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15/01/2020 | FRANCE | N°17/02066

France | France, Cour d'appel de Versailles, 17e chambre, 15 janvier 2020, 17/02066


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 80A



17e chambre



ARRÊT N°



CONTRADICTOIRE



DU 15 JANVIER 2020



N° RG 17/02066 - N° Portalis DBV3-V-B7B-RPQW



AFFAIRE :



[N] [V]





C/



SAS VINCI CONSTRUCTION GRANDS PROJETS









Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 02 Mars 2017 par le Conseil de Prud'hommes Formation paritaire de NANTERRE

N° Section : E

N° RG : 14/0078

2



Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :



Me David METIN



Me Claire RICARD







le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



LE QUINZE JANVIER DEUX MILLE VINGT,

La cour d'appel de Versailles, a rendu l'...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80A

17e chambre

ARRÊT N°

CONTRADICTOIRE

DU 15 JANVIER 2020

N° RG 17/02066 - N° Portalis DBV3-V-B7B-RPQW

AFFAIRE :

[N] [V]

C/

SAS VINCI CONSTRUCTION GRANDS PROJETS

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 02 Mars 2017 par le Conseil de Prud'hommes Formation paritaire de NANTERRE

N° Section : E

N° RG : 14/00782

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

Me David METIN

Me Claire RICARD

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE QUINZE JANVIER DEUX MILLE VINGT,

La cour d'appel de Versailles, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

Monsieur [N] [V]

né le [Date naissance 2] 1950 à [Localité 5]

de nationalité Française

[Adresse 6]

[Localité 1]

Représenté par Me David METIN de l'AARPI METIN & ASSOCIES, Constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 159 et par Me Rachel SAADA de la SELARL SAINT-MARTIN AVOCATS, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : W04

APPELANT

****************

SAS VINCI CONSTRUCTION GRANDS PROJETS

N° SIRET : 343 088 134

[Adresse 3]

[Localité 4]

Représentée par Me Claire RICARD, Constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 622 et par Me Stéphanie DUMAS de la SCP FLICHY GRANGÉ AVOCATS, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P0461

INTIMÉE

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 786 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 07 Novembre 2019 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Clotilde MAUGENDRE, Présidente et Monsieur Laurent BABY, Conseiller, formation double rapporteur, chargés du rapport.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Clotilde MAUGENDRE, Présidente,

Madame Evelyne SIRE-MARIN, Présidente,

Monsieur Laurent BABY, Conseiller,

Greffière, lors des débats : Madame Nathalie MULOT,

Par jugement du 02 mars 2017, le conseil de prud'hommes de Nanterre (section encadrement)

a :

- débouté les parties de l'ensemble de leurs demandes,

- mis les dépens éventuels à la charge de M. [N] [V].

Par déclaration adressée au greffe le 19 avril 2017, M. [V] a interjeté appel de ce jugement.

Une ordonnance de clôture a été prononcée le 03 septembre 2019.

Par dernières conclusions déposées au greffe le 31 août 2019, M. [N] [V] demande à la cour de :

- le dire recevable et bien fondé en son appel,

- infirmer le jugement entrepris,

- rejeter la fin de non recevoir tirée du principe de l'estoppel,

- juger que le droit du temps de travail français était applicable aux relations contractuelles lors de la mission au Qatar,

- condamner la société Vinci Construction Grands Projets à lui verser 44 574,30 euros à titre de rappel d'heures supplémentaires, montant auquel il conviendra d'ajouter 4 457,43 euros à titre de congés incidents,

subsidiairement,

- condamner la société Vinci Construction Grands Projets à lui verser 23 492,04 euros à titre de rappel d'heures supplémentaires selon le droit qatari, montant auquel il conviendra d'ajouter 2 349,20 euros à titre de congés incidents,

très subsidiairement,

- condamner la société Vinci Construction Grands Projets à lui verser 25 000,00 euros à titre de dommages et intérêts pour non-paiement des heures effectuées au-delà de la durée légale,

en tout état de cause,

- juger son licenciement nul, subsidiairement dépourvu de cause réelle et sérieuse,

- condamner la société Vinci Construction Grands Projets à lui verser 199 278,00 euros à titre d'indemnité pour licenciement nul, subsidiairement sans cause réelle et sérieuse,

- condamner la société Vinci Construction Grands Projets à lui verser les sommes suivantes :

. 30 000,00 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de l'atteinte au droit au repos,

. 24 475,40 euros à titre d'indemnité pour contrepartie obligatoire en repos,

. 66 426,00 euros à titre de l'indemnité pour travail dissimulé,

. 8 600,00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour les deux instances,

- dire que ces sommes porteront intérêts au taux légal et prononcer leur capitalisation à compter de la saisine du conseil,

- condamner la société Vinci Construction Grands Projets aux dépens et frais d'exécution éventuels,

- dire que les condamnations indemnitaires s'entendent nettes de CSG et de CRDS et de toutes cotisations sociales.

Par dernières conclusions déposées au greffe le 11 juillet 2019, la société Vinci Construction Grands Projets demande à la cour de :

à titre principal,

- confirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Nanterre du 02 mars 2017 en ce qu'il a rejeté l'ensemble des demandes de M. [V],

- débouter M. [V] de l'intégralité de ses demandes,

- condamner M. [V] à lui verser 2 000,00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens,

à titre subsidiaire,

- si par extraordinaire la cour devait considérer que le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse, limiter sa condamnation au titre de l'indemnisation du licenciement sans cause réelle et sérieuse à la somme de 48 246,33 euros bruts,

- si par extraordinaire la cour devait considérer que les demandes de M. [V] au titre de la durée du travail son fondées, limiter sa condamnation à de plus justes mesures,

- débouter M. [V] de l'ensemble de ses autres demandes.

LA COUR,

La société Vinci Construction Grands Projets a pour activité principale la conception et la réalisation de grands ouvrages de génie civil et de bâtiments.

M. [N] [V] a été engagé par la société Vinci Construction Grands Projets, en qualité d'ingénieur contrat, par contrat à durée indéterminée en date du 21 janvier 2008, à compter du 28 janvier 2008.

Il a été affecté à plusieurs chantiers à l'étranger : chantier du métro d'Alger, chantier du métro du Caire, chantier de l'autoroute Moscou-Saint Pétersbourg.

A compter du 1er juin 2013, M. [V] a été affecté au chantier du projet de métro à Doha au Qatar réalisé par la filiale Q. D.V.C.

Les relations contractuelles étaient régies par la convention collective nationale des travaux publics.

Par lettre du 03 février 2014, M. [V] a été convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé le 12 février 2014.

M. [V] a été licencié pour motif personnel par lettre recommandée avec accusé de réception du 17 février 2014 ainsi libellée :

« Vous avez été engagé le 28 janvier 2008 en qualité d'Ingénieur Contrat pour être affecté sur le chantier du Métro d'Alger. Vous avez été par la suite affecté sur le chantier de l'Autoroute Moscou-Saint Petersbourg. Le 1er juin 2013, vous avez rejoint la filiale QDVC au Qatar sur le Projet du Métro Line Red South à Doha. Or, au mois de septembre 2013, votre supérieur hiérarchique vous a informé de son désir de ne pas poursuivre la collaboration en raison d'une inadéquation de votre profil par rapport à la tâche de Project control et des difficultés dans la capacité à intégrer et gérer les demandes du client. C'est donc dans ce contexte que votre supérieur hiérarchique vous a clairement indiqué que votre départ du projet ne pourrait se faire qu'après le recrutement de votre successeur mais également l'offre d'un poste de notre part. Contre toute attente, le 28 novembre 2013, vous avez annoncé à notre client en réunion officielle votre départ du projet à la date du 2 décembre 2013 sans que votre successeur n'ait été désigné, ce qui a généré de nombreuses interrogations de la part du client et ce dans un contexte contractuel compliqué.

Pour répondre aux engagements qui avaient été formulés, il vous a été proposé une affectation au Maroc sur le projet GRCC relevant de la DQA. Vous avez accepté cette affectation et êtes parti le 11 décembre 2013. Ce n'est qu'une fois arrivé sur place que vous avez manifesté votre désaccord sur l'ensemble des conditions contractuelles et indiqué que vous ne souhaitiez pas rester sur le chantier.

Vous comprendrez bien que vos différentes prises de position et attitudes successives sont de nature à atteindre la confiance que nous portons à votre égard.

Aussi nous ne pouvons accepter votre position et nous considérons que compte tenu de cette perte de confiance, nous ne pouvons poursuivre pour l'avenir nos relations contractuelles. En conséquence, nous vous confirmons par la présente votre licenciement pour perte de confiance. »

Le 17 mars 2014, M. [V] a saisi le conseil de prud'hommes de Nanterre aux fins de contester son licenciement.

Sur le dépassement des durées de travail et l'atteinte au droit au repos :

M. [V] soutient qu'il n'a pas signé l'avenant du 22 mai 2013 relatif à la mission au Qatar et, qu'à défaut de contrat, en application de la convention de Rome et du règlement du 17 juin 2008, à l'exception des lois de police du pays, le droit du travail français s'appliquait à la relation contractuelle.

Il ajoute que quand bien même il aurait donné son accord exprès à l'ensemble des stipulations de l'avenant relatif à la mission au Qatar, la loi du travail qatarie n'aurait pas été applicable puisque l'avenant prévoyait une convention de forfait.

La société Vinci Constructions Grands Projets oppose à M. [V] le principe de l'estoppel en faisant valoir que celui-ci affirme qu'il n'a pas signé l'avenant du 22 mai 2013 alors qu'en première instance et encore dans ses premières conclusions d'appel il a fondé ses demandes sur les clauses contractuelles de cet avenant.

Elle affirme que la relation contractuelle était donc régie par le contrat du 22 mai 2013 qui prévoyait que les parties avaient convenu d'appliquer le droit du travail qatari s'agissant du temps de travail et du temps de repos, peu important que le droit qatari soit plus ou moins favorable que le droit français.

La fin de non-recevoir tirée du principe selon lequel nul ne peut se contredire au détriment d'autrui sanctionne l'attitude procédurale consistant pour une partie, au cours d'une même instance, à adopter des positions contraires ou incompatibles entre elles dans des conditions qui induisent en erreur son adversaire sur ses intentions.

Ne sont sanctionnées par l'application du principe de l'estoppel que les positions procédurales incompatibles entre elles, les changements de position intervenus au cours du débat judiciaire.

En l'espèce, M. [V] dans ses premières conclusions d'appel remises au greffe le 12 janvier 2018, se réfère au contrat de travail signé ( page 8) et demande l'application de l'article XXI du contrat ( page 18).

Son changement de position dans la même instance d'appel est donc constitutif d'une contradiction au détriment de la société Vinci Constructions Grands Projets dans des conditions qui induisent en erreur son adversaire sur ses intentions.

Ce moyen est donc irrecevable et le contrat de travail est considéré comme étant régulièrement conclu.

L'article XXI prévoit, en ce qui concerne la conclusion, l'exécution et la rupture du contrat, que les parties conviennent de se référer au droit du travail français à l'exception des normes impératives et lois de police du pays et à la convention collective nationale des travaux publics applicable.

La société Vinci Constructions Grands Projets oppose que les dispositions applicables en matière de durée du travail sont constitutives de normes impératives et lois de police et que le droit qatari s'applique.

Une loi de police est une disposition impérative dont le respect est jugé crucial par un pays pour la sauvegarde de ses intérêts publics, tels que son organisation politique, sociale ou économique, au point d'en exiger l'application à toute situation entrant dans son champ d'application.

La législation sur la durée du travail est constitutive en France d'une loi de police. La législation qatarie sur ce point, également constitutive pour le Qatar d'une loi de police, comporte des dispositions fixant des maximums de durée de travail hebdomadaires et journaliers et un temps de pause et des congés minimum.

Le conflit de lois de police devant être résolu en faveur de la loi la plus protectrice de l'intérêt à préserver, en l'espèce celui des salariés, et la loi qatarie en ce qui concerne les règles de durée du travail étant, en raison du nombre de salariés qui en sont exclus, moins favorable que la loi française, il convient d'appliquer la loi française.

M. [V] est donc bien fondé à se prévaloir de la loi française.

La société Vinci Constructions Grands Projets soutient que M. [V] était soumis à la convention de forfait jours de 216 jours prévue par l'article 3 du contrat initial du 21 janvier 2008.

Cependant, en son article 1, le contrat du 22 mai 2013 prévoit expressément que le présent contrat se substitue à toutes dispositions contractuelles antérieures.

L'article IX du contrat de travail du 22 mai 2013 relatif à la rémunération prévoit que la rémunération du collaborateur dans son ensemble constitue une convention de forfait, soit la contrepartie forfaitaire de son activité compte tenu de ses fonctions et de sa disponibilité.

En l'absence de fixation du nombre de jours travaillés, elle ne constitue pas une convention de forfait opposable au salarié.

M. [V] est donc fondé à solliciter le paiement d'heures supplémentaires sur la base de la durée légale de 35 heures.

En application de l'article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, la preuve des heures de travail effectuées n'incombe spécialement à aucune des parties, mais il appartient au salarié d'étayer sa demande par la production d'éléments suffisamment précis quant aux horaires effectivement réalisés pour permettre à l'employeur de répondre en fournissant ses propres éléments.

Au soutien de sa demande M. [V] produit un planning ( pièce n°16) couvrant la période de juin à décembre 2013 mentionnant les jours travaillés (parfois tous les jours de la semaine) et des relevés de temps hebdomadaires, couvrant les mois de juin et juillet, sur lesquels apparaissent le nombre d'heures travaillées par jour, souvent 10 heures.

Il communique aussi un mail envoyé à un ami le 13 mars 2014, soit après son licenciement, dans lequel il relate les difficultés rencontrées dans sa mission à Doha et notamment qu'au cours des 3 premiers mois de célibataire il a travaillé 7 jours sur 7, au minimum 10 heures par jour.

Il chiffre à 675 heures le nombre d'heures supplémentaires effectuées entre le 2 juin et le 8 décembre 2013.

Ces éléments sont suffisamment précis pour permettre à la société Vinci Constructions Grands Projets de produire ses propres documents, ce qu'elle ne fait pas, se bornant à affirmer que le salarié n'étaye pas suffisamment sa demande.

Compte tenu des responsabilités de M. [V] qui était contrôleur de projet, du fait qu'aucune partie ne communique d'élément objectif sur la charge de travail et que le mail du 13 mars envoyé au moment de la saisine du conseil de prud'hommes est sujet à caution, il convient de fixer le nombre d'heures supplémentaires à 360 heures ( 50 heures par semaine environ) et de lui allouer la somme de 23 772,96 euros, outre les congés payés afférents.

Dès lors qu'il a dépassé le contingent annuel d'heures supplémentaires fixé à 145 heures, il lui sera alloué au titre d'indemnité de la contrepartie de repos compensateur la somme de 9 928,70 euros.

Le préjudice subi par M. [V] qui n'a pas bénéficié d'un rythme de travail préservant son droit au repos sera réparé par l'allocation d'une somme de 3 000 euros.

La dissimulation d'emploi salarié, prévue par l'article L.8221-5 du code du travail, n'est caractérisée que s'il est établi que l'employeur a, de manière intentionnelle, mentionné sur les bulletins de paie un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement effectué.

En l'espèce, l'ampleur du dépassement horaire effectué par M. [V] suffit à établir l'intention de la société Vinci Constructions Grands Projets.

Il sera donc fait droit à la demande de M. [V], dont le montant n'est pas discuté, de ce chef.

Sur la rupture :

M. [V] soutient que le motif de licenciement tiré de la perte de confiance est illicite, qu'il n'a pas disposé des moyens nécessaires pour faire face à ses responsabilités, qu'il pensait que son remplacement avait été organisé, ce dont le client devait être informé, et qu'il ne pouvait envisager de tenir une dernière réunion avec le client sans l'informer de son départ et, enfin, qu'il n'a pas refusé son affectation au Maroc.

Il affirme que la véritable raison de son licenciement est son âge car le Qatar ne délivre pas de visa de travail au personne âgée de plus de 60 ans et qu'il était donc contraint de sortir du territoire tous les deux mois pour renouveler son visa touristique. Il précise que lors d'un entretien le 18 décembre 2013 le directeur des ressources humaines lui a intimé l'ordre de faire valoir ses droits à la retraite.

La société Vinci Constructions Grands Projets réplique que si la perte de confiance est caractérisée par des motifs matériellement vérifiables, elle est une cause licite de licenciement.

Elle ajoute que M. [V] devait mettre en place les outils de pilotage du projet pour permettre au directeur de le gérer, qu'il a rapidement montré qu'il n'était pas capable de faire face dans les délais requis, qu'il a manqué à son obligation de confidentialité en annonçant lui même son départ au client, que M. [V] a adopté une position extrêmement négative lors de son arrivée au Maroc et a refusé les conditions financières de cette affectation.

Elle conteste que le véritable motif du licenciement soit l'âge de M. [V] en soulignant qu'une formation de gestion du temps lui a été accordée au mois de décembre et que tout avait été fait pour qu'il ne soit pas gêné par les problèmes de visa.

En application de l'article L.1132-1 du code du travail, aucune personne ne peut être écartée d'une procédure de recrutement ou de l'accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, telle que définie à l'article 1er de la loi n°2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, notamment en matière de rémunération, au sens de l'article L. 3221-3, de mesures d'intéressement ou de distribution d'actions, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat, en raison de son origine, de son sexe, de ses moeurs, de son orientation ou identité sexuelle, de son âge, de sa situation de famille, de ses caractéristiques génétiques, de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une race, de ses opinions politiques, de ses activités syndicales ou mutualistes, de ses convictions religieuses, de son apparence physique, de son nom de famille, de son lieu de résidence ou en raison de son état de santé ou de son handicap.

L'article L.1134-1 du même code dispose qu'en cas de litige relatif à l'application du texte précédent, le salarié concerné présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte et il incombe à la partie défenderesse, au vu des ces éléments, de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination, le juge formant sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

M. [V] communique le mail qu'il a transmis à M. [U] le 3 octobre 2013 dans lequel il lui relate, notamment, que le directeur de projet lui a demandé où en était sa situation vis à vis de ses droits à la retraite.

Il produit aussi le fax qu'il a envoyé le 18 décembre 2013 au DRH à la suite de l'entretien du même jour. Dans ce fax, il lui reprécise qu'il n'entend pas prendre sa retraite et souhaite encore travailler en France et à l'étranger.

M. [V] a été convoqué à un entretien préalable au licenciement par lettre du 3 février 2014, soit plus de 6 semaines plus tard.

La seule interrogation d'un supérieur à un salarié âgé de 63 ans de sa position à l'égard d'un départ à la retraite ne suffit pas à laisser présumer l'existence d'une discrimination fondée sur l'âge.

Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a dit que la discrimination sur l'âge n'était pas établie.

Si la perte de confiance de l'employeur ne peut jamais constituer en tant que telle une cause de licenciement, lorsqu'elle repose sur des éléments matériellement vérifiables, ces éléments peuvent, le cas échéant, constituer une cause de licenciement.

La société Vinci Constructions Grands Projets fonde son licenciement sur trois motifs matériellement vérifiables.

Sur les difficultés à intégrer et gérer les demandes du client

Il n'est pas discuté que les fonctions de M. [V] consistait à assurer la gestion du planning du chantier et la gestion du reporting.

Par mail du 29 septembre 2013, le client en la personne de M. [L], assistant ingénieur, s'est inquiété auprès du directeur de projet, M. [D], de l'insuffisance de ressources de l'équipe du contrôleur de projet et précisément de ce que certaines obligations contractuelles n'étaient pas respectées. Il a précisé que le plan de contrôle et de rapport exigible le 12 août 2013 n'était pas présenté, que le plan de gestion des risques reçu le 5 août n'avait pas été à nouveau présenté, que les rapports hebdomadaires et quotidiens continuaient d'être livrés en retard et avec un rapport d'avancement incohérent et que la date de soumission de l'actualisation du programme de fin août n'avait pas été respectée et toujours pas présentée à ce jour.

Par mail du 2 décembre 2013, le client s'est à nouveau plaint de retard pour la soumission du rapport hebdomadaire de la semaine se terminant le 28 novembre, du rapport d'avancement mensuel du mois de novembre et de l'actualisation mensuelle du programme, soumissions qui auraient dû être faites le 1er décembre 2013.

Par mail du même jour, le client Qatar Rail a indiqué avoir fourni une assistance et des conseils au maître d'oeuvre pour la production de son programme à 180 jours. Il a précisé que malgré quelques progrès positifs, il existait certains domaines où le programme à 180 jours était défaillant.

Il a demandé des assurances pour que le programme à 180 jours puisse être livré au plus tard le 20 décembre 2013.

L'inquiétude du client et le non-respect des délais sont donc établis.

M. [V] soutient que ces retards sont dûs aux ressources insuffisantes du département projet et aux dysfonctionnements liés au problème de recrutements de personnel pour cette équipe, difficultés qui ne lui sont pas imputables.

Pour établir ces difficultés il se prévaut de mails envoyés à M. [U], les 24 et 29 septembre et 3 octobre 2013. M. [V] ne dément pas que M. [U] soit un ami et la société Vinci Constructions Grands Projets ne dément pas qu'il soit consultant pour Qatari Diar Vinci Construction.

Dans ces mails, M. [V] se plaint d'être sous-staffé, de peiner à trouver des candidats compte tenu des niveaux de salaire proposés et fait état de difficultés avec ses collaborateurs.

Au vu de ces éléments, étant souligné que le client lui-même a mentionné dans son mail du 29 septembre 2013 l'insuffisance de ressources de l'équipe du contrôleur de gestion et que M. [D] dans un mail du 14 décembre 2013 a rappelé à M. [V] que le 9 septembre il l'avait informé de son intention de lui trouver un remplaçant en raison de l'inadéquation de son

profil mais ne lui a procuré aucun soutien, il convient de dire que la responsabilité personnelle de M. [V] dans ces dysfonctionnements n'est pas établie.

Ce grief n'est pas établi.

Sur l'annonce de son départ au client

M. [V] ne conteste pas avoir annoncé son départ au client lors de la réunion du 27 novembre 2013. Il explique que son départ ne pouvait pas être confidentiel puisque contractuellement la société Vinci Constructions Grands Projets devait soumettre à l'approbation du client le nom de l'ingénieur le remplaçant et que son départ était imminent.

Par mail du 11 décembre 2013, le client en la personne de M. [L], assistant de l'ingénieur, a rappelé à la société Vinci Constructions Grands Projets ses obligations contractuelles en lui demandant de clôre le cycle de M. [V] en qualité de responsable contrôle projet, de donner des informations sur le responsable projet proposé et sur le processus de passation. Il n'exprime aucun mécontentement sur les conditions d'annonce du départ de M. [V] , qu'il n'évoque pas.

Quand bien même le contrat de travail prévoit une obligation de confidentialité, le fait pour un salarié qui a travaillé pendant plusieurs mois avec un client d'annoncer son départ imminent dans le contexte décrit n'a pas de caractère fautif.

Ce grief n'est pas établi.

Sur le désaccord sur l'ensemble des dispositions contractuelles relatives à la mission au Maroc

et son souhait de ne pas rester sur le chantier

M. [V] expose qu'il a accueilli favorablement l'annonce de son affectation au Maroc mais qu'aucun avenant ne lui ayant été soumis, il en ignorait les modalités contractuelles. Il précise que l'intégralité du chantier n'avait pas été affecté à l'entreprise, que le budget était très serré, que le poste d'ingénieur contrat devait être fourni par un partenaire portugais à un coût très inférieur à celui qu'il envisageait, qu'une réduction du personnel était donc prévue qui allait entraîner une charge de travail très importante 6 jours sur 7.

Il ajoute qu'il était prêt à des concessions mais que lors de sa rencontre à [Localité 7] avec le DRH le 18 décembre celui-ci lui a clairement dit que la société Vinci Constructions Grands Projets ne voulait plus de lui et qu'il était temps qu'il prenne sa retraite.

La société Vinci Constructions Grands Projets réplique que M. [V] dès son arrivée au Maroc a adopté un comportement très négatif d'opposition sur la nature de la mission proposée et a finalement refusé de travailler sur ce projet qu'il avait auparavant accepté.

Par mail du 13 décembre 2013, M. [O], chef de projet, a indiqué à son supérieur M. [B] que M. [V] l'avait informé le matin qu'il ne désirait pas accepter les conditions d'emploi/ la description de poste concernant le poste de gestionnaire de projet et a demandé à quitter le projet le plus tôt possible ( prévu pour lundi 16 décembre).

Par mail du 16 décembre, M. [B] a informé son supérieur que M. [V], sur le projet au Maroc depuis le mercredi 11 dernier, ne souhaitait pas y rester pour les motifs suivants : il veut négocier son contrat, le budget est insuffisant, le projet est trop petit pour lui, il a besoin de nombreuses ressources, il ne veut pas travailler 6 jours sur 7.

M. [B] a ajouté que M. [V] avait un état d'esprit très négatif et avait réussi à exaspérer M. [O] (le chef de projet) en moins d'une semaine alors qu'il est d'une nature plutôt conciliante.

Outre que la mauvaise volonté alléguée ne repose que sur un témoignage indirect, il ne peut qu'être constaté que M. [V] était légitime à demander que son affectation fasse l'objet d'un contrat de travail officialisant la situation, la société Vinci Constructions Grands Projets ne pouvant se contenter d'affirmer qu'il lui avait été dit qu'il aurait un avenant d'expatriation type.

Ce grief n'est pas non plus établi.

Aucun grief n'étant établi, il convient, infirmant le jugement, de dire le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Sur l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse :

M. [V] qui, à la date du licenciement, comptait au moins deux ans d'ancienneté dans une entreprise employant habituellement au moins onze salariés a droit, en application de l'article L. 1235-3 du code du travail, dans sa version applicable à l'espèce, à une indemnité qui ne saurait être inférieure aux salaires bruts perçus au cours des six derniers mois précédant son licenciement.

Au regard de son âge au moment du licenciement, 63 ans, de son ancienneté d'environ 6 ans dans l'entreprise, du montant de la rémunération qui lui était versée, 7 933 euros par mois outre les heures supplémentaires accordées, de ce qu'il a cherché un emploi sans succès et a fait valoir ses droits à la retraite, il convient de lui allouer, en réparation du préjudice matériel et moral subi, la somme de 80 000 euros.

En application de l'article L. 1235-4 du code du travail, il convient d'ordonner d'office le remboursement par l'employeur, à l'organisme concerné, du montant des indemnités de chômage éventuellement servies au salarié du jour de son licenciement au jour du prononcé de l'arrêt dans la limite de 6 mois d'indemnités.

Sur les condamnations indemnitaires :

Il n'y a pas lieu à dire que les condamnations indemnitaires sont nettes de CSG, de CRDS et de toutes cotisations sociales. Elles figureront donc en brut dans le dispositif.

Sur les intérêts :

Les créances salariales porteront intérêts au taux légal à compter de la date de la réception par l'employeur de la lettre le convoquant devant le bureau de conciliation et les créances indemnitaires à compter du présent arrêt.

Les intérêts échus des capitaux porteront eux- mêmes intérêts au taux légal dès lors qu'ils seront dus pour une année entière à compter de la demande qui en a été faite.

Sur la demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile :

Il est inéquitable de laisser à la charge de M. [V] les frais par lui exposés non compris dans les dépens à hauteur de 3 000 euros.

PAR CES MOTIFS :

Statuant publiquement et contradictoirement,

en dernier ressort et par mise à disposition au greffe,

DIT irrecevable le moyen tiré de l'absence de signature du contrat de travail du 22 mai 2013,

INFIRME partiellement le jugement,

Statuant à nouveau,

CONDAMNE la société Vinci Constructions Grands Projets à payer à M. [N] [V] les sommes suivantes :

. 80 000 euros bruts à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

. 3 000 euros bruts à titre de dommages et intérêts en réparation de l'atteinte au repos,

. 66 426 euros bruts à titre d'indemnité pour travail dissimulé,

. 9 928,70 auros bruts à titre d'indemnité pour contrepartie obligatoire en repos.

ces sommes avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt,

. 23 772, 96 euros à titre de rappel d'heures supplémentaires,

. 237,72 euros au titre des congés payés afférents,

ces sommes avec intérêts au taux légal à compter de la date de la réception par l'employeur de la lettre le convoquant devant le bureau de conciliation,

DIT que les intérêts échus des capitaux porteront eux- mêmes intérêts au taux légal dès lors qu'ils seront dus pour une année entière à compter de la demande qui en a été faite,

ORDONNE d'office le remboursement par l'employeur, à l'organisme concerné, du montant des indemnités de chômage éventuellement servies au salarié du jour de son licenciement au jour du prononcé de l'arrêt dans la limite de 6mois d'indemnités,

CONFIRME pour le surplus le jugement,

DÉBOUTE les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires,

CONDAMNE la société Vinci Constructions Grands Projets à payer à M. [V] la somme de 3 000 euros le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel,

DÉBOUTE la société Vinci Constructions Grands Projets de sa demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE la société Vinci Constructions Grands Projets aux dépens.

Arrêt prononcé par mise à disposition au greffe de la cour, conformément à l'avis donné aux parties à l'issue des débats en application de l'article 450, alinéa 2, du code de procédure civile, et signé par Madame Clotilde MAUGENDRE, Présidente et par Madame Madame Dorothée MARCINEK , Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

La greffière La présidente


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 17e chambre
Numéro d'arrêt : 17/02066
Date de la décision : 15/01/2020

Références :

Cour d'appel de Versailles 17, arrêt n°17/02066 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2020-01-15;17.02066 ?
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