COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 88B
5e Chambre
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 14 NOVEMBRE 2019
N° RG 18/02436
N° Portalis DBV3-V-B7C-SNBZ
AFFAIRE :
SNC LES DELICES DE BABYLONE S.N.C
C/
UNION POUR LE RECOUVREMENT DES COTISATIONS DE SÉCURITÉ SOCIALE ET D'ALLOCATIONS FAMILIALES
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 30 Avril 2018 par le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de CERGY
N° RG : 15-00801/P
Copies exécutoires délivrées à :
Me Alain LACHKAR
UNION POUR LE RECOUVREMENT DES COTISATIONS DE SÉCURITÉ SOCIALE ET D'ALLOCATIONS FAMILIALES
Copies certifiées conformes délivrées à :
SNC LES DELICES DE BABYLONE S.N.C
le :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE QUATORZE NOVEMBRE DEUX MILLE DIX NEUF,
La cour d'appel de Versailles, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
SNC LES DELICES DE BABYLONE S.N.C
[Adresse 1]
[Localité 1]
représentée par Me Alain LACHKAR, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : C0247
APPELANTE
****************
UNION POUR LE RECOUVREMENT DES COTISATIONS DE SÉCURITÉ SOCIALE ET D'ALLOCATIONS FAMILIALES
[Adresse 2]
[Localité 2]
représenté par M. [M] [R] (Inspecteur contentieux) en vertu d'un pouvoir général
INTIME
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 17 Septembre 2019, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Carine TASMADJIAN, Conseiller chargé d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Monsieur Olivier FOURMY, Président,
Madame Carine TASMADJIAN, Conseiller,
Madame Caroline BON, Vice présidente placée,
Greffier, lors des débats : Madame Florence PURTAS,
La SNC « Les délices de Babylone » exploite un restaurant, bar et PMU sous l'enseigne « Le Royal » (ci-après désignée 'la Société') au sein du centre commercial « les chênes » situé à [Localité 1]).
Entre février 2010 et janvier 2013, elle a fait l'objet de plusieurs contrôles inopinés à savoir :
- le 11 février 2010, par les services de police d'[Localité 1],
- le 12 juillet 2012, par les services de la DIRECCTE,
- et le 22 janvier 2013, par les services de police d'[Localité 1] accompagnés d'un inspecteur de l'union de recouvrement des cotisations de la sécurité sociale et d'allocations familiales d'Île-de-France (ci-après désignée 'l'Urssaf' ou 'l'organisme').
Au cours de ce dernier contrôle, l'Urssaf a constaté que plusieurs personnes étaient occupées à travailler : trois personnes derrière le bar dont M. [C] [S], le gérant, M. [G] D., son frère et associé, et M. [E] I.A, un barman ; trois autres personnes étaient derrières le comptoir côté tabac-PMU, en l'occurrence Mme [P] J.C, Mme [D] F. et Mme [K] A ; et enfin, dans la cuisine, se trouvait une personne, Mme [D] M.
Les enquêteurs constataient entre autre qu'aucun planning mentionnant les horaires de chacun des salariés n'était affiché dans les locaux.
Par courrier du 26 mai 2014, l'Urssaf a notifié à la Société une lettre d'observations mentionnant deux chefs de redressement, à savoir :
- un travail dissimulé par dissimulation d'emploi salarié': taxation forfaitaire,
- une annulation des « réductions Fillon » et des déductions patronales dites « Loi TEPA ».
La Société a présenté ses observations par courrier du 18 juillet 2014, soit en dehors du délai légal de 30 jours à dater de la réception de la lettre d'observations. Elle contestait la réalité du travail dissimulé et le caractère excessif de la taxation forfaitaire.
L'Urssaf lui a répondu, par courrier du 10 octobre 2014, qu'elle maintenait ses constatations et le montant du redressement.
Entre temps, par jugement en date du 25 juin 2014, M. [C] [S], gérant de la Société, a été condamné pour avoir commis l'infraction suivante : «'Exécution d'un travail dissimulé commis du 11 février 2010 au 22 janvier 2013 à [Localité 1], omission intentionnelle de procéder à la déclaration nominative préalable à l'embauche de Melle [U] [K] et [K] [C] ; dissimulation sur les feuilles de paie de Melle [T] [B], [P] [D] épouse [N], [D] [A], [B] et [G] [M] d'un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement effectué'». Ce jugement était confirmé par arrêt de la chambre des appels correctionnels de la cour d'appel de Versailles du 26 janvier 2016 puis par la Cour de cassation par arrêt du 17 octobre 2017.
Par courrier du 26 novembre 2014, l'Urssaf a notifié à la Société une mise en demeure pour une somme totale de 192'634 euros dont 29'846 euros de majorations de retard pour la période du 1er janvier 2010 au 31 décembre 2012 et plus précisément :
. 49 655 euros de cotisations et 11 619 euros majorations de retard pour l'année 2010,
. 54 498 euros de cotisations et 10 136 euros de majorations de retard pour l'année 2011,
. 58 6345 euros de cotisations et 8 091 euros majorations de retard pour l'année 2012.
Saisie par la Société d'un recours contre le redressement opéré par l'Urssaf, la commission de recours amiable a, par décision du 13 avril 2015, confirmé le bien fondé du redressement et de la mise en demeure subséquente.
A défaut de paiement, l'Urssaf a établi une contrainte pour avoir paiement de la somme de 162'788 euros au titre des cotisations et 29'846 euros au titre des majorations de retard afférente à la période du 1er janvier 2010 au 31 décembre 2012.
Ce titre de recouvrement a été signifié à la Société le 31 juillet 2015 laquelle en a formé opposition devant le tribunal des affaires de sécurité sociale du Val d'Oise.
Par jugement du 30 avril 2018, le tribunal a :
- dit le recours de la société SNC Les délices de Babylone recevable mais mal fondé';
- validé la contrainte délivrée le 28 juillet 2015 et signifiée le 31 juillet 2015 pour une somme de 162 788 euros au titre des cotisations et une somme de 29 846 euros au titre des majorations de retard, soit un total de 192'634 euros pour les années 2010, 2011 et 2012.
Ce jugement a été notifié aux parties le 18 mai 2018 et la Société en a relevé appel le 30 mai suivant.
A l'audience du 17 septembre 2019, la Société, reprenant les écritures préalablement communiquées, demande à la cour d'infirmer la décision entreprise et de :
- déclarer irrégulière la procédure de redressement ayant conduit à la lettre d'observations du 26 mai 2014 de l'Urssaf et, en conséquence,
- annuler la procédure de taxation d'office.
À titre subsidiaire, la Société demande à la cour de :
- fixer l'assiette servant au calcul du redressement des cotisations à la somme de 14 364 euros au lieu de la somme de 95 747 euros retenue par l'Urssaf à l'appui de sa taxation d'office ;
- annuler la contrainte litigieuse.
En tout état de cause la Société sollicite la condamnation de l'Urssaf à supporter les entiers dépens dont distraction au profit de la SELARL Patricia Minault agissant par Maître Patricia Minault, avocat et ce conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
L'Urssaf d'Île-de-France, représentée à l'audience, demande oralement à la cour de :
- surseoir à statuer en l'attente de l'exécution, par la Société, du jugement critiqué conformément aux dispositions de l'article 526 du code de procédure civile ;
- dire que la taxation d'office est régulière ;
- valider la contrainte signifiée le 31 juillet 2015 pour une somme de 162 788 euros au titre des cotisations et une somme de 29 846 euros de majorations de retard pour les années 2010, 2011 et 2012.
Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la cour, conformément à l'article 455 du code de procédure civile, renvoie aux conclusions et aux pièces déposées et soutenues à l'audience.
MOTIVATION DE LA COUR
Sur la radiation
L'Urssaf sollicite la radiation de l'affaire en l'attente que la Société exécute le jugement de première instance. Elle explique que la décision entreprise est exécutoire de plein droit et que ce serait vider de son sens ses dispositions si l'intimée était autorisée à la contester sans l'avoir au préalable exécutée.
La Société rétorque qu'au regard de la somme demandée, exiger d'elle qu'elle exécute le jugement avant qu'il ne soit statué sur le litige, serait la condamner économiquement.
Sur ce,
Aux termes de l'alinéa premier de l'article 526 du code de procédure civile
Lorsque l'exécution provisoire est de droit ou a été ordonnée, le premier président ou, dès qu'il est saisi, le conseiller de la mise en état peut, en cas d'appel, décider, à la demande de l'intimé et après avoir recueilli les observations des parties, la radiation du rôle de l'affaire lorsque l'appelant ne justifie pas avoir exécuté la décision frappée d'appel ou avoir procédé à la consignation autorisée dans les conditions prévues à l'article 521, à moins qu'il lui apparaisse que l'exécution serait de nature à entraîner des conséquences manifestement excessives ou que l'appelant est dans l'impossibilité d'exécuter la décision.
Il apparaît néanmoins que cette disposition ne s'applique qu'à la procédure ordinaire devant la cour d'appel, à savoir une procédure écrite avec représentation obligatoire.
La procédure étant, en matière de sécurité sociale, orale et sans représentation obligatoire, l'article 526 du code de procédure civile n'est pas applicable et la demande de radiation formulée par la l'Urssaf sera rejetée.
Sur la taxation forfaitaire
La Société soutient que l'Urssaf a appliqué à tort une taxation d'office alors qu'elle n'était pas libre « de faire n'importe quoi et dans n'importe quelles conditions, comme elle l'a fait abusivement en l'espèce ».
Au soutien de sa prétention, la Société affirme, en substance :
- que le recours à la taxation d'office doit être annulée pour défaut de motivation de la méthode de calcul appliquée, la lettre d'observations du 26 mai 2014 ne fournissant aucun élément permettant de comprendre comment l'Urssaf est parvenue au calcul d'un horaire de travail hebdomadaire de 380 heures,
- que la taxation retenue par l'Urssaf ne repose pas sur une réalité économique et n'est pas représentative d'une activité normale pour un établissement de type bar-tabac-française des jeux et PMU ; elle repose en fait sur un calcul purement théorique fait par les agents de contrôle en considération d'une amplitude d'ouverture de l'établissement qui n'existait pas. Ainsi, l'amplitude horaire d'ouverture de l'établissement a été surestimée puisque l'établissement est fermé cinq semaines par an et non pas deux comme retenu et que la chambre des appels correctionnels de la cour d'appel de Versailles qui l'a condamnée pour travail dissimulé a retenu une amplitude moindre.
Elle fait en outre valoir que 17 des personnes visées dans la lettre d'observations comme ayant fait l'objet de déclaration préalable à l'embauche tardives (ci-après 'DPAE') ne figurent pas sur les procès-verbaux 2134/10 et 4591/2012 visés dans la lettre d'observations. L'organisme ne pouvait donc pas les retenir ;
- que l'agent contrôleur de l'Urssaf a fait preuve de déloyauté et d'un manque d'impartialité dans l'application de la taxation d'office, en évoquant des retards tardifs dans les DPAE à propos de salariés qui ne sont pas visés par les procès-verbaux n° 2134/2010 et 4591/2013 sur lesquels le contrôle est fondé, en relatant des faits prescrits étrangers à la période faisant l'objet du contrôle et en s'abstenant de recouper les déclarations des salariés avec les bulletins de paie pour déterminer les éventuelles minorations d'heures supplémentaires à redresser alors qu'il « aurait pu recouper les informations contenues dans tous les documents qu'elle avait en sa possession ».
L'Urssaf rétorque qu'aucun élément ne permet de considérer que le contrôle de l'organisme aurait été effectué dans des conditions irrégulières voire illégales. Elle rappelle que la taxation forfaitaire a été appliquée en raison d'une absence totale de sincérité des documents comptables présentés. Elle relève qu'il est vain pour la Société d'estimer que tout ce qui n'a pas été retenu par la chambre des appels correctionnels au titre du travail dissimulé ne peut faire l'objet d'un redressement puisqu'en l'espèce, celui-ci a été établi en tenant compte non seulement de la procédure pénale mais également des constatations de son propre contrôleur et des documents administratifs et comptables qui lui ont été fournis par la Société.
Sur ce,
En application des articles L. 242-1 et L.136-2 du code de la sécurité sociale, et de l'article 14 de l'ordonnance du 24 janvier 1996, les sommes versées aux travailleurs en contrepartie ou à l'occasion du travail, sont soumises à cotisations et contributions sociales. Par ailleurs, sont affiliées obligatoirement aux assurances sociales du régime général quel que soit leur âge et même si elles sont titulaires d'une pension, toutes les personnes quelle que soit leur nationalité, de l'un ou l'autre sexe, salariées ou travaillant à quelque titre ou en quelque lieu que ce soit, pour un ou plusieurs employeurs et quels que soient le montant et la nature de leur rémunération, la forme, la nature ou la validité de leur contrat.
La détermination de l'assiette des contributions et cotisations dues aux régimes de l'assurance chômage et de garantie des salaires est constituée de l'ensemble des rémunérations entrant dans l'assiette des cotisations de sécurité sociale dans la limite de quatre fois le plafond du régime d'assurance vieillesse de la sécurité sociale visé à l'article L. 241-3 du code de la sécurité sociale.
L'article R. 242-5 du code de la sécurité sociale dans sa rédaction issue du décret n°'2009-1596 du 18 décembre 2009 dispose que':
Lorsque la comptabilité d'un employeur ne permet pas d'établir le chiffre exact des rémunérations servant de base au calcul des cotisations dues, le montant des cotisations est fixé forfaitairement par l'organisme chargé du recouvrement. Ce forfait est établi compte tenu des conventions collectives en vigueur ou, à défaut, des salaires pratiqués dans la profession ou la région considérée. La durée de l'emploi est déterminée d'après les déclarations des intéressés ou par tout autre moyen de preuve. Lorsque l'employeur ou le travailleur indépendant ne met pas à disposition les documents ou justificatifs nécessaires à la réalisation du contrôle engagé en application de l'article L. 243-7 ou lorsque leur présentation n'en permet pas l'exploitation, le montant des cotisations est fixé forfaitairement par l'organisme chargé du recouvrement, dans les conditions prévues au présent article.
En cas de carence de l'organisme créancier, le forfait est établi par le responsable du service mentionné à l'article R. 155-1.
Lorsque l'employeur n'a pas versé dans les délais prescrits par les articles R. 243-6, R. 243-7, R.'243-9 et R. 243-22, les cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales, l'organisme créancier peut fixer, à titre provisionnel, le montant desdites cotisations en fonction des versements effectués au titre des mois ou trimestres antérieurs. Cette évaluation doit être notifiée à l'employeur par une mise en demeure adressée par lettre recommandée, avec accusé de réception dans les conditions de l'article L. 244-2.
La cour constate que la Société ne critique plus la réalité du travail dissimulé mais ses conséquences sur la détermination de l'assiette des cotisations éventuellement dues.
Sur la régularité du recours à la taxation forfaitaire
En l'espèce, il ressort tant des éléments issus de la procédure de contrôle de l'Urssaf, que de la procédure pénale et des éléments produits par les parties à l'audience que :
- sur la période du redressement, la Société, ce qu'elle ne conteste pas, s'est abstenue d'effectuer ou de mettre à jour les formalités administratives obligatoires, notamment la tenue du registre unique du personnel ou encore la DADS pour 2010 ; qu'elle s'est abstenue de procéder aux déclarations obligatoires à l'Urssaf pour les années 2010 et 2012 puisque sept salariés n'ont pas fait l'objet d'une DPAE et que 19 autres ont été faites en retard ; qu'elle n'a pas déclaré l'ensemble des heures supplémentaires réalisées par son personnel ; qu'elle n'a pas tenu de comptabilité s'agissant de la rémunération des barmen et enfin qu'elle n'a pas déclaré les périodes d'essai des nouveaux salariés procédant, les concernant, à des règlements en espèces ;
- s'agissant du nombre de salariés dont la DPAE n'a pas été effectuée ou a été effectuée tardivement, la cour, comme le tribunal avant elle, rappelle que l'Urssaf ne s'est pas reposée uniquement sur les procès-verbaux établis par la police ou ceux transmis au Parquet mais également sur ses propres constatations, sur les documents administratifs de la Société et sur ceux qui lui ont été remis par la Société elle-même (tels que les plannings) ;
- s'agissant de l'amplitude horaire et des heures de travail, la cour relève qu'aucun des documents produits par la Société à l'Urssaf n'était suffisamment probant et que leur manque de fidélité ne pouvait à l'évidence servir de base à un redressement.
L'arrêt pénal relève d'ailleurs que « la rédaction à l'identique des feuilles de paie de ces différents employés, mentionnant, y compris pour des périodes antérieures à celle de la prévention, leurs heures supplémentaires, ne saurait correspondre à la réalité du travail effectué, ce que les explications fournies par le comptable de l'entreprise ont corroborée ; [qu'il s'en déduit] une absence de valeur probante desdites feuilles de paie ».
De même, aucune comptabilité ou pièces financières produite par la Société n'aurait pu permettre à l'Urssaf de se passer d'une taxation forfaitaire puisque, comme le relevaient les juges correctionnels, le comptable avait admis « que depuis le 1er avril 2010 il établissait les déclarations uniques d'embauche et des déclarations annuelles de salaire sur la base des éléments communiqués par M. [S] ; qu'il en était de même pour les heures supplémentaires ; (...) ; qu'il n'avait aucun élément lui permettant de savoir que les barmen avaient connaissance des recettes journalières admettant n'avoir jamais vu de carnet de répartition obligatoire à cette fin dans cet établissement ; qu'il reconnaissait également qu'il ressortait des fiches de paie que certains salariés étaient en congés alors qu'ils travaillaient et étaient présents dans l'établissement ; (...) ; qu'il n'avait eu les éléments permettant de déclarer Mme A que deux ans plus tard ».
- enfin s'agissant des pièces ayant été prises en compte par l'Urssaf pour procéder au redressement, il résulte de la lettre d'observations que l'organisme a procédé, le 23 janvier 2013, à un contrôle inopiné, qu'elle a procédé à ses propres constatations, qu'elle a eu connaissance de l'ensemble de la procédure pénale établie par les services de police d'[Localité 1], qu'elle a pris connaissance des informations portées dans le fichier national des DPAE et des extraits CIL ainsi que des documents produits par la Société. L'Urssaf ne s'est donc pas fondée sur des éléments opaques et/ou non contradictoires pour relever l'infraction et procéder à une taxation forfaitaire.
Les nombreuses irrégularités relevées dans la comptabilité de la Société, l'absence de DADS et l'absence de force probante des mentions portées sur les fiches de paie, ne permettaient pas d'établir le chiffre exact des rémunérations devant servir de base au calcul des cotisations dues. Dès lors, le recours, par l'organisme, à la taxation forfaitaire, était parfaitement justifié.
La lecture de la lettre d'observations est enfin suffisamment précise et motivée pour permettre à la Société de connaître les éléments pris en compte par l'Urssaf pour procéder au redressement, ce que confirme le fait qu'elle ait pu, tant au cours de la procédure gracieuse que de la procédure contentieuse, en contester chacun des éléments.
En tout état de cause, il sera relevé que la contestation de la Société sur certains éléments retenus pour établir la taxation forfaitaire ou sur la méthode de calcul ne saurait faire la démonstration du parti pris du contrôleur ou de sa volonté de nuire à l'établissement.
Ce faisant, aucun élément ne vient démontrer l'intention malveillante du contrôleur de l'Urssaf de sorte que cet argument est infondé et ne peut être retenu pour annuler la procédure de redressement.
Le jugement est confirmé sur ce point.
Sur le montant du redressement
Il sera rappelé que le forfait est établi en tenant compte des conventions collectives en vigueur ou, à défaut, des salaires pratiqués dans la profession ou la région considérée. La durée de l'emploi est déterminée d'après les déclarations des intéressés ou par tout autre moyen de preuve.
Il sera également rappelé que la durée de l'emploi à retenir pour le redressement est celle déterminée, notamment, d'après les déclarations des intéressés ou par tout autre moyen de preuve que l'organisme aurait recueilli (PV de police, audition de témoins...), étant précisé que dès lors que l'agent assermenté constate que des salaires versés ne figurent pas dans la comptabilité, celle-ci ne peut plus être considérée comme probante et c'est donc à l'employeur qu'il appartient d'apporter la preuve de l'inexactitude ou du caractère excessif de la taxation forfaitaire.
Il résulte des pièces non contestées de la Société que l'Urssaf a établi son redressement en retenant :
- que l'établissement était ouvert de 6 heures 30 à 20 heures 30 du lundi au vendredi, de 7 heures 30 à 20 heures 30 le samedi et de 7 heures 30 à 15 heures le dimanche, représentant une amplitude de travail hebdomadaire de 90 heures nécessitant un nombre d'heures de présence des salariés à minima de 380 heures hebdomadaires de travail sur 50 semaines annuelles (fermeture annuelle de deux semaines en août) soit 19 000 heures de travail annuels,
- un chiffrage forfaitaire au taux du SMIC en vigueur sans retenir les majorations dues au titre des heures supplémentaires,
- et en déduisant des heures de travail retenues celles ayant déjà été déclarées à l'Urssaf pour les années considérées.
Cela a donné lieu à la taxation suivante :
. 27 674 euros au titre de l'année 2010,
. 32 862 euros au titre de l'année 2011,
. 35 211 euros au titre de l'année 2012,
soit un total de 95 747 euros.
La Société conteste l'ensemble des bases de calcul retenues par l'Urssaf pour opérer le redressement. Il convient donc de les analyser.
S'agissant de la période d'ouverture de la Société sur laquelle l'Urssaf s'est fondée pour établir la taxation forfaitaire, si l'appelante la conteste, elle n'apporte pour autant aucun document probant pour démontrer l'erreur d'appréciation de l'organisme.
La Société estime en effet que les pièces produites à l'Urssaf permettent objectivement de retenir que le temps de travail hebdomadaire nécessaire au fonctionnement de l'établissement était de 176 heures (au lieu des 190 heures retenus) sur 47 semaines. Pour le justifier, la Société indique que l'établissement n'était ouvert que jusqu'à 20 heures et que les contrats et les fiches de paie établissent que :
- M. [E] I. A, barman, Mme [P] J.C sont employés à temps complet selon un horaire hebdomadaire de 39 heures par semaine heures supplémentaires incluses ;
- Mme [D] F. est employée à temps partiel sur la base d'un horaire de travail mensuel de 130 heures et effectue des heures supplémentaires entre de 2 et 10 heures, ce qui représente une durée moyenne de travail de 30 heures par semaine ;
- Mme [K] A. est employée à temps complet selon un horaire hebdomadaire de 38 heures par semaine, heures supplémentaires incluses ;
- et Mme [D] M. est employée à temps partiel selon un horaire de travail mensuel de 30 heures par semaine.
Or, la cour ne peut pas suivre la Société dans cette argumentation.
En effet, une lecture minutieuse des auditions des salariés au cours de la procédure pénale permet de constater que, de manière unanime, ils ont déclaré que l'établissement fermait à 20 heures pour la clientèle mais qu'ils étaient tenus de travailler jusqu'à 20 heures 30 pour faire le ménage et préparer la journée du lendemain. (Pour exemples non exhaustifs : [D] M., [D] F., [P] J.C.).
Il sera également rappelé, qu'entendu dans le cadre de l'enquête pénale, le comptable a indiqué que toutes les mentions qu'il avait portées en comptabilité sur les heures travaillées et les périodes de fermeture de la Société lui avaient été fournies par M. [S] sans qu'il n'ait lui-même vérifié leur conformité. De même, il reconnaissait que les bulletins de salaire portaient mention de périodes de congés payés qui n'étaient en réalité pas prises.
La Société ne peut donc exciper ces pièces insincères pour justifier ses allégations et ce n'est pas
l'attestation de son nouveau comptable, établie plusieurs années après la période litigieuse, indiquant « qu'il n'a pas constaté d'erreurs ou d'irrégularité sur la période redressée » qui peut sérieusement remettre en cause les constatations de l'Urssaf.
De même, si la Société estime que l'Urssaf a retenu des heures de travail pour certains salariés alors qu'ils ne travaillaient pas pour être malades ou absents, elle ne verse aucun document en ce sens.
Enfin, il ne pourra pas davantage être donnée une quelconque valeur aux tableaux d'horaires d'ouverture et d'heures de travail des personnels produits par la Société puisqu'il n'est pas contesté qu'elle les a établis pour les besoins de la procédure et qu'elle ne verse aucun autre élément objectif pour les corroborer.
Aucun élément ne vient par ailleurs démontrer que l'établissement fermait cinq semaines par an et non deux comme retenu par l'Urssaf.
En effet, aucune des déclarations des salariés devant les services de police ou l'Urssaf n'évoque une fermeture de cinq semaines et lorsqu'elle est évoquée, ces salariés ne visent que le seul bar, et non la restauration ni les jeux qui demeuraient donc ouverts.
Enfin, pour les raisons précédemment analysées, ni les bulletins de salaire ni la comptabilité produits par la Société à l'Urssaf ne peuvent établir une fermeture annuelle de cinq semaines, ces documents n'étant pas conformes à la réalité.
De même, s'agissant de la période à retenir pour la taxation, le tribunal correctionnel puis la chambre des appels correctionnels de la cour d'appel n'étaient saisis que de la période débutant le 11 février 2010 et se terminant le 22 janvier 2013 alors que l'Urssaf a effectué un contrôle d'assiette puis un redressement sur la période du 1er janvier 2010 au 31 décembre 2012. La Société ne peut donc pas se référer exclusivement aux décisions pénales pour démontrer que l'Urssaf aurait commis des erreurs dans le nombres d'heures à retenir, la cour relevant au demeurant que les juridictions pénales n'ont pas prononcé de relaxe sur la période du redressement et que celle-ci n'est pas prescrite au regard des règles du code de la sécurité sociale.
S'agissant du nombre des salariés concernés par la minoration du nombre d'heures de travail effectuées, s'il résulte de l'arrêt précité qu'une relaxe est intervenue pour M. [Y] N. et Mme [K] M., il doit être relevé que cette dernière n'a pas été concernée par le redressement, de sorte que les calculs de l'Urssaf se sont pas remis en cause.
Enfin, sur les irrégularités relevées dans les DPAE, la cour ne peut que relever que la Société ne démontre pas que l'Urssaf aurait commis une erreur d'appréciation sur ce point, étant rappelé que le nombre d'omission n'a pas de conséquence sur le chiffrage du redressement mais uniquement sur la qualification de l'infraction de travail dissimulé laquelle n'est pas contestée.
En l'absence de production d'éléments de preuve nouveaux susceptibles de démontrer le caractère excessif de la taxation forfaitaire et de remettre en cause le calcul de l'Urssaf, il convient de dire que le redressement qui a été opéré est justifié dans son entier montant.
En conséquence, la contrainte signifiée le 31 juillet 2015 pour une somme de 162 788 euros de cotisations et une somme de 29 846 euros de majorations de retard pour les années 2010, 2011 et 2012, sera validée.
Le jugement est confirmé sur ce point.
Sur l'annulation des réductions fillon et TEPA
Aux termes des article L. 133-4-2 et R. 133-8 du code de la sécurité sociale, le bénéfice de toute mesure de réduction et d'exonération de cotisations de sécurité sociale ou de contributions est subordonné au respect par l'employeur, ou le travailleur indépendant, des dispositions de l'article L. 8221-1 du code du travail.
En cas de constat de travail dissimulé, l'organisme de recouvrement procède, dans les limites de la prescription, à l'annulation de ces réductions ou exonérations pratiquées au cours d'un mois civil, lorsque les rémunérations versées ou dues à un ou des salariés dissimulés au cours de ce mois sont au moins égales à la rémunération mensuelle minimale définie à l'article L. 3232-3 du code du travail. Dans le cas contraire, l'annulation est réduite à due proportion en appliquant aux réductions ou exonérations de cotisations ou contributions pratiquées un coefficient égal au rapport entre les rémunérations dues ou versées en contrepartie du travail dissimulé et la rémunération mensuelle minimale.
Pour autant, l'annulation demeure plafonnée à 45 000 euros pour les périodes d'annulation antérieures au 1er janvier 2012, la modification de l'article L.133-4-2 du code de la sécurité sociale par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2012 du 21 décembre 2011 ayant pris effet au 1er janvier 2012.
Les pièces versées aux débats démontrent que l'Urssaf a annulé les allégements Fillon et TEPA sur la période au cours de laquelle le travail dissimulé a été constaté de sorte que c'est par une exacte application des textes ci-dessus rappelé qu'elle a fixé ce montant aux sommes respectives de 63 231 euros et 3 810 euros.
Le jugement est confirmé sur ce point.
Sur les dépens et les demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile
La Société, qui succombe à l'instance sera condamnée aux dépens d'appel.
PAR CES MOTIFS
La cour, après en avoir délibéré, statuant publiquement et par arrêt contradictoire ;
Confirme le jugement rendu le 30 avril 2018 par le tribunal des affaires de sécurité sociale du Val d'Oise (n°15-00801/P) ,
Y ajoutant,
Déboute les parties de toute demande autre, plus ample ou contraire ;
Condamne la SNC Les délices de Babylone aux dépens d'appel.
Prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Signé par Monsieur Olivier Fourmy, Président, et par Madame Florence Purtas, Greffier, auquel le magistrat signataire a rendu la minute.
Le GREFFIER, Le PRÉSIDENT,