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14/11/2019 | FRANCE | N°18/02449

France | France, Cour d'appel de Versailles, 5e chambre, 14 novembre 2019, 18/02449


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 88B



5e Chambre







ARRET N°



CONTRADICTOIRE



DU 14 NOVEMBRE 2019



N° RG 18/02449



N° Portalis DBV3-V-B7C-SNEV



AFFAIRE :



SAS LISOTHERME



C/



UNION POUR LE RECOUVREMENT DES COTISATIONS DE SECURITE SOCIALE ET D'ALLOCATIONS FAMILIALES [Localité 1]





Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 18 Mai 2018 par le Tribunal des Affaires de Sécurité Soc

iale de CHARTRES

N° RG : 2015-296





Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :



SAS LISOTHERME



UNION POUR LE RECOUVREMENT DES COTISATIONS DE SECURITE SOCIALE ET D'ALLOCATIONS FAMILIALES [Localité 1]





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COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 88B

5e Chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 14 NOVEMBRE 2019

N° RG 18/02449

N° Portalis DBV3-V-B7C-SNEV

AFFAIRE :

SAS LISOTHERME

C/

UNION POUR LE RECOUVREMENT DES COTISATIONS DE SECURITE SOCIALE ET D'ALLOCATIONS FAMILIALES [Localité 1]

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 18 Mai 2018 par le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de CHARTRES

N° RG : 2015-296

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

SAS LISOTHERME

UNION POUR LE RECOUVREMENT DES COTISATIONS DE SECURITE SOCIALE ET D'ALLOCATIONS FAMILIALES [Localité 1]

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE QUATORZE NOVEMBRE DEUX MILLE DIX NEUF,

La cour d'appel de Versailles, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

SAS LISOTHERME

[Adresse 1]

[Adresse 1]

représentée par M. [H] DUCROCQ (Président de la SAS LISOTHERME)

APPELANTE

****************

UNION POUR LE RECOUVREMENT DES COTISATIONS DE SECURITE SOCIALE ET D'ALLOCATIONS FAMILIALES [Localité 1]

[Adresse 2]

[Adresse 2]

représenté par M. [V] [J] (Représentant légal) en vertu d'un pouvoir général

INTIME

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 17 Septembre 2019, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Carine TASMADJIAN, Conseiller chargé d'instruire l'affaire.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Monsieur Olivier FOURMY, Président,

Madame Carine TASMADJIAN, Conseiller,

Madame Caroline BON, Vice présidente placée,

Greffier, lors des débats : Madame Florence PURTAS,

La SAS Lisotherme est une société dont l'activité est la fabrication de gel réfrigérant. Elle est affiliée, en qualité d'employeur, auprès de l'union pour le recouvrement des cotisations de sécurité sociale du Centre Val-de-Loire (ci-après désignée 'l'Urssaf') depuis le 1er janvier 2014.

La Société est donc redevable des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales.

Estimant qu'elle ne s'était pas acquittée de ses cotisations, l'Urssaf a émis, le 10 février 2015, une mise en demeure pour obtenir paiement de la somme de 33 441 euros portant pour 73 euros sur les majorations de retard afférentes aux cotisations complémentaires dues au titre du 3ème  trimestre 2014 et pour 33 716 euros au titre des cotisations et majorations de retard afférentes à la régularisation annuelle de l'année 2014, déduction faite d'un versement intervenu le 14 décembre 2014 pour 348 euros. La Société a reçu notification de cette mise en demeure le 13 février 2015.

Puis, à défaut de paiement, l'Urssaf a, le 16 mars 2015, établi une contrainte pour un montant total de 32 012 euros correspondant aux cotisations dues pour le 3e trimestre 2014 et la régularisation annuelle de 2014. Ce titre a été signifié le 10 juillet suivant.

La Société a formé opposition à cette contrainte devant le tribunal des affaires de sécurité sociales d'Eure et Loir, le 21 juillet 2015.

Par jugement du 18 mai 2018, le tribunal, après avoir validé la mise en demeure et la contrainte, a :

- rejeté la fin de non-recevoir soulevée par l'Urssaf Centre Val de Loire du chef du défaut de motivation du recours,

- dit que l'opposition à la contrainte du 16 mars 2015 est recevable,

- dit que la mise en demeure du 10 février 2015 est valide,

- dit que l'Urssaf a la capacité pour agir en recouvrement des cotisations sociales obligatoires dues par un assuré,

- rappelé que la SAS Lisotherme a l'obligation de s'acquitter auprès de l' Urssaf Centre Val de Loire de ses cotisations sociales,

- mis à néant la contrainte du 16 mars 2015 (sic),

- condamné la SAS Lisotherme à payer à l'Urssaf Centre Val de Loire la somme de 32 012 euros, outre 74,46 euros de frais de signification,

- débouté les parties de leurs demandes formulées au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- et ordonné l'exécution provisoire.

Le jugement a été notifié aux parties 22 mai 2018 et la société Lisotherme en a relevé appel par déclaration enregistrée au greffe le 31 mai 2018.

Les parties ont alors été convoquées à l'audience du 17 septembre 2019, date à laquelle, représentées, elles ont plaidé.

A cette même audience, la cour était saisie de deux autres dossier concernant les mêmes partie, appels concernant, chacun, une mise en demeure distincte et la contrainte correspondante.

La Société, représentée par son président, reprenant le bénéfice de ses écritures, demande à la cour de :

- confirmer que la mise en demeure du 10 février 2015 est viciée et la signification de contrainte du 10 juillet 2015 de l'Urssaf du Centre nulle (sic) ;

- d'annuler la contrainte de l'Urssaf d'un montant de 32 012 euros

- de confirmer par conséquent l'annulation de toutes les pénalités de retard s'y rapportant ;

- de condamner à l'Urssaf du Centre à lui verser une indemnité de 1500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- reconnaître clairement le droit à Lisotherme de s'affilier à l'assureur ou aux assureurs de son choix pour y verser toutes ses charges sociales, conformément aux dispositions légales européennes et françaises ;

- et de condamner l'Urssaf à payer les frais d'huissier des diverses procédures.

L'Urssaf du Centre-Val de Loire, reprenant oralement le bénéfice de ses écritures, demande à la cour de :

- infirmer le jugement entrepris ;

- valider la contrainte éditée le 10 mars 2016 (sic) et signifiée à l'encontre de la SAS Lisotherme ;

- condamner la SAS Lisotherme au paiement de l'amende civile prévue à l'article R. 144-10 du code de la sécurité sociale ;

- et condamner la SAS Lisotherme à verser à l'organisme la somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties la cour, conformément à l'article 455 du code de procédure civile, renvoie aux conclusions et aux pièces déposées et soutenues à l'audience.

MOTIVATION DE LA COUR

Au regard de la motivation développée par chacune des parties dans leurs conclusions respectives et de leurs déclarations à l'audience, la cour constate, malgré le dispositif de leurs écritures que :

- la Société sollicite l'infirmation (et non la confirmation) de la décision en ce qu'elle a jugé la mise en demeure du 10 février 2015 et la signification de la contrainte du 10 juillet 2015 de l'Urssaf du Centre valides (et non viciée et nulle) ;

- l'Urssaf demande à la cour de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a déclaré la mise en demeure et la contrainte valides ;

- et que la contrainte objet de l'appel est celle qui a été établie le 16 mars 2015 et non le 10 mars 2016.

La cour précise que ces erreurs proviennent de la multiplicité des recours engagés par les parties qui ont dupliqué un premier argumentaire à toutes leurs contestations sans les adapter intégralement au cas d'espèce ce qui, en outre, a rendu complexe la lecture des moyens et prétentions soulevés.

Sur la recevabilité du recours de la Société

L'Urssaf reproche à la Société de ne pas avoir motivé son recours devant le tribunal relevant que s'il lui était loisible de ne développer qu'un seul argumentaire pour l'ensemble des contraintes contestées, elle devait néanmoins expliquer pour chacune d'elle ce qui était reproché et ne pas se limiter à une contestation globale.

La Société rétorque qu'elle a contesté les trois mises en demeure en même temps et que l'argumentation proposée s'appliquait nécessairement à toutes.

Sur ce,

Aux termes de l'article R. 133-3 du code de la sécurité sociale dans sa version applicable au litige

Si la mise en demeure ou l'avertissement reste sans effet au terme du délai d'un mois à compter de sa notification, le directeur de l'organisme créancier peut décerner la contrainte mentionnée à l'article L. 244-9 ou celle mentionnée à l'article L. 161-1-5. La contrainte est signifiée au débiteur par acte d'huissier de justice ou par lettre recommandée avec demande d'avis de réception. A peine de nullité, l'acte d'huissier ou la lettre recommandée mentionne la référence de la contrainte et son montant, le délai dans lequel l'opposition doit être formée, l'adresse du tribunal compétent et les formes requises pour sa saisine.

L'huissier de justice avise dans les huit jours l'organisme créancier de la date de signification.

Le débiteur peut former opposition par inscription au secrétariat du tribunal compétent dans le ressort duquel il est domicilié ou par lettre recommandée avec demande d'avis de réception adressée au secrétariat dudit tribunal dans les quinze jours à compter de la signification. L'opposition doit être motivée ; une copie de la contrainte contestée doit lui être jointe. Le secrétariat du tribunal informe l'organisme créancier dans les huit jours de la réception de l'opposition.

En l'espèce, la Société a formé opposition à trois contraintes au moyen d'un argumentaire commun. S'il apparaît qu'il est fait particulièrement référence à une mise en demeure (non concernée par la présente opposition), la Société mentionne par ailleurs expressément qu'aucune d'elles ne lui permet d'avoir connaissance de l'étendue de sa dette.

Il sera en outre rappelé que celui qui fait opposition à une contrainte n'a pas l'obligation, au moment du dépôt de son recours, de faire valoir l'ensemble des moyens qu'il entend développer, de sorte qu'un seul moyen suffit à établir la motivation de l'opposition.

En conséquence, c'est à juste titre que le tribunal a rejeté la fin de non recevoir soulevée par l'Urssaf.

Le jugement est confirmé sur ce point.

Sur la capacité de l'Urssaf à réclamer paiement de cotisations

La Société fait valoir que l'Urssaf est une entreprise à vocation économique ordinaire qui ne peut se prévaloir d'aucun monopole pour lui réclamer le paiement de cotisations sociales.

Elle considère que l'Urssaf doit pouvoir prouver au préalable sa légitimité pour réclamer le paiement de cotisations, ce qu'elle ne fait pas. Etant régie par le code de la mutualité, l'Urssaf est selon elle, une mutuelle, qui doit justifier d'un contrat qui la lierait avec la société Lisotherme, ce qui n'est pas le cas.

La Société entend défendre son droit de libre choix du ou des destinataires de ses cotisations et ainsi pouvoir le cas échéant faire des économies, expliquant que, dans ses statuts, le président doit veiller à la bonne gestion de son entreprise et le fait de cotiser sans contrat auprès de l'Urssaf pourrait lui être reproché. A l'appui de ses allégations, elle invoque le bénéfice des diverses directives européennes depuis 1994 et, en dernier lieu, celles 92/49/CEE et 92/96/CEE qui ont supprimé les monopoles sociaux sur tout le territoire de la Communauté européenne.

La Société s'estime aujourd'hui « victime du harcèlement de l'Urssaf » comme l'ensemble des chefs d'entreprise français qui serait responsable de leur suicide. Elle estime que l'Urssaf « s'entête à vouloir laminer les personnes réfractaires au monopole dont elle se prévaut et s'enferre dans un combat d'arrière-garde ».

L'Urssaf rétorque qu'elle n'est ni une entreprise commerciale ni une mutuelle et qu'elle n'est donc pas soumise aux directives européennes évoquées par la Société. Elle rappelle qu'elle est un régime de sécurité sociale et qu'elle dispose, de par la loi, de la capacité et de l'intérêt à agir en justice. Enfin, elle fait valoir que la sécurité sociale étant un régime obligatoire, la Société est tenue de s'acquitter des cotisations.

Sur ce,

L'article L. 111 -1 du code de la sécurité sociale dispose

L'organisation de la sécurité sociale est fondée sur le principe de solidarité nationale.

Elle garantit les travailleurs et leur famille contre les risques de toute nature susceptibles de réduire ou de supprimer leur capacité de gain. Elle couvre également les charges de maternité, de paternité et les charges de famille.

Elle assure, pour toute autre personne et pour les membres de sa famille résidant sur le territoire français, la couverture des charges de maladie, de maternité et de paternité ainsi que des charges de famille.

Cette garantie s'exerce par l'affiliation des intéressés et le rattachement de leurs avants droit à un (ou plusieurs) régime(s) obligatoire(s).

Elle assure le service des prestations d'assurances sociales, d'accidents du travail et maladies professionnelles, des allocations de vieillesse ainsi que le service des prestations familiales dans le cadre des dispositions fixées par le présent code.

Ces dispositions impliquent l'obligation, pour toute Société employant des salariés, d'être rattachée à un régime de protection sociale obligatoire.

Il sera rappelé à la Société que l'article 13 de l'ordonnance du 4 octobre 1945 prévoyait que les caisses primaires ou régionales de sécurité sociale pouvaient se grouper en unions ou fédérations en vue de créer des services d'intérêt commun, l'article 36 posant le principe du transfert aux caisses primaires de sécurité sociale de la responsabilité du recouvrement des cotisations.

Des unions entre les caisses primaires de sécurité sociale, les caisses régionales invalidité de sécurité sociale, les caisses vieillesse et les caisses d'allocations familiales ont donc été créées sous le nom de services communs de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales et de contrôle des employeurs.

Le décret n° 60-452 du 12 mai 1960 rectifié les 9 mars 1961 et 17 décembre 1985 et codifié dans le code de la sécurité sociale à l'article R. 111-1 a rendu les unions de recouvrement obligatoires et les ont intégrés dans la liste des organismes de sécurité sociale.

Puis l'ordonnance n° 67-706 du 21 août 1967 a transformé les unions de recouvrement en organismes autonomes, sous la direction et le contrôle de l'agence centrale des organismes de sécurité sociale, dispositions reprises aux articles L. 213-1 et suivants du code de la sécurité sociale. Cet article, ainsi que celui codifié à l'article L. 151-1 du code de la sécurité sociale confèrent précisément aux Urssaf, qui sont, de par leur nature juridique, des organismes privés chargés de la gestion d'un service public et placés sous tutelle de l'état, la mission de recouvrer les cotisations d'assurance sociale, d'accident du travail, d'allocations familiales dues par les employeurs et les membres des professions libérales.

La loi n° 94-637 du 25 juillet 1994 relative à la sécurité sociale, publiée au Journal Officiel du 27 juillet 1994, a consacré une nouvelle fois l'existence juridique et l'autonomie des Urssaf.

Les missions de l'Urssaf ont enfin été définies par l'article L. 613-1 du code de la sécurité sociale qui, dans sa version applicable au litige précisait :

Des unions de recouvrement assurent :

1° Le recouvrement des cotisations d'assurances sociales, d'accidents du travail, d'allocations familiales dues par les employeurs au titre des travailleurs salariés ou assimilés, par les assurés volontaires et par les assurés personnels ;

2° Le recouvrement des cotisations d'allocations familiales dues par les employeurs et membres des professions libérales ;

3° Une partie du recouvrement des cotisations et contributions sociales dues par les employeurs et les personnes exerçant les professions artisanales, industrielles et commerciales, dans les conditions prévues aux articles L. 133-6-2, L. 133-6-3 et L. 133-6-4 ;

4° Le recouvrement d'une partie de la contribution sociale généralisée selon les dispositions des articles L. 136-1 et suivants ;

5° Le recouvrement des contributions, versements et cotisations mentionnés aux articles L. 5422-9, L. 5422-11 et L. 3253-18 du code du travail ;

5° bis Le calcul et l'encaissement des cotisations sociales mentionnées aux articles L. 642-1, L. 644-1, L. 644-2, et au c du 1° de l'article L. 613-1 pour l'application des dispositions prévues à l'article L. 133-6-8.

6° Le contrôle et le contentieux du recouvrement prévu aux 1°, 2°, 3° et 5°.

Les unions sont constituées et fonctionnent conformément aux prescriptions de l'article L. 216-1.

Un décret détermine les modalités d'organisation administrative et financière de ces unions.

En matière de recouvrement, de contrôle et de contentieux, une union de recouvrement peut déléguer à une autre union ses compétences dans des conditions fixées par décret.

Il n'est pas contestable, au regard de ce texte, que l'Urssaf est légitime à procéder aux recouvrement des cotisations et contributions sociales dues par la Société.

Par ailleurs, contrairement à l'argumentation développée par la Société, maintes fois débattue devant les tribunaux des affaires de sécurité sociale, les cours d'appel et la Cour de cassation, l'Urssaf ne peut être considérée comme un organisme professionnel soumis, comme tel, aux règles de la concurrence et permettant une affiliation volontaire de ses cotisants.

Les directives n° 92/49 CEE du Conseil du 18 juin 1992 et n° 92/96 CEE du Conseil du 10 novembre 1992 suppriment effectivement toute possibilité pour les états membres d'interdire l'activité d'une société d'assurance dans leur pays dès lors que cette activité est autorisée dans le pays de la société concernée. Pour autant, une lecture attentive de ces textes aurait permis à la Société de constater qu'ils excluent expressément, dans leur article 2-2, non seulement les risques couverts par les régimes légaux de sécurité sociale mais également les assurances et les opérations qu'ils effectuent à ce titre.

En application de ces textes, la Cour de justice de l'Union européenne admet que les organismes de sécurité sociale puissent déroger aux règles de la concurrence dès lors qu'ils remplissent une fonction de caractère exclusivement social, fondé sur le principe de solidarité par la mutualisation des risques et dépourvu de tout but lucratif. Elle juge également, de manière constante, que l'affiliation obligatoire au régime déterminé par l'application des règles d'assujettissement de toute personne exerçant une activité professionnelle sur le territoire national a un caractère d'ordre public et que les régimes d'affiliation obligatoire, qui poursuivent un objectif social et obéissent au principe de la solidarité, ne constituent pas des entreprises au sens des articles 85 et suivants du traité CEE. En conséquence, leurs activités n'ont pas une nature économique qui les soumettrait au droit européen de la concurrence.

La Cour de cassation a également jugé que le recouvrement des cotisations et contributions dues par une personne à titre obligatoire à un régime de protection sociale n'a pas le caractère d'une pratique commerciale au sens des dispositions de la directive 2005/29/CE.

C'est par une interprétation erronée de l'arrêt BKK de la CJUE rendu le 3 octobre 2013, que la Société estime qu'il a été mis fin au monopole des régimes de sécurité sociale, la décision ne concernant que les pratiques déloyales commises à l'occasion de leurs activités économiques de nature commerciale exclusivement. Cet arrêt ne pourrait concerner qu'un organisme qui se livrerait pour partie à des activités économiques de nature commerciale, ce qui n'est pas le cas de l'Urssaf. C'est donc à tort que la Société estime que la mise en demeure constitue une pratique commerciale agressive.

Il sera rappelé également que ni les directives européennes, ni les lois adoptées par la France en application, le cas échéant, des directives européennes, ni la jurisprudence de la Cour européenne de justice ne considèrent que l'instauration d'un régime de sécurité sociale contrevient à l'article 5 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789, notamment la liberté d'entreprendre, la liberté contractuelle et la liberté personnelle, ni aux règles de la libre concurrence.

Ainsi, l'Urssaf n'est nullement un régime professionnel de sécurité sociale au sens défini par la CJUE qui rappelle régulièrement, par ailleurs, que le droit communautaire ne porte pas atteinte à la compétence des Etats membres pour aménager leur système de sécurité sociale et que les règles de concurrence figurant dans le corps du traité et les dispositions des directives relatives aux assurances de personnes, en l'espèce les Directives 92/49 CEE et 92/96 CEE, sont inapplicables aux organismes, quel que soit leur statut, qui concourt à la gestion de régime de sécurité sociale. Les états peuvent ainsi, notamment, fixer les modalités de fonctionnement du régime ou des régimes, leurs modalités de fonctionnement et le degré de solidarité qu'il crée entre les citoyens.

Il n'est pas contestable que l'Urssaf participe à la gestion du service public de la sécurité sociale fondée sur le principe de la solidarité nationale, fonctionnant sur la répartition et non la capitalisation et qu'elle est dépourvue de tout but lucratif, la mise en demeure, objet du litige, concernant des cotisations du régime légal et obligatoire. Dès lors, l'Urssaf ne constitue pas une entreprise au sens du traité instituant la Communauté européenne, de sorte que son activité n'entre pas dans le champ de l'application des directives concernant la concurrence en matière d'assurance.

S'agissant de la personnalité morale de l'Urssaf et de sa capacité à agir, il est rappelé que l'organisme, qui participe à la gestion du service public, tient sa capacité et sa qualité pour agir du texte qui l'a créé ce qui l'exonère, par ailleurs, de toute obligation de déposer ses statuts en préfecture et de justifier, devant les juridictions, de sa forme juridique et de sa capacité à ester en Justice.

En tout état de cause, contrairement à ce que fait valoir la Société, l'Urssaf dispose d'un statut juridique clairement déterminé et, en sa qualité d'organisme intégré à l'organisation statutaire de la sécurité sociale, n'a nullement un caractère mutualiste ce qu'il l'exonère donc, de ce fait, de l'application des dispositions du code de la mutualité.

De même, pour les raisons précédemment évoquées, la Société ne saurait prétendre que l'absence de lien contractuel avec l'Urssaf empêche celui-ci de lui réclamer une quelconque somme.

Le mécanisme d'affiliation obligatoire contraint dès lors la Société qui exerce son activité en France à s'acquitter des cotisations rendues obligatoires par la loi y compris la CSG et la CRDS et l'Urssaf, organisme autonome créé par la loi et doté de la personnalité juridique, dispose d'une pleine capacité à agir pour les recouvrer.

Le jugement est confirmé sur ce point.

Sur le fond

La société Lisotherme plaide qu'elle est une entreprise récente qui du fait des sommes investies en recherche et développement et suite à des déménagements successifs pour accompagner sa croissance, se retrouve régulièrement avec des périodes de trésorerie fragiles. En vérifiant le bien fondé des sommes réclamées par l'Urssaf, elle estime qu'il existe des incohérences dans les sommes sollicitées puisque dans la même mise en demeure on lui reconnaît un trop perçu de 275 euros en même temps qu'une dette de 33 441 euros. La Société remet également en cause le formalisme de la mise en demeure établie par l'Urssaf ainsi que celle de la contrainte qui, selon elle, ne donnent pas le détail des sommes qui sont réclamées. Elle soutient que de ce fait, elle n'est pas en mesure de vérifier le bien fondé des montants réclamés. Ainsi, elle estime ainsi que les seules mentions « majorations de retard complémentaires » et « régularisation annuelle » ne renseignent pas suffisamment sur l'origine de la dette.

L'Urssaf rétorque que la mise en demeure et la contrainte querellées répondent aux exigences de l'article R. 244-1 du code de la sécurité sociale en ce qu'elles précisent la nature, la cause et le montant de l'obligation.

Sur ce,

L'article L. 244-2 du code de la sécurité sociale dispose

Toute action ou poursuite effectuée en application de l'article précédent ou des articles L. 244-6 et L. 244-8-1 est obligatoirement précédée, si elle a lieu à la requête du ministère public, d'un avertissement par lettre recommandée de l'autorité compétente de l'Etat invitant l'employeur ou le travailleur indépendant à régulariser sa situation dans le mois. Si la poursuite n'a pas lieu à la requête du ministère public, ledit avertissement est remplacé par une mise en demeure adressée par lettre recommandée à l'employeur ou au travailleur indépendant. Le contenu de l'avertissement ou de la mise en demeure mentionnés au premier alinéa doit être précis et motivé, dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat.

L'avertissement ou la mise en demeure, qui constitue une invitation impérative adressée au débiteur d'avoir à régulariser sa situation dans le délai imparti, et la contrainte délivrée à la suite de cette mise en demeure restée sans effet, doivent permettre à l'intéressé d'avoir connaissance de la nature, de la cause et de l'étendue de son obligation ; qu'à cette fin il importe qu'elles précisent, à peine de nullité, outre la nature et le montant des cotisations réclamées, la période à laquelle elles se rapportent, sans que soit exigée la preuve d'un préjudice.

En l'espèce, la cour ne peut que constater que la mise en demeure établie le 10 février 2015 pour un montant de 33 441 euros relative à la période du 3e trimestre 2014 et à l'année 2014, ne comporte qu'une seule mention sur la nature des cotisations appelées à savoir « régime général » sans qu'il ne soit indiqué la branche ou le risque concerné.

C'est à tort que l'Urssaf soutient que la Société avait eu préalablement connaissance de son obligation de s'acquitter des cotisations sociales et qu'en mentionnant que la dette correspondait à une régularisation des cotisations sociales elle avait nécessairement connaissance de la nature des cotisations appelées. En effet, elle ne justifie pas que des appels à cotisations précisant, pour chaque risque, le montant réclamé avaient préalablement été adressés à la Société mais, en tout état de cause, aucun renvoi à ces appels à cotisations n'est porté sur la mise en demeure.

Par ailleurs, aucune mention d'aucune sorte ne permet à la Société de savoir si le complément de majorations de retard du 3e trimestre 2014 et la régularisation des cotisations de l'année 2014 portent sur des retards, des insuffisances ou des absences de paiement de cotisations relevant de l'assurance maladie, de l'assurance vieillesse, des cotisations familiales, des allocations familiales et/ou des cotisations d'accidents du travail. De même, aucune mention ne permet de savoir, s'agissant de la régularisation de l'année 2014, sur quel(s) trimestres porte(nt) l'absence ou l'insuffisance de paiement des cotisations provisonnelles.

La contrainte émise à la suite de cette mise en demeure restée impayée n'apporte pas plus de précisions, la cour relevant que même la référence aux cotisations du « régime général » n'apparaît plus.

En conséquence la cour estime que la mise en demeure et la contrainte émise ensuite ne sont pas de nature à permettre à la Société de connaître la nature, la cause et l'étendue de son obligation.

Il convient donc de faire droit à la demande de celle-ci et de prononcer la nullité de la mise en demeure émise le 10 février 2015 comme de la contrainte émise le 16 mars 2015 et signifiée le 10 juillet suivant.

Le jugement entrepris doit être infirmé en ce sens.

Sur les dépens, l'article 700 du code de procédure civile et l'amende civile

Les parties succombant partiellement à l'instance, elles supporteront, pour moitié chacune, les dépens d'appel et seront déboutées de leur demande respective au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

De même, au regard de la décision intervenue, il n'y a pas lieu de prononcer une amende civile.

PAR CES MOTIFS

La cour, après en avoir délibéré, statuant publiquement et par arrêt contradictoire ;

Infirme le jugement rendu le 18 mai 2018 par le tribunal des affaires de sécurité sociale d'Eure-et-Loir, sauf en ce qu'il a :

- rejeté la fin de non-recevoir soulevée par l'union pour le recouvrement des cotisations de sécurité sociale Centre-Val de Loire du chef du défaut de motivation du recours,

- dit que l'Urssaf a la capacité pour agir en recouvrement des cotisations sociales obligatoires dues par un assuré,

- rappelé que la SAS Lisotherme a l'obligation de s'acquitter auprès de l' Urssaf Centre Val de Loire de ses cotisations sociales,

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Annule la mise en demeure établie le 10 février 2015 par l'Urssaf pour obtenir paiement de la somme de 33 441 euros portant pour 73 euros sur les majorations de retard afférentes aux cotisations complémentaires dues au titre du 3e trimestre 2014 et pour 33 716 euros au titre des cotisations et majorations de retard afférentes à la régularisation annuelle de l'année 2014 ;

Annule la contrainte émise par l'Urssaf Centre-Val de Loire le 16 mars 2015pour un montant total de 32 012 euros correspondant aux cotisations dues pour le 3e trimestre 2014 et la régularisation annuelle de 2014 et signifiée à la SAS Lisotherme le 10 juillet 2015 ;

Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

Déboute l'Urssaf de sa demande de condamnation à une amende civile ;

Déboute les parties de toute demande autre, plus ample ou contraire ;

Condamne l'Urssaf et la SAS Lisotherme à supporter, pour moitié chacune, les dépens d'appel.

Prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Signé par Monsieur Olivier Fourmy, Président, et par Madame Florence Purtas, Greffier, auquel le magistrat signataire a rendu la minute.

Le GREFFIER, Le PRÉSIDENT,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 5e chambre
Numéro d'arrêt : 18/02449
Date de la décision : 14/11/2019

Références :

Cour d'appel de Versailles 05, arrêt n°18/02449 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2019-11-14;18.02449 ?
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