COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 53B
16e chambre
ARRÊT N°
CONTRADICTOIRE
DU 20 FÉVRIER 2020
N° RG 19/02629 - N° Portalis DBV3-V-B7D-TEBR
AFFAIRE :
SARL ALTHEA GESTION
C/
[Y] [I] [R]
Madame [J] [P] [E] épouse [R]
Décision déférée à la cour : Ordonnance rendue le 29 Mars 2019 par le Juge de la mise en état de NANTERRE
N° RG : 18/04390
Expéditions exécutoires
Expéditions
Copies
délivrées le : 20/02/2020
à :
Me Martine DUPUIS de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de VERSAILLES
Me Mélina PEDROLETTI, avocat au barreau de VERSAILLES
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE VINGT FÉVRIER DEUX MILLE VINGT,
La cour d'appel de Versailles, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
SARL ALTHEA GESTION
Venant aux droits du Crédit Immobilier de France Développement selon contrat de cession de créances en date du 21 décembre 2016
N° Siret : 824 270 771 (RCS Nanterre)
[Adresse 1]
[Localité 4]
Prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
Représentant : Me Martine DUPUIS de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 625 - N° du dossier 1961590
Représentant : Me Paul BUISSON de l'ASSOCIATION BUISSON & ASSOCIES, Plaidant, avocat au barreau de VAL D'OISE, vestiaire : 6, substitué par Me Ayfer UNAL, avocat au barreau de VAL D'OISE, vestiaire : 6
APPELANTE
****************
Monsieur [Y] [I] [R]
né le [Date naissance 2] 1953 à [Localité 6] - IRLANDE
de nationalité Irlandaise
[Adresse 9]
[Localité 6] - IRLANDE
Madame [J] [P] [E] épouse [R]
née le [Date naissance 3] 1951 à [Localité 5] - IRLANDE
de nationalité Irlandaise
[Adresse 9]
[Localité 6] - IRLANDE
Représentant : Me Mélina PEDROLETTI, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 626 - N° du dossier 24508
Représentant : Me Patrick LEROYER-GRAVET, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : K08
INTIMES
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l'article 786 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 15 Janvier 2020 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Patricia GRASSO, Président chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Patricia GRASSO, Président,
Madame Sylvie GUYON-NEROT, Président,
Madame Caroline DERYCKERE, Conseiller,
Greffier, lors des débats : Mme Mélanie RIBEIRO,
EXPOSÉ DU LITIGE
Par acte authentique du 9 mars 2007, M. [Y] [R] et Mme [J] [E] épouse [R] ont acquis en l'état futur d'achèvement un appartement situé à [Localité 8]
(Alpes maritimes), au moyen d'un emprunt souscrit auprès de la société Crédit immobilier de France financière Rhône Ain d'un montant de 402.509 euros, au taux d'intérêt de 5,347 %, remboursable en 240 mensualités de 2.657,21 euros.
Le 1er avril 2011, la déchéance du terme a été prononcée, en raison d'incidents de paiement. Par exploit d'huissier délivré le 15 mai 2013, la société Crédit immobilier de France financière Rhône Ain a fait délivrer un commandement de payer valant saisie immobilière, qui a été publié au service de publicité foncière de [Localité 7] le 9 juillet 2013.
Après la vente par adjudication du bien immobilier, la société Crédit immobilier de France financière Rhône Ain a cédé à la société Althea gestion sa créance à l'encontre des époux [R] le 31 décembre 2016.
Par lettre du 8 décembre 2017, le cabinet ARC, agissant pour le compte de la société Althea gestion, a mis en demeure les époux [R] de régler la somme de 248.527,52 euros au titre
du solde restant dû.
Par exploit d'huissier en date du 19 avril 2018, la société Althea gestion a fait assigner M. [Y]
[R] et Mme [J] [E] devant le tribunal de grande instance de Nanterre aux fins
d'obtenir leur condamnation à lui payer le solde du prêt.
Saisi d'un incident d'incompétence territoriale le juge de la mise ne état du tribunal de grande instance de Nanterre, par ordonnance du29 mars 2019, a rendu la décision suivante:
« Accueillons l'exception d'incompétence soulevée par M. [Y] [R] et Mme [J] [E] épouse [R] ;
Disons que le tribunal de grande instance de Nanterre est incompétent et que le litige relève de la compétence de la Hight Court de Dublin ;
Déboutons les parties du surplus de leurs demandes ;
Condamnons la société Althea Gestion à payer à M. [Y] [R] et à Mme [J] [E] épouse [R] la somme de 1.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamnons la société Althea Gestion aux dépens, dont distraction au profit de Maître Mazingue conformément à l'article 699 du code de procédure civile. «
La société Althea gestion a interjeté appel de cette décision le 10 avril 2019.Elle a présenté un requête pour être autorisée à assigner à jour fixe le 10 avril 2019, et y a été autorisée par ordonnance du 14 mai 2019.
Le 6 août 2019, l'huissier a dressé acte de transmission de demande de signification d'un acte dans un autre état membre et le 14 août 2019 l'entité irlandaise a refusé cette délivrance faute de traduction.
M; et Mme [R] ont néanmoins constitué avocat .
Aux termes de ses conclusions du 02 janvier 2020, l'appelante demande à la cour de :
dire et juger la société Althea gestion recevable et bien fondée en son appel sur la compétence ;
infirmer en toute ses dispositions l'ordonnance entreprise ;
Et statuant à nouveau,
dire et juger que le tribunal de grande instance de Nanterre est compétent pour connaître de l'action en paiement diligentée par Althea gestion contre les époux [R]
condamner les intimés à payer à Althea gestion la somme de 3.500 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
condamner les intimés aux entiers dépens, dont distraction au profit de la selarl Lexavoue Paris-Versailles, avocat au barreau de Versailles, conformément à l'article 699 du code de procédure civile.
Elle fait valoir que ljuge de la mise en état, pour retenir son incompétence s'est fondé sur l'article 17 du règlement UE n°1215/2012 du 12 décembre 2012 et a jugé que la demanderesse avait fait application d'une clause attributive de compétence, alors que la société gestion n'a aucunement fait application de la clause attributive de compétence et que l'article 17 du règlement UE n°1215/2012 du 12 décembre 2012 ne trouve pas à s'appliquer en l'espèce car il ne concerne que la vente d'objets mobiliers corporels et les prêts liés au financement d'objets mobiliers corporels et qu'en l'espèce la demande est fondée un contrat de prêt immobilier notarié et que c'est donc l'article 7 du règlement UE n°1215/2012 du 12 décembre 2012 qui s'applique pour déterminer la juridiction compétente.
Elle soutient que la Cour européenne juge que le contrat de crédit conclu entre un établissement de crédit et un débiteur est un contrat de fourniture de service et que le lieu d'un État membre
où, en vertu du contrat, les services ont été ou auraient dû être fournis est celui du siège de
cet établissement.
Aux termes de leurs conclusions en réponse du 11 septembre 2019, M. et Mme [R], intimés, demandent à la cour de :
Vu les articles 17, 18 et 19 du Règlement (UE) n°1215/2012 du Parlement Européen et du
Conseil du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et
l'exécution des décisions en matière civile et commerciale,
confirmer l'ordonnance du 29 mars 2019 du Juge de la Mise en Etat du tribunal de grande instance de Nanterre,
Y ajoutant :
Vu l'article 700 du Code de Procédure Civile,
Condamner la société Althea gestion au paiement de la somme de 5.000 euros,
Condamner la société Althea gestion aux entiers dépens, dont distraction, dans les termes et conditions de l'article 699 du Code de Procédure Civile, au profit de Maître Mélina Pedroletti, Avocat.
Ils font valoir qu'ils sont de nationalité irlandaise, qu'ils résident et qu'ils sont domiciliés à [Localité 6], Irlande, que les parties ont entendu soumettre le contrat au code de la consommation, que l'article 7 § 1 de la Section 1 du Règlement du 12 décembre 2012, qui vise, en matière contractuelle, et afin de désigner la juridiction territorialement compétente, le lieu d'exécution de l'obligation qui sert de base à la demande n'est pas applicable en l'espèce, que seule la juridiction de leur domicile est territorialement compétente eu égard aux considérants introductifs du Règlement qui précisent en page 3, au paragraphe 18 : « S'agissant des contrats d'assurance, de consommation et de travail, il est opportun de protéger la partie la plus faible au moyen de règles de compétence plus favorables à ses intérêts que ne le sont les règles générales » et à la Section 4 du Chapitre II du règlement qui fixe les règles de compétence en matière de contrat conclu par les consommateurs, dérogeant ainsi aux sections 1 et 2 du même Chapitre.
Conformément à l'article 455 du code de procédure civile, pour plus ample exposé des faits, de la procédure et des moyens soutenus par les parties, la cour se réfère à leurs écritures et à la décision déférée.
MOTIFS DE LA DÉCISION
M; et Mme [R] sont de nationalité irlandaise et sont domiciliés à [Localité 6], Irlande. Il n'est pas allégué que le prêt litigieux aurait été souscrit pour les besoins de leur activité professionnelle.
En tout état de cause, l'offre de prêt immobilier annexée à l'acte notarié vise expressément, en page 17, les articles L312-1 et suivants du Code de la Consommation
L'appelante soutient qu'elle n'agit pas devant la juridiction française en application de l'article 19 de l'offre de prêt relative au droit applicable stipule qu'il « est expressément convenu que le contrat de prêt et d'une façon générale, toutes les relations entre les parties sont régies par le droit français. Tout litige éventuel relève de la compétence exclusive des tribunaux français ».
Elle fonde son moyen de compétence sur l'article 7 du Règlement (UE) n°1215/2012 du Parlement Européen et du Conseil du 12 décembre 2012 figurant en Section 2 du Chapitre II consacrée aux compétences spéciales, qui énonce que :
« Une personne domiciliée sur le territoire d'un État membre peut être attraite dans un
autre État membre :
1) a) en matière contractuelle, devant la juridiction du lieu d'exécution de l'obligation qui sert de base à la demande ;
b) aux fins de l'application de la présente disposition, et sauf convention contraire, le lieu d'exécution de l'obligation qui sert de base à la demande est:
- pour la vente de marchandises, le lieu d'un État membre où, en vertu du contrat, les marchandises ont été ou auraient dû être livrées,
- pour la fourniture de services, le lieu d'un État membre où, en vertu du contrat, les services ont été ou auraient dû être fournis;
c) le point a) s'applique si le point b) ne s'applique pas; »
M.et Mme [R] répondent, comme le premier juge, que puisque les parties ont entendu soumettre le prêt immobilier aux dispositions du code de la consommation, ils ont qualité de consommateur, et que la section 4 du règlement UE n°1215/2012 du 12 décembre 2012 relative à la compétence en matière de contrats conclus par les consommateurs était dès lors applicable , notamment les articles 17 et 19 .
L'article 17 du règlement indique que 'en matière de contrat conclu par une personne,le consommateur, pour un usage pouvant être considéré comme étranger à son activité professionnelle, la compétence est déterminée par la présente section, sans préjudice de l'article 6 et de l'article 7, point 5):
a) lorsqu'il s'agit d'une vente à tempérament d'objets mobiliers corporels ;
b) lorsqu'il s'agit d'un prêt à tempérament ou d'une autre opération de crédit liés au
financement d'une vente de tels objets; ou
c) lorsque, dans tous les autres cas, le contrat a été conclu avec une personne qui exerce des
activités commerciales ou professionnelles dans l'État membre sur le territoire duquel le
consommateur a son domicile ou qui, par tout moyen, dirige ces activités vers cet État membre
ou vers plusieurs États, dont cet État membre, et que le contrat entre dans le cadre de ces
activités.'
L'article 19 précise qu'il « ne peut être dérogé aux dispositions de la présente section que par des
conventions
1)postérieures à la naissance du différend ;
2)qui permettent au consommateur de saisie d'autres juridictions que celles indiquées à la
présente section ; ou
3)qui, passées entre le consommateur et son cocontractant ayant, au moment de la conclusion
du contrat, leur domicile ou leur résidence habituelle dans un même Etat membre, attribuent
compétence aux juridictions de cet Etat membre, sauf si la loi de celui-ci interdit de telles
conventions ».
Il n'est donc pas contesté que s'applique en l'espèce Règlement (UE) n°1215/2012 du Parlement Européen et du Conseil du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale .
Cependant, l'article 17 précité ne fait référence qu'à la vente d'objets mobiliers corporels et aux prêts liés au financement d'objets mobiliers corporels de sorte qu'il ne saurait être étendu à un prêt immobilier .
D'autre part et surtout, le fait que les parties aient voulu soumettre le contrat au code de la consommation français a conféré aux époux [R] la qualité de consommateurs et les protège en soumettant le contenu et l'exécution du contrat au code de la consommation, mais n'a pas d'incidence sur la compétence de la juridiction éventuellement saisie .
En effet,si le Règlement (UE) n° 1215/2012,prévoit en son article 8, § 2 :« S'agissant des contrats d'assurance, de consommation et de travail, il est opportun de protéger la partie la plus faible au moyen de règles de compétence plus favorables à ses intérêts que ne le sont les règles générales ', contrat de crédit conclu entre un établissement de crédit et un débiteur est un contrat de fourniture de service .
Dans le cadre des règles de compétence générale la banque, professionnel, pouvait choisir d'attraire M. et Mme [R] , consommateurs, devant le tribunal désigné par la loi interne applicable, soit en droit interne français puisque la loi applicable au contrat est le code de la consommation, soit devant le tribunal de leur domicile en vertu de l'article 42 du code de procédure civile , soit devant le tribunal du lieu de la livraison effective de la chose ou de l'exécution de la prestation de services en vertu de l'article 46. Or le contrat litigieux étant un contrat de fourniture de service , le lieu d'un État membre où, en vertu du contrat, les services ont été fournis est celui du siège de cet établissement.
Il est constant que le contrat de crédit a été souscrit en France et il n'est pas allégué que la conclusion du contrat a été précédée dans l'État du domicile de M. et Mme [R] d'une proposition spécialement faite ou d'une publicité, et que les emprunteurs aient accompli dans cet État les actes nécessaires à la conclusion du contrat, que la banque n'a pas dirigé son activité vers l'Etat où sont domiciliés les emprunteurs et que l'action n'a pas été introduite par les consommateurs.
Dès lors les règles de compétence spéciale en faveur du tribunal du domicile du consommateur issues des conventions européennes ne trouvent pas à s'appliquer .
Par suite l'ordonnance doit être infirmée et le tribunal de grande instance de Nanterre déclaré compétent pour connaître de l'action en paiement diligentée par Althea gestion contre les époux [R].
L'équité commande de faire droit à la demande de l'appelant présentée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ; l'intimé est condamné à lui verser à ce titre la somme visée au dispositif de la présente décision,
Partie perdante, l'intimé ne saurait prétendre à l'allocation de frais irrépétibles et doit supporter les dépens,
PAR CES MOTIFS, LA COUR
Statuant publiquement par décision contradictoire et en dernier ressort,
INFIRME l'ordonnance entreprise ;
Y substituant,
DECLARE le tribunal de grande instance de Nanterre compétent pour connaître de l'action en paiement diligentée par Althea gestion contre les époux [R]
Y ajoutant,
CONDAMNE in solidum M. [Y] [R] et Mme [J] [E] épouse [R] à payer à la société Althea gestion une indemnité de 1000 € sur le foncement de l'article 700 du code de procèdure civile ;
CONDAMNE in solidum M. [Y] [R] et Mme [J] [E] épouse [R] aux dépens qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame Patricia GRASSO, Président et par Mme RIBEIRO, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le greffier,Le président,