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07/11/2019 | FRANCE | N°16/05464

France | France, Cour d'appel de Versailles, 11e chambre, 07 novembre 2019, 16/05464


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 80C



11e chambre



ARRET N°



CONTRADICTOIRE



DU 07 NOVEMBRE 2019



N° RG 16/05464 - N° Portalis DBV3-V-B7A-REJH



AFFAIRE :



[Y] [T] épouse [Q]





C/

SAS WAVESTONE ADVISORS venant aux droits de la Société KURT SALMON FRANCE









Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 15 Novembre 2016 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de NANTERR

E

N° Section : E

N° RG : 13/03924



Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :



Me Mélina PEDROLETTI



Me Franck LAFON







le :



RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



LE SEPT NOVEMBRE DE...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80C

11e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 07 NOVEMBRE 2019

N° RG 16/05464 - N° Portalis DBV3-V-B7A-REJH

AFFAIRE :

[Y] [T] épouse [Q]

C/

SAS WAVESTONE ADVISORS venant aux droits de la Société KURT SALMON FRANCE

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 15 Novembre 2016 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de NANTERRE

N° Section : E

N° RG : 13/03924

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

Me Mélina PEDROLETTI

Me Franck LAFON

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE SEPT NOVEMBRE DEUX MILLE DIX NEUF,

La cour d'appel de Versailles, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

Madame [Y] [T] épouse [Q]

née le [Date anniversaire 1] 1965, [Localité 1]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Représentant : Me Mélina PEDROLETTI, Constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 626

Représentant : Me Nicole BENSOUSSAN, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : A0868

APPELANTE

****************

SAS WAVESTONE ADVISORS venant aux droits de la Société KURT SALMON FRANCE

N° SIRET : 433 224 847

[Adresse 2]

[Adresse 2]

[Adresse 2]

Représentant : Me Franck LAFON, Constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 618 - N° du dossier 20160482

Représentant : Me Nathalie ATTIAS de la SCP SCP ATTIAS, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, substituée à l'audience par LADREGARDE Olivier, avocat au barreau de PARIS.

INTIMEE

****************

Composition de la cour :

L'affaire a été débattue à l'audience publique du 30 Septembre 2019, Monsieur Eric LEGRIS, conseiller, ayant été entendu en son rapport, devant la cour composée de :

Madame Hélène PRUDHOMME, Président,

Monsieur Eric LEGRIS, Conseiller,

Madame Bérangère MEURANT, Conseiller,

qui en ont délibéré,

Greffier, lors des débats : Monsieur Achille TAMPREAU

Le 16 janvier 2006, Mme [Y] [T] était embauchée par la société Kurt Salmon France (aux droits de laquelle vient la SAS Wavestone Advisors) en qualité de directeur (statut cadre) par contrat à durée indéterminée. Le contrat de travail était régi par la convention collective Syntec.

Le 18 mai 2006, la salariée était hospitalisée. Elle reprenait progressivement son activité en mi-temps thérapeutique jusqu'en décembre 2007 puis en 4/5ème thérapeutique jusqu'au mois de juin 2009, puis à temps plein à compter de juillet 2009 jusqu'au 31 décembre 2011.

A compter du 1er janvier 2012, la salariée sollicitait un 4/5ème de temps auquel la société Kurt Salmon France faisait droit. Cet aménagement était reconduit jusqu'au 31 décembre 2013. Mais à compter du 17 mai 2013, la salariée était placée en arrêt de travail pour maladie. Par lettre recommandée du 18 juin 2013, Mme [Y] [T] attirait l'attention de son employeur sur la dégradation de ses conditions de travail. Le 9 juillet 2013, la société contestait ces accusations. Par courrier du 5 septembre 2013, la salariée maintenait l'ensemble des termes de sa lettre du 18 juin 2013.

Le 23 décembre 2013, Mme [T] saisissait le conseil de prud'hommes de Nanterre d'une demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de son employeur en raison des manquements graves relatifs au non-paiement des heures supplémentaires et au harcèlement moral.

La salariée était maintenu en arrêt de travail pour maladie jusqu'au 30 septembre 2014. Le 1er octobre 2014, le médecin du travail la déclarait inapte à son poste mais apte à un poste sans pression commerciale et sans rythme intensif.

Le 14 octobre 2014, la société Kurl Salmon adressait à Mme [T] trois propositions de reclassement qu'elle déclinait. Le 24 octobre 2014, l'employeur la convoquait à un entretien préalable en vue de son licenciement. L'entretien avait lieu le 5 novembre 2014. Le 10 novembre 2014, il lui notifiait son licenciement pour inaptitude constatée par le médecin du travail et impossibilité de reclassement.

Vu le jugement du 15 novembre 2016 rendu en formation paritaire par le conseil de prud'hommes de Nanterre qui a :

- dit la prétention au paiement d'heures supplémentaires de Mme [T] injustifiée,

- dit la demande de complément de rémunération variable de Mme [T] injustifiée,

- dit la société Wavestone Advisors venant aux droits de la société Kurl Salmon France n'avoir pas commis de manquement suffisamment grave de nature à justifier une résiliation judiciaire du contrat de travail de Mme [T],

- dit le licenciement de Mme [T] justifié du fait de son inaptitude médicalement constatée et l'impossibilité de reclasser,

- débouté Mme [T] de l'intégralité de ses demandes,

- condamné Mme [T] aux dépens éventuels.

Vu la notification de ce jugement le 15 novembre 2016.

Vu l'appel interjeté par Mme [Y] [T] le 6 décembre 2016.

Vu les conclusions de l'appelante, Mme [Y] [T], notifiées le 21 juin 2019 et soutenues à l'audience par son avocat auxquelles il convient de se référer pour plus ample exposé, il est demandé à la cour d'appel de :

- dire et juger Mme [T] recevable et bien fondée en son appel et y faisant droit :

- infirmer le jugement rendu le 15 novembre 2016 par le conseil de prud'hommes de Nanterre en toutes ses dispositions

Statuant à nouveau,

- dire Mme [T] recevable en ses demandes de rappel de salaire à compter du 23 décembre 2008

- voir condamner la société Wavestone Advisors anciennement dénommée Kurt Salmon France à payer à Mme [T] épouse [Q] les sommes suivantes, sur la période non couverte par la prescription :

- 126 320 euros à titre de rappel d'heures supplémentaires, majorés de 12 632 euros de congés payés incidents,

- 38 570 euros au titre de la contrepartie obligatoire en repos

A titre subsidiaire,

- condamner la société Wavestone Advisors à payer les sommes précitées à titre de dommages et intérêts pour non-respect de la réglementation relative à la durée du travail et à la contrepartie obligatoire en repos.

A titre infiniment subsidiaire,

- voir requalifier la relation de travail en contrat de travail à temps plein avec toutes les conséquences de droit et condamner la société Wavestone Advisors à payer la somme de 1 867 euros par mois pour les périodes à temps partiel (du 1er janvier au 30 juin 2009 et du 1er janvier 2012 au 31 décembre 2013) soit 56 010 euros (1 867 x 30 mois) majorés de 5 601 euros au titre des congés payés incidents.

En tout état de cause,

- voir condamner la société Wavestone Advisors anciennement dénommée Kurt Salmon France à payer à Mme [T] épouse [Q] :

- 57 018 euros à titre d'indemnité pour travail dissimulé,

- 16 313,56 euros à titre de rappel de salaire pendant la période de maladie et congés payés et à titre subsidiaire, à titre de dommages et intérêts,

- 58 500 euros : à titre de rappel de rémunération variable, majorés de 5 850 euros de congés payés incidents.

- voir prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts et griefs de la société Wavestone Advisors venant aux droits de la société Kurt Salmon France, pour manquements à ses obligations et exécution déloyale du contrat, avec toutes conséquences de droit.

Si par impossible il n'était pas fait droit à la demande de résiliation judiciaire,

- dire et juger que le licenciement pour inaptitude en date du 10 novembre 2014 trouve son origine dans le harcèlement subi par Mme [T] et à tout le moins, le non-respect de l'obligation de sécurité.

- constater que la société Wavestone Advisors n'a pas procédé à une recherche de reclassement de bonne foi et que le licenciement est dénué de cause réelle et sérieuse.

- voir condamner la société Wavestone Advisors à payer à Madame [T] :

- 28 509 euros à titre de préavis, majorés de 2 851 euros de congés payés incidents,

- 2 851 euros à titre de congés payés incidents,

- 29 087 euros à titre de complément d'indemnité de licenciement et 361 euros à titre subsidiaire de ce chef,

- 2 500 euros pour non-respect des dispositions relatives au DIF.

- 200 000 euros à titre d'indemnités pour licenciement nul ou sans cause réelle et sérieuse,

- 50 000 euros à titre de préjudice moral.

- dire que ces sommes porteront intérêts au taux légal à compter de l'introduction de la procédure avec capitalisation conformément aux dispositions de l'article 1343-2 du code civil.

- voir ordonner la délivrance de tous les documents sociaux (bulletins de paie rectificatifs, certificat de travail et d'une attestation Pôle emploi conforme à la décision à intervenir) sous astreinte de 10 euros par jour de retard et par document à compter du 8ème jour de la notification de la décision à intervenir ;

- dire que la Cour se réserve de liquider l'astreinte.

- débouter la société Wavestone Advisors de l'ensemble de ses demandes.

- voir condamner la société Wavestone Advisors à payer à Madame [T] la somme de 3 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

- voir condamner la société Wavestone Advisors aux entiers dépens.

- dire que ceux d'appel seront recouvrés par maître Pedroletti conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Vu les écritures de l'intimée, la société Wavestone Advisors, venant aux droits de la société Kurt Salmon France, notifiées le 14 août 2019 et développées à l'audience par son avocat auxquelles il est aussi renvoyé pour plus ample exposé ; il est demandé à la cour d'appel de :

- confirmer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Nanterre en date du 15 novembre 2016.

- dire et juger que :

- Mme [T] n'étaye pas sa demande d'heures supplémentaires de façon précise et crédible, ni ne justifie celle relative à la requalification de son temps partiel en temps complet.

- la société Wavestone Advisors qui vient aux droits de la société Kurt Salmon France n'a fait preuve d'aucune volonté de dissimulation d'emploi.

- la salariée ne justifie pas du bien fondé de sa demande concernant le défaut de production des éléments de calcul justifiant les sommes versées pendant les périodes de maladie et est irrecevable en sa demande indemnitaire formulé à titre subsidiaire.

- l'appelante ne justifie pas sa demande de complément de rémunération variable.

- la société Wavestone Advisors qui vient aux droits de la société Kurt Salmon France n'a pas manqué à son obligation de sécurité, ni harcelé moralement Mme [T].

- la société Wavestone Advisors qui vient aux droits de la société Kurt Salmon France n'a commis aucun manquement suffisamment grave de nature à justifier une résiliation judiciaire du contrat de travail.

- le licenciement de Mme [T] est justifié du fait de son inaptitude médicalement constatée et l'impossibilité de la reclasser.

- Mme [T] ne justifie pas ses demandes relatives au DIF.

- la salariée ne peut prétendre ni à un complément d'indemnité de licenciement, ni à une indemnité compensatrice de préavis du fait de son licenciement pour inaptitude non professionnelle et de son impossibilité d'accomplir un préavis.

En conséquence,

- débouter Mme [T] de l'ensemble de ses demandes.

-condamner Mme [T] à payer à la société Wavestone Advisors qui vient aux droits de la société Kurt Salmon France la somme de 8 000 euros au titre des frais irrépétibles, outre les entiers dépens dont distraction au profit de maître Franck Lafon, avocat, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Vu l'ordonnance de clôture du 2 septembre 2019.

SUR CE,

Sur l'exécution du contrat de travail :

Sur les heures supplémentaires

L'accord collectif mis en place le 24 mai 2006 qui a été conclu dans le cadre de la convention Syntec ne comportait pas de garanties suffisantes relatives au droit au repos, à la santé et à la sécurité des travailleurs ; il en est de même s'agissant du contrat de travail ;

Il s'ensuit que les conventions de forfait conclues par l'employeur avec Mme [T] sont inopérantes, ce que l'intimée ne conteste plus en cause d'appel ;

Il y a donc lieu d'examiner la demande d'heures supplémentaires formée par Mme [T] ;

En application de l'article L.3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail effectuées, la preuve des horaires de travail effectués n'incombe spécialement à aucune des parties et si l'employeur doit être en mesure de fournir des éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié, il appartient cependant à ce dernier de fournir préalablement au juge des éléments de nature à étayer sa demande ;

 

En l'espèce, Mme [T] forme à titre principal une demande de rappel de salaire au titre d'heures supplémentaires à compter du 23 décembre 2008 et jusqu'à mai 2013 ;

La société Wavestone Advisors soulève tout d'abord la prescription partielle de cette demande, pour la période antérieure au 27 décembre 2010, ce que conteste l'appelante ;

Il est constant que la salariée a saisi la juridiction prud'homale le 27 décembre 2013 ;

La prescription quinquennale ayant commencé à courir antérieurement à la date de promulgation de la loi du 14 juin 2013, les nouveaux délais commencent à courir à compter de cette date, sans que la durée totale de la prescription puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure ; seules les créances de rappel de salaire antérieures de 5 ans à la date de la saisine de la juridiction prud'homale sont prescrites ;

Il s'ensuit que Mme [T] est recevable à solliciter une demande de rappel de salaire au titre d'heures supplémentaires à compter du 23 décembre 2008 jusqu'à mai 2013 ;

Au soutien de sa demande de rappel d'heures supplémentaires, Mme [T] expose que sa fonction de directrice comportait de lourdes charges, qu'elle a été confrontée à une surcharge de travail, à des objectifs commerciaux irréalistes et qu'aucun décompte du temps de travail n'était pas tenu par l'employeur ;

Pour étayer ses dires, elle produit notamment :

- de nombreux mails adressés par elle en dehors des horaires habituels de bureau, particulièrement entre 18 heures et minuit, ou encore le mercredi correspondant à son jour de repos, le week-end ou pendant ses congés, ainsi qu'un tableau récapitulatif de ces mails ;

- des échanges avec son supérieur hiérarchique ou avec les associés partner de l'entreprise ; à titre d'exemple, un mail en date du dimanche 17 juin 2012 de Mme [K], associée, transmettant une « version revue d'un support du comité Probasis du 19 et de la communication sociale, sur laquelle nous avons retravaillé ce week-end, avec la contribution de [V] et [Y] » ;

- un décompte hebdomadaire d'heures supplémentaires ;

La salariée produit ainsi des éléments préalables qui peuvent être discutés par l'employeur et qui sont de nature à étayer sa demande ;

L'employeur expose que le décompte produit en cause d'appel présente de nombreuses incohérences, qu'il ne fait pas mention d' horaires de travail, que la salariée était libre de ses horaires de travail et qu'elle désirait cette flexibilité, qu'elle a accepté ses objectifs puis ne les a pas atteints, que pratiquement tous les mails qu'elle produit sont très courts et ne nécessitaient pas un travail important ou une réponse en dehors des horaires habituels, que certains sont en outre rédigés en langue anglaise ; il rappelle par ailleurs que Mme [T] était, pendant partie de la période revendiquée, à temps partiel pour en conclure que le taux de majoration ne pourrait alors être que de 10% et non de 25% ;

L'employeur produit notamment :

- un courrier de Mme [T] du 24 novembre 2011 de demande de travail à 4/5ème où elle indique souhaiter prendre la journée du mercredi « avec une souplesse » en cas d'impératif professionnel,

- un mail de Mme [T] du 16 mai 2012 relatif à son temps partiel à 4/5ème que cette dernière mentionne être compatible avec son activité,

- ce même mail où elle indique souhaiter prendre les lundis (et non plus mercredi) en jour de 4/5ème sur la période du 25 juin au 7 septembre ;

Il fait justement valoir que la salariée recherchait et disposait de souplesse dans l'organisation de son travail et qu'il y a lieu de tenir compte des jours fériés, journées de récupération du temps de travail et repos pris par la salariée ; qu'à ce titre, Mme [T] revendique par exemple 2 heures supplémentaires la première semaine d'avril 2013 alors qu'elle mentionne elle-même avoir été 4 jours en repos ;

Il est souligné qu'il ressort des échanges de mails produits en langue française qu'une partie substantielle d'entre eux correspond à de simples interrogations par la salariée voire réception avec remerciements et/ou n'appelaient pas de réponse immédiate à ses interlocuteurs en dehors des horaires de travail habituels ou ne démontrent pas l'accomplissement d'un travail ;

Au vu des éléments produits de part et d'autre, la cour retient que Mme [T] a bien effectué des heures supplémentaires non rémunérées, mais dans une proportion bien moindre que celle revendiquée et qu'elle est fondée à réclamer un rappel de salaire pour heures supplémentaires effectuées sur la période comprise entre le 23 décembre 2008 et mai 2013 seulement à hauteur de la somme de 7 392 euros, outre la somme de 739,20 euros au titre des congés payés afférents ;

Elle sera par suite déboutée de sa demande formée au titre de la contrepartie obligatoire en repos ;

S'agissant de la demande de dommages et intérêts pour travail dissimulé, la dissimulation d'emploi salarié prévue par l'article L.8221-5 du code du travail n'est caractérisée que s'il est établi que l'employeur a, de manière intentionnelle, mentionné sur les bulletins de paie un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement effectué ; une telle intention, qui ne peut se déduire de la seule absence de mention des heures supplémentaires sur les bulletins de paie, étant en outre rappelé qu'une convention de forfait jour avait été prévue au contrat de travail, n'est pas caractérisée en l'espèce ;

Mme [T] sera donc déboutée de sa demande d'indemnité forfaitaire formée à ce titre ;

Sur les salaires pendant la période de maladie

Mme [T] a saisi le conseil de prud'hommes de Nanterre le 23 décembre 2013, de sorte que le principe d'unicité de l'instance et de l'interdiction des demandes nouvelles ne peut lui être opposé ; la recevabilité de sa demande formée au titre des salaires pendant la période de maladie sera donc admise ;

Toutefois, l'intimée rappelle avoir fait application des dispositions conventionnelles et fait justement valoir que Mme [T] s'est arrêtée de travailler à compter de mai 2013 alors qu'elle était à temps partiel, de sorte qu'elle ne peut formuler une demande de rappel de salaire ou d'indemnisation sur la base d'un temps complet ;

La demande formée à ce titre sera donc rejetée ;

Sur la rémunération variable

Compte tenu des motifs susvisés et alors au surplus que la rémunération variable était versée en mars et mai de l'année n+1, Mme [T] est recevable à solliciter une demande de rappel de salaire au titre de la rémunération variable au titre des années 2008 à 2013, non prescrites ;

Le contrat de travail de la salariée prévoyait en son article 4 qu'à la rémunération fixe s'ajoutait une prime annuelle potentielle qui dépend à la fois de l'atteinte des objectifs définis conjointement et des résultats du processus d'évaluation des performances réalisés en fin d'exercice ;

Mme [T] a émis dans un courriel du 4 juin 2009 une critique de l'objectif de 2 millions de vente prévu pour l'année 2009 ;

Néanmoins, comme le relève à juste titre l'intimée, Mme [T] ne conteste pas ne pas avoir atteint cet objectif mais encore ne produit pas dans le cadre de sa demande de rappel de prime d'éléments concernant son activité 2009 ni ne verse aux débats son évaluation 2009, au contraire d'autres années ultérieures ;

La salariée a perçu à titre de prime annuelle les sommes suivantes : 30 000 euros au titre de l'année 2008, 15 000 euros pour 2009, 24 000 euros pour 2010, 21 000 euros pour 2011, 16 500 euros pour 2012 et pas de prime en 2013, étant notamment rappelé l'absence de la salariée à compter du 17 mai 2013 ;

Au titre des années 2010 à 2013, les éléments et évaluations produits par les parties, nonobstant quelques différences, révèlent que les objectifs n'étaient pas atteints à 100% ainsi que l'ont justement rappelé et précisé les premiers juges dans leurs motifs et/ou mentionnent que des axes de progrès de la salariée demeuraient à réaliser ;

En conséquence, le rejet de la demande de complément de rémunération variable formée sur la base de 30 000 euros par an soit de 100% de sa rémunération variable potentielle sera confirmé ;

Sur le harcèlement moral

Aux termes de l'article L.1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ;

Selon l'article L.1152-2 du code du travail, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral et pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés ;

Vu les articles L1152-1 et L1254-1 du code du travail, il résulte de ces textes que lorsque le salarié établit la matérialité de faits précis et concordants constituant selon lui un harcèlement, il appartient au juge d'apprécier si ces éléments, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral ; dans l'affirmative, il appartient à l'employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement ;

En l'espèce, Mme [T] invoque une dégradation progressive de ses conditions de travail, comprenant notamment des reproches injustifiés, un comportement dénigrant et méprisant de M. [P], la mise à l'écart de dossiers, un surmenage professionnel, la fixation d'objectifs irréalistes et la réduction arbitraire de sa rémunération variable ; elle fait enfin état d'une dégradation de son état de santé ;

Pour étayer ses affirmations, elle produit notamment :

- des mails reçus de M. [P] et échangés avec lui :

Si les mails auxquels se réfère Mme [T] font certes apparaître le ton peu courtois ou le style direct employé par M. [P], son supérieur hiérarchique, au cours de quelques échanges au cours de la relation de travail, ceux-ci doivent toutefois être replacés dans le contexte des résultats professionnels recherchés et interprétés à la lumière des échanges entre les interlocuteurs ; par exemple, le commentaire de M. [P] dans son mail du 19 avril 2013 (« c'est débile ») intervient en réponse au mail de la salariée précisant que « c'est la demande du client » au sujet d'un planning envisagé ; ces mails demeurent ainsi insuffisants à établir des reproches injustifiés ou un comportement dénigrant et méprisant de M. [P] à son encontre ;

- une attestation de M. [N] et des réclamations de la salariée :

M. [N], salarié au sein du groupe Technip, souligne la qualité de la prestation fournie par Mme [T] dans le cadre d'une première étude et évoque l'insistance de M. [P] pour mettre un autre collaborateur que cette dernière sur une nouvelle mission et le choix final de Technip de ne pas retenir le cabinet Kurt Salmon ; toutefois, l'intimée est bien fondée à souligner que cette attestation est datée du 28 février 2018, soit plus de 5 ans après les faits qu'elle évoque, ce qui réduit sa valeur probante, et qu'aucun échange écrit ne corrobore de demande ou attente de Technip à cet égard ; surtout, il rappelle les raisons objectives énoncées dès le 9 juillet 2013 par courrier adressé en réponse à Mme [T] s'agissant des ressources humaines dans le cadre tant du dossier Technip que Véolia ; concernant les missions chez Sanofi et Essilor, Mme [T] se réfère à son mail du 23 septembre 2009 qui ne fait que reprendre ses propres affirmations ;

- des échanges de mails relatifs à ses horaires de travail :

Ces éléments ont déjà été examinés et ont conduit à allouer à Mme [T] un rappel de salaire au titre d'heures supplémentaires dans les seules proportions susvisées ;

La cour a en outre écarté les demandes de la salariée se rapportant à la rémunération variable liée pour partie aux objectifs fixés ;

- des pièces médicales :

Mme [T] justifie avoir été hospitalisée le 17 mai 2013 et de ses arrêts de travail successifs à compter de cette date ; son médecin traitant évoque dans un certificat médical sa « souffrance au travail » et « un [diagnostic de] dépression de surmenage (burn out) » ;

Il demeure que ce certificat médical émanant du médecin traitant, qui n'a pu constater aucun fait dans l'entreprise, demeure insuffisant à établir un lien entre les agissements prétendument subis et le syndrome évoqué, alors que l'intimé justifie que l' Assurance maladie a notifié le 8 septembre 2015 son refus de prise en charge de la maladie de Mme [T] au titre de la législation relative aux risques professionnels et que le médecin du travail a lui-même visé dans son avis d'inaptitude du 1er octobre 2014 une maladie ou accident non professionnel ;

En l'état des explications et des pièces fournies, la matérialité d'éléments de fait précis et concordants pris dans leur ensemble laissant supposer l'existence d'un harcèlement moral n'est pas démontrée. La demande relative au harcèlement doit par conséquent être rejetée ; le jugement sera confirmé de ce chef ;

Sur la rupture du contrat de travail :

Sur la résiliation judiciaire du contrat de travail

Il résulte des motifs précités que les manquements invoqués par Mme [T] à l'appui de sa demande de résiliation judiciaire du contrat de travail ne sont pas établis, à l'unique exception d'un rappel d'heures supplémentaires ;

Sa demande formée à ce dernier titre a été réduite à la somme de 7 392 euros pour l'ensemble de la période écoulée entre le 23 décembre 2008 et le mois de mai 2013, le contrat de travail s'étant poursuivi pendant les années considérées ;

La cour estime qu'il n'est pas établi de manquement suffisamment grave à l'encontre de l'employeur empêchant la poursuite du contrat de travail pour justifier la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail ; Le rejet de la demande formée à ce titre sera donc confirmé ;

Sur le licenciement

Il se déduit des motifs précédents que l'inaptitude médicale de Mme [T] n'est pas la conséquence d'un harcèlement moral ;

Aux termes de l=article L. 1226-2 du code du travail, à l=issue des périodes de suspension du contrat de travail consécutives à une maladie ou à un accident non professionnels, si le salarié est déclaré par le médecin du travail inapte à reprendre l=emploi qu=il occupait précédemment, l=employeur est tenu de lui proposer un autre emploi approprié à ses capacités, compte tenu des conclusions écrites du médecin du travail et des indications qu=il formule sur l=aptitude du salarié à exercer l=une des tâches existantes dans l=entreprise et aussi comparable que possible à l=emploi précédemment occupé, au besoin par la mise en 'uvre de mesures telles que mutations ou transformations de postes de travail ;

L'employeur justifie avoir recherché des possibilités de reclassement qui l'ont conduit à proposer à Mme [T] par courrier du 14 octobre 2014 trois offres de reclassement, aux postes de chargée de recrutement, de comptable auxiliaire et de comptable général ; le 23 octobre 2014, Mme [T] a fait connaître qu'elle n'était pas intéressée par ces postes ;

Si ces postes proposés étaient en effet très éloignés de ses fonctions anciennement exercées, les offres devaient tenir compte des préconisations du médecin du travail, qui avait retenu une « inaptitude au poste de consultante directrice » et n'avait retenu qu'une « aptitude à un poste sans pression commerciale et sans rythme intensif » et qui, réinterrogé par l'employeur, avait indiqué le 13 octobre 2014 avoir pris connaissance des propositions de postes de reclassement de celui-ci et estimé qu'elles pouvaient être proposées à Mme [T] ; dans ces conditions l'employeur n'a pas agi de manière déloyale et a satisfait à son obligation au titre du reclassement ;

En conséquence, le jugement sera confirmé en ce qu'il a dit que le licenciement est justifié et débouté Mme [T] de l'intégralité de ses demandes au titre de la rupture du contrat de travail ;

Sur le DIF

Mme [T] a été informée de ses droits au titre du DIF le 17 avril 2013 puis le 10 novembre 2013 et ne justifie pas en tout état de cause avoir subi de préjudice à ce titre ; le rejet de la demande indemnitaire formée à ce titre sera également confirmé ;

Sur les intérêts

Les intérêts au taux légal portant sur les condamnations de nature salariale seront dus à compter de la réception de la convocation de l'employeur devant le bureau de conciliation, et à compter du présent arrêt sur les condamnations à caractère indemnitaire ;

Il y a lieu d'ordonner la capitalisation des intérêts dans les conditions de l'article 1343-2 du code civil à compter de la date de la demande qui en été faite ;

Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens

Compte tenu de la solution du litige, la décision entreprise sera confirmée de ces deux chefs et par application de l'article 696 du code de procédure civile, les dépens de première instance et d'appel seront mis à la charge de la Wavestone Advisors ;

La demande formée par Mme [T] au titre des frais irrépétibles en cause d'appel sera accueillie, à hauteur de 2 000 euros ;

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

statuant publiquement et contradictoirement,

Confirme le jugement entrepris, sauf en ses dispositions relatives aux heures supplémentaires, aux congés payés afférents et aux dépens,

Statuant de nouveau des dispositions infirmées et y ajoutant,

Condamne la SAS Wavestone Advisors, venant aux droits de la société Kurt Salmon France à payer à Mme [Y] [T] les sommes suivantes :

- 7 392 euros à titre de rappel d'heures supplémentaires, outre la somme de 739,20 euros au titre des congés payés afférents,

- 2 000 euros à titre d'indemnité pour frais irrépétibles de procédure,

Dit que les sommes à caractère salarial produiront intérêts au taux légal à compter de de la convocation de l'employeur en conciliation et celles à caractère indemnitaire produiront intérêts au taux légal à compter du présent arrêt,

Ordonne la capitalisation des intérêts dans les conditions de l'article 1343-2 du code civil,

Déboute les parties de leurs autres demandes plus amples ou contraires,

Condamne la SAS Wavestone Advisors, venant aux droits de la société Kurt Salmon France aux dépens de première instance et d'appel.

Arrêt prononcé par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,

Signé par Mme Hélène PRUDHOMME, président, et Mme Sophie RIVIERE, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le GREFFIER Le PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 11e chambre
Numéro d'arrêt : 16/05464
Date de la décision : 07/11/2019

Références :

Cour d'appel de Versailles 11, arrêt n°16/05464 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2019-11-07;16.05464 ?
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