappelant et justifiant que Mme [F] a elle-même été licenciée par le même empoyeur pour faute grave, laquelle a été retenue par le conseil de prud'hommes de Boulogne-Billancourt, des certificats médicaux du docteur [K], médecin traitant, faisant état de consultation de Mme [O] « pour des manifestations en rapport avec un stress à son travail » ayant nécessité des arrêts-maladie, étant rappelé que le médecin ne saurait, dans un certificat médical, attester de faits qu'il n'a pas personnellement constatés ;

Par ailleurs, les faits de harcèlement que Mme [O] indique avoir été subis par d'autres salariés ne peuvent être utilement invoqués au titre de sa situation personnelle ;

La société Idex Services produit au surplus plusieurs attestations de salariés allant en sens contraire ou mettant en cause, dans le cadre d'attestations versées aux débats (comme Mme [I] [V] et Mme [B]), le comportement de Mme [O] à leur égard ;

L'employeur relève en tout état de cause qu'à la suite des accusations de harcèlement moral de Mme [F] en novembre 2015, le CHSCT avait procédé à une enquête puis établi un rapport ayant conclu que les « accusations de harcèlement ont été démenties par les salariés » et que « ces salariés sont unanimes pour dire que le problème est lié à l'ambiance créé tant par Madame [O] que par leur responsable du service » ;

Elle relève aussi que l'inspection du travail saisie de la problématique du harcèlement moral n'y a pas donné suite et que le médecin du travail n'a pas constaté ni émis de réserve sur l'existence d'un quelconque harcèlement moral à l'encontre de Mme [O] qui a été déclarée apte le 23 juillet 2014 puis le 10 novembre 2015, tandis que M. [C] faisait pour sa part l'objet d'un avis d'aptitude avec aménagement de poste par le médecin du travail le 4 janvier 2016, aménagement dans le sens d' « une nouvelle organisation au sein de son équipe. (') M. [C] et l'équipe de facturation devrait éviter tout contact avec Mme [F] » ;

Elle justifie enfin que, dans les suites de l'intervention de l'avocat de Mme [O], un avenant à son contrat de travail a été régularisé le 1er juin 2015, actant de son « acceptation sans réserve d'occuper le poste de Responsable Outils de Facturation et de Formation (Cadre- coefficient 80 II B) à effet du 1er novembre 2014 » ;

En l'état des explications et des pièces fournies, la matérialité d'éléments de fait précis et concordants, pris dans leur ensemble, laissant supposer l'existence d'un harcèlement moral n'est pas démontrée. Les demandes relatives au harcèlement seront par conséquent rejetées ; le jugement est confirmé sur ce point ;

Par suite de ces motifs, le rejet des demandes de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de prévention et de sécurité - Mme [O] invoquant une inaction de l'employeur pour remédier aux actes de harcèlement qu'elle allègue - et de dommages et intérêts pour atteinte à la dignité de la personne et discrimination sur les mêmes éléments que ceux constitutifs d'après elle du harcèlement moral - la matérialité d'éléments de fait précis et concordants laissant supposer l'existence d'une discrimination « des subordonnées de sexe féminin » par rapport aux « subordonnés mâles » n'étant pas établie - sera également confirmé ;

Sur la rupture du contrat de travail :

Sur le licenciement

En application de l'article L. 1232-1 du code du travail un licenciement doit être justifié par une cause réelle et sérieuse ;

Si la charge de la preuve du caractère réel et sérieux du licenciement n'appartient spécialement à aucune des parties, le juge formant sa conviction au vu des éléments fournis par les parties et au besoin après toute mesure d'instruction qu'il juge utile, il appartient néanmoins à l'employeur de fournir au juge des éléments lui permettant de constater la réalité et le sérieux du motif invoqué ;

La faute grave est celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise ; la charge de la preuve incombe à l'employeur qui l'invoque ;

En l'espèce Mme [O] a été licenciée pour faute grave au motif de son comportement à l'égard de son supérieur hiérarchique ;

Plus précisément la lettre de licenciement lui reproche un comportement délibérément provocateur à l'égard de son supérieur hiérarchique M. [C] et une volonté délibérée de lui nuire, ajoutant que d'autres salariés ont rapporté avoir subi la même attitude à leur égard ;

La lettre de licenciement vise deux faits des 12 et 13 novembre 2015 en ces termes :

« Le jeudi 12 novembre 2015, alors que Monsieur [X] [C] vous expliquait la procédure de suivi de la facturation en attente que vous avez délibérément feint dans un premier temps de ne pas comprendre, vous lui avez crûment coupé la parole pour lui indiquer que vous refusiez d'appliquer ladite procédure car, pour reprendre vos termes, « c'est de la merde ». ('). Le vendredi 13 novembre 2015, alors que Monsieur [X] [C] vous donnait des instructions concernant les formations, vous êtes brutalement sortie de son bureau en lui déclarant « j'ai mieux à faire » ;

La société Idex Services, qui rappelle que M. [C] a été lui aussi placé en arrêt de travail, se réfère aux attestations de Mmes [I] [V], [T] et [P] au sujet des agissements de Mme [O], que celle-ci conteste ;

Seule Mme [I] [V] relate des faits partiellement datés ; elle indique avoir « (') vu à plusieurs reprises Mme [O] manquer de respect à M. [C] vendredi 13 novembre 2015. J'ai entendu Mme [O] faire preuve d'insubordination vis-à-vis de M. [C] allant même jusqu'à quitter le bureau alors qu'il lui parlait calmement. (...)» ;

Mme [T] indique : « j'ai été témoin à plusieurs reprises de tels agissements (harcèlement) de la part de [U] [O] à l'encontre de [U] [B] et [A] [D]. Par ailleurs, je tiens à vous indiquer que j'ai à plusieurs reprises vu et entendu [U] [O] et [W] [F] critiquer et dénigrer M. [X] [C]. », sans toutefois apporter aucune précision sur les dates ni sur le contenu de tels agissements ;

Mme [P] indique seulement que « Je tiens par cette attestation à exprimer mon désaccord par rapport aux déclarations qu'on me prête, tant sur le fait que j'ai simplement entendu des haussements de ton sans être capable d'indiquer l'objet de l'échange et sur le fait que je n'ai jamais été choqué du comportement de M. [C], mais de la situation exceptionnelle et tendue. » ;

Enfin les autres attestations produites par l'employeur concernent les conditions de travail de salariés postérieurement au licenciement de Mme [O] ;

Ces éléments demeurent insuffisants à démontrer la faute grave reprochée ni même à établir une cause réelle et sérieuse de licenciement, ainsi que l'ont justement retenu les premiers juges ;

Pour autant, le licenciement ne s'analyse pas en un nouvel acte de harcèlement et il n'est pas établi qu'il soit intervenu en fraude et en lien direct avec la dénonciation de faits de harcèlement par une autre salariée, Mme [F], selon courrier du 5 novembre 2015, étant rappelé que le courrier du conseil de Mme [O] datait du 30 avril 2015, soit plus de 6 mois plus tôt, et évoquait des griefs se rapportant à la modification des fonctions contractuelles, à sa rémunération, à des brimades et une mise au placard ;

Les demandes relatives à la nullité du licenciement seront donc rejetées ;

En conséquence, le jugement sera aussi confirmé en ce qu'il a dit que le licenciement de Mme[O] ne peut être qualifié de nul mais qu'il est dépourvu de cause réelle et sérieuse ;

Sur les conséquences financières

À la date de son licenciement Mme [O] avait une ancienneté de 8 ans au sein de l'entreprise qui employait de façon habituelle plus de 11 salariés ;

Il y a lieu de confirmer le jugement en ce qu'il a alloué à Mme [O], dont le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse, sur la base d'un salaire moyen brut de référence de 3 943,33 euros, étant rappelé qu'il n'a été fait droit à la demande de rappel d'heures supplémentaire que sur la période du 16/12/2012 à novembre 2013, les sommes suivantes :

- 12 859,28 euros à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement,

- 11 830,00 euros d'indemnité compensatrice de préavis,

- 1 478,70 euros d'indemnité compensatrice de congés payés sur préavis,

- 4 600,42 euros de rappel de salaire au titre de la mise à pied,

- 575,04 au titre des congés payés afférents ;

En application de l'article L1235-3 du code du travail, elle peut également prétendre à une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse qui ne peut être inférieure au montant brut des salaires qu'elle a perçus pendant les six derniers mois précédant son licenciement ;

Au-delà de cette indemnisation minimale, et tenant compte notamment de l'âge, de l'ancienneté de la salariée et des circonstances de son éviction, étant observé que Mme [O] justifie être restée sans rémunération du 18 décembre 2015 au 20 janvier 2016 puis avoir retrouvé un emploi en qualité de cadre comptable d'abord en contrat à durée déterminée à compter du 21 janvier 2016, contrat transformé à durée indéterminée à compter de mai 2016, avec une rémunération toutefois inférieure à celle de son précédent emploi, il convient de condamner l'employeur au paiement d'une indemnité totale portée à 28 000 euros à ce titre, sans toutefois qu'il y ait lieu d'allouer en sus d'indemnisation au titre d'un préjudice moral distinct en lien avec les conditions vexatoires du licenciement alléguées mais non justifiées ;

Il n'est pas plus justifié d'ordonner l'affichage de la présente décision à défaut d'allégations le justifiant ; la demande formée en ce sens sera donc rejetée ;

Sur le remboursement par l'employeur à l'organisme des indemnités de chômage

En application de l'article L. 1235-4 du code du travail, il convient d'ordonner d'office le remboursement par l'employeur à l'organisme concerné, du montant des indemnités de chômage éventuellement servies au salarié du jour de son licenciement au jour du prononcé de l'arrêt dans la limite de 2 mois d'indemnités ;

Sur la demande reconventionnelle de la société Ides Services

La société Idex Services sollicite la condamnation de Mme [O] à lui verser une somme de 5 000 euros à titre de dommages-intérêts consécutivement aux faits de harcèlement moral qu'elle reproche à Mme [U] [O] d'avoir commis sur la personne de M. [C] et d'autres salariés du service facturation contractuelle ;

Il se déduit cependant des motifs précités que la matérialité d'éléments de fait précis et concordants laissant supposer l'existence d'un harcèlement moral commis par Mme [O] sur la personne de M. [C] n'est pas démontrée ; la demande reconventionnelle sera par conséquent rejetée ;

Sur les autres demandes

Il y a lieu d'enjoindre à la société Idex Services de remettre à Mme [O], dans le mois suivant la signification du présent arrêt, des documents de fin de contrat conformes à la présente décision ;

Sur les intérêts

Les intérêts au taux légal portant sur les condamnations de nature salariale seront dus à compter de la réception de la convocation de l'employeur devant le bureau de conciliation ;

S'agissant des créances de nature indemnitaire, les intérêts au taux légal seront dus à compter de la décision les ayant prononcées ;

Il y a lieu d'ordonner la capitalisation des intérêts dans les conditions de l'article 1343-2 du code civil à compter de la date de la demande qui en été faite ;

Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens

Compte tenu de la solution du litige, la décision entreprise sera confirmée de ces deux chefs et par application de l'article 696 du code de procédure civile, les dépens d'appel seront mis à la charge de la société Idex Services ;

La demande formée par Mme [O] au titre des frais irrépétibles en cause d'appel sera accueillie, à hauteur de 2 000 euros ;

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

statuant publiquement et contradictoirement,

Confirme le jugement entrepris, sauf en ses dispositions relatives aux heures supplémentaires et au montant de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

L'infirme pour le surplus,

Statuant de nouveau des dispositions infirmées,

Condamne la SAS Ides Services à payer à Mme [U] [O] les sommes suivantes :

- 4 260,08 euros au titre des heures supplémentaires non rémunérées sur la période du 16 décembre 2012 à fin novembre 2013 et 426,08 euros au titre des congés payés afférents,

- 28 000 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- 2 000 euros à titre d'indemnité complémentaire pour frais irrépétibles de procédure,

Déboute les parties de leurs autres demandes plus amples ou contraires,

Condamne la SAS Ides Services aux dépens d'appel.

Arrêt prononcé par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,

Signé par Mme Hélène PRUDHOMME, président, et Mme Sophie RIVIERE, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le GREFFIER Le PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 11e chambre
Numéro d'arrêt : 18/01356
Date de la décision : 26/03/2020

Références :

Cour d'appel de Versailles 11, arrêt n°18/01356 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2020-03-26;18.01356 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award