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20/11/2019 | FRANCE | N°16/03855

France | France, Cour d'appel de Versailles, 19e chambre, 20 novembre 2019, 16/03855


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES









Code nac : 80A



19e chambre



ARRET N°



CONTRADICTOIRE



DU 20 NOVEMBRE 2019



N° RG 16/03855 - N° Portalis DBV3-V-B7A-Q4LR



AFFAIRE :



[X] [V]





C/



SA KPMG S.A









Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 13 Juillet 2016 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de NANTERRE

Section : Encadrement

N° RG : 11/008

59







Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :



Me Emmanuelle BOUSSARD-VERRECCHIA



AARPI KATZ MENARD BERRIER AVOCATS



le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



LE VINGT NOVEMBRE DEUX MILLE DIX NEUF,

La cour d'a...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80A

19e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 20 NOVEMBRE 2019

N° RG 16/03855 - N° Portalis DBV3-V-B7A-Q4LR

AFFAIRE :

[X] [V]

C/

SA KPMG S.A

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 13 Juillet 2016 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de NANTERRE

Section : Encadrement

N° RG : 11/00859

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

Me Emmanuelle BOUSSARD-VERRECCHIA

AARPI KATZ MENARD BERRIER AVOCATS

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE VINGT NOVEMBRE DEUX MILLE DIX NEUF,

La cour d'appel de Versailles, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

Madame [X] [V]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Assistée de Me Emmanuelle BOUSSARD-VERRECCHIA, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : E1355 substitué par Me Sophie KERIHUEL, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : E1355

APPELANTE

****************

SA KPMG S.A

[Adresse 2]

[Adresse 2]

[Adresse 2]

Comparante en la personne de M. [A] [I] (directeur des affaires juridiques et sociales RH) en vertu d'un pouvoir de [H] [S] (directeur général - membre du directoire) assistée de Me Nicolas MENARD de l'AARPI KATZ MENARD BERRIER AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : D1423

INTIMÉE

****************

Composition de la cour :

L'affaire a été débattue le 27 Septembre 2019, en audience publique, devant la cour composée de :

Monsieur Luc LEBLANC, Président,

Monsieur Stéphane BOUCHARD, Conseiller,

Madame Marie-Laure BOUBAS, Conseiller,

qui en ont délibéré,

Greffier, lors des débats : Madame Christine LECLERC

FAITS ET PROCÉDURE :

Madame [X] [V] a été engagée le 18 février 2008 en qualité d'Auditeur en expertise comptable et commissariat aux comptes Senior 1 par la société KPMG S.A , à l'âge de 33 ans.

Son embauche est intervenue au poste de statut Cadre, Coefficient 330, Niveau 3 de la Convention collective des experts -comptables applicable, pour une rémunération mensuelle brute de 2.800 € à l'embauche, avec convention de forfait annuel en jours à hauteur de 218 jours ouvrés travaillés.

La société KPMG S.A , société d'expertise comptable et de commissariat aux comptes, se présente comme leader de l'audit, du conseil et de l'expertise comptable, membre de KPMG International, réseau de cabinets indépendants exerçant dans 155 pays avec 174.000 salariés et réalisant un chiffre d'affaires consolidé de 24 milliards de dollars US. Elle indique que KPMG en France compte plus de 70.000 clients.

La rémunération de Madame [V] était composée :

- d'une partie fixe,

- et à compter du 1er octobre 2008, d'une partie variable versée en décembre.

La rémunération brute de base mensuelle de Madame [V] s'élevait à 3.713 €.

A l'issue de son congé maternité, en septembre 2010, Madame [V] indique qu'elle s'attendait à être affectée au service Externalisation comme cela avait été convenu avec sa précédente supérieure hiérarchique, partie en retraite depuis, et que tel n'a pas été le cas.

Madame [V] indique qu'au cours de deux entretiens des 12 et 26 octobre 2010, soit quelques jours avant sa reprise, l'employeur lui a fait part de son souhait de rompre le contrat de travail avec une issue transactionnelle, et s'est montré dans l'incapacité de lui dire quel poste elle devait occuper lors de son retour, lui indiquant qu'elle ne pouvait rejoindre le service Externalisation, du fait d'un client potentiel non concrétisé.

Madame [V] a écrit un courrier à son employeur le 29 octobre 2010 par courrier adressé par email et par lettre RAR, en ces termes:

« Je fais suite à nos deux entretiens au cours desquels vous avez envisagé une sortie transactionnelle, pour répondre à mes légitimes objections sur mon statut dans l'entreprise à mon retour de congé maternité.

Vous deviez revenir vers moi pour me faire connaître votre dernière offre.

Sans écho de votre part, je me vois contrainte par lettre recommandée (avec avis de réception) de vous enjoindre à respecter les engagements pris à mon égard depuis septembre 2009.

En effet à cette date il avait été convenu que j'intègre l'équipe externalisation progressivement la première année puis à temps plein à compter du 1er septembre 2010. Cette intégration s'est opérée normalement au cours du 4ème trimestre 2009.

Mes ennuis de santé et ma grossesse m'ont écartée de mon emploi et je constate que, pour ma reprise, vous êtes en peine à m'indiquer le poste que je dois occuper et la nature des tâches qui vont m'être confiées, excluant de manière ferme toute intégration définitive à l'équipe Externalisation, intégration pourtant promise et annoncée avant ma grossesse. Je tiens à vous rappeler que pendant mon congé maternité, j'ai été contactée par Madame [Z] [D] pour me rendre disponible, le cas échéant, pour un déjeuner avec un client potentiel. A cette occasion, il avait même été envisagé que je renonce à mon congé parental pour prendre en charge immédiatement ce nouveau client.

Cette situation, vous le comprendrez aisément, n'est pas facile à vivre, et je n'ose vous rappeler les garanties que le législateur a accordé à la maternité.

En tout état de cause, il m'est particulièrement difficile de vivre une reprise d'activité alors même que mon arrivée n'est pas souhaitée.

J'attends de votre part une position loyale, qui respecte mes intérêts et les engagements pris.

Je reste attachée à mes fonctions et à l'entreprise, et ai pris toutes les dispositions pour assurer mes fonctions au sein du service Externalisation comme initialement promis et prévu.

Lors de notre dernier entretien, vous m'avez indiqué que Melle [B] [L] n'était pas remplacée pendant son congé maternité, je vous propose de prendre en charge ses dossiers jusqu'à son retour. »

Elle indique que ce courrier est resté sans réponse.

Madame [V] s'est présentée le 2 novembre 2010 pour sa reprise.

Le 3 novembre 2010, elle a été déclarée apte à la reprise par la Médecine du travail.

Elle fait valoir avoir constaté plusieurs dysfonctionnements et avoir connu un « traitement » différent de celui de ses autres collègues (problème de messagerie, pas de réseau informatique, pas de tâches à traiter, poste promis occupé par un homme...).

Elle a alors écrit à deux reprises à son employeur les 3 et 4 novembre 2010 pour lui signaler ces difficultés et de la dégradation de son état de santé qui en découlait.

Le 4 novembre 2010, elle a fait un malaise sur son lieu de travail (crise de sanglots), lequel n'a pas été reconnu en maladie professionnelle.

Elle a par la suite fait l'objet d'un arrêt de travail pour syndrome anxio-dépressif.

Lors de la reprise du 18 janvier 2012, le médecin du travail a conclu à l'inaptitude à tous postes de l'entreprise, en procédure d'urgence en une seule visite en raison du danger grave et imminent d'un maintien au poste.

Madame [V] a estimé avoir fait l'objet à compter de son congé maternité et de son congé parental, d'une discrimination illicite.

Elle a donc saisi le Conseil de prud'hommes le 30 mars 2011 aux fins de voir prononcer la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de son employeur.

Parallèlement, elle a saisi l'Inspection du travail, occasionnant plusieurs échanges et transmission d'éléments avec la Société KPMG S.A en juillet 2012 et juillet 2013.

Madame [V] a été licenciée pour inaptitude et impossibilité de reclassement par courrier du 8 mars 2012.

Par la suite, la Société KPMG S.A a été alertée par l'Inspection du travail qu'un procès-verbal avait été transmis au Parquet aux fins d'enquête sur des infractions présumées à la législation prohibant les agissements discriminatoires à l'égard de Madame [V].

La plainte de Madame [V] a été traitée par le Parquet de Nanterre ainsi que par le Défenseur des Droits qui ont procédé à l'audition de l'ensemble des protagonistes intervenus dans la gestion du retour de congé maternité de Madame [V].

Le 02 novembre 2015, cette plainte a été classée sans suite.

Par jugement du 13 juillet 2016, auquel il convient de se reporter pour l'exposé des faits, moyens et prétentions des parties, le Conseil de prud'hommes l'a déboutée de ses demandes.

Madame [V] a interjeté appel de cette décision le 1er août 2016.

Au terme de ses dernières conclusions, soutenues à l'audience du 27 septembre 2019, auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé des moyens, Madame [V] demande à la cour de :

-Dire et juger que Madame [V] a fait l'objet d'un traitement discriminatoire en raison de son sexe, de sa maternité et de sa situation de famille et d'un harcèlement discriminatoire,

- Dire et juger qu'il a été porté atteinte à la liberté fondamentale de Madame [V] d'ester en justice issue de l'article 6-1 de la Convention,

En conséquence :

- Dire et juger que le licenciement de Madame [V] est nul,

-Ordonner la réintégration de Madame [V] dans les effectifs de la société KPMG S.A à la date du 8 mars 2012,

-Condamner la société KPMG S.A à verser à Madame [V] les salaires échus depuis le 8 mars 2012 jusqu'à sa réintégration, sur la base de 3.713 € brut/mois, majorée des augmentations moyennes intervenues pendant cette période dans sa catégorie professionnelle,

- Condamner la société KPMG S.A à verser à Madame [V] la somme de 80.000 € en réparation du préjudice moral lié à la discrimination subie,

- Condamner la société KPMG S.A à verser à Madame [V] la somme de 80.000 € en réparation du préjudice lié au harcèlement discriminatoire subi,

- Condamner la société KPMG S.A à la somme de 10.000 € à titre de dommages et intérêts pour violation de l'accord pour l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes,

- Ordonner la capitalisation des intérêts conformément à l'article 1343-2 du code civil,

- Condamner la société KPMG S.A à verser à Madame [V] la somme de 5.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- Condamner la société KPMG S.A aux entiers dépens, y compris les frais d'exécution éventuels.

Au terme de ses dernières conclusions, auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé des moyens, la société KPMG S.A a demandé à la cour de :

-Dire et juger que Madame [V] n'a pas fait l'objet d'un traitement discriminatoire en raison de son sexe, de sa maternité et de sa situation de famille, ni d'un harcèlement discriminatoire ;

- Dire et juger qu'il n'a pas été porté atteinte à la liberté fondamentale de Madame [V] d'ester en justice issue de l'article 6-1 de la Convention ;

- Dire et juger que Madame [V] n'a été victime d'aucune discrimination de quelque nature que ce soit ou fait de harcèlement moral ;

En conséquence :

- Dire et juger que le licenciement pour inaptitude non professionnelle en date du 08 mars 2012 de Madame [V] n'est pas nul ;

- Dire et juger que la réintégration de Madame [V] dans les effectifs de la Société KPMG S.A à la date du 08 mars 2012 est infondée et, en tout état de cause, impossible ;

- Dire et juger que le licenciement pour inaptitude non professionnelle en date du 08 mars 2012 de Madame [V] est justifié par une cause réelle et sérieuse ;

- Débouter Madame [V] de sa demande de paiement des salaires échus depuis le 08 mars 2012 jusqu'à sa réintégration, sur la base de 3.713,00 euros brut/mois, majorée des augmentations moyennes intervenues pendant cette période dans sa catégorie professionnelle ;

- Débouter Madame [V] de sa demande de paiement de la somme de 80.000,00 euros en réparation du préjudice moral lié à la discrimination subie ;

- Débouter Madame [V] de sa demande de paiement de la somme de 80.000,00 euros en réparation du préjudice lié au harcèlement discriminatoire subi ;

- Débouter Madame [V] de sa demande de paiement de la somme de 10.000,00 euros à titre de dommages et intérêts pour violation de l'accord pour l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes ;

- Débouter Madame [V] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions, les déclarant mal fondées ;

-Confirmer le Jugement rendu en date du 13 juin 2016 par le Conseil de prud'hommes de Nanterre dans toutes ses dispositions ;

A titre reconventionnel,

-Condamner Madame [V] à verser à la Société KPMG S.A la somme de 5.000,00 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

-Condamner Madame [V] aux entiers dépens.

L'affaire a été plaidée le 27 septembre 2019.

Le conseil de Madame [V] soulève un incident à l'audience et sollicite que soit écartées des débats les pièces communiquées tardivement, dans le respect du contradictoire.

L'incident est joint au fond.

L'affaire a été mise en délibéré au 20 novembre 2019.

MOTIFS :

Les demandes des parties tendant à voir « dire et juger » ou « constater » ne constituent pas des prétentions au sens de l'article 4 du code de procédure civile et ne donneront pas lieu à mention dans le dispositif.

Sur l'incident de procédure:

Le conseil de la société KPMG S.A sollicite que les pièces communiquées tardivement soient écartées des débats.

L'affaire a été appelée à l'audience du 27 septembre 2019, l'appelante a transmis ses dernières conclusions par RPVA le 25 septembre 2019 accompagnées de quatre nouvelles pièces. Il s'agit d'une attestation de collègue de l'appelante, une attestation rédigée par son mari, un courriel de l'appelante au service inter-académique des examens et concours du 30 juin 2009, ainsi que d'une « feuille » de travail de l'appelante sur un dossier Iberdrola.

Il convient de rappeler que cette affaire est soumise au régime de la procédure orale; le conseil de la société KPMG S.A pouvait répliquer à l'audience sans aucune difficulté procédurale.

En conséquence, il convient de rejeter la requête de la société KPMG S.A tendant à faire écarter des débats les dernières pièces communiquées par Madame [V].

Sur la discrimination:

Aux termes de l'article L.1132-1 du code du travail, aucune personne ne peut être écartée d'une procédure de recrutement ou de l'accès à un stage ou à une période de formation, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, telle que définie par l'article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008, notamment en matière de rémunération, au sens de l'article L.3221-3, de mesures d'intéressement ou de distribution d'actions, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat en raison de son origine, de son sexe, de ses m'urs, de son orientation sexuelle, de son âge, de sa situation de famille ou de sa grossesse, de ses caractéristiques génétiques, de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une race, de ses opinions politiques, de ses activités syndicales ou mutualistes, de ses convictions religieuses, de son apparence physique, de son nom de famille ou en raison de son état de santé ou de son handicap.

Selon l'article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses mesures d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations :

- constitue une discrimination directe la situation dans laquelle, sur le fondement de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie ou une race, sa religion, ses convictions, son âge, son handicap, son orientation sexuelle ou de son sexe, une personne est traitée de manière moins favorable qu'une autre ne l'est, ne l'a été ou ne l'aura été dans une situation comparable,

- constitue une discrimination indirecte une disposition, un critère ou une pratique neutre en apparence, mais susceptible d'entraîner, pour l'un des motifs précités, un désavantage particulier pour des personnes par rapport à d'autres personnes, à moins que cette disposition, ce critère ou cette pratique ne soit objectivement justifié par un but légitime et que les moyens pour réaliser ce but ne soient nécessaires et appropriés,

- la discrimination inclut tout agissement lié à l'un des motifs précités et tout agissement à connotation sexuelle, subis par une personne et ayant pour objet de porter atteinte à sa dignité ou de créer un environnement hostile, dégradant, humiliant ou offensant.

L'article L.1134-1 du code du travail prévoit qu'en cas de litige relatif à l'application de ce texte, le salarié concerné présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte telle que définie par l'article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008, au vu desquels il incombe à l'employeur de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.

1- Sur les éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination:

En l'espèce, Madame [V] invoque avoir été victime d'une discrimination en raison de son sexe et de sa maternité qui s'est matérialisée de la manière suivante:

-l'absence d'affectation au service Externalisation à son retour de congé parental le 2 novembre 2010 alors que cette affectation lui avait été promise à l'automne 2009,

-l'absence de restitution de poste au retour du congé parental,

- l'absence d'entretien professionnel au sens des articles L. 1225-27 (post congé maternité) et L. 1225-57 (post congé parental) du code du travail, qui disposent que « la salariée qui reprend son activité à l'issue d'un congé de maternité a droit à un entretien avec son employeur en vue de son orientation professionnelle » ,

-des conditions de travail dégradées lors du retour du congé parental (pas de moyens de travail, pas d'accès au réseau informatique, pas de travail alors que ses collègues se plaignaient d'une surcharge de travail, une seule mission proposée sur la période de Noël alors qu'elle prenait habituellement ses congés à cette période),

- aucune place de bureau ne lui est attribuée lors de l'emménagement dans des nouveaux locaux, elle l'apprend par des collègues alors qu'elle se trouve en arrêt maladie en février 2011,

- elle est privée d'une possibilité de place en crèche sur le quota de son entreprise car l'employeur a indiqué à l'organisme de gestion de la crèche qu'elle devait quitter les effectifs de l'entreprise,

-le défaut de diligences de l'employeur quant au versement des IJSS ainsi que de la portabilité de la mutuelle,

-l'ensemble de ces éléments a conduit à une dégradation de sa santé et au prononcé d'une inaptitude.

Pour étayer ses affirmations, elle produit notamment:

-l'audition de Madame [K] réalisée par l'Inspection du travail dans laquelle elle évoque l'annonce du départ de Madame [V] au service Externalisation en novembre 2009: « Le départ au service Externalisation de [Y] [V] était de fait connu de l'ensemble du service car il a fallu envisager son remplacement pour l'ensemble des dossiers qu'elle gérait.», ainsi que le remplacement définitif de Madame [V] dans son précédent poste notamment sur le dossier Gallimard, par Madame [N] [M], dès qu'elle a été arrêtée fin 2009,

- le courrier qu'elle a adressé à son employeur le 29 octobre 2010, qui fait suite aux deux entretiens d'octobre 2010, dans lequel elle demande à son employeur de retrouver le poste qu'elle occupait avant son départ en congé maternité,

-des documents relatifs à l'embauche en CDD puis en CDI d'un collaborateur masculin, Monsieur [E], au poste qu'elle pensait occuper au Service Externalisations,

-l'audition de Madame [G], une collègue proche de Madame [V] laquelle indique: « [en septembre 2009 Madame [V]] m'a annoncé (') en présence de [B] [L], qu'elle attendait un bébé et qu'elle avait obtenu son affectation dans le service de [B], il s'agissait du service externalisation. [B] le savait déjà et était très enthousiaste. (') Au cours du 4ème trimestre 2009, lors de nos pauses à trois, [je] n'ai jamais entendu lors de leurs échanges que son affectation était temporaire ou conditionnée mais bien au contraire j'ai toujours entendu qu'elle était définitive. »,

-le rapport de l'Inspecteur du travail en date du 22 août 2012, qui permet de constater des conditions de travail dégradées,

-le courrier qu'elle a adressé à son employeur le 4 novembre 2010, soit 2 jours après sa reprise, et le jour de son malaise qui l'a conduira à être arrêtée pour syndrome anxio-dépressif réactionnel, dans lequel elle fait état de plusieurs griefs constituant une discrimination à son égard,

-le courrier en réponse de son employeur daté du 5 novembre 2010, dans lequel il conteste les griefs formulés par la salariée,

-les certificats médicaux des médecins traitants de Madame [V] de septembre 2010.

Madame [V] établit ainsi l'existence matérielle de faits pouvant laisser présumer l'existence d'une discrimination à son encontre.

2- Sur la justification d'éléments objectifs étrangers à toute discrimination:

La société KPMG S.A conteste toute discrimination à l'égard de sa salariée.

Elle produit notamment:

-l'avis d'aptitude du médecin du travail en date du 3 novembre 2010, lequel a déclaré Madame [V] « apte sans réserve »,

-les comptes-rendus d'entretien préparatoires à la reprise de fonctions de Madame [V] dits « Dialogues maternité/congé parental », en date des 12 et 26 octobre 2010, lesquels font état de la déception de la salariée quant à l'impossibilité de rejoindre le service Externalisations en l'absence de conclusion du marché La Tribune, et d'une évocation d'une rupture conventionnelle,

-le courrier de la salariée du 29 octobre 2010, dans lequel elle évoque les discussions relatives à une rupture conventionnelle et son regret de ne pouvoir rejoindre le service Externalisation,

-les courriers RAR de la salariée en date des 3, 4 et 5 novembre 2010, alors que le malaise sur le lieu de travail a eu lieu vers 10 heures du matin le 4 novembre, dans lesquels elle se plaint de ses conditions de travail,

-les justificatifs des difficultés informatiques survenues le 2 novembre 2010,

-le justificatif de la formation que Madame [V] devait suivre le 30 novembre 2010,

-le refus de prise en charge de la CPAM quant au « malaise » survenu sur le lieu de travail le 4 novembre 2010,

-la liste des bureaux et de leurs occupants dans les nouveaux locaux,

-le courrier de réponse de la société en date du 5 novembre 2010 exposant que son transfert au sein de l'équipe Externalisation était conditionné par l'obtention du contrat avec La Tribune et que cet appel d'offres n'avait pas été remporté par la Société KPMG S.A ; le fait que la salariée avait, elle-même, évoqué une rupture conventionnelle au cours des entretiens tenus en octobre 2010 préalablement à sa reprise, et que les négociations n'avaient pas abouti; la société démentait l'ensemble des accusations portées à son encontre,

-le planning de la salariée tel qu'il a été fixé au cours de sa semaine de reprise.

-l'attestation de Madame [C] de la crèche [3] qui déclare: « Début 2011, j'ai pu m'entretenir avec Madame [V]. Cette salariée m'a fait part de son départ de chez KPMG, je l'ai donc informée que de ce fait, elle ne pourrait bénéficier d'une place financée par son employeur. Je lui ai donc proposé de l'orienter vers une structure privée dans un arrondissement d'habitation et susceptible de pouvoir l'accueillir sans l'intermédiaire préalable d'une entreprise » , à aucun moment il n'est rapporté que c'est la société qui a informé la crèche du départ de la salariée ,

-le courrier adressé par la société en date du 26 juin 2012 relatif à la portabilité de la mutuelle,

-les contrats de travail de Monsieur [E] lesquels démontrent qu'il a été embauché initialement pour des compétences en matière informatique,et non pas au poste que souhaitait occuper Madame [V] au service Externalisation ; puis qu'il a été embauché en CDI au printemps 2011 alors que la salariée était en arrêt maladie depuis plusieurs mois, lorsque le client La Tribune a fait appel à la société KPMG S.A en raison de la défaillance de la société qu'elle avait précédemment choisie ; -l'avis de classement sans suite du Parquet de Nanterre en date du 2 mars 2015, pour infraction insuffisamment caractérisée,

-les auditions des personnels de la société KPMG S.A par le Défenseur des droits réalisées en mars et avril 2015, et plus spécialement celles de Monsieur [R] et de Madame [D], supérieurs hiérarchiques de l'appelante, et celle de Madame [L], collègue et amie de Madame [V].

Il résulte de l'ensemble de ces éléments que si Madame [V] n'a pas été transférée sur le service Externalisation c'est en raison de la non-concrétisation du projet client La Tribune et non pas en raison d'une quelconque discrimination; qu'elle a retrouvé le poste qu'elle occupait avant son congé maternité, et ce avec une augmentation; que les désagréments qu'elle a connus les deux premiers jours notamment sur le plan matériel ne sont pas suffisants à caractériser une quelconque discrimination mais relèvent de difficultés pratiques qui ont été résolues pour la plupart dès le premier jour; que s'agissant de son travail, de son planning et de la surcharge éventuelle de ses collègues de travail, il convient de rappeler que les griefs reprochés se déroulent sur un temps très court, une période de 48 heures, et que la salariée a multiplié les courriers RAR décrivant des dysfonctionnements sans laisser le temps à son employeur de réagir.

Il résulte également des pièces produites par la société que Madame [V] devait bénéficier d'une formation le 30 novembre 2010, qu'une réunion était prévue dans la semaine de son retour afin de lui attribuer des dossiers, que son agenda a été complété la semaine de sa reprise, mais qu'au regard de l'état de santé de la salariée, ces mesures n'ont pu être mises en oeuvre.

La chronologie, loin de justifier la discrimination alléguée, permet au contraire de constater que la salariée, déçue de ne pas avoir obtenu le poste convoité, et en l'absence d'accord sur une rupture conventionnelle dans les conditions qu'elle avait proposées, a mal vécu son retour au sein de l'entreprise sans que ce sentiment puisse caractériser une discrimination.

La société KPMG S.A démontre ainsi que les faits matériellement établis par Madame [V] sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination. Les demandes relatives à la discrimination, au licenciement ainsi qu'à l'ensemble des demandes subséquentes doivent par conséquent être rejetées; le jugement attaqué sera confirmé en ce sens.

Sur le harcèlement moral:

Madame [V] sollicite une indemnisation au titre du harcèlement moral qu'elle aurait subi, elle invoque les mêmes arguments que ceux exposés au titre de la discrimination et utilise indifféremment les termes de discrimination, harcèlement et harcèlement discriminatoire au sujet des mêmes comportements, en produisant les mêmes pièces.

La société conclut au débouté.

Il convient de rappeler qu'en application des dispositions de l'article 12 du code de procédure civile, le juge doit donner ou restituer leur exacte qualification aux faits et actes litigieux sans s'arrêter à la dénomination choisie par les parties.

En l'espèce, les faits soumis à la cour relèvent uniquement des dispositions relatives à la discrimination au visa des articles L.1132-1 du code du travail et suivants, et L.1142-1 du code du travail et suivants; le terme de « harcèlement discriminatoire » choisi par le conseil de Madame [V] ne correspond ni à la définition de la discrimination, ni à la définition du harcèlement moral, mais procède d'un mélange des deux notions non prévu par les textes, et il ne permet pas de revendiquer un autre chef d'indemnisation.

Dès lors que la matérialité d'éléments de fait précis et concordants laissant supposer l'existence d'un harcèlement moral n'est pas rapportée par Madame [V], dès lors que la salariée ne démontre aucun préjudice spécifique à ce titre, elle sera débouté de ce chef de demande et le jugement attaqué sera confirmé sur ce point.

Sur l'atteinte à la liberté d'ester en justice:

Madame [V] fait valoir que dans le cadre de la recherche de reclassement menée par la société suite à la déclaration d'inaptitude, elle s'est montrée intéressée par deux postes ce qu'elle a fait savoir à la société par courrier du 8 février 2012, en précisant, puisque le Conseil de prud'hommes était déjà saisi depuis mars 2011, que l' : « acceptation finale de l'un de ces deux postes est sous réserve de la résolution amiable du contentieux qui [les] oppose. »

Elle soutient que la société dans son courrier en réponse du 21 février 2012, a immédiatement refusé de poursuivre les discussions plus avant sur ces deux postes au motif de la référence au conflit prud'homal les opposant. Elle en conclut que l'absence de reclassement dont elle a fait l'objet est directement liée avec l'instance en cours, qu'en agissant de la sorte, la société porte atteinte à sa liberté d'ester en justice, liberté fondamentale reconnue par l'article 6-1 de la CESDH.

La société conclut au débouté et fait valoir que par courrier du 14 février 2012, elle a répondu à la salariée s'agissant des deux postes proposés au reclassement qui l'intéressait, que son niveau de rémunération serait maintenu, mais indiquait que la condition posée d'une résolution amiable du litige n'était pas acceptable étant donné le fait que la société contestait tout agissement discriminatoire à son encontre.

Elle a déduit du courrier de la salariée que les deux postes ne sauraient convenir au regard de la procédure en cours et de la nécessaire indemnisation souhaitée par la salariée qui en découlait. Elle l'a alors convoquée à un entretien préalable à licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement. Le licenciement lui a été notifié le 8 mars 2015.

Madame [V] a saisi le Conseil de prud'hommes d'une demande de résiliation judiciaire aux torts exclusifs de son employeur, le 30 mars 2011. La relation de travail s'est poursuivie telle que décrite précédemment, la salariée ne démontre pas avoir subi de représailles liées à l'instance judiciaire qu'elle a engagée. La seule référence à la procédure en cours résulte des écrits de Madame [V].

L'argument développé par la salariée selon lequel la société n'a pas poursuivie la procédure de reclassement en raison de la demande formulée par la salariée de voir cesser le conflit les opposant de manière amiable ne saurait être assimilé à une atteinte à la liberté d'ester en justice.

La société fait valoir à juste titre qu'un accord amiable supposait nécessairement le versement d'une indemnité pour la salariée, ce à quoi la société ne pouvait acquiescer puisqu'elle contestait tous les griefs qui lui étaient opposés. Son refus d'aller plus avant ne constitue donc pas une atteinte à la liberté d'ester en justice mais plutôt la manifestation contraire, celle de vouloir laisser au juge plénitude d'appréciation quant aux griefs invoqués par Madame [V].

Madame [V] sera en conséquence déboutée de ce chef de demande.

Sur la violation des accords relatifs à l'égalité professionnelle:

La salariée sollicite une indemnisation au titre de la violation des accords relatifs à l'égalité professionnelle.

Force est de constater que d'une part, la salariée sur laquelle repose la charge de la preuve du manquement fautif, ne rapporte pas la preuve d'une quelconque violation de l'accord, pas plus qu'elle ne démontre avoir subi un quelconque préjudice.

Le jugement attaqué sera en conséquence confirmé sur ce point.

Sur les demandes accessoires :

Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens, il y a lieu d'infirmer le jugement attaqué et statuant à nouveau, de condamner Madame [V], partie perdante à l'instance, aux dépens de première instance et d'appel ainsi qu'à verser à la société KMPG la somme de 1.500 euros au titre de ses frais irrépétibles pour la procédure suivie en première instance et en appel.

PAR CES MOTIFS :

La cour, statuant par mise à disposition au greffe et par arrêt contradictoire,

Confirme le jugement entrepris sauf en ce qu'il a débouté la société KPMG S.A de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile;

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Rejette la demande formulée par le conseil de la société KPMG S.A tendant à écarter les pièces communiquées tardivement par son contradicteur,

Condamne Madame [X] [V] à payer à la société KPMG S.A une somme de 1.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure suivie en première instance et en appel,

Condamne Madame [X] [V] aux dépens de première instance et d'appel.

- prononcé hors la présence du public par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Monsieur Luc LEBLANC, président et par Madame POIRIER, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le GREFFIER,Le PRÉSIDENT,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 19e chambre
Numéro d'arrêt : 16/03855
Date de la décision : 20/11/2019

Références :

Cour d'appel de Versailles 19, arrêt n°16/03855 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2019-11-20;16.03855 ?
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