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19/12/2019 | FRANCE | N°17/02369

France | France, Cour d'appel de Versailles, 11e chambre, 19 décembre 2019, 17/02369


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 80A



11e chambre



ARRÊT N°



CONTRADICTOIRE



DU 19 DÉCEMBRE 2019



N° RG 17/02369 - N° Portalis DBV3-V-B7B-RQWZ



AFFAIRE :



[G], [Y], [K] [J]





C/

Compagnie IBM FRANCE









Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 31 Mars 2017 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de NANTERRE

N° Section : E

N° RG : F11/02970

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Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :



la SELEURL CARPENTIER



la SELARL REIBELL ASSOCIES







le :





RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



LE DIX NEUF DÉCEMBRE DEUX MILLE DIX NEUF,

La cour d'appel de ...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80A

11e chambre

ARRÊT N°

CONTRADICTOIRE

DU 19 DÉCEMBRE 2019

N° RG 17/02369 - N° Portalis DBV3-V-B7B-RQWZ

AFFAIRE :

[G], [Y], [K] [J]

C/

Compagnie IBM FRANCE

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 31 Mars 2017 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de NANTERRE

N° Section : E

N° RG : F11/02970

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

la SELEURL CARPENTIER

la SELARL REIBELL ASSOCIES

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE DIX NEUF DÉCEMBRE DEUX MILLE DIX NEUF,

La cour d'appel de Versailles, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

Monsieur [G], [Y], [K] [J]

né le [Date naissance 1] 1953

de nationalité Française

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Représentant : Me Jean-Philippe CARPENTIER de la SELEURL CARPENTIER, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : L0233

APPELANT

****************

Compagnie IBM FRANCE

N° SIRET : 552 118 465

[Adresse 2]

[Adresse 2]

Représentant : Me Camille LEVALLOIS de la SELARL REIBELL ASSOCIES, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : C2292, vestiaire : L0290

INTIMEE

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 786 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 22 Novembre 2019 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Hélène PRUDHOMME, Président chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Hélène PRUDHOMME, Président,

Monsieur Eric LEGRIS, Conseiller,

Madame Bérangère MEURANT, Conseiller,

Greffier, lors des débats : Madame Sophie RIVIERE,

Le 1er janvier 1978, M. [G] [J] était embauché par la société Compagnie IBM Europe en qualité de cadre par contrat à durée indéterminée. Le contrat de travail était régi par la convention des ingénieurs et cadres de la métallurgie. A compter du 1er novembre 1995 son contrat de travail était transféré à l'entreprise IBM Eurocoordination.

Dans le cadre d'une réorganisation de la société, il était proposé à M. [J] un avenant contractuel à son contrat de travail aux termes duquel il était indiqué qu'à compter du 1er janvier 2001, son temps de travail serait décompté en jours et il lui était demandé d'effectuer 214 jours de travail par an. Le salarié signait cet avenant le 23 décembre 2000.

Au cours de l'année 2011, M. [J] attirait l'attention de la société sur sa charge de travail et ses nombreux dépassements d'heures de travail.

Le 3 novembre 2011, M. [J] saisissait le conseil de prud'hommes de Nanterre en paiement de ses heures supplémentaires puis demandait des dommages et intérêts pour harcèlement moral.

Le 30 septembre 2014, il était mis à la retraite.

Vu le jugement du 31 mars 2017 rendu en formation paritaire par le conseil de prud'hommes de Nanterre qui a :

- débouté M. [J] de l'intégralité de ses demandes;

- débouté la société compagnie IBM de sa demande reconventionnelle;

- laissé à chacune des parties la charge de ses propres frais irrépétibles

- condamné M. [J] aux entiers dépens.

Vu la notification de ce jugement le 3 mai 2017

Vu l'appel interjeté par M. [G] [J] le 3 mai 2017.

Vu les conclusions de l'appelant, M. [G] [J], notifiées le 16 mai 2019 et soutenues à l'audience par son avocat auxquelles il convient de se référer pour plus ample exposé, il est demandé à la cour d'appel de :

- confirmer le jugement du conseil de prud'hommes du 31 mars 2017 en ce qu'il a jugé M. [J] recevable en ses demandes ;

- infirmer le jugement du conseil de prud'hommes le 31 mars 2017 en ce qu'il a débouté M. [J] de ses demandes ;

En conséquence

- condamner la société IBM à verser à M. [J] une somme de 159 702,40 euros au titre du rappel de salaires pour heures supplémentaires ;

- condamner la société IBM à verser à M. [J] une somme de 15 970,24 euros au titre des congés payés y afférents ;

- condamner la société IBM à verser à M. [J] une somme de 32 416,50 euros à titre de dommages et intérêts pour travail dissimulé ;

- condamner la société IBM à verser à M. [J] une somme de 87 750 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral ;

- condamner la société IBM à verser à M. [J] une somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner la société IBM aux entiers dépens ;

- ordonner l'exécution provisoire.

Vu les écritures de l'intimée, la SASU Compagnie IBM France, notifiées le 17 octobre 2019 et développées à l'audience par son avocat auxquelles il est aussi renvoyé pour plus ample exposé, il est demandé à la cour d'appel de :

- dire et juger la compagnie IBM France recevable et bien fondée en ses présentes écritures ;

- confirmer le jugement en toutes ses dispositions ;

A titre principal,

- constater que M. [J] était contractuellement soumis au forfait jour ;

- constater que des entretiens spécifiques relatif à la charge de travail de M. [J] étaient tenus avec son manager ;

- déclarer M. [J] mal fondé en sa demande de rappels de salaire pour heures supplémentaires et congés payés afférents ;

A titre subsidiaire,

- constater que M. [J] ne rapporte pas et n'offre pas de rapporter la preuve de ce qu'il aurait accompli des heures supplémentaires ;

- dire et juger que M. [J] n'a pas effectué d'heures supplémentaires ;

En conséquence,

- débouter M. [J] de sa demande au titre de rappels de salaire pour heures supplémentaires et congés payés afférents;

En tout état de cause,

- constater que les conditions nécessaires à l'existence du travail dissimulé ne sont pas réunies en l'espèce ;

- constater l'absence de travail dissimulé ;

- dire et juger que la compagnie IBM France ne s'est pas rendue coupable de travail dissimulé,

En conséquence,

- confirmer le jugement et débouter M. [J] de sa demande de dommages et intérêts au titre du travail dissimulé ;

- confirmer le jugement et débouter M. [J] de sa demande de dommages et intérêts pour harcèlement moral ;

- débouter M. [J] de ses demandes formulées au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner M. [J] à payer à la compagnie IBM France la somme de 3 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens ;

Vu l'ordonnance de clôture du 28 octobre 2019

SUR CE,

La cour retiendra les seules pièces versées aux débats entièrement traduites en français en application de l'article 2 de la Constitution française et de l'ordonnance de [Localité 1] d'août 1539.

Sur la demande au titre des heures supplémentaires :

M. [G] [J] réclame le paiement des heures supplémentaires qu'il estime avoir effectuées sans en être rémunéré : il expose que si le 15 décembre 2000, un avenant à son contrat de travail lui a été présenté et soumis à sa signature pour soumettre son contrat de travail à une clause de forfait en jours (214 jours de travail en l'espèce), il n'a pas été informé des conséquences de ce courrier de sorte que son consentement a été vicié dès l'origine et la validité de cet accord peut être remise en cause. Il retient que contrairement à ce courrier, il a effectué 215 jours de travail tel que cela ressort de ses bulletins de salaire depuis janvier 2011 et de ce fait, il a effectué au minimum 1 jour par an supplémentaire depuis le 1er janvier 2001. Il conteste que son action soit prescrite comme le conclut l'employeur puisqu'il n'était pas partie à l'accord d'entreprise du 16 octobre 2000 et demande l'application de l'article 1185 du code civil. Il fait valoir qu'il n'était pas cadre autonome mais cadre spécialiste intégré à une équipe. Il reproche à l'employeur de n'avoir institué aucun dispositif pour comptabiliser son temps de travail effectif ou vérifier sa charge de travail par un entretien annuel individualisé de sorte que cette absence de suivi de son temps de travail ne permet pas à l'employeur d'invoquer l'application du forfait-jours, le salarié étant soumis à la durée légale du temps de travail de 35 heures hebdomadaires. Pour justifier des heures dont il demande le paiement, M. [J] produit les mails couvrant la période du 01/07/2006 au 31/12/2010 et un tableau récapitulatif des heures effectuées entre ses deux dates de sorte qu'il étaye sa demande. Il évalue à 8 339 les heures supplémentaires qu'il a accomplies durant cette période soit une charge moyenne hebdomadaire de 44,45 heures et demande le paiement de la somme de 159 702,40 euros outre les congés payés afférents et sollicite la condamnation de son employeur à lui verser l'indemnité pour travail dissimulé de 32 416,50 euros.

La SASU compagnie IBM France conclut au débouté de ces demandes au motif de la validité de la convention de forfait-jours signée par M. [J]. Elle réfute l'argument du salarié selon lequel son consentement aurait été vicié lors de la signature de l'avenant car il n'aurait pas eu connaissance de l'accord collectif d'entreprise du 16/10/2000 ou que ce dernier ne serait pas valable en l'absence de signature des partenaires sociaux. Elle soulève la prescription de ce moyen, l'accord ayant commencé à recevoir application le 01/01/2001 et retient qu'en tout état de cause, ce moyen est mal fondé puisque les partenaires sociaux ont signé 5 avenants postérieurs, toujours en vigueur, au titre de la réduction du temps de travail. Elle soutient que M. [J] était cadre autonome au sens des dispositions de l'article 5.4 de l'accord d'entreprise et nullement cadre intégré comme il le prétend. Elle verse le mail du supérieur hiérarchique de M. [J] qui atteste de la tenue, tous les 6 mois d'un entretien durant lequel était abordée la question de la charge de travail du salarié. Elle constate que pendant 16 ans, M. [J] n'a pas remis en question les modalités de décompte de son temps de travail et enfin, à titre subsidiaire, elle conteste le fait que M. [J] rapporte la preuve des heures supplémentaires qu'il prétend avoir réalisées, exposant que les mentions de fichiers modifiés par lui ne démontrent nullement l'amplitude de travail mais son intervention ponctuelle aux heures indiquées. Elle estime que l'envoi de mails à des heures tardives ne démontre pas la réalisation d'heures supplémentaires puisque le salarié organisait sa journée selon ses propres impératifs professionnels ou personnels et l'envoi des mails de sa part quelquefois à des heures tardives ou matinales ne correspondaient pas à une demande de l'employeur mais à l'organisation qu'il entendait mener. Enfin, si le forfait est passé de 214 à 215 jours à compter du 1er janvier 2009, comme pour tous les cadres au forfait, c'est en raison de l'obligation légale de la journée de solidarité nationale imposée par l'Etat qui a supprimé la fixation automatique du lundi de Pentecôte comme jour férié.

Sur ce, la cour relève qu'en ce qui concerne l'application du forfait-jour résultant de la signature de l'avenant le 23 décembre 2000 pour une application à compter du 1er janvier 2001, au nom du droit à la santé et au repos du salarié, toute convention de forfait en jours doit être prévue par un accord collectif dont les stipulations assurent la garantie du respect des durées maximales de travail ainsi que des repos journaliers et hebdomadaires et doivent garantir que l'amplitude et la charge de travail restent raisonnables et assurent une bonne répartition, dans le temps, du travail du salarié et donc à assurer la protection de la sécurité et de la santé de ce dernier ;

La SASU compagnie IBM France soulève tout d'abord la prescription de l'action de M. [J] portant sur la validité de l'accord d'entreprise conclu le 16 octobre 2000 ; mais il apparaît que le salarié a saisi le conseil de prud'hommes d'une demande de paiement des heures supplémentaires le 3 novembre 2011 et est recevable en sa demande portant sur son temps de travail antérieur de 5 ans à la date de la saisine de la juridiction et peut, à cette occasion, contester la convention de forfait en jour qu'il a signée ainsi que l'accord d'entreprise sur lequel reposait cette convention ;

M. [G] [J] soutient que cet accord d'entreprise du 16/10/2000 ne lui est pas opposable en ce que la signature des partenaires sociaux a été donnée avec réserves ; mais il n'est pas justifié que les partenaires sociaux aient renoncé à leur acceptation de l'accord dans les conditions prévues de sorte que sa contestation ne peut prospérer ; il reproche ensuite l'absence de connaissance de cet accord puisqu'il n'était pas joint à sa convention individuelle rendant son acceptation viciée ; mais celle-ci ayant été prise en application de cet accord collectif dont l'employeur justifie avoir diffusé son contenu aux collaborateurs, M. [J] ne rapporte pas la preuve du vice de son consentement.

En ce qui concerne sa qualité de ''cadre spécialiste intégré dans une équipe'' par opposition au ''cadre autonome'', M. [J] expose qu'il ne pouvait être soumis à une telle convention à défaut de toute autonomie ; il expose qu'il était initialement intégré au service HQ Opérations et soumis aux instructions de son manager et que son contrat de travail mentionnait que l'horaire officiel de travail était de 8h45 à 17h30, les horaires d'ouverture du bureau étant de 8h à 18h15, incluant à l'arrivée et au départ une marge de temps variable d'une durée maximale d'une heure trente ; mais M. [J] a ensuite été promu ''project manager'' à compter du 1er janvier 1985 de sorte qu'il convient de constater qu'il bénéficiait de l'autonomie correspondant à cette fonction comme d'ailleurs les 1511 autres cadres spécialistes de l'entreprise sur les 1574 cadres d'IBM revendiqués par l'entreprise. Cette seule qualité de cadre autonome, qu'il n'a pas remise en cause durant tout le temps de l'exercice professionnel, permettait la signature d'une convention de forfait en jours, l'article L. 3121-43 du code du travail disposant que peuvent conclure une telle convention de forfait en jours sur l'année, les cadres qui disposent d'une autonomie dans l'organisation de leur emploi du temps et dont la nature des fonctions ne les conduit pas à suivre l'horaire collectif applicable au sein de l'atelier, du service ou de l'équipe auquel ils sont intégrés.

M. [J] prétend alors que son employeur n'a nullement respecté les obligations qui pesaient sur lui en application des dispositions de l'article 5.4 de l'accord d'entreprise IBM France du 16 octobre 2000 prévoyant les conditions dans lesquelles la mesure de la charge de travail du salarié soumis à un forfait en jours devait être mise en 'uvre. La SASU compagnie IBM France le conteste et verse le mail de son manager, [O] [H], (pièce 5 de l'employeur) et affirme que ce dernier indique avoir tenu des rendez-vous avec lui relatifs à la charge de travail et avoir mis en place un support et une assistance pour gérer la charge de travail, non seulement avec M. [J] mais également avec les personnes qui engendraient, selon M. [J], ce travail ; néanmoins, la SASU compagnie IBM France ne verse ce document qu'en langue anglaise, ce qui entraîne qu'il soit écarté des débats, et aucun document permettant de justifier de la tenue d'un outil informatique fiable et infalsifiable ou à défaut d'un bordereau permettant à M. [J] de consigner ses temps de travail et de déplacements professionnels, ni de l'examen dans l'évaluation annuelle de la charge de travail et de l'organisation du décompte du temps de travail, de la planification prévisionnelle et indicative de ses jours de travail, de congé et de repos qu'il envisageait de prendre en accord avec le management comme le prévoyait l'accord d'entreprise n'est communiqué, les évaluations annuelles versées par le salarié en pièces 12 et 13 pour les années 1999 à 2009 étant également rédigées complètement en anglais sans traduction et devant être écartées des débats, seule celle de l'année 2010 étant traduite mais ne comportant aucune mention relative à un tel examen.

Ainsi, il n'est pas démontré que l'employeur a organisé annuellement d'entretiens portant sur la charge de travail du salarié, l'organisation du travail dans l'entreprise, le respect des durées maximales de travail ainsi que les repos journaliers et hebdomadaires et l'articulation entre la vie professionnelle et personnelle du salarié de sorte que M. [J] fait justement ressortir que le non-respect par l'employeur des clauses de l'accord collectif destinées à assurer la protection de sa sécurité et de sa santé prive d'effet la convention de forfait ; il peut prétendre à l'application de la législation légale sur le temps de travail et le paiement d'heures supplémentaires au-delà de la réalisation de 35 heures de travail hebdomadaire.

S'il résulte du texte de l'article L. 3171-4 du code du travail que la preuve des heures de travail effectuées n'incombe spécialement à aucune des parties et que l'employeur doit fournir au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié, il appartient à ce dernier de fournir préalablement au juge les éléments de nature à étayer sa demande.

M. [J] verse en pièce 10 des tableaux de décompte des heures supplémentaires dont il demande le paiement pour la période 2ème semestre 2006-2010 (739 heures supplémentaires pour l'année 2006, 1750 pour l'année 2007, 2029 pour l'année 2008, 1943 pour l'année 2009 et 1880 pour l'année 2010), en pièce 21, des échantillons de mails pour les années 2008 à 2010, en pièce 25 des décomptes de ses amplitudes horaires journalières et en pièce 26 une clé USB contenant, selon ses affirmations, l'ensemble des échanges de mails entre lui et l'employeur, laissant à la cour le soin de les découvrir, sans préciser la période concernée. Ces éléments contiennent des éléments quant aux horaires prétendument réalisés pour permettre à l'employeur d'y répondre en fournissant ses propres éléments ; il étaye donc sa demande

La SASU compagnie IBM France reproche à M. [J] de ne pas rapporter la preuve de la réalisation des heures supplémentaires dont il demande le paiement, pas plus que la preuve que ces heures de travail lui ont été demandées par l'employeur ; néanmoins, ces reproches sont inopérants dans le cadre de l'application de l'article précité.

L'employeur constate que les captures d'écran de mails ressortant de la pièce 26 ne démontrent pas que M. [J] a effectué un travail, alors qu'il n'indique pas si ce sont des mails qu'il a reçus ou des mails qu'il a adressés, après réalisation d'un travail de sa part ;

Il conteste que les pièces 13 intitulée dans le bordereau de communication de pièces du salarié « charge de travail de M. [J] au cours de l'année 2006 » et 14 intitulée « charge de travail de M. [J] au cours de l'année 2007 » démontrent ladite charge, constatant que ces pièces sont constituées des entretiens d'évaluation pour ces deux années sans traduction en français de sorte qu'elles ne peuvent être prises en compte par la cour.

Il relève que les fichiers que M. [J] prétend avoir modifiés aux heures et jours indiqués ne démontrent nullement des amplitudes horaires de travail mais correspondent, dans la plupart des cas, à des consultations de fichiers dans la journée de travail du salarié (par exemple, le 11/10/2006, une intervention de sa part sur les fichiers à 15h16 et l'autre à 18h02 tandis que de même le 20/10/2006, trois interventions de fichiers entre 13h12 et 13h22 pour toute la journée) de sorte que lorsqu'il affirme avoir effectué pour ces journées, 7 heures de travail ou même 6 heures, ces fichiers n'apportent aucun élément probant ;

L'employeur relève enfin, concernant les fichiers mentionnés en pièce 21 pour les années 2008 à 2010, que le salarié verse ses réponses à des mails qui lui avaient été envoyés le matin ou la veille ou même plusieurs jours auparavant :

2 mails pour janvier 2008 envoyés au delà de 20 h, très brefs, (par exemple, le 31/01/2008 à 20h59 en réponse à un mail reçu du Royaume Uni à 6h16 : ''[R] thank you, It looks very good. Ok to me. Regards [G] '')

4 mails de février 2008 dont celui du 09/02/2008 adressé à 20h56 mentionnant ''[Z] pour info, [B] découvre la vie sur terre, Regards [G]'' en réponse à celui de [B] [Z] du 06/02/2008 à 17h15 ou encore un autre mail envoyé à cette même [Z] à la même date ''[Z], pour info, [S] essaye de ramener [B] sur terre. Regards [G]''' en réponse à un mail reçu le matin même à 11h15

3 mails pour mars 2008 dont celui du 20/03/2008 à 19h56 ''[H], could you check ' Thank you. Regards [G]'' en réponse au mail de Greta P. du 18/03/2008 à 12h52, ce qui ne justifie nullement de l'accomplissement d'un travail et la justification de la réalisation d'heures supplémentaires. Elle fait le même constat pour les années 2009 et 2010 de sorte que le salarié ne justifie pas de la nécessité des transmissions opérées aux heures mentionnées.

La cour constate qu'à défaut pour M. [J] d'indiquer ses horaires de travail journaliers, se contentant d'aligner des amplitudes de travail dont les mails versés ne corroborent nullement la réalisation, qu'il ne justifie pas des envois de ces simples mails de transmissions ou de réponses très brèves aux heures indiquées, l'employeur contestant valablement la réalisation même d'un travail exécuté pour son compte dans les exemples ci-dessus relevés, et alors que la journée de travail supplémentaire à compter de 2009 correspond à l'obligation légale de se conformer à la journée nationale de solidarité instituée par les pouvoirs publics, que les heures supplémentaires se décomptent à la semaine civile et non pas à la journée, que les jours de congés, de RTT, de récupérations n'engendrent pas la réalisation d'heures de travail de sorte que les contestations de l'employeur sont en partie justifiées ce qui conduit la cour à évaluer à la somme de 5 246 euros le montant des heures supplémentaires dues par la SASU compagnie IBM France à M. [J] pour les heures retenues outre la somme de 524,60 euros au titre des congés payés y afférents.

Le salarié qui bénéficiait d'un forfait en jours et qui parlait à son employeur de sa charge de travail et de la pression subie ne démontre pas avoir demandé à son employeur l'indemnisation de ses heures supplémentaires au cours de la réalisation de la prestation de travail, ne justifie pas que l'omission de mentionner lesdites heures soit intentionnelle de la part de l'employeur de sorte que la cour le déboute de sa demande subséquente de travail dissimulé ; il y a lieu de confirmer le jugement entrepris de ce chef.

Sur le harcèlement moral :

Selon l'article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou compromettre son avenir professionnel. Selon l'article L. 1152-2 du code du travail, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral et pour avoir témoigné de tels agissements ou de les avoir relatés.

L'article L. 1154-1 du code du travail prévoit qu'en cas de litige, les salariés concernés établissent des faits qui permettent de présumer l'existence du harcèlement et il incombe alors à l'employeur, au vu de ces éléments, de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Alors que M. [J], chargé de la mission européenne ''offres de prix aux Business Partners'' à savoir répondre aux appels d'offres des Business Partners dans toute l'Europe, expose avoir été un cadre largement reconnu et apprécié par le top management d'IBM au niveau européen, mais qu'à partir d'octobre 2009, il a vu une forte pression s'instaurer, due à la nature du travail : grosses urgences quotidiennes devant être traitées même pendant ses congés, très gros volumes d'appels d'offres des business Partners, de sorte que sa charge de travail a été sans cesse alourdie de façon incessante entre 2003 et 2011 par des missions toujours ajoutées au-delà des limites humaines et que dans le même temps, sa notation a baissé de manière brutale en janvier 2011 tout comme sa prime variable, son manager devenant systématiquement désagréable et ne prenant pas en compte ses doléances mais au contraire, alourdissant sa tâche lorsqu'il s'est plaint, ce qui l'a conduit à un arrêt de travail pour burn-out en novembre 2011, arrêts de travail régulièrement renouvelés avant son placement en arrêt longue maladie et reconnaissance de son invalidité 2ème catégorie à compter du 1er décembre 2013.

Pour étayer ses affirmations, il produit notamment :

- ses évaluations annuelles en pièces 12 qu'il dit excellentes dont seule celle de 2010 est traduite et démontre qu'il faisait son travail à la satisfaction de son employeur « solide contributeur (...), paire de mains sûres (...), [G] atteint un bon score (...), qualité globalement élevée (...), c'est un plaisir de travailler avec [G] (') Merci [G] »

- la proposition de rupture conventionnelle que lui a faite M. [H] le 21 février 2011 « il faut que vous soyez au courant de ceci, discutons-en spécialement car nous ne devons pas supposer que la fonction Pricing va rester ici pour toujours dans son format actuel et les rotations de job est quelque chose de sain et doit être attendu de nous tous (c'est-à-dire vous ne devez pas supposer que vous resterez dans votre job indéfiniment) » (pièce 23) portant l'offre de la somme de 100 000 euros, soit 18 mois de salaire

- ses plaintes courant 2010 et 2011relatives à sa charge de travail auprès de son supérieur [O] [H] (pièce 22) dans lesquelles il mentionne au titre de sa charge de travail, le 29 mars 2011 « tout ceci est déjà au-delà des limites humaines. J'ai atteint et dépassé toutes mes limites physiques » et la réponse partiellement traduite de M. [H] « je comprend le volume opérationnel de votre job mais le contenu de nos jobs évoluent ».

- sa lettre du 14 octobre 2011 à son employeur dans laquelle il l'informe qu'il est presque arrivé à une situation de burn out et qu'il est suivi médicalement, et réclame le paiement des heures supplémentaires qu'il affirme avoir accomplies, mentionnant « la pression que je subis ne cesse d'augmenter »

- ses arrêts de travail à compter du 10/11/2011 pour stress au travail, renouvelés ensuite pour syndrome dépressif, burn out et réaction en souffrance au travail et régulièrement prolongés jusqu'au15/12/2013 ainsi que sa déclaration d'invalidité 2ème catégorie à compter de cette date (pièces 15, 16 et 17)

- tandis que la pièce 24 visée par M. [J] n'est pas traduite et ne peut qu'être écartée des débats

En l'état des explications et des pièces fournies, la matérialité de faits précis et concordants qui, pris dans leur ensemble, laissant supposer l'existence d'un harcèlement moral découlant de sa surcharge de travail sans réaction de l'employeur à ses plaintes à l'exclusion d'une proposition de quitter l'entreprise, au cours de l'année 2011, est démontrée.

L'employeur conteste d'existence de faits de harcèlement moral de la part de son manager [H] puisque celui-ci a proposé au salarié qui se plaignait de sa charge de travail de revoir ses priorités et mettait en avant ses mérites et qualités et indique que l'arrêt maladie datant de novembre 2011, il n'est pas démontré de faits de harcèlement moral depuis octobre 2009 comme prétendu.

Néanmoins, alors que le salarié [J] se plaignait très fortement de sa charge de travail (mail du 29 mars 2011), et après lui avoir conseillé de quitter l'entreprise dans le cadre d'une rupture conventionnelle « vous ne devez pas supposer que vous resterez dans votre job indéfiniment », l'employeur n'a pris aucune mesure efficace pour lui venir en aide (lui proposant seulement de revoir ses priorités) de sorte que l'arrêt de travail du salarié est la conséquence directe et immédiate de la surcharge de travail dont il se plaignait depuis plusieurs mois.

L'employeur échoue à démontrer que les faits matériellement établis par M. [J] sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement qui est donc établi.

M. [J] se plaint du traitement indigne qu'il a enduré ; compte tenu de la durée du harcèlement dont il a fait l'objet et des conséquences sur sa santé et son emploi, la cour évalue à la somme de 10 000 euros le montant des dommages et intérêts destinés à réparer le préjudice subi.

Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens

Compte tenu de la solution du litige, la décision entreprise sera confirmée de ces deux chefs et par application de l'article 696 du code de procédure civile, les dépens d'appel seront mis à la charge de la SASU compagnie IBM France ;

La demande formée par M. [J] au titre des frais irrépétibles en cause d'appel sera accueillie, à hauteur de 2 000 euros.

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

statuant publiquement et contradictoirement

Infirme le jugement entrepris en ce qui concerne les dispositions relatives au harcèlement moral et les dépens et le confirme pour le surplus

et statuant à nouveau des chefs infirmés

Condamne la SASU compagnie IBM France à verser à M. [G] [J] la somme de 10 000 euros en réparation du préjudice résultant du harcèlement moral subi

Condamne la SASU compagnie IBM France à verser à M. [G] [J] la somme de 5 246 euros à titre des heures supplémentaires outre la somme de 524,60 euros au titre des congés payés y afférents

Condamne la SASU compagnie IBM France aux dépens de première instance et d'appel ;

Condamne la SASU compagnie IBM France à payer à M. [J] la somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Arrêt prononcé par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,

Signé par Mme Hélène PRUDHOMME, président, et M. Achille TAMPREAU, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le GREFFIERLe PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 11e chambre
Numéro d'arrêt : 17/02369
Date de la décision : 19/12/2019

Références :

Cour d'appel de Versailles 11, arrêt n°17/02369 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2019-12-19;17.02369 ?
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