COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 80A
11e chambre
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 19 DECEMBRE 2019
N° RG 17/05177 - N° Portalis DBV3-V-B7B-R5NM
AFFAIRE :
[O] [D]
C/
SAS SERVICEPLAN PARIS
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 19 Septembre 2017 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de NANTERRE
N° Section : E
N° RG : 14/03067
Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :
Me Claire RICARD
la SELARL MINAULT PATRICIA
le :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE DIX NEUF DECEMBRE DEUX MILLE DIX NEUF,
La cour d'appel de Versailles, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
Monsieur [O] [D]
né le [Date naissance 1] 1979 à [Localité 3]
[Adresse 2]
[Localité 1]
Représentant : Me Jérôme BIEN de la SCP ACTY, Plaidant, avocat au barreau de DEUX-SEVRES - Représentant : Me Claire RICARD, Constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 622 - N° du dossier 2017368
APPELANT
****************
SAS SERVICEPLAN PARIS
N° SIRET : 379 373 897
[Adresse 1]
[Localité 2]
Représentant : Me Jean-Philippe DESTREMAU de la SELARL DESTREMAU ASSOCIES, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P0542 - Représentant : Me Patricia MINAULT de la SELARL MINAULT PATRICIA, Constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 619 - N° du dossier 20170564
INTIMEE
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l'article 786 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 13 Novembre 2019 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Eric LEGRIS, Conseiller chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Hélène PRUDHOMME, Président,
Monsieur Eric LEGRIS, Conseiller,
Madame Bérangère MEURANT, Conseiller,
Greffier, lors des débats : Madame Sophie RIVIERE,
Le 21 mars 2012, M. [O] [D] était embauché par la SAS Dufresne Corrigan Scarlett en qualité de « digital and integrated creative director » (statut cadre) par contrat à durée indéterminée. Le contrat de travail était régi par la convention des entreprises de la publicité et assimilées.
Le 25 septembre 2015, la SAS Dufresne Corrigan Scarlett changeait de dénomination sociale pour celle de SAS Serviceplan.
Le 31 juillet 2014, l'employeur convoquait le salarié à un entretien préalable en vue de son licenciement. L'entretien avait lieu le 3 septembre 2014. Le 15 septembre 2014, il lui notifiait son licenciement pour faute grave
Le 17 octobre 2014, M. [O] [D] saisissait le conseil de prud'hommes de Nanterre en nullité de son licenciement et harcèlement moral.
Vu le jugement du 19 septembre 2017 rendu en formation paritaire par le conseil de prud'hommes de Nanterre qui a :
- dit que le licenciement de M. [O] [D] par la SAS Serviceplan Paris, anciennement dénommée Dufresne Corrigan Scarlett, fondé sur une faute grave,
- débouté M. [D] de l'intégralité de ses prétentions,
- reçu la SAS Serviceplan Paris en sa demande reconventionnelle,
- condamné M. [D] à verser à la SAS Serviceplan Paris une somme de 1 000 euros (mille euros) au titre de sa demande reconventionnelle sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- rejeté toute autre demande plus ample ou contraire des parties,
- laissé les éventuels dépens à la charge de M. [D].
Vu la notification de ce jugement le 18 octobre 2017
Vu l'appel partiel interjeté par M. [D] le 6 novembre 2017.
Vu les conclusions de l'appelant, M. [D], notifiées le 26 janvier 2018 et soutenues à l'audience par son avocat auxquelles il convient de se référer pour plus ample exposé ; il est demandé à la cour d'appel de :
- infirmer en son entier le jugement du conseil de prud'hommes de Nanterre en date du 19 septembre 2017,
Et par conséquent,
- fixer le salaire de référence de M. [O] [D] à la somme de 7 552,40 euros,
- dire et juger que le mail du 30 juillet 2014 de la SAS Serviceplan Paris, anciennement dénommée Dufresne Corrigan Scarlett, constituait une sanction disciplinaire,
- constater que la lettre de licenciement du 15 septembre 2014 reproche à M. [O] [D] exactement les mêmes faits que ceux déjà sanctionnés dans le mail du 30 juillet 2014 de la SAS Serviceplan Paris, anciennement dénommée Dufresne Corrigan Scarlett,
- dire et juger que la SAS Serviceplan Paris, anciennement dénommée Dufresne Corrigan Scarlett, a violé l'article L. 1331-1 du code du travail, ensemble le principe « non bis in idem » selon lequel un salarié ne peut être sanctionné deux fois pour un même fait,
- dire et juger que le licenciement pour faute grave de M. [O] [D] ne repose sur aucune cause réelle et sérieuse
- condamner la SAS Serviceplan Paris, anciennement dénommée Dufresne Corrigan Scarlett, à verser à M. [O] [D] les sommes nettes de :
- 100 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- 6 230, 73 euros à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement,
- 22 657, 20 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis (3 mois)
- 2 265, 72 euros à titre de congés payés afférents,
- 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- dire et juger que ces sommes porteront intérêts au taux légal à compter du jour de l'introduction de la demande,
- ordonner à la SAS Serviceplan Paris, anciennement dénommée Dufresne Corrigan Scarlett, de délivrer à M. [O] [D] les bulletins de salaire, une attestation Pôle Emploi et un certificat de travail conformes au jugement à venir sous astreinte de 100 euros par jour à compter du 8ème jour calendaire après la notification et ce jusqu'à la délivrance de la totalité des documents conformes,
- condamner la SAS Serviceplan Paris, anciennement dénommée Dufresne Corrigan Scarlett, aux entiers dépens d'instance et éventuels frais d'exécution.
Vu les écritures de l'intimée, la SAS Serviceplan Paris, notifiées le 25 avril 2018 et développées à l'audience par son avocat auxquelles il est aussi renvoyé pour plus ample exposé ; il est demandé à la cour d'appel de :
- recevoir la société Serviceplan Paris en ses présentes écritures ;
- les déclarer bien fondées ; en conséquence,
- confirmer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Nanterre le 19 septembre 2017 en l'ensemble de ses dispositions ;
- dire et juger notamment qu'aucune violation de l'article L 1331-1 du code du travail n'est caractérisée en l'espèce ;
- dire et juger que le licenciement de M. [D] est fondé sur des faits constitutifs de faute(s) grave(s) ;
- débouter M. [D] de toutes ses demandes, fins et prétentions ;
- condamner M. [D] au paiement de la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens dont distraction au profit de la SELARL Patricia Minault agissant par maître Patricia Minault avocat et ce conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Vu l'ordonnance de clôture du 14 octobre 2019.
SUR CE,
Sur le licenciement
En application de l'article L. 1232-1 du code du travail un licenciement doit être justifié par une cause réelle et sérieuse ;
Si la charge de la preuve du caractère réel et sérieux du licenciement n'appartient spécialement à aucune des parties, le juge formant sa conviction au vu des éléments fournis par les parties et au besoin après toute mesure d'instruction qu'il juge utile, il appartient néanmoins à l'employeur de fournir au juge des éléments lui permettant de constater la réalité et le sérieux du motif invoqué ;
La faute grave est celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise ; que la charge de la preuve incombe à l'employeur qui l'invoque ;
En l'espèce, M. [D] fait tout d'abord valoir que la lettre de licenciement du 15 septembre 2014 lui reproche exactement les mêmes faits que ceux déjà sanctionnés dans le mail du 30 juillet 2014 de l'employeur et invoque une violation par ce dernier de l'article L. 1331-1 du code du travail, ensemble le principe « non bis in idem » selon lequel un salarié ne peut être sanctionné deux fois pour un même fait ;
La SAS Serviceplan Paris, anciennement dénomée Dufresne Corrigan Scarlett, réplique que le mail du 30 juillet 2014 ne peut être assimilé à une mesure disciplinaire et qu'elle se devait de répondre aux graves accusations portées par le salarié dans son propre mail du 21 juillet 2014 ;
Dans son mail du 30 juillet 2014 le président de la société Dufresne Corrigan Scarlett indiquait notamment à M. [D] que :
« (') le problème principal ne vient pas de ce relationnel sur lequel tu te focalises et qui a surtout pour objet de déplacer le débat mais de ton attitude et des faits précis qui, surtout au cours de ces derniers mois, ont totalement modifié les relations que nous devons avoir les uns envers les autres, et surtout à l'égard du travail qui nous est confié. (')
Ceci traduit bien ce que nous ressentons tous dans l'agence : tu es un électron libre, en fait ingérable, totalement personnel.(...)
[S], en réalité, n'a fait que te rappeler à l'ordre ou te marquer son mécontentement sur un certain nombre de sujets précis. Pour faire court, je ne reviendrai que sur les plus récents :
(') tu as totalement disparu de la circulation les 19 et 20 juin (') le 3 juillet dernier (') tu as pris cette initiative sans concertation et en évinçant le reste de l'équipe(')
le 9 juillet dernier (') comportement inadmissible (')
le 18 juillet toujours en décalé avec l'équipe(')
Si [S] t'a recadré sur ton attitude, c'est parfaitement logique (')
remise en cause d'une attitude qui avait nui à tout le monde (')
te faire tatouer un ours géant dans le dos. Si cette information est exacte, elle est consternante. (')
mêler ainsi des satisfactions personnelles à son travail est inacceptable et décrédibilise l'image de sérieux que nous devons donner' (')
cette attitude générale et tous ces faits bien précis sont à mettre en parallèle avec ce que tu appelles un harcèlement alors qu'il ne s'agit que de la contestation de tes méthodes de travail et à plusieurs reprises de tes propositions créatives qui, souvent, ne sont pas au niveau de ce que l'agence serait en droit d'attendre (')
Trop souvent nos attentes ont été déçues. (')
manque d'accompagnement des équipes qui est malheureusement la conséquence d'une façon toujours très personnelle de se mettre en avant peut être pour tenter de briller. (')
[S] qui me lit en copie comprendra avant d'envisager la suite à donner à une situation devenue de plus en plus difficile et incohérente, que j'ai préféré remettre les choses d'aplomb car la goutte d'eau qui a fait déborder le vase n'est pas celle que tu crois' » ;
Ce courriel fait le constat de nombreux manquements au-delà d'une simple insuffisance professionnelle et imputés à M. [D] et ces mêmes faits seront repris dans la lettre de licenciement pour faute grave ; ledit courriel adresse ainsi de nombreux reproches détaillés au salarié en dénonçant son attitude conduisant finalement le président à y indiquer « remettre les choses d'aplomb » et ce en lien avec des faits précis, visés de nouveau dans le cadre du licenciement disciplinaire ;
Quand bien même ce courriel intervenait en réponse à une mise en cause de son supérieur hiérarchique formulée par M. [D] dans un courriel du 21 juillet 2014 qui évoquait une campagne de déstabilisation psychologique et une agression verbale à son égard, l'employeur stigmatisait et reprochait de la sorte au salarié, et ce au-delà d'une simple contestation des faits dénoncés par le salarié, des manquements ultérieurement invoqués à l'appui de la rupture, en sorte que ce courriel, qui n'appelait pas d'autre explication du salarié et qui a été envoyé 24 heures avant l'engagement de la procédure de licenciement, s'analysait en une sanction disciplinaire ;
L'employeur ayant déjà fait usage de son pouvoir disciplinaire, la règle « non bis in idem » faisait obstacle au prononcé du licenciement ;
Il s'ensuit que le licenciement est sans cause réelle et sérieuse ;
Sur les conséquences financières
A la date de son licenciement M. [D] avait une ancienneté de 2 ans et demi au sein de l'entreprise qui employait de façon habituelle plus de 11 salariés ;
En application de l'article L1235-3 du code du travail, il peut prétendre à une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse qui ne peut être inférieure au montant brut des salaires qu'il a perçus pendant les six derniers mois précédant son licenciement ;
Au-delà de cette indemnisation minimale, et tenant compte notamment de l'âge, de l'ancienneté du salarié et des circonstances de son éviction, de son aptitude à retrouver un emploi eu égard à son expérience professionnelle, étant observé qu'il justifie avoir été indemnisé par Pôle emploi sur la période du 27 octobre 2014 au 31 janvier 2016, il convient de condamner l'employeur au paiement d'une indemnité totale de 46 000 euros à ce titre ;
Il y a lieu de faire droit à ses autres demandes liés à la rupture de la relation de travail en lui allouant les sommes de :
- 6 230,73 euros à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement,
- 22 657,20 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis (3 mois) et 2 265,72 euros à titre de congés payés afférents ;
Sur les autres demandes
Il y a lieu d'enjoindre à la société Serviceplan Paris, anciennement dénommée Dufresne Corrigan Scarlett, de remettre à M. [D], dans le mois suivant la signification du présent arrêt, l'attestation Pôle emploi, des bulletins de salaire et le certificat de travail rectifiés ;
Le prononcé d'une astreinte ne s'avère toutefois pas nécessaire à défaut d'allégations le justifiant ;
Les intérêts au taux légal portant sur les condamnations de nature salariale seront dus à compter de la réception de la convocation de l'employeur devant le bureau de conciliation.
S'agissant des créances de nature indemnitaire, les intérêts au taux légal seront dus à compter du présent arrêt ;
Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens
Compte tenu de la solution du litige, la décision entreprise sera infirmée de ces deux chefs et par application de l'article 696 du code de procédure civile, les dépens de première instance et d'appel seront mis à la charge de l'employeur ;
La demande formée par M. [D] au titre des frais irrépétibles en cause d'appel sera accueillie, à hauteur de 3 000 euros ;
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
statuant publiquement et contradictoirement, dans les limites de l'acte d'appel,
Infirme le jugement entrepris,
Statuant de nouveau des dispositions infirmées,
Dit le licenciement de M. [O] [D] dépourvu de cause réelle et sérieuse,
Condamne la SAS Serviceplan Paris, anciennement dénommée Dufresne Corrigan Scarlett, à payer à M. [O] [D] les sommes suivantes :
- 46 000 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- 6 230,73 euros à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement,
- 22 657,20 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis et 2 265,72 euros à titre de congés payés afférents,
- 3 000 euros à titre d'indemnité pour frais irrépétibles de procédure,
Ordonne à la SAS Serviceplan Paris, anciennement dénommée Dufresne Corrigan Scarlett, de remettre à M. [O] [D], dans le mois suivant la signification du présent arrêt, l'attestation Pôle emploi, des bulletins de salaire et le certificat de travail rectifiés,
Dit que les sommes à caractère salarial produiront intérêts au taux légal à compter de la convocation de l'employeur en conciliation et celles à caractère indemnitaire produiront intérêts au taux légal à compter du présent arrêt,
Déboute les parties de leurs autres demandes plus amples ou contraires,
Condamne la SAS Serviceplan Paris, anciennement dénommée Dufresne Corrigan Scarlett, aux dépens de première instance et d'appel.
Arrêt prononcé par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,
Signé par Mme Hélène PRUDHOMME, président, et M Achille TAMPREAU, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le GREFFIER Le PRESIDENT