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21/11/2019 | FRANCE | N°17/03682

France | France, Cour d'appel de Versailles, 6e chambre, 21 novembre 2019, 17/03682


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 80A



6e chambre







ARRÊT N° 469



CONTRADICTOIRE



DU 21 NOVEMBRE 2019



N° RG 17/03682



N° Portalis : DBV3-V-B7B-RWSD







AFFAIRE :



SAS COMPASS GROUP FRANCE



C/



[J] [Y]









Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 06 Juillet 2017 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BOULOGNE- BILLANCOUR

T

N° Section : Encadrement

N° RG : 15/01634







Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées le 22 Novembre 2019 à :

- Me Matthieu RICHARD DE SOULTRAIT

- Me Emilie VIDECOQ

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





LE VINGT ET UN NOV...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80A

6e chambre

ARRÊT N° 469

CONTRADICTOIRE

DU 21 NOVEMBRE 2019

N° RG 17/03682

N° Portalis : DBV3-V-B7B-RWSD

AFFAIRE :

SAS COMPASS GROUP FRANCE

C/

[J] [Y]

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 06 Juillet 2017 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BOULOGNE- BILLANCOURT

N° Section : Encadrement

N° RG : 15/01634

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées le 22 Novembre 2019 à :

- Me Matthieu RICHARD DE SOULTRAIT

- Me Emilie VIDECOQ

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE VINGT ET UN NOVEMBRE DEUX MILLE DIX NEUF,

La cour d'appel de Versailles, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

La SAS COMPASS GROUP FRANCE

N° SIRET : 632 041 042

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Représentée par Me Matthieu RICHARD DE SOULTRAIT de l'AARPI SPARK Avocats, constitué/plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : R244

APPELANTE

****************

Madame [J] [Y]

née le [Date naissance 2] 1969 à [Localité 4]

de nationalité Française

[Adresse 3]

[Adresse 3]

Représentée par Me Emilie VIDECOQ de la SELARL BERNARD - VIDECOQ, constituée/plaidant, avocate au barreau de PARIS, vestiaire : C2002

INTIMÉE

****************

Composition de la cour :

L'affaire a été débattue à l'audience publique du 22 Octobre 2019, Madame Nathalie GAUTRON-AUDIC, conseiller, ayant été entendue en son rapport, devant la cour composée de :

Madame Isabelle VENDRYES, Président,

Madame Nathalie GAUTRON-AUDIC, Conseiller,

Monsieur Hubert DE BECDELIEVRE, Magistrat

honoraire,

qui en ont délibéré,

Greffier, lors des débats : Monsieur Nicolas CAMBOLAS

FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

La société Compass Group France est une entreprise de restauration collective, filiale du groupe britannique Compass Group, leader mondial de la restauration sous contrat. Elle emploie environ quinze mille salariés et relève de la convention collective nationale de la restauration collective.

Mme [J] [Y], née le [Date naissance 2] 1969, a été engagée par la société Eurest France par contrat à durée indéterminée du 7 mars 1996, prenant effet au 11 mars 1996, en qualité d'assistante ressources humaines, statut agent de maîtrise.

La société Eurest France ayant été rachetée par la société Compass Group France, le contrat de Mme [Y] a été transféré.

Le 1er octobre 1998, Mme [Y] s'est vu attribuer le statut de cadre.

Le 1er avril 1999, elle a été promue responsable des relations du travail. Elle a ensuite intégré la fonction de directeur des ressources humaines régional au sein de la direction régionale [Localité 4] sud à compter du 1er février 2002.

En dernier lieu, Mme [Y] occupait la fonction de directeur des ressources humaines entreprises et administration au sein de la direction opérationnelle Ile-de-France, statut cadre autonome, niveau IX, support 9. Son salaire mensuel moyen sur les douze derniers mois était de 7 376 euros brut.

Par courrier du 4 août 2015, la salariée a été convoquée à un entretien préalable fixé au 15 septembre 2015. Puis, par un second courrier du 31 août 2015, elle a été informée que l'entretien préalable était avancé au 10 septembre 2015 et qu'elle serait en dispense d'activité jusqu'à cette date.

Mme [Y] s'est vu notifier son licenciement pour faute grave par lettre recommandée avec accusé de réception du 15 septembre 2015, énonçant les motifs suivants :

"Madame,

A la suite de notre entretien préalable du 10 septembre 2015, nous vous informons que nous avons décidé de vous licencier pour les motifs suivants :

- Harcèlement moral à l'encontre d'une collaboratrice Assistante Ressources Humaines qui a souhaité démissionner de l'entreprise, puis en dernier ressort qui a quitté votre service au début de l'année 2015,

- Abus d'autorité à l'encontre d'un Responsable Ressources Humaines qui, en raison de vos méthodes de management, a mis fin à sa période d'essai en avril 2015,

- Conflits récurrents et difficultés relationnelles entretenues avec d'autres services de l'entreprise (Cellule recrutement, service paie, gestion de carrière, etc) excédant les « frictions » traditionnelles occasionnées par les rapports de travail,

- Imputations irrégulières de coûts (factures repas IRP) sur un centre de charges central malgré les refus répétés de votre hiérarchie ; Absence de réponse, refus d'exécuter les consignes relatives à la ventilation de ces coûts,

- Absence de réponses, refus d'exécuter les consignes et réticence déloyale notamment dans les domaines suivants : saisie des CDD de Roland-Garros, demande de support lors d'une importante session de recrutement sur Disney, choix d'une affectation pour un délégué syndical central dont l'établissement était transféré à la concurrence fin juin 2015,

- Critiques, dénigrement de la DRH Groupe en présence de collaborateurs en situation de N-1, en 2015,

- Attitude déloyale en conseillant une salariée (contrôle de gestion MF) de contester une décision prise par votre hiérarchie relative à ses congés payés en juillet 2015,

- Non-respect des procédures Groupe en matière de revalorisation salariale des cadres en 2015,

- Comportement inadapté avec certains partenaires sociaux ayant entraîné votre exclusion des réunions CHSCT Ile-de-France au sein desquelles vous êtes « persona non grata »,

- Accueil et intégration particulièrement méprisants de deux jeunes recrues au sein de la direction des ressources humaines en 2014.

Ces faits ont fait l'objet d'une enquête interne approfondie.

Certains d' entre eux et notamment les plus graves (harcèlement moral, abus d'autorité, etc) nous ont été définitivement révélés durant l'été 2015.

Les explications que vous nous avez fournies lors de notre entretien du 10 septembre 2015 ne nous ont pas permis de modifier notre jugement à votre égard.

Nous estimons que ces attitudes et comportements réitérés sont particulièrement incompatibles avec l'exercice de votre fonction de Directrice des Ressources Humaines et avec la poursuite de notre relation contractuelle.

Ils ont provoqué d'importantes perturbations dans l'entreprise, nuit à son image et à son intérêt.

Ils constituent une faute grave.

Compte tenu de la gravité des faits que nous vous reprochons, votre maintien dans l'entreprise s'avère impossible y compris pendant la durée de votre préavis.

La rupture prend effet immédiatement.

Votre solde de tout compte sera arrêté au jour d'envoi de la présente, sans indemnité de préavis ni de licenciement.

Vous recevrez votre solde de tout compte et votre certificat de travail au moment de votre départ, selon les délais d'usage.

Enfin, nous levons par la présente votre clause de non concurrence et vous libérons de votre obligation à notre égard."

Par requête en date du 25 septembre 2015, Mme [Y] a saisi le conseil de prud'hommes de Boulogne-Billancourt d'une contestation de son licenciement et de demandes indemnitaires.

Par jugement du 6 juillet 2017, le conseil de prud'hommes de Boulogne-Billancourt a :

- dit que la faute grave ne peut être retenue à l'encontre de Mme [Y] et que son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse,

- condamné, en conséquence, la société Compass Group France à payer à Mme [Y] les sommes suivantes :

' 42 781 euros à titre d'indemnité de licenciement,

' 22 128 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

' 2 212,80 euros à titre d'indemnité compensatrice de congés payés sur préavis,

' 95 000 euros de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

' 5 000 euros de dommages et intérêts pour circonstances brutales et vexatoires,

' 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- ordonné la remise à Mme [Y] de bulletins de paie, d'une attestation Pôle emploi et d'un certificat de travail conformes,

- fixé le délai à partir duquel court les intérêts au taux légal et capitalisation à compter d'un mois après la notification du présent jugement,

- fixé le salaire moyen mensuel de Mme [Y] à 7 376 euros brut,

- ordonné le remboursement par la société Compass Group France, succombant dans la présente instance, aux organismes intéressés, en application des dispositions de l'article L. 1235-4 du code du travail, des indemnités de chômage versées au salarié licencié du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite d'un mois d'indemnités de chômage,

- rappelé que l'article R. 1454-28 du code du travail réserve l'exécution provisoire au paiement des sommes dues au titre des rémunérations et indemnités mentionnées à l'article R. 1454-14 du même code,

- dit qu'il n'y a pas lieu d'ordonner l'exécution provisoire du surplus,

- débouté Mme [Y] du surplus de ses demandes,

- mis les éventuels dépens à la charge de la société Compass Group France,

- reçu la société Compass Group France en sa demande reconventionnelle au titre de l'article 700 du code de procédure civile, et l'en a déboutée.

La société Compass Group France a interjeté appel de cette ordonnance le 18 juillet 2017.

Par conclusions adressées par voie électronique le 7 novembre 2018, elle demande à la cour de :

- infirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Boulogne-Billancourt du 6 juillet 2017,

Statuer à nouveau et,

A titre principal,

- dire que le licenciement de Mme [Y] pour faute grave est parfaitement fondé,

- débouter Mme [Y] de l'intégralité de ses demandes, fins et prétentions,

- fixer le salaire moyen à la somme de 6 347,56 euros bruts,

- ordonner la restitution de la somme versée à titre d'exécution provisoire,

A titre subsidiaire,

- dire et juger que le licenciement de Mme [Y] repose sur une cause réelle et sérieuse,

En tout état de cause,

- condamner Mme [Y] à verser à la société Compass Group France la somme de 3 000 euros à titre d'article 700 du code de procédure civile.

Par conclusions adressées par voie électronique le 29 janvier 2019, Mme [Y] demande à la cour de :

- confirmer le jugement en ce qu'il a fixé le salaire moyen mensuel de Mme [Y] à la somme de 7 376 euros,

- confirmer le jugement en ce qu'il a jugé le licenciement de Mme [Y] sans cause réelle et sérieuse,

- confirmer le jugement en ce qu'il a en conséquence condamné la société au paiement des sommes suivantes :

- indemnité conventionnelle de licenciement : 42 781 euros,

- indemnité compensatrice de préavis : 3 x 7 376 = 22 128 euros,

- congés payés sur préavis : 2 212,80 euros,

- l'infirmer en ce qu'il a limité le quantum de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse (article L. 1235-3 du code du travail) à la somme de 95 000 euros et le porter à la somme de 180 000 euros,

- confirmer le jugement en ce qu'il a jugé les circonstances du licenciement brutales et vexatoires,

- l'infirmer en ce qu'il a limité le quantum des dommages et intérêts à ce titre à la somme de 5 000 euros et le porter à la somme de 90 000 euros,

- confirmer le jugement en ce qu'il a ordonné à la société de remettre à Mme [Y] une attestation Pôle emploi, des bulletins de paie pour le préavis et un certificat de travail conformes,

- condamner la société au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure en première instance et en appel à payer à Mme [Y] la somme de 9 600 euros,

- dire que les condamnations porteront intérêts au taux légal avec capitalisation des intérêts en application de l'article 1154 du code civil.

Par ordonnance rendue le 31 janvier 2019, le magistrat chargé de la mise en état a ordonné la clôture de l'instruction. L'affaire a été plaidée à l'audience du 22 octobre 2019.

Il est renvoyé aux écritures des parties pour un exposé plus ample de leurs prétentions et moyens conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur le bien-fondé du licenciement

Mme [Y] estime surréaliste qu'elle ait brutalement fait l'objet d'un licenciement pour faute grave, compte tenu de son ancienneté de 19 ans au sein de la société, de l'absence de tout reproche préalable, de son comportement exemplaire au sein de la société et des nombreux témoignages de félicitation de son employeur. Elle prétend que M. [P], le directeur des affaires sociales auquel elle a été hiérarchiquement rattachée à partir de mars 2015, a voulu réorganiser le service et se débarrasser d'elle.

S'agissant du grief de harcèlement moral, elle soutient que l'attestation de Mme [T] est un faux rédigé pour les besoins de la cause ; que la société n'est pas crédible lorsqu'elle prétend avoir découvert les prétendus agissements de Mme [Y] en août 2015 ; que les faits visés par Mme [T] sont nécessairement prescrits ; qu'au demeurant les allégations de Mme [T] sont inexactes ; que Mme [Y] avait sous sa responsabilité une équipe de six personnes (quatre RRH et deux ARH) et qu'aucune d'elle n'atteste d'un harcèlement à l'encontre de Mme [T] ; qu'elle n'a jamais adressé à celle-ci que des remarques d'ordre professionnel.

S'agissant des faits d'abus d'autorité, qu'elle conteste également, la salariée soutient que l'attestation dont se prévaut l'employeur au soutien de ce grief n'a pas été librement et spontanément établie par M. [G], puisqu'il lui a été proposé en échange de cette attestation de lui établir une lettre de références pour ses recherches d'emploi.

S'agissant des conflits récurrents et des difficultés relationnelles avec d'autres services de l'entreprise, elle affirme qu'aucun manquement ne saurait lui être imputé, concernant notamment le processus des revalorisations salariales visé par l'employeur, et dit n'avoir fait qu'appliquer les règles en vigueur dans l'entreprise. Elle considère que la lettre de M. [R], ancien salarié et représentant syndical au sein de la société Compass Group France, porte atteinte à sa réputation professionnelle.

S'agissant des imputations irrégulières de coûts, elle précise que l'écriture comptable qui lui est reprochée n'a eu aucun impact pour l'entreprise et que la consigne qu'elle n'aurait prétendument pas respectée valait en réalité pour l'exercice suivant.

Elle conteste le grief d'absence de réponse, de refus d'exécuter les consignes et de réticence déloyale, soutenant que l'employeur n'en apporte pas la preuve.

S'agissant des critiques et du dénigrement de la DRH Groupe, elle considère que l'attestation de Mme [U] dont se prévaut l'employeur au soutien de ce grief est non seulement imprécise et inexacte mais aussi dépourvue de valeur probante, n'étant en outre corroborée par aucun autre témoignage.

Mme [Y] réfute toute attitude déloyale de sa part, indiquant que la salariée à laquelle elle aurait soi-disant conseillé de contester une décision de la direction est allée d'elle-même voir la hiérarchie pour obtenir des explications.

S'agissant du comportement inadapté avec certains partenaires sociaux, elle soutient que cette allégation n'est justifiée par aucun fait précis ni matériellement vérifiable et que bien au contraire, elle avait toute la confiance du président, qui l'a à de nombreuses reprises laissée animer seule des réunions de CHSCT.

S'agissant enfin du grief d'accueil et d'intégration méprisants de jeunes recrues, elle conteste le contenu des deux attestations produites et relève que dans le cadre du parcours d'intégration, l'employeur aurait nécessairement eu connaissance des difficultés rencontrées par les deux salariées si elle avait eu le comportement qui lui est reproché. Elle observe que Mme [L], jeune diplômée moins rémunérée, a été aussitôt promue à son poste après son licenciement, ce qui a permis à l'entreprise de faire des économies dans un contexte de réduction des frais de personnels.

La société Compass Group France réplique que la salariée avait mis en place au sein de l'entreprise un "harcèlement moral d'ambiance" ; que le conseil de prud'hommes a fait une mauvaise appréciation de la situation en écartant les nombreuses attestations produites par l'employeur au motif qu'elles étaient sujettes à caution pour avoir été établies par des salariés de la société alors que ces pièces, qui ne pouvaient émaner que de salariés ou anciens salariés, démontrent pourtant bien que le comportement de Mme [Y] n'était plus supportable au sein de l'entreprise et justifiait pleinement son licenciement.

En application de l'article L. 1232-1 du code du travail, tout licenciement pour motif personnel doit être justifié par une cause réelle et sérieuse. La faute grave s'entend d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constituent une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail, d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise même pendant la durée du préavis.

L'employeur qui invoque la faute grave pour licencier doit en rapporter la preuve.

Le juge apprécie le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur en formant sa conviction au vu des éléments fournis par les parties.

En l'espèce, la cour relève que les éléments du dossier permettent d'établir le comportement inadapté adopté par Mme [Y] à l'égard de ses collègues et des personnes placées sous son autorité, alors que ses fonctions de directeur des ressources humaines supposaient au contraire qu'elle participe au bon climat social dans l'entreprise.

Plusieurs salariés témoignent en effet, en des termes circonstanciés et concordants, du comportement habituel et intolérable de Mme [Y] à l'égard de nombreux collaborateurs de l'entreprise.

Mme [T] atteste que son quotidien au poste d'assistante ressources humaines était devenu insupportable, qu'elle commençait à douter de ses compétences, que Mme [Y] la dévalorisait, lui disant qu'elle n'était "bonne qu'à faire des photocopies ou des scanners", qu'elle "se faisait plaisir" en lui donnant du travail pour ensuite, une fois la tâche exécutée, lui dire qu'elle n'en avait plus besoin. Elle relate un événement du mois de décembre 2014 au cours duquel la secrétaire du CHSCT, réagissant aux paroles de Mme [Y] à l'attention de Mme [T], s'est levée de son siège en disant "Mme [Y], vous parlez aux gens comme à des chiens. Vous n'avez aucun respect. C'est inadmissible." A tout cela, Mme [Y] se contente de rétorquer que ses remarques étaient strictement d'ordre professionnel.

Or, les déclarations de Mme [T] sont corroborées par les éléments de son dossier de médecine du travail. Lors de la visite médicale du 6 janvier 2015, dont il convient d'ailleurs de noter qu'elle a eu lieu avant le rattachement en mars 2015 de Mme [Y] à M. [P], à l'origine selon elle de son licenciement, il a ainsi été mentionné : "Soucis avec responsable : DRH. On me parle mal. On surveille ce que je fais. On me dévalorise. A été sacquée lors de l'entretien annuel. (...) A fait demande de mobilité pour le service achat". La production de l'avenant à son contrat de travail justifie au surplus du changement effectif de poste de Mme [T] au mois de février 2015.

M. [G], recruté le 9 mars 2015 en qualité de responsable ressources humaines et placé sous l'autorité de Mme [Y], déclare avoir mis un terme à sa période d'essai le 10 avril 2015 car il lui était "impossible d'envisager de poursuivre [son] travail au quotidien avec [J] [Y]". Il explique que sa supérieure hiérarchique lui interdisait de prendre des décisions mais lui reprochait dans le même temps de ne pas être capable d'en prendre ; qu'elle exerçait sur lui une surveillance constante et excessive ; que le jour de son départ de l'entreprise, elle a tenu à contrôler le contenu de son ordinateur portable, l'accusant de vouloir détruire des documents et de les lui cacher.

M. [R], ancien salarié et représentant syndical de la société Compass Group France, témoigne de "la personne pour le moins toxique qu'était Mme [Y]" à l'égard de ses subordonnés et de ses collègues des ressources humaines, de ses comportements inadaptés vis-à-vis des organisations syndicales et des salariés qu'elle recevait en entretien. Il indique qu'elle prenait "un malin plaisir à sanctionner, licencier, blesser...".

Mme [F], recrutée par la société Compass Group France en septembre 2014, a été amenée à rencontrer Mme [Y] dans le cadre de son parcours d'intégration. Elle déclare que son "accueil a été glacial", qu'après qu'elle ait exposé son parcours professionnel et les missions qui lui étaient dévolues, Mme [Y] lui a indiqué qu'elle n'apporterait "aucune plus-value à son équipe dont chacun des membres était diplômé bac +5" et lui a demandé "à quoi [elle allait] servir". Mme [F] considère que "Mme [Y] a eu un comportement vexatoire, humiliant et très déstabilisant à [son] égard", que "le mépris dont elle a fait preuve à [son] encontre [l'a] consternée" alors qu'il s'agissait d'une première rencontre et qu'elle s'attendait à un échange professionnel.

Mme [L], jeune diplômée recrutée en juillet 2014, témoigne également du "caractère vexatoire de ses réactions et de son accueil". Lui laissant à peine le temps de se présenter, Mme [Y] lui a dit "je ne vois pas à quoi vous allez servir", "ça, on le fait déjà, ça ne sert à rien que vous le fassiez", "je ne comprends pas ce que vous faites là", l'interrompant sans cesse dès qu'elle abordait un nouveau thème par des remarques du type "hum, si vous voulez, mais enfin ça ne va pas nous aider", "vous pensez que vous allez nous servir avec ça '". Mme [L] indique que le comportement de Mme [Y] a par la suite toujours été "à la limite de l'impolitesse et de l'irrespect".

Ces constatations suffisent à caractériser la faute grave et à justifier le licenciement de la salariée pour ce motif. L'employeur n'avait en effet d'autre choix que de se séparer au plus vite de Mme [Y], dont le comportement était incompatible avec la poursuite de ses fonctions de directeur des ressources humaines, afin de mettre immédiatement un terme à ses agissements et de protéger les salariés de l'entreprise.

Le jugement entrepris sera infirmé et Mme [Y] sera déboutée de ses demandes indemnitaires au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse.

La demande de remboursement des sommes versées par l'employeur au titre de l'exécution du jugement est sans objet, dès lors que l'infirmation de cette décision vaut titre exécutoire pour la restitution des sommes versées.

Sur les circonstances brutales et vexatoires de la rupture

Mme [Y] fait valoir au soutien de sa demande de dommages-intérêts à ce titre que les circonstances de son licenciement ont été très attentatoires puisque son employeur lui a d'abord demandé de réfléchir pendant ses congés à une rupture amiable, que revenant sans explication sur sa proposition initiale, il a brutalement engagé une procédure de licenciement dès le lendemain de son départ en congés, en l'en informant par un laconique sms reçu sur son lieu de congés, qu'elle a dû passer ses congés dans l'attente anxiogène de la perspective d'un entretien préalable de licenciement à son retour et sans savoir ce qui lui était reproché, qu'à son retour de congés elle a été immédiatement évincée de ses responsabilités et privée de ses outils de travail, étant mise en dispense d'activité sans raison objective, qu'elle s'est vue reprocher des faits sans qu'aucune enquête contradictoire n'ait été diligentée, qu'elle a laissé derrière elle une réputation ternie en complet décalage avec ses excellents états de service au sein de la société.

La société Compass Group France réplique que bien au contraire, elle a été particulièrement diligente avec la salariée en la rencontrant fin juillet afin de lui faire part des difficultés rencontrées, en l'avisant pas sms de sa convocation à l'entretien préalable.

La cour retient qu'au regard du comportement de l'intéressée, des risques pour la santé des salariés de l'entreprise et de l'obligation de sécurité pesant sur l'employeur, les circonstances de la rupture n'apparaissent ni brutales, ni vexatoires. En outre, l'employeur avait la possibilité de prononcer une mise à pied conservatoire, privative de rémunération, mais il a décidé de se limiter à une dispense d'activité et de maintenir intégralement à Mme [Y] sa rémunération jusqu'à la décision de licenciement.

Le jugement qui a fait droit à la demande de dommages-intérêts de la salariée à ce titre sera infirmé.

Sur les dépens de l'instance et les frais irrépétibles

Mme [Y] supportera les dépens en application des dispositions de l'article'696 du code de procédure civile.

Aucune considération tirée de l'équité ou de la situation économique des parties ne vient justifier l'allocation d'une indemnité au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

PAR CES MOTIFS,

La Cour, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort :

INFIRME le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;

Statuant à nouveau et y ajoutant,

DIT bien fondé le licenciement pour faute grave de Mme [J] [Y] ;

DÉBOUTE Mme [J] [Y] de toutes ses demandes indemnitaires ;

DIT n'y avoir lieu de faire application de l'article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE Mme [J] [Y] aux dépens ;

Arrêt prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, et signé par Madame Isabelle VENDRYES, Président, et par Monsieur Nicolas CAMBOLAS, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le GREFFIER,Le PRÉSIDENT,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 6e chambre
Numéro d'arrêt : 17/03682
Date de la décision : 21/11/2019

Références :

Cour d'appel de Versailles 06, arrêt n°17/03682 : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2019-11-21;17.03682 ?
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