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12/12/2019 | FRANCE | N°18/02233

France | France, Cour d'appel de Versailles, 12e chambre, 12 décembre 2019, 18/02233


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 56C



12e chambre



ARRET N°



CONTRADICTOIRE



DU 12 DECEMBRE 2019



N° RG 18/02233 - N° Portalis DBV3-V-B7C-SI7M



AFFAIRE :



SELARL [G] [N] en qualité de liquidateur judiciaire de la SAS FINANCIERE SERNAM, mission conduite par Me [G] [N], Agissant poursuites et diligences en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège





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SA GEODIS

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Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 13 Mars 2018 par le Tribunal de Commerce de NANTERRE

N° chambre :

N° Section :

N° RG : 2012F04101



Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

dé...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 56C

12e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 12 DECEMBRE 2019

N° RG 18/02233 - N° Portalis DBV3-V-B7C-SI7M

AFFAIRE :

SELARL [G] [N] en qualité de liquidateur judiciaire de la SAS FINANCIERE SERNAM, mission conduite par Me [G] [N], Agissant poursuites et diligences en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

C/

SA GEODIS

...

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 13 Mars 2018 par le Tribunal de Commerce de NANTERRE

N° chambre :

N° Section :

N° RG : 2012F04101

Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :

à :

Me Oriane DONTOT

Me Martine DUPUIS

Me Patricia MINAULT

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE DOUZE DECEMBRE DEUX MILLE DIX NEUF,

La cour d'appel de Versailles, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

SELARL [G] [N] en qualité de liquidateur judiciaire de la SAS FINANCIERE SERNAM, mission conduite par Me [G] [N], Agissant poursuites et diligences en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 1]

[Localité 1]

Représentant : Me Oriane DONTOT de l'AARPI JRF AVOCATS, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 633 - N° du dossier 20180349 - Représentant : Me François KOPF de l'AARPI DARROIS VILLEY MAILLOT BROCHIER, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : L0099 par Me DELLA VITORIA

APPELANTE

****************

SA GEODIS

[Adresse 2]

[Adresse 2]

[Localité 2]

Représentant : Me Martine DUPUIS de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 625 - N° du dossier 1859555 - Représentant : Me Philippe-valentin AUTRET, Plaidant, avocat au barreau de PARIS

SNCF MOBILITES

[Adresse 3]

[Localité 3]

Représentant : Me Patricia MINAULT de la SELARL MINAULT PATRICIA, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 619 - Représentant : Me Jean-daniel BRETZNER de la SAS BREDIN PRAT, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : T12

SAS SNCF PARTICIPATIONS

N° SIRET : 572 15 0 9 77

[Adresse 3]

[Localité 4]

Représentant : Me Patricia MINAULT de la SELARL MINAULT PATRICIA, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 619 - N° du dossier 20180144 - Représentant : Me Jean-daniel BRETZNER de la SAS BREDIN PRAT, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : T12

INTIMES

****************

Composition de la cour :

L'affaire a été débattue à l'audience publique du 17 Octobre 2019, Madame Véronique MULLER, conseiller, ayant été entendu en son rapport, devant la cour composée de :

Madame Thérèse ANDRIEU, Président,

Madame Florence SOULMAGNON, Conseiller,

Mme Véronique MULLER, Conseiller,

qui en ont délibéré,

Greffier, lors des débats : Monsieur Alexandre GAVACHE

EXPOSE DU LITIGE

Le Sernam (« SERvice NAtional de Messagerie ») était initialement un service interne de l'établissement public industriel et commercial SNCF, ci-après la SNCF, créé en 1970 afin de prendre en charge des opérations de transport de marchandises par la voie ferroviaire. La SNCF a ensuite décidé de développer une activité de transport par route qu'elle a confiée à son service interne Sernam.

En raison de la persistance des difficultés financières du Sernam et à la suite d'un avis du conseil de la concurrence du 5 mai 1995, la SNCF a décidé de filialiser ce service en vue de la reprise par un tiers.

Le 23 décembre 1999, à la suite d'une opération d'apport partiel d'actif, le Sernam est devenu une entité juridiquement autonome, immatriculée sous la forme d'une société en commandite simple dénommée « Sernam SCS » et détenue par la SNCF et par la société par actions simplifiée SNCF Participations.

Cette création s'est accompagnée de plusieurs aides financières de la SNCF pour un montant total de 503 millions d'euros afin de redresser la situation financière de la société Sernam. Dans la mesure où ce soutien financier constituait une aide d'Etat au regard du droit européen, l'Etat français a notifié à la Commission européenne le 1er mars 2000, le projet de restructuration de la société Sernam en sollicitant de sa part une décision favorable.

Concomitamment, la SNCF a recherché un repreneur pour la nouvelle société Sernam. Des réunions de travail se sont tenues avec la société Geodis à partir de l'été 1999.

* le premier protocole d'accord SNCF/ Geodis

Le 21 avril 2000, les sociétés SNCF et Geodis ont conclu un protocole d'accord prévoyant une prise de participation de la société Geodis à hauteur de 60 % au capital de la société Sernam et une promesse d'achat des 40 % restants à l'issue de la mise en place sans délai d'un plan de redressement et sous condition résolutoire de l'obtention avant le 30 juin 2001 d'une décision de la Commission européenne autorisant sans restriction ni réserve les aides versées par la société SNCF.

Dans une décision du 23 mai 2001, publiée le 14 juillet suivant (dite 'Sernam 1"), la Commission européenne a statué favorablement sur la demande d'autorisation des aides de la société SNCF.

La décision Sernam 1 ayant été publiée après expiration de la condition résolutoire du protocole d'accord, les sociétés SNCF et Geodis ont négocié un nouveau protocole.

* le second protocole d'accord SNCF/ Geodis

Le 21 décembre 2001, les sociétés SNCF et Geodis ont négocié un nouveau protocole prévoyant une prise de participation de 15% de la société Geodis dans la société Sernam, qui passerait à 51% en 2006, et la transformation de cette dernière en société anonyme afin de limiter la responsabilité de la société Geodis. L'opération a été réalisée le 15 janvier 2002.

Le nouveau protocole contenait également une clause résolutoire relative à l'absence de toute procédure contentieuse en cours devant les juridictions européennes à l'encontre de la décision de la Commission du 23 mai 2001. Or, en 2002, la Commission a reçu une plainte estimant que l'aide versée par la SNCF l'avait été en violation de sa décision « Sernam 1. » En conséquence, le 4 juin 2003, la SNCF a été contrainte de racheter les actions de la société Sernam précédemment acquises par la société Geodis.

Le 20 octobre 2004, la Commission européenne a rendu une seconde décision (« Sernam 2 ») dans laquelle elle a constaté le non-respect de sa précédente décision mais estimé que les aides d'Etat octroyées par la société SNCF étaient compatibles avec le marché commun sous réserve du respect de conditions d'exploitation restrictives, relatives notamment au désengagement de la société Sernam de certaines de ses activités traditionnelles, sauf à ce qu'elle vende ses actifs en bloc avant le 30 juin 2005 à une société juridiquement indépendante de la SNCF.

Le 30 juin 2005, une équipe de dirigeants de la société Sernam a présenté une offre de reprise des actifs de cette dernière.

* le protocole d'accord SNCF/ dirigeants de la société Sernam

Le 21 juillet 2005 la société SNCF et les dirigeants de la société Sernam ont signé un protocole fixant les modalités d'acquisition des actifs de la société Sernam. Il prévoyait notamment une recapitalisation de la société Sernam par la société SNCF à hauteur de 57 millions d'euros. L'opération s'est réalisée le 17 octobre 2005 au bénéfice de la société par actions simplifiée Financière Sernam constituée le 14 octobre 2005 par les repreneurs.

Le 28 décembre 2006, le fonds d'investissements Butler Capital Partners est entré au capital de la société Financière Sernam à hauteur de 51,8 %, en souscrivant à une augmentation de capital de 4.000.000 euros.

* la prise de contrôle de la société Geodis par la SNCF

En 2008, la société SNCF a initié une offre publique d'achat du capital de la société Geodis et en a pris le contrôle.

A la suite de cette acquisition, la société SNCF a mis en place une série d'actions critiquées par la société Financière Sernam. Un différend est ainsi apparu entre les sociétés SNCF et Financière Sernam au sujet des conditions de certains contrats demeurés en cours entre elles.

Le 23 février 2011, une transaction a été conclue entre les sociétés SNCF, Geodis et Butler Capital Partners afin de mettre fin à leurs différends relatifs à la société Sernam, et de définir les principales modalités d'un moratoire des dettes de la société Financière Sernam à l'égard des sociétés SNCF et de Geodis à hauteur de 7.900.000 euros.

Le 31 janvier 2012, le tribunal de commerce de Nanterre a placé la société Financière Sernam et ses filiales en redressement judiciaire. La procédure a été convertie en liquidation judiciaire le 13 avril suivant, la société [G] [N] étant désignée liquidateur judiciaire, en la personne de Maître [G] [N].

Le 9 mars 2012, la Commission européenne a rendu une nouvelle décision estimant que l'Etat français n'avait pas observé les conditions qui avaient subordonné l'autorisation du 20 octobre 2004. Elle a ainsi ordonné à l'Etat français de veiller à ce que la société Financière Sernam et ses filiales restituent les aides accordées par la SNCF.

Par courrier du 12 avril 2012, la SNCF a déclaré une créance de 971.869.454 euros auprès de Maître [G] [N] au titre des aides d'Etat qu'elle considérait devoir récupérer en vertu de la décision de la Commission européenne.

Dans le cadre de la liquidation judiciaire, l'administrateur judiciaire a organisé un appel d'offres portant sur la reprise des actifs des sociétés. Seule la société Geodis a proposé une offre de reprise. Au terme d'un jugement du 13 avril 2012, une partie des actifs de la société Financière Sernam et de ses filiales ont été cédés à la société Geodis.

Par acte du 13 novembre 2012, la société Financière Sernam, représentée par son liquidateur la société [N], a assigné les sociétés Geodis, SNCF Mobilités et SNCF Participations devant le tribunal de commerce de Nanterre aux fins de condamnation à dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait des fautes commises dans la préparation du projet de reprise de la société Sernam par la société Geodis.

Par jugement du 28 octobre 2014, le tribunal de commerce de Nanterre a rejeté l'exception d'incompétence territoriale qui lui avait été soumise, retenant sa compétence et renvoyant les parties à conclure sur le fond.

Par jugement du 13 mars 2018, le tribunal de commerce de Nanterre a :

- Rejeté l'exception de nullité de l'assignation telle que présentée par la société Geodis,

- Débouté les sociétés SNCF Mobilités, SNCF Participations et Geodis de leur fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité et d'intérêt à agir de la société [N] ès-qualités de liquidateur de la société Financière Sernam ;

- Dit que les demandes formées par la société Financière Sernam étaient irrecevables du fait de la prescription ;

- Condamné la société [N] ès-qualités, à payer aux sociétés SNCF Mobilités et SNCF Participations, chacune la somme de 5 000 euros, et à la société Geodis la somme de 10.000 euros, au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- Condamné la société [N] ès qualités aux dépens.

Par déclaration du 28 mars 2018, Me [N], ès qualités de liquidateur de la société Financière Sernam, a interjeté appel du jugement.

PRÉTENTIONS DES PARTIES

Par dernières conclusions notifiées le 26 décembre 2018, la société [G] [N], ès qualité de liquidateur judiciaire de la société financière Sernam, demande à la cour de :

- Infirmer le jugement du tribunal de commerce de Nanterre en ce qu'il l'a dit irrecevable en ses demandes ;

- Débouter les intimées de leurs appels incidents et rejeter l'intégralité de leurs demandes, fins et prétentions ;

- Déclarer en conséquence recevables l'ensemble des demandes de la société [G] [N] au titre de la présente action ;

- Juger que les intimées ont commis des fautes engageant leur responsabilité lors de la préparation du projet de reprise de la société Financière Sernam par la société Geodis ;

- Dire que ces fautes ont causé un préjudice à la société Financière Sernam dont la société [G] [N] ès qualités est fondée à réclamer la réparation intégrale ;

En conséquence :

- Condamner in solidum les intimées à payer à l'appelante ès qualités la somme de 204.300.000 euros en réparation des préjudices subis par la société Financière Sernam à raison des fautes des intimées ;

- Condamner in solidum les intimées à payer à l'appelante ès qualités la somme de 50.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens, dont distraction conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Par dernières conclusions notifiées le 21 mai 2019, les sociétés Sncf Mobilités et Sncf Participations demandent à la cour de :

- Confirmer le jugement du 13 mars 2018, sauf en ce qu'il a jugé que Me [N] a qualité et intérêt pour agir en l'espèce et réformer le jugement sur ce point ;

- Dire que les préjudices allégués par Me [N] sont survenus plus de dix ans avant la délivrance de son assignation le 13 novembre 2012, de sorte que ses demandes se heurtent à la prescription édictée par l'article L. 110-4 et doivent être frappées d'irrecevabilité ;

Subsidiairement,

- Dire que les demandes de Me [N] sont irrecevables dans la mesure où :

(i) les faits qu'il allègue au soutien de sa thèse se sont produits :

- soit à une période où la société Sernam n'existait pas juridiquement de sorte que Me [N] ne saurait revendiquer un intérêt à agir ;

- soit à une période où lesdits faits correspondent à des actions que la société Sernam a souverainement mises en 'uvre, de sorte que les concluantes n'ont pas qualité pour défendre ; et

(ii) les préjudices invoqués, s'ils étaient avérés, auraient pour l'essentiel été supportés par les filiales du groupe Sernam et non par la holding aux droits de laquelle vient la société Financière Sernam ;

- Dire en conséquence irrecevables les demandes de Me [N] ;

Très subsidiairement,

II - Sur le défaut de fondement des demandes présentées par Me [N] :

1- Dire que Me [N] ne démontre pas que la refonte du système d'information dont la société Sernam était dotée en 1999 ne présentait pas d'utilité pour elle, ni qu'elle a été conçue dans le seul but de privilégier la société Geodis ou encore que cette refonte a été mise en 'uvre de façon hâtive ;

2- Dire que Me [N] ne démontre pas que les trente-neuf suppressions de sites non rentables opérées dans le cadre du projet avorté n'avaient pas de raison d'être, ni qu'elles ont été effectuées dans le seul but de privilégier la société Geodis au détriment de la société Sernam ou encore que le rythme de ces suppressions révèle une hâte fautive ;

3- Dire que la société Sncf a elle-même financé les coûts de restructuration de la société Sernam à hauteur de 448 millions d'euros, de sorte que Me [N] ne peut en aucun cas alléguer que les sociétés Sncf et Geodis ont « exigé » de façon fautive que la société Sernam assume elle-même certains de ses coûts de restructuration à hauteur de 800.000 euros ;

4- Dire que Me [N] ne démontre pas que Sncf Participations a favorisé, au profit de la société Geodis, une circulation d'informations confidentielles au sujet du TBE exploité par la société Sernam ;

En conséquence,

- Dire qu'aucun fait générateur de responsabilité ne peut être allégué par Me [N] à l'encontre des sociétés Sncf et Sncf Participations ;

- Le débouter de l'ensemble des demandes qu'il formule à leur encontre ;

A titre infiniment subsidiaire,

- Dire que Me [N] ne produit aucune pièce de nature à démontrer l'existence d'un préjudice présentant pour la société Sernam un caractère certain, résultant directement de l'une des quatre fautes qu'il allègue et correspondant en outre à un préjudice personnellement subi par la société Sernam ;

En conséquence,

- Débouter Me [N] de l'intégralité de ses demandes ;

- Débouter Me [N] de toutes demandes, fins ou conclusions contraires.

- Le condamner à s'acquitter d'une somme de 100.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Le condamner aux entiers dépens dont distraction conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Par dernières conclusions notifiées le 27 septembre 2018, la société Geodis demande à la cour de :

- Confirmer le jugement du 13 mars 2018, sauf en ce qu'il a jugé que l'assignation de Maître [N] n'était pas nulle à son égard et que Maître [N] a qualité et intérêt à agir, et réformer le jugement sur ces points.

1/ Sur la nullité de l'assignation

- Dire que dans son assignation, les pièces qu'il communique, notamment l'avis juridique d'un professeur de droit, et les cinq jeux conclusions qu'il a régularisés, le liquidateur judiciaire de la société Financière Sernam distingue toujours la société Geodis d'une part et les défenderesses d'autre part ;

- Dire que l'objet du litige engagé par l'assignation consiste en trois mesures de transformation de la société Sernam auxquelles la société Geodis a pris part en exécution de contrats conclus avec la société Sernam, mais que le liquidateur judiciaire de la société Financière Sernam a expressément indiqué qu'il ne reprochait rien à la société Geodis au titre de ces contrats ;

- Dire que le liquidateur judiciaire de la société Financière Sernam est incapable d'exposer, d'articuler, d'identifier, d'individualiser et donc d'adresser en fait et en droit le moindre grief à l'égard de la société Geodis dans le cadre limité qu'il a choisi d'une éventuelle responsabilité fondée exclusivement sur l'article 1382 du code civil ;

- Dire que la société Geodis est ainsi dans l'incapacité de se défendre d'une demande de condamnation d'un montant de 204,3 millions d'euros ;

En conséquence,

- Infirmer le jugement du tribunal de commerce de Nanterre en ce qu'il a débouté la société Geodis de sa demande en nullité de l'assignation du 13 novembre 2012 ;

- Dire nulle l'assignation du 13 novembre 2012 ;

Subsidiairement

2/ Sur l'irrecevabilité à agir du liquidateur judiciaire de la société Financière Sernam

- Dire que le rapport du cabinet Eight Advisory versé par Maître [N] et l'historique juridique du groupe Sernam montrent que les préjudices dont il demande la réparation (coûts engagés et gains manqués) auraient été subis par les filiales opérationnelles de la société Sernam, à une époque où celle-ci n'avait qu'une activité de holding ;

- Dire que la société Sernam n'a donc pas subi directement les préjudices dont il demande la réparation, et qu'elle et les sociétés qui ont reçu son patrimoine (Sernam Xpress et Financière Sernam) n'ont jamais reçu le patrimoine des filiales opérationnelles qui auraient subi les préjudices allégués ;

En conséquence,

- Infirmer le jugement du tribunal de commerce de Nanterre en ce qu'il a jugé que Maître [N] ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Financière Sernam avait intérêt à agir ;

- Dire irrecevable à agir Maître [N] ès-qualités de liquidateur judiciaire de la société Financière Sernam faute d' intérêt direct et personnel à agir ;

3/ Sur la prescription des demandes

- Dire que le liquidateur judiciaire de la société Financière Sernam indique que la créance indemnitaire et le droit d'agir en réparation au titre de celle-ci étaient nés le 5 juin 2001, de sorte qu'ils étaient prescrits au plus tard le 5 juin 2011, soit bien avant la délivrance de son assignation le 13 novembre 2012 ;

- Dire que Maître [N] indique que les faits dommageables allégués sont tous survenus avant fin 2001 et qu'ils étaient bouleversants et significatifs, de sorte qu'ils étaient nécessairement connus au plus tard fin 2001 et qu'ils étaient donc prescrits au plus tard fin 2011, soit bien avant la délivrance de l'assignation le 13 novembre 2012 ;

- Dire que rien ne justifie de reporter le point de départ du délai de prescription ;

En conséquence,

- Confirmer le jugement du tribunal de commerce de Nanterre en ce qu'il a jugé que Maître [N] ès-qualité de liquidateur judiciaire de la société Financière Sernam était irrecevable en raison de la prescription de ses demandes ;

4/ Très subsidiairement,

- Débouter Maître [N] es-qualité de liquidateur judiciaire de la société Financière Sernam de toutes ses demandes en toutes fins qu'elles comportent ;

5/ En tout état de cause,

- Condamner Maître [N] es-qualité de liquidateur judiciaire de la société Financière Sernam à payer la somme de 100.000 euros à la société Geodis au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens dont distraction conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 20 juin 2019.

Pour un exposé complet des faits et de la procédure, la cour renvoie expressément au jugement déféré et aux écritures des parties ainsi que cela est prescrit à l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DÉCISION

La cour observe, à titre liminaire, que l'appel a été enrôlé à la demande de la société [N] en sa qualité de liquidateur de la société Financière Sernam. L'action doit être exercée, non pas par le représentant d'une personne morale, mais par cette dernière directement. Dans les développements qui suivront, seul sera mentionné, pour plus de clarté, le nom de la société Financière Sernam (dénommée société Sernam), même si l'on comprend que cette dernière est bien évidemment représentée par son liquidateur.

1° - sur l'exception de nullité de l'assignation délivrée par la société Sernam à la société Geodis

Il résulte de l'article 56 du code de procédure civile que l'assignation contient à peine de nullité, outre les mentions prescrites pour les actes d'huissier de justice, l'objet de la demande avec un exposé des moyens en fait et en droit.

En l'espèce, la société Geodis reprend devant la cour l'exception de nullité qui a été déclarée recevable, mais mal fondée, par le premier juge. Elle soutient que l'assignation délivrée à son encontre par la société Sernam n'explicite pas les faits fautifs qui lui sont reprochés. Elle ajoute qu'à défaut de motivation de l'assignation en fait et en droit, elle ignorait les faits reprochés, se trouvant ainsi dans l'impossibilité de se défendre. Elle indique enfin que l'exception de nullité a bien été soulevée simultanément à l'exception d'incompétence lors de l'audience du 17 juillet 2014, dès lors que la procédure est orale devant le tribunal de commerce.

La société Sernam réplique que cette exception de nullité est à la fois irrecevable, en ce qu'elle n'a pas été soulevée simultanément à l'exception d'incompétence, et mal fondée en ce que les fautes reprochées à Geodis sont parfaitement identifiées dans l'assignation, et fondées en droit dès lors que l'article 1382 du code civil (dans sa version antérieure à l'ordonnance de 2016) est visé.

* sur la recevabilité de l'exception de nullité de l'assignation

Il résulte de l'article 74 du code de procédure civile que les exceptions doivent, à peine d'irrecevabilité, être soulevées simultanément et avant toute défense au fond ou fin de non-recevoir.

Il résulte en outre de l'article 446-4 du même code que, en procédure orale, la date des prétentions et moyens d'une partie régulièrement présentés par écrit est celle de leur communication entre parties.

Dans son jugement du 28 octobre 2014 statuant sur l'exception d'incompétence soulevée par la société Geodis, le tribunal relève que cette dernière a déposé successivement deux jeux de conclusions, le premier à l'audience de procédure du 22 novembre 2013 soulevant l'exception d'incompétence, le second à l'audience de plaidoirie du 17 juillet 2014 soulevant l'exception de nullité de l'assignation.

En application de l'article 446-4 précité, et nonobstant le caractère oral de la procédure devant le tribunal de commerce, les dates des conclusions sont celles de leur communication aux parties aux audiences des 22 novembre 2013 et 17 juillet 2014, de sorte qu'il est ainsi établi que les deux exceptions, l'une d'incompétence, l'autre de nullité de l'assignation, n'ont pas été soulevées simultanément, de sorte que l'exception de nullité de l'assignation soulevée en second lieu doit être déclarée irrecevable, le jugement étant infirmé de ce chef.

2° - sur la fin de non-recevoir tirée de l'absence d'intérêt à agir de la société Sernam

Il résulte de l'article 31 du code de procédure civile que l'action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d'agir aux seules personnes qu'elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé.

En l'espèce, les sociétés SNCF et Geodis reprennent devant la cour la fin de non-recevoir rejetée par le premier juge, tirée de l'absence d'intérêt à agir de la société Sernam

Les sociétés SNCF soutiennent qu'elles n'ont pas participé aux faits litigieux dès lors que leurs filiales, à savoir les sociétés Sernam SCS et Sernam SA, disposaient de toute l'autonomie nécessaire et qu'elles ont seules décidé de la mise en oeuvre des mesures de restructuration litigieuses. Les sociétés SNCF soutiennent dès lors qu'elles n'ont pas qualité pour défendre à l'action engagée par la société Financière Sernam. Elles soutiennent en outre, avec la société Geodis, que la société Financière Sernam n'a aucun intérêt à agir dès lors que les créances indemnitaires qu'elle invoque ne sont jamais entrées dans son patrimoine, soutenant que le patrimoine des 9 filiales opérationnelles de la société Sernam SCS n'a jamais été transmis à la société Financière Sernam, mais à la société Sernam Services qui n'est pas dans la cause.

La société Financière Sernam soutient au contraire que les sociétés Sernam SCS puis Sernam SA ne disposaient d'aucune autonomie décisionnelle et que le plan de transformation a été directement construit et mis en oeuvre par les intimées. S'agissant des créances indemnitaires qu'elle invoque, elle fait valoir d'une part que certaines créances sont bien entrées directement dans son patrimoine, d'autre part que sa filialisation, intervenue le 5 juin 2001, s'est opérée par le biais de cessions de fonds de commerce n'emportant pas cession des créances et des dettes qui sont restées attachées à la cédante, en l'espèce la société Sernam SA, transmises ensuite par le biais de transmissions universelles de patrimoine à la société Financière Sernam.

S'agissant de la participation des sociétés SNCF aux faits litigieux, la cour observe qu'il ne s'agit pas d'une question de recevabilité de la demande, mais d'une question de fond qui sera éventuellement débattue plus avant.

Pour le surplus, la cour observe que la filialisation intervenue en juin 2001 s'est bien opérée par le biais de cessions de fonds de commerce n'emportant pas cession des créances et des dettes, ainsi que cela ressort notamment du procès-verbal d'assemblée générale de la société Sernam en date du 29 mai 2001. Il est ainsi établi que les créances indemnitaires sont restées attachées à la société Sernam SCS, transmises ensuite par plusieurs transmissions universelles de patrimoine successives aux sociétés Sernam SA, puis Sernam X Press et enfin Financière Sernam.

Contrairement à ce que soutiennent les sociétés SNCF et Geodis, les créances indemnitaires alléguées par la société Financière Sernam sont donc bien entrées dans son patrimoine, de sorte qu'elle justifie de son intérêt à agir. Le jugement dont appel sera confirmé de ce chef.

3 - sur la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action de la société Sernam

3 -1- sur le délai de prescription applicable

Il résulte de l'article L.110-4 du code de commerce, dans sa version applicable au présent litige (postérieure au 17 juin 2008), que les obligations nées à l'occasion de leur commerce entre commerçants ou entre commerçants et non-commerçants se prescrivent par cinq ans si elles ne sont pas soumises à des prescriptions spéciales plus courtes.

Il est toutefois constant que le délai de prescription était, avant le 17 juin 2008, d'une durée de 10 années.

Il résulte en outre de l'article 26-II de la loi du 17 juin 2008 que : 'les dispositions de la présente loi qui réduisent la durée de la prescription s'appliquent aux prescriptions à compter du jour de l'entrée en vigueur de la présente loi, sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure'. Cela signifie que, lorsque la prescription a commencé à courir sous le régime de l'ancienne loi, comme c'est le cas en l'espèce, il convient de calculer le délai de prescription déjà écoulé au 17 juin 2008 auquel s'ajoutera le nouveau délai de 5 ans, sans toutefois que la durée totale ne puisse excéder 10 années.

En l'espèce, les parties s'accordent à dire que - les faits allégués étant antérieurs au 17 juin 2008, sous le régime de prescription de 10 années - la prescription applicable au litige est de 5 années à compter du 17 juin 2008 venant s'ajouter à la prescription déjà écoulée avant cette date, dans la limite d'un total de 10 années.

3-2 - sur l'éventuelle suspension de la prescription

Il résulte de l'article 2234 du code civil que la prescription ne court pas ou est suspendue contre celui qui est dans l'impossibilité d'agir par suite d'un empêchement résultant de la loi, de la convention ou de la force majeure.

En l'espèce, la société Sernam soutient qu'en tout état de cause, elle s'est trouvée dans l'impossibilité d'agir jusqu'au 17 octobre 2005, du fait qu'elle était une filiale détenue à 100% par la société SNCF. Elle affirme que les trois impossibilités d'action prévues à l'article 2234 précité ne sont pas limitatives, et que l'ignorance légitime de l'existence de ses droits par le créancier est suffisante pour suspendre la prescription.

Les sociétés SNCF soutiennent au contraire que les trois cas visés à l'article 2234 du code civil sont limitatifs et que la société Sernam ne justifie d'aucun empêchement résultant de la loi, de la convention ou de la force majeure, de sorte qu'il n'existe aucune cause de suspension de la prescription. Elles ajoutent qu'en tout état de cause, la règle fixée à l'article 2234 ne s'applique pas lorsque le titulaire de l'action disposait encore du temps nécessaire pour agir lorsque l'empêchement a pris fin, ce qui est le cas en l'espèce.

Contrairement à ce que soutient la société Sernam, les trois empêchements visés à l'article 2234 du code civil ont bien un caractère limitatif. La société Sernam ne démontre ni même n'allègue que l'empêchement résultant de l'ignorance prétendue de ses droits résulterait d'un cas de force majeure, de sorte qu'elle ne justifie d'aucune cause de suspension de la prescription.

3 -3 - sur le point de départ du délai de prescription

Les parties s'opposent sur le point de départ du délai de prescription, les intimées estimant que ce dernier ne peut être postérieur au mois d'octobre 2001, date de la finalisation de la refonte du système informatique et des mesures de restructuration de la société Sernam, tandis que cette dernière estime que ce point de départ se situe au 4 juin 2003, date de l'échec du projet de rapprochement avec la société Geodis.

La société Sernam rappelle que le dommage invoqué résulte des diverses mesures de restructuration (informatique, réseau d'agence...) qui lui ont été imposées par les sociétés SNCF et Geodis. Elle fait toutefois valoir que ces diverses mesures ne pouvaient apparaître dommageables tant que les négociations et le projet de reprise par Geodis étaient en cours. Elle indique que ces mesures de transformation auraient été bénéfiques si le projet de rapprochement avait abouti, leurs effets dommageables ne s'étant ainsi révélés qu'à la date de l'abandon définitif du projet de rapprochement.

La société Geodis soutient au contraire que c'est le principe même des mesures de restructuration critiquées (engagées en 2000 et 2001) qui constitue le préjudice dont la société Sernam demande réparation. Elle ajoute que la connaissance du principe du dommage est intervenue dès les premiers effets négatifs des faits reprochés qui se sont produits au plus tard à la fin de l'année 2001, de sorte que le point de départ de la prescription ne peut être retardé au-delà de cette date.

Les sociétés SNCF soutiennent pour leur part que la société Sernam a très vite pu percevoir les préjudices allégués, dès la mise en oeuvre des mesures de restructuration. Elles font ainsi observer que la refonte du système informatique était achevée en octobre 2001, et que les éventuels effets nocifs de cette refonte n'auraient pas attendu l'échec du rapprochement pour se manifester. Elles indiquent qu'il en est de même pour la suppression de certaines agences, achevée en janvier 2001, qui a eu des effets nécessairement immédiats, ainsi que pour l'éventuelle transmission de données sensibles à la société Geodis qui est intervenue en janvier 2000 ou encore la facturation des coûts de restructuration qui date également de l'année 2000.

*******

Les parties admettent que le point de départ de la prescription de l'action en responsabilité court à compter de la réalisation du dommage ou de la date à laquelle ce dernier est révélé à la victime si celle-ci établit qu'elle n'en avait pas eu précédemment connaissance.

Les mesures de restructuration imposées à la société Sernam, dans le cadre de son rapprochement avec la société Geodis, se sont achevées pour les dernières en octobre 2001, voire février 2002, ainsi que cela ressort des différents documents produits aux débats, et notamment :

- note interne de Sernam du 5 octobre 2001 indiquant l'achèvement de l'opération de fermetures de certaines agences en janvier 2001,

- factures afférentes aux coûts de restructuration datées de l'année 2000, hormis les contrats d'assistance technique et comptable datés du 21 février 2002,

- refonte du système informatique achevée en octobre 2001 ainsi que cela ressort des propres écritures de la société Sernam (points n°54 et n°93 de ses conclusions).

La société Sernam, sans contester l'achèvement des mesures de restructuration à la fin de l'année 2001 au plus tard, affirme toutefois que le caractère dommageable de ces mesures ne pouvait lui apparaître et ne lui est apparu qu'à la date d'abandon du projet de rapprochement avec la société Geodis, invoquant ainsi le report du point de départ de la prescription à la date de révélation du dommage.

S'il est constant que le point de départ de la prescription doit être fixé à la date à laquelle le dommage devient certain, il appartient alors à la société Sernam de justifier des circonstances qui ont permis de révéler la certitude du dommage uniquement à la date de l'échec du rapprochement avec la société Geodis, à savoir le 4 juin 2003.

Bien qu'elle soutienne que les sociétés intimées ont commis une seule et unique faute en lui imposant 'des mesures lourdes de restructuration', la société Sernam fonde en réalité son action en responsabilité délictuelle contre les sociétés SNCF et Geodis sur 3 faits dommageables distincts (outre l'obtention d'informations stratégiques importantes), donnant lieu à des préjudices également distincts qu'elle chiffre respectivement : à 44,5 millions d'euros pour la refonte informatique, à 131,9 millions outre 27 millions d'euros pour la réorganisation de son réseau, et à 0,8 million d'euros au titre des coûts de mise en place du projet de reprise. Dès lors qu'elle invoque le report du point de départ de la prescription à la date de la révélation du dommage, il convient de rechercher, pour chaque dommage allégué, s'il est justifié de cet éventuel report.

- dommage résultant de la refonte du système informatique

La société Sernam soutient que le système informatique de Geodis qui lui a été imposé n'était pas adapté, en ce qu'il était surdimensionné, uniquement tourné vers la société Geodis, l'empêchant de résister à la concurrence ou d'être reprise par une société tierce, et en tout état de cause trop onéreux. Ces divers reproches - à les supposer établis ce qui n'est pas le cas dès lors qu'ils ne résultent que d'affirmations qui ne sont pas corroborées par des éléments de preuve extérieurs à la société Sernam - ne permettent pas, en tout état de cause, de démontrer que le prétendu dommage - qui ne pouvait résulter que de l'achèvement de la refonte en octobre 2001 - ne s'est finalement révélé que postérieurement à l'abandon du projet de rapprochement avec la société Geodis, la seule affirmation de la société Sernam en ce sens étant insuffisante à ce titre. Il n'est notamment pas démontré que le nouveau système informatique mis en place soit devenu inutile, inefficace ou obsolète du fait de l'abandon du projet de rapprochement. Contrairement à ce qui est affirmé par la société Sernam, il n'est nullement démontré que la société Geodis se soit engagée à prendre en charge une quelconque somme au titre de cette restructuration, engagement qu'elle aurait ensuite abandonné au moment de l'échec du rapprochement des deux sociétés. Il n'est ainsi nullement démontré que le caractère dommageable de la refonte du système informatique se soit révélé postérieurement à l'échec du projet de rapprochement.

Il a au contraire été démontré que la refonte du système informatique était achevée en octobre 2001, ainsi que cela ressort des propres écritures de la société Sernam. Faute pour la société Sernam de caractériser un report du point de départ de la prescription, il convient de fixer ce dernier au 31 octobre 2001.

L'action exercée par la société Sernam - plus de 11 années plus tard, le 13 novembre 2012 - en responsabilité des sociétés SNCF et Geodis du fait du basculement du système informatique sera donc déclarée prescrite.

- dommage résultant de l'obtention d'informations importantes

La société Sernam reproche aux sociétés SNCF et Geodis d'avoir, grâce au projet de reprise, obtenu des informations stratégiques la concernant à propos de son système 'Train Bloc Express', ce qui aurait permis aux sociétés SNCF et Geodis de bénéficier 'd'avantages concurrentiels non discutables'.

La société Sernam fonde son argumentation à ce titre sur un unique courrier de la société Geodis en date du 19 janvier 2000, ce qui tend à démontrer qu'elle avait bien connaissance de l'existence du dommage à cette date. En tout état de cause, elle ne démontre nullement en quoi le dommage - existant dès le 19 janvier 2000 - ne se serait finalement révélé que trois années plus tard en juin 2003.

Au regard de ces éléments, la cour retiendra que la société Sernam avait connaissance du dommage dès le 19 janvier 2000, de sorte que l'action exercée plus de 12 années plus tard est manifestement prescrite.

- dommage résultant de la charge des 'coûts de rapprochement'

La société Sernam reproche aux sociétés SNCF et Geodis de lui avoir fait supporter le 'coût du rapprochement' correspondant en fait à des coûts de 'communication' à hauteur de 800.000 euros, composés de factures de la société HCA (Herbemont Cesar Associés) et d'autres agences de communication. Toutes ces factures ont été émises au cours de l'année 2000 (dernière facture en date du 18 décembre 2000) ainsi qu'il ressort de l'annexe 19 du rapport de la société Eight Advisory.

La société Sernam avait dès lors connaissance de son budget 'communication' au plus tard le 18 décembre 2000. Les éléments du dossier font apparaître que ce budget n'avait pas pour objet de communiquer sur le rapprochement avec la société Geodis (qui n'était alors qu'à l'état de projet :premier protocole conclu en avril 2000, et soumis à des conditions suspensives dont l'échéance était fixée en juin 2001), mais simplement de communiquer sur la transformation, la modernisation et la réorganisation de la société Sernam. Force est ici de constater que cette modernisation et transformation, et notamment la fermeture de 39 agences, a bien été mise en oeuvre et qu'elle a perduré jusqu'à la liquidation judiciaire de la société Sernam 11 années plus tard en janvier 2012. La société Sernam s'est d'ailleurs félicitée de cette transformation dans un dossier de presse réalisé en 2007 ainsi qu'il sera vu plus avant.

Il apparaît ainsi que le budget communication était prévu et même facturé en amont des protocoles relatifs au rapprochement avec la société Geodis, de sorte qu'il n'était pas véritablement en lien avec ce dernier, mais plus avec la modernisation de la société Sernam. Le fait que le rapprochement avec la société Geodis ne soit finalement pas intervenu ne peut dès lors être considéré comme l'élément révélateur du prétendu dommage.

La société Sernam ne peut donc sérieusement soutenir que l'effet bénéfique de cette communication se serait soudainement transformé en juin 2003 - deux ans et demi après la réception de la dernière facture - en un effet dommageable du fait de l'échec du rapprochement avec la société Geodis.

Au regard de ces éléments, la cour retiendra que la société Sernam avait connaissance du dommage dès le 18 décembre 2000, de sorte que l'action exercée près de 12 années plus tard est manifestement prescrite.

- dommage résultant de la réorganisation complète de la société Sernam (décentralisation et fermeture d'agences)

La société Sernam reproche aux sociétés SNCF et Geodis d'avoir décidé, d'une part de sa décentralisation avec création de 9 filiales opérationnelles en juin 2001, d'autre part de la fermeture de 39 de ses agences, soutenant que ces opérations n'avaient aucun intérêt pour elle, ce qui résulterait notamment du fait qu'elle a été contrainte en 2007 de revenir à une organisation centralisée. La société Sernam fait valoir que sa restructuration a eu des effets très négatifs, notamment en ce qu'elle s'est retrouvée avec un réseau d'agences très lacunaire, l'obligeant à passer des accords avec la société Geodis pour la distribution de colis sur les zones non couvertes (20% du volume total de messagerie de Sernam). Elle affirme enfin que le dommage résultant de la décentralisation et de la fermeture d'agences ne s'est révélé qu'à compter du 4 juin 2003, date à laquelle les synergies escomptées du rapprochement avec la société Geodis (réseau d'agences complémentaire) se sont révélées irréalisables du fait de l'échec du rapprochement.

S'il est établi que la création des filiales opérationnelles et la fermeture des agences sont intervenues respectivement le 1° juin 2001 et en janvier 2001, formalisant ainsi la date de la connaissance du dommage, la cour retiendra toutefois que ces opérations devaient permettre la création de synergies entre les deux sociétés, leurs réseaux d'agence devenant complémentaires, ce qui n'a pu se réaliser du fait de l'échec du rapprochement, de sorte que la cour admettra sur ce point un report du point de départ du délai de prescription au 4 juin 2003.

La cour infirmera dès lors le jugement en ce qu'il a considéré que l'action de la société Sernam était prescrite en son ensemble. La cour constatera que l'action de la société Sernam est prescrite, à l'exception de la demande portant sur la réparation du dommage résultant de sa réorganisation, qu'il s'agisse de la création de filiales ou de la fermeture d'agences.

4 - sur la demande en réparation du dommage résultant de la réorganisation de la société Sernam, s'agissant de la création de filiales et de la fermeture d'agences

Ainsi qu'il a été vu, les reproches adressés par la société Sernam aux intimées tiennent d'une part à la décentralisation qui lui a été imposée, avec création de 9 filiales opérationnelles, d'autre part à la fermeture de 39 de ses agences, ce qui n'aurait eu aucun intérêt pour elle, et l'aurait obligée en 2007 à revenir à une organisation centralisée. La société Sernam fait valoir que sa restructuration a eu des effets très négatifs, notamment en ce qu'elle s'est retrouvée avec un réseau d'agences très 'lacunaire', l'obligeant à passer des accords avec la société Geodis pour la distribution de colis sur les zones non couvertes (20% du volume total de messagerie de Sernam).

Le fait que la société Sernam ait pris l'option, en 2007, de revenir à une organisation centralisée résulte d'un choix de gestion de la société repreneuse (société Financière Sernam) et n'est pas suffisant, à défaut d'autres éléments de contexte, pour démontrer que la décentralisation était un choix erroné.

Pour justifier du caractère prétendûment 'lacunaire' de son nouveau réseau, la société Sernam se fonde uniquement sur deux documents. Le premier document, daté du 27 septembre 2004, est interne à la SNCF et décrit les effets indirects du 'projet d'adossement avorté' de la manière suivante : 'une structure non optimale : Sernam a été restructuré pour optimiser une future intégration dans la société Calberson/Geodis. Les principaux effets négatifs qui perdurent aujourd'hui sont un réseau d'agences lacunaire et une structure de coûts non adaptée et trop élevée'. Le second document, daté du 25 janvier 2005, est interne à la société Sernam et précise que celle-ci apporte des affaires à Geodis pour 7 millions d'euros en sous-traitance, mais 'sans aucun apport dans l'autre sens'.

Si le nouveau réseau d'agences a pu avoir un effet négatif en ce que certaines zones géographiques n'étaient plus couvertes et qu'il convenait alors de s'adresser à des concurrents (dont la société Geodis), il convient également, afin d'établir un bilan global, d'en mesurer les effets bénéfiques, notamment en termes d'économies, ce qu'omet de faire la société Sernam.

Il résulte pourtant de la décision de la Commission Européenne du 20 octobre 2004, en son point 188, que : 'cette réorganisation des sites d'exploitation apparaît effectivement comme un élément clé pour réaliser le retour à la viabilité d'une entreprise du type de Sernam. Les raisons invoquées par les autorités françaises, telle que reprises plus haut, à l'égard de l'agencement de ses sites, de leur localisation géographique et de leur surnombre apportent une rationalisation essentielle pour rendre plus efficace et diminuer le coût des opérations futures.'

Dans un dossier de presse qu'elle a réalisé en 2007, soit 4 ans après l'échec du rapprochement avec la société Geodis, la société Sernam s'est en outre félicitée de son nouveau réseau en ces termes : 'après une transformation radicale, la société Sernam est aujourd'hui dotée de compétences humaines et d'une organisation technique au niveau des meilleurs standards du marché. Une optimisation de la gestion, une offre compétitive et innovante, un système informatique performant, un plan de transport rationalisé, une offre multimodale, un réseau intégré (...). Avec 55 agences sur l'ensemble du territoire, Sernam couvre tous les secteurs d'activité. C'est ainsi l'un des seuls prestataires express à pouvoir s'engager sur une livraison nationale le lendemain de l'enlèvement grâce à la puissance de son réseau et à la performance de sa couverture nationale.'

S'il est certain, comme le fait observer la société Sernam, que ce dossier de presse avait un but publicitaire et qu'il présentait la situation sous un jour plutôt avantageux, il n'en reste pas moins qu'il ne s'agit pas ici d'un simple prospectus publicitaire, mais d'un dossier de presse particulièrement complet et détaillé, notamment quant au réseau d'agences de la société Sernam qualifié de puissant et performant, ce qui conforte l'appréciation faite par la Commission Européenne, et n'est pas utilement contredit par les deux seuls éléments produits par la société Sernam qui ne permettent pas, pour leur part, de démontrer que le bilan global de la réorganisation, tant vanté dans le dossier de presse, ait été dommageable.

Faute pour la société Sernam d'établir le caractère dommageable des mesures de restructuration qu'elle invoque, il n'est justifié d'aucune faute imputable aux sociétés SNCF et Geodis, de sorte que sa demande d'indemnisation au titre de la réorganisation ne peut être accueillie et qu'elle sera déboutée de l'ensemble de ses demandes.

Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile :

Le jugement dont appel sera confirmé en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et aux dépens.

La société Sernam, qui succombe, sera condamnée aux dépens.

Il sera alloué, d'une part aux sociétés SNCF, d'autre part à la société Geodis, une somme de 5.000 euros au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire,

Confirme le jugement du tribunal de commerce de Nanterre du 13 mars 2018 en ce qu'il a dit que la société Financière Sernam justifiait de son intérêt à agir, et en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et aux dépens,

L'infirme pour le surplus,

Et statuant à nouveau,

Déclare irrecevable l'exception de nullité de l'assignation délivrée par la société Financière Sernam à la société Geodis,

Constate la prescription de l'action exercée par la société Financière Sernam, à l'exception de la demande portant sur la réparation du dommage résultant de sa réorganisation,

Déboute la société Financière Sernam de sa demande indemnitaire au titre du dommage résultant de sa réorganisation,

Rejette toutes autres demandes,

Condamne la société Financière Sernam, représentée par son liquidateur Me [N], aux dépens d'appel avec droit de recouvrement direct par application de l'article 699 du code de procédure civile.

Condamne la société Financière Sernam, représentée par son liquidateur Me [N], à payer aux sociétés Sncf Mobilités et Sncf Participations la somme de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne la société Financière Sernam, représentée par son liquidateur Me [N], à payer à la société Geodis la somme de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

signé par Madame Thérèse ANDRIEU, Président et par Monsieur GAVACHE, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier, Le président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 12e chambre
Numéro d'arrêt : 18/02233
Date de la décision : 12/12/2019

Références :

Cour d'appel de Versailles 12, arrêt n°18/02233 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2019-12-12;18.02233 ?
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