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17/10/2019 | FRANCE | N°18/03624

France | France, Cour d'appel de Versailles, 3e chambre, 17 octobre 2019, 18/03624


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 64B



3e chambre



ARRET N°



CONTRADICTOIRE



DU 17 OCTOBRE 2019



N° RG 18/03624



N° Portalis DBV3-V-B7C-SMZL



AFFAIRE :



SAS ARP MERMOZ

...



C/



[F] [H] divorcée [A]









Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 05 Avril 2018 par le Tribunal de Grande Instance de VERSAILLES

N° Chambre : 3

N° RG : 15/03848




Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :



à :







Me Pascal KOERFER de la SCP BOULAN KOERFER PERRAULT



Me Natacha MAREST-CHAVENON de la SCP REYNAUD ASSOCIES







RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



LE DIX SEPT...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 64B

3e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 17 OCTOBRE 2019

N° RG 18/03624

N° Portalis DBV3-V-B7C-SMZL

AFFAIRE :

SAS ARP MERMOZ

...

C/

[F] [H] divorcée [A]

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 05 Avril 2018 par le Tribunal de Grande Instance de VERSAILLES

N° Chambre : 3

N° RG : 15/03848

Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :

à :

Me Pascal KOERFER de la SCP BOULAN KOERFER PERRAULT

Me Natacha MAREST-CHAVENON de la SCP REYNAUD ASSOCIES

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE DIX SEPT OCTOBRE DEUX MILLE DIX NEUF,

La cour d'appel de Versailles, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

1/ SAS ARP MERMOZ

N° SIRET : B 328 834 742

[Adresse 1]

[Adresse 1]

agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

2/ SARL ARPROD

N° SIRET : B 432 226 652

[Adresse 1]

[Adresse 1]

agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

Représentant : Me Pascal KOERFER de la SCP BOULAN KOERFER PERRAULT, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire: C.31

Représentant : Me Sébastien HAAS, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : C2251

APPELANTES

****************

Madame [F] [H] divorcée [A]

née le [Date naissance 1] 1962 à [Localité 1]

de nationalité Française

[Adresse 2]

[Adresse 2]

Représentant : Me Natacha MAREST-CHAVENON de la SCP REYNAUD ASSOCIES, Postulant et Plaidant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 177 - N° du dossier 381379

INTIMEE

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 786 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 02 Septembre 2019 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Françoise BAZET, Conseiller chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Véronique BOISSELET, Président,

Madame Françoise BAZET, Conseiller,

Madame Caroline DERNIAUX, Conseiller,

Greffier, lors des débats : Madame Claudine AUBERT,

FAITS ET PROCEDURE

La société ARP dont M. [W] est le président a pour objet la production, l'acquisition et la distribution de films de longs-métrages cinématographiques.

La société ARP a trois sociétés soeurs, toutes trois dirigées par M. [W] :

- la société ARP Sélection a pour objet la distribution des films de longs-métrages acquis ou produits par la société ARP,

- la société Caractères est une agence de publicité qui travaille exclusivement au lancement, à la promotion et à l'achat d'espaces publicitaires pour les films distribués par la société ARP Sélection,

- la société ARPROD a pour activité la production exécutive des films produits par la société ARP.

Mme [H] a travaillé au sein du groupe ARP. Le 3 juillet 2008, M. [W], agissant en qualité de président de la société ARP et de gérant de la société ARPROD, a déposé plainte contre elle auprès de M. le procureur de la République du tribunal de grande instance de Paris pour :

- atteinte au secret des correspondances,

- abus de confiance,

- escroquerie,

- passation d'écritures inexactes ou fictives,

- faux, usage de faux et faux en écritures de commerces fallacieuses.

Les sociétés ARP et ARPROD ont été autorisées par ordonnance du juge de l'exécution du 8 juillet 2008 à inscrire une hypothèque provisoire sur le bien immobilier de Mme [H] et de M. [A], son époux, ancien salarié des dites sociétés et également licencié, pour une créance évaluée provisoirement en principal, intérêts et accessoires à 430 000 euros.

Ayant appris que le bien allait être vendu, elles ont été autorisées par ordonnance du 28 août 2008 à pratiquer une saisie conservatoire sur les biens meubles corporels ainsi que sur la voiture de M. et Mme [A].

Par ordonnance du 25 août 2008, le juge de l'exécution a autorisé les sociétés ARP et ARPROD à pratiquer une saisie conservatoire entre les mains du notaire en charge de la vente de la maison de M. et Mme [A].

Par acte du 17 septembre 2008, les deux sociétés ont assigné Mme [H] et M. [A] devant le tribunal de grande instance de Versailles en paiement des sommes détournées, soit la somme de 437 015,83 euros en principal.

Par jugement du 18 avril 2013, le tribunal a ordonné le sursis à statuer jusqu'à ce qu'une décision définitive soit rendue dans le cadre de la procédure pénale en cours.

Le tribunal correctionnel du tribunal de grande instance de Paris a rendu son jugement le 28 mai 2013 à l'encontre duquel Mme [H] n'a pas interjeté appel.

Par jugement du 5 avril 2018, le tribunal de grande instance de Versailles a :

- donné acte aux sociétés ARP et ARPROD du désistement de toutes leurs demandes formées à l'encontre de M. [A],

- débouté les deux sociétés de leur demande formée à l'encontre de Mme [H] au titre du préjudice matériel,

- condamné Mme [H] à payer à la société ARP la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral,

- condamné Mme [H] à payer à la société ARPROD la somme de 5 000 euros à titre de dommages en réparation du préjudice moral,

- débouté Mme [H] de sa demande reconventionnelle,

- condamné Mme [H] à payer à la société ARP et la société ARPROD la somme de 1500 euros chacune sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté M. [A] de sa demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,

- ordonné l'exécution provisoire,

- condamné Mme [H] aux dépens.

Par acte du 23 mai 2019, les sociétés ARP et ARPROD ont interjeté appel en ce que le jugement les a déboutées de leur demande formée au titre du préjudice matériel, et demandent à la cour, par dernières écritures du 29 juillet 2019, de :

- infirmer le jugement rendu, en ce qu'il les déboute de leur demande formée contre Mme [H] au titre du préjudice matériel,

- condamner Mme [H] à payer à la société ARP la somme de 358 316,44 euros en réparation de son préjudice matériel,

- condamner Mme [H] à payer à la société ARPROD la somme de 66 521,22 euros en réparation de son préjudice matériel,

- confirmer le jugement rendu pour le surplus,

- débouter Mme [H] de l'intégralité de ses demandes,

- condamner Mme [H] à payer à la société ARP et à la société ARPROD une somme de 5000 euros chacune en application de l'article 700 du code de procédure civile

- condamner Mme [H] aux dépens.

Par dernières écritures du 12 juin 2019, Mme [H] demande à la cour de :

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté les sociétés ARP et ARPROD de leurs demandes d'indemnisation formées au titre du préjudice matériel,

- infirmer partiellement le jugement entrepris,

- débouter les sociétés ARP et ARPROD de leurs demandes d'indemnisation formées au titre du préjudice moral,

- condamner la société ARP à lui payer la somme de 50 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral,

- condamner la société ARPROD à lui payer la somme de 20 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral,

- condamner chacune des sociétés à lui payer la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

La cour renvoie aux écritures des parties en application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile pour un exposé complet de leur argumentation.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 2 septembre 2019, après révocation de l'ordonnance du 13 juin 2019.

SUR QUOI, LA COUR

Le tribunal a retenu pour l'essentiel que la réalité de la faute commise par Mme [H] au préjudice d'une part de la société ARP et d'autre part de la société ARPROD découlait de la déclaration de culpabilité et de sa condamnation pénale.

Rappelant que les deux sociétés constituaient deux personnes morales distinctes, le tribunal a observé que les deux sociétés ne rapportaient pas la preuve du préjudice matériel subi par chacune d'elle en lien avec la faute commise par Mme [H] et les a déboutées de la demande commune faite à ce titre.

Les premiers juges ont retenu que le comportement délictueux de Mme [H] avait nécessairement causé un préjudice moral à chacune des sociétés qui lui avaient accordé leur confiance quand bien même il avait été relevé que la comptabilité des sociétés était tenue de manière 'artistique'.

Enfin, le tribunal a jugé que les témoignages versés aux débats ne permettaient pas d'établir que l'attitude des dirigeants des sociétés envers Mme [H] serait constitutive d'une faute lui ayant causé un préjudice moral.

Les appelantes rappellent que le jugement du tribunal correctionnel du 28 mai 2013 a déclaré Mme [H] coupable d'abus de confiance commis entre janvier 2006 et le 2 juillet 2008, en retenant que le montant des sommes détournées était de 149 413 euros, et de faux et usage de faux au titre des fausses factures établies en 2006, 2007 et 2008. Elles soutiennent que la condamnation pénale supposant nécessairement l'existence d'une faute civile, la responsabilité de Mme [H] dans les actes d'abus de confiance, de faux et d'usage de faux à leur détriment est ainsi définitivement établie en son principe et ne peut plus être contestée, de sorte que les affirmations de l'intéressée selon lesquelles elle n'a agi que sur instructions de M. [W] doivent être écartées.

La société ARPROD précise que son préjudice s'élève à la somme de 66521,22 euros car elle a déduit celle de 10 277,50 euros.

La société ARP évalue quant à elle son préjudice à la somme de 358 316,44 euros dont elle a déduit la somme totale de 8219 euros rejetée par le tribunal correctionnel. Elle conteste le tableau récapitulatif versé pour la première fois par Mme [H] dans ses écritures du 12 juin 2019, soulignant qu'aucune explication n'est donnée sur la sélection des sommes opérée par l'intimée, laquelle ne retient dans son tableau que les montants affectés en compte de charges et dont on ignore si elle reconnaît les avoir détournés.

La société ARP souligne qu'elle communique les pièces comptables au soutien de ses tableaux récapitulatifs et que Mme [H] ne précise pas quelle pièce complémentaire ferait défaut. Elle fait valoir que, contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, les justificatifs établis par l'expert-comptable ne sont pas des preuves que les appelantes se constituent elles mêmes.

Les appelantes affirment par ailleurs que les sommes retenues dans le jugement correctionnel ne reflètent pas l'intégralité de leur préjudice et que l'autorité de la chose jugée ne s'attache pas à l'étendue du préjudice tel qu'arrêté par la juridiction pénale.

Mme [H] réplique que devant la juridiction civile, il appartient aux sociétés ARP et ARPROD, de justifier de la réalité et du bien fondé de leurs demandes et à ce titre de fournir l'ensemble de la comptabilité et des pièces comptables, qu'il ne lui incombe pas de se substituer aux sociétés appelantes qui se gardent de solliciter une expertise judiciaire comptable alors que seule une mesure d'instruction comptable permettrait de déterminer la réalité des différents mouvements comptables et déterminer les bénéficiaires. Elle ajoute que si les deux sociétés se retranchent derrière l'ordonnance de renvoi du juge d'instruction pour considérer comme établi leur préjudice à hauteur des sommes qu'elles réclament, le tribunal correctionnel n'a pas retenu leur préjudice à hauteur de 443 335,16 euros.

Mme [H] affirme que si des manipulations comptables ont existé, elles ont eu lieu sur ordre de M. [W] et ce au bénéfice personnel des dirigeants des sociétés. Elle ajoute que dans le tableau produit par les appelantes, seule une partie des dépenses est indiquée comme ayant été saisie par elle, de sorte que l'imputabilité de la disparition des autres sommes ne peut être établie. Mme [H] poursuit ensuite en développant des observations sur certaines des dépenses dont les appelantes lui demandent le remboursement et rappelle que lors de la perquisition faite à son domicile, aucun meuble, ni vêtement qui aurait pu correspondre aux achats allégués n'a été retrouvé.

* * *

Mme [H] a été salariée en qualité d'adjointe administrative au sein de la société LPC du 1er février 1986 au 14 avril 1998, date à laquelle son contrat de travail a été repris par la société Caractères en qualité de responsable administrative. Elle a été licenciée pour faute grave, le 4 janvier 2008, pour avoir réglé des dépenses personnelles, d'un montant de 14 398 euros, au moyen du chéquier de la société ARPROD.

Après son licenciement le 4 janvier 2008, et après avoir remboursé la somme de 14 398 euros, elle a de nouveau été embauchée pour le compte de la société Caractères en qualité de responsable administrative. Ses fonctions l'ont amenée à travailler pour l'ensemble des sociétés du groupe, la société Caractères refacturant les prestations accomplies aux autres sociétés. Elle a fait l'objet d'un second licenciement le 2 juillet 2008, dont le bien fondé n'a jamais été contesté en justice. Son époux, M. [A], a été salarié de la société ARP Sélection jusqu'à son licenciement pour faute lourde, intervenu le 10 juillet 2008.

A la suite de la plainte déposée par le représentant légal des sociétés ARP et ARPROD auprès du procureur de la République du tribunal de grande instance de Paris, une instruction a été ouverte. Le magistrat instructeur a rendu, le 23 juillet 2012, une ordonnance de renvoi de Mme [H] et de M. [A] devant la juridiction de jugement.

Mme [H] était renvoyée devant le tribunal correctionnel pour avoir :

- courant 2006, 2007 et 2008, détourné des fonds et valeurs appartenant aux sociétés ARP et ARPROD en sa qualité de chargée de mission, en l'espèce en tirant des chèques sur ladite société, et en les encaissant à son profit ou en les utilisant à des fins personnelles à hauteur de 443 334,16 euros

- courant 2006, 2007 et 2008, altéré frauduleusement la vérité d'un écrit et fait usage des dits faux,

- accédé, courant 2008, frauduleusement dans tout ou partie d'un système automatisé de données, en l'espèce le système informatique des sociétés ARP et ARPROD, avec cette circonstance qu'il en est résulté la modification et la suppression de données notamment le dossier opposant les sociétés à la société Europacorp,

- porté atteinte courant 2008 au secret des correspondances, en l'espèce en ayant intercepté, de mauvaise foi, des correspondances adressées à la Société ARP au préjudice de cette dernière ('),

- courant septembre 2008, détourné un objet saisi, en l'espèce en vendant un véhicule Land Rover en méconnaissance d'une dénonciation de saisie conservatoire intervenue antérieurement et dont elle avait eu connaissance.

Devant le tribunal correctionnel, les parties civiles ont formé des demandes tendant à la réparation des préjudices résultant des actes de faux et usage de faux pour la signature du protocole transactionnel, de l'accès frauduleux au système automatisé, de l'atteinte au secret des correspondances et du détournement d'objet saisi. Leurs conclusions du 14 mai 2013 précisent que du fait de la procédure civile introduite devant le tribunal de grande instance de Versailles, tendant à l'indemnisation de leurs préjudices résultant des abus de confiance imputés à Mme [H] et à M. [A], aucune demande n'était formée de ce chef devant la juridiction pénale (pièce n° 29 des appelantes).

Par jugement du 28 mai 2013, la 12ème chambre du tribunal correctionnel du tribunal de grande instance de Paris a :

- relaxé Mme [H] pour les faits d'atteinte au secret des correspondances émises par télécommunication commis courant janvier 2008 et jusqu'au 31 décembre 2008, détournement ou destruction par le saisi d'objet saisi et confié,

- déclaré Mme [H] coupable des faits qualifiés de faux et usage de faux, suppression de données résultant d'un accès frauduleux à un système de traitement automatisé de données, abus de confiance commis courant janvier 2006 et jusqu'au 31 décembre 2008,

- relaxé M. [A] des fins de la poursuite,

Sur l'action civile :

- déclaré Mme [H] responsable des préjudices subis par les sociétés ARP et ARPROD,

- condamné Mme [H] à payer à la société ARP la somme de 38 000 euros en réparation du préjudice subi du fait du faux commis lors de la signature du protocole du 11 mai 2007 et celle de 2500 euros en réparation du préjudice subi du fait de l'accès frauduleux au système automatisé,

- condamné Mme [H] à payer à la société ARPROD la somme de 2500 euros en réparation du préjudice subi du fait de l'accès frauduleux au système automatisé.

Dans sa motivation portant sur la caractérisation du délit d'abus de confiance, le tribunal a retenu que le montant total des chèques encaissés par Mme [H] s'élevait à 157 632 euros, dont il y avait lieu de déduire certaines dépenses qui avaient autant bénéficié à la famille de M. [W] qu'à celle de M. [A] et qu'ainsi le montant total des sommes détournées par Mme [H] s'élevait à 149 413 euros.

Il est de principe que l'autorité de la chose jugée au pénal ne s'attache qu'au dispositif de la décision et aux motifs qui en sont le soutien nécessaire. Elle s'impose donc au juge civil relativement aux faits constatés qui constituent le soutien nécessaire de la condamnation pénale mais non aux motifs qui fixent l'étendue du préjudice.

Les développements que consacre Mme [H] au fait qu'elle aurait agi sur instructions de M. [W] sous l'emprise duquel elle se serait trouvée sont sans portée dés lors que, par un jugement définitif, elle a été jugée coupable de faits constitutifs d'abus de confiance.

Les appelantes, pour le motif rappelé ci-dessus, sont fondées à faire état d'un préjudice autre que celui retenu par le tribunal correctionnel. Il sera observé que si, pour examiner les charges pesant sur Mme [H] au titre de l'abus de confiance, le tribunal correctionnel était tenu de caractériser l'existence d'un préjudice, élément constitutif de l'abus de confiance, il n'était pas saisi, s'agissant des demandes civiles, de demandes en réparation du préjudice matériel résultant de ces abus de confiance.

L'instruction a permis de retenir qu'en dépit de la présence d'un comptable au sein du groupe, M. [J], Mme [H], qui avait la totale confiance de son employeur nonobstant un premier détournement à l'origine de son premier licenciement, avait la haute main sur les écritures comptables et la signature des chèques. M. [J], entendu par les services enquêteurs le 19 août 2008, déclarait : 'en 2001, j'avais des problèmes de relations professionnelles avec [F] [H] car j'étais comptable et nous étions deux à passer les écritures, elle et moi, alors qu'elle était responsable administrative. C'était plus que le bras droit de [Z] [W], cela dépassait le cadre du travail. Il avait une totale confiance en elle, elle faisait son travail, était marraine de son fils, était très présente dans tous les domaines. En 2001, le problème que j'ai rencontré, c'est qu'elle gardait les documents comptables, je n'en étais pas destinataire en priorité alors que j'étais le comptable du groupe !'.

Il importe de noter qu'après le départ de M. [J] en mars 2006, Mme [H] est demeurée la seule à saisir la comptabilité et ce jusqu'en juin 2008, date de son licenciement, de sorte que les écritures examinées par l'expert-comptable des sociétés ont été nécessairement passées par elle, qui disposait par ailleurs d'une délégation de signature pour émettre les chèques.

Au soutien de leurs demandes, les appelantes versent aux débats le dossier intitulé 'analyse des mouvements pouvant constituer des détournements au sein de la société ARP', analyse réalisée par M. [S], expert-comptable du groupe depuis 1985.

Il ne peut être soutenu par Mme [H] et comme l'a retenu le tribunal que ce document est une preuve que se seraient constituées les deux sociétés appelantes. En effet l'expert- comptable n'est pas le salarié de celles-ci, il est inscrit au tableau de l'Ordre des experts-comptables, a prêté serment lors de son inscription et est soumis à un code de déontologie. Par ailleurs l'expert comptable a annexé aux tableaux récapitulatifs les factures et les chèques. Enfin, cette analyse comptable a été suivie d'une enquête menée par la brigade de répression de la délinquance astucieuse puis d'une information.

Les documents précités mettent en évidence que Mme [H] commettait des détournements à son profit de trois façons :

- à partir des chéquiers détenu par les sociétés, Mme [H] a émis des chèques à son ordre, à celui de M. [A], alors son mari, ou à l'ordre de tiers, et ce afin de payer des dépenses personnelles. Si l'écriture apparaissant sur les chèques n'est pas toujours la même, il en va différemment de la signature qui, elle, est identique, et semblable à celle qui figure comme étant celle de Mme [H] sur le procès-verbal de perquisition du 2 octobre 2008 et sur le procès-verbal de confrontation du 25 mai 2010.

- à partir des chéquiers de la société ARP, Mme [H] a émis des chèques à l'ordre d'elle même pour retirer des espèces qu'elle a conservées. Ces dépenses ont été justifiées en comptabilité par des notes de frais qui avaient déjà donné lieu à remboursement.

- à partir de ces mêmes chéquiers Mme [H] a émis des chèques à l'ordre de 'nous-mêmes', a retiré en agence les espèces puis soit a enregistré en comptabilité ses factures personnelles soit a établi des factures fictives destinées à masquer les détournements. Les exemples le plus flagrants sont les très nombreuses factures

(31 pour un montant total de 44 200 euros pour le seul exercice 2006/2007) établies au nom de la société Ferme de Louveciennes dont le gérant a précisé que la société ARP n'était pas sa cliente ainsi que celles établies par la société Pasta e Basta dont le gérant a indiqué qu'une facture de 3300 euros ne pouvait avoir été établie par lui alors que son établissement ne peut accueillir plus de 10 à 12 personnes et que son menu le plus élevé est de 20 euros.

Pour contester le bien fondé des demandes des deux sociétés, Mme [H], fait valoir que le directeur des sociétés, M. [W], commettait des abus de biens sociaux et que les espèces retirées lui étaient destinées ainsi qu'à sa famille.

Toutefois la cour observe que Mme [H] formulait déjà ces accusations au cours de l'enquête de police et que pour autant cette enquête puis l'instruction n'ont jamais mis en évidence leur pertinence et n'ont jamais débouché sur une mise en examen de M. [W], même si un manque de rigueur dans la gestion des comptes des sociétés existait à l'évidence, ce que soulignait déjà le magistrat instructeur en écrivant dans son ordonnance de renvoi : ' on ne comprend pas très bien comment la partie civile ne s'est pas aperçue plus tôt de l'ensemble des malversations qu'elle dénonce'.

Mme [H] fait observer que certaines des saisies comptables dénoncées par les sociétés appelantes ont été effectuées le 28 décembre 2009 alors qu'elle même n'y travaillait plus depuis plus d'un an. Toutefois, ainsi que le soulignent les appelantes, le dossier d'analyse des mouvements suspects établi par l'expert-comptable le 3 juillet 2008 fait état d'écritures impossibles puisque datées du 28 décembre 2009 et correspondant à des factures d'un fleuriste de 2006/2007. Mme [H] ne saurait occulter le fait qu'elle a été déclarée coupable par le tribunal correctionnel de Paris d'avoir courant 2008 et jusqu'au 31 décembre 2008 accédé frauduleusement au système automatisé de données des sociétés ARP et ARPROD. Un expert informaticien de la société Celog qui accompagnait Maître [D], huissier de justice, le 23 juillet 2008 en vue de l'établissement d'un procès-verbal de constat a pu ainsi constater des modifications et écritures de 'fichiers de type comptabilité' (pièce n° 38 des appelantes).

Mme [H] ne peut être suivie lorsqu'elle affirme que la perquisition réalisée à son domicile n'a permis la saisie d'aucun bien en rapport avec un achat frauduleux alors que précisément ont été saisis des tee-shirts de la marque Zadig & Voltaire et deux ceintures de la marque Hermes, dont les achats correspondent à des factures listées par l'expert-comptable. Il sera de surcroît observé que la perquisition a été effectuée le 2 octobre 2008 alors que Mme [H] était mise à pied depuis le 12 juin 2008.

Il sera également relevé qu'il a été reproché à Mme [H] une dépense de 41900 euros correspondant à un chèque tiré le 26 octobre 2007 du compte ARP. Ce chèque a été émis à l'ordre de Mme [H], porte sa signature et a été rédigé par son époux, M. [A]. L'écriture comptable s'y rapportant désigne une société 'Met/Flash'qui est un fournisseur de la société ARPROD qui vend des espaces publicitaires.

Entendue sur ce point, Mme [H] a d'abord évoqué une prime, contestée par M. [W], puis lors de la confrontation du 25 mai 2010, elle a reconnu que ce chèque correspondait à l'achat d'une voiture, affirmant que cette acquisition avait recueilli l'accord de M. [W] ce que ce dernier conteste fermement. Elle a ajouté que si le véhicule avait été acquis au nom des époux [A], il devait en tout état de cause ultérieurement rentrer dans le parc automobile de la société (page 5 du procès-verbal de confrontation, pièce n° 35).

Or, ce véhicule a été vendu par Mme [H] le 18 septembre 2008 alors qu'il avait été procédé à sa saisie conservatoire le 3 septembre. Si le tribunal correctionnel a considéré que le délit de détournement de bien saisi n'était pas constitué car toutes les formalités n'avaient pas encore été accomplies, il n'en demeure pas moins que Mme [H] n'ignorait pas cette saisie puisqu'elle lui avait été dénoncée le 4 septembre et surtout cette vente démontre que, contrairement à ce qu'elle a pu soutenir devant le juge d'instruction, elle tenait bien cette voiture pour sa propriété.

L'activité de la société ARPROD est liée à la production des films du Groupe ARP, chaque film donnant lieu à l'ouverture d'un compte bancaire spécifique, qui n'a plus vocation à connaître des mouvements après la fin de la production du film. Si comme le soutient Mme [H], le compte pouvait 'survivre' quelques temps après la fin de la production, elle n'explique pas pour quel motif cette survivance serait de nature à justifier des chèques établis à son ordre ou à celui de son époux ou bien encore en vue de procéder à des retraits en espèces.

Les pièces produites par la société ARPROD (n° 23 et n° 42) établissent suffisamment et sans que Mme [H] fasse valoir de critiques pertinentes que cette dernière a détourné les sommes suivantes :

* du compte ouvert pour le film 'un crime' : 20 474,80 euros

* du compte ouvert pour le film 'Olé' : 15 827,42 euros

* du compte ouvert pour le film ' 2ème souffle' : 30 219 euros

soit la somme totale de 66 521,22 euros, déduction faite par la société ARPROD de la somme de 10 277,50 euros correspondant à deux chèques d'un montant de 5138,75 euros dont Mme [H] a justifié qu'ils pouvaient correspondre à des achats fait au magasin Habitat pour le compte de M. et Mme [W].

Le préjudice de la société ARP est suffisamment démontré par les pièces 8, 15, 23, 24-24, 24-28, 24-29, 24-33, 24-34, 24-40 à 24-55, 25, 24-26, sans que Mme [H] fasse valoir de critiques pertinentes, le tableau récapitulatif qu'elle produit étant sans intérêt dés lors qu'elle ne le corrobore par aucune explication ni aucun justificatif quant à la sélection qu'elle y opère entre les divers montants.

Il se décompose ainsi :

* les détournements mis en évidence en juillet 2008 par le recto des chèques bancaires: 136 835,30 euros.

* les écritures comptables découvertes en juillet 2008 correspondant à des dépenses personnelles de Mme [H] justifiées en comptabilité par des remboursement de frais au bénéfice de Mme [W] déjà remboursés : 44 167,53 euros.

* les opérations de caisse : 131 708,08 euros.

* les détournements découverts en septembre 2008 et juin 2012 : 51 736,06 euros et 2088,47 euros.

Soit la somme totale de 358 316,44 euros, déduction faite de celle de 8219 euros dont la société ARP accepte le retrait.

Mme [H] sera en conséquence condamnée au paiement des sommes précitées et le jugement sera infirmé de ce chef.

Les sociétés ARPROD et ARP ne démontrent pas avoir subi un préjudice moral découlant de ces détournements et seront déboutées de ce chef de demande. Le jugement sera donc infirmé de ce chef.

Mme [H] a été jugée par la juridiction pénale pour les faits rappelés-ci précédemment et a été licenciée. Elle n'a pas contesté la décision pénale et aucune pièce produite n'établit qu'elle ait contesté son licenciement. Elle est donc particulièrement mal fondée à demander la condamnation des appelantes à l'indemniser des préjudices ayant découlé pour elle de cette condamnation et de son licenciement. Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a rejeté ce chef de demande.

Les dispositions du jugement relatives aux dépens et à l'indemnité de procédure seront confirmées.

Mme [H], qui succombe, sera condamnée aux dépens d'appel et versera aux sociétés ARPROD et ARP unies d'intérêt la somme de 4000 euros en remboursement de leurs frais irrépétibles d'appel.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Infirme le jugement en ce qu'il a débouté les sociétés ARP et ARPROD de leur demande en réparation de leur préjudice matériel et en ce qu'il a fait droit à leur demande en réparation de leur préjudice moral,

Statuant à nouveau des chefs infirmés,

Condamne Mme [H] à payer à la société ARPROD la somme de 66 521,22 euros,

Condamne Mme [H] à payer à la société ARP la somme de 358 316,44 euros,

Rejette les demandes faites par les sociétés ARP et ARPROD au titre du préjudice moral,

Le confirme pour le surplus,

Y ajoutant,

Condamne Mme [H] à payer aux sociétés ARP et ARPROD, unies d'intérêt, la somme de 4000 euros en remboursement de leurs frais irrépétibles d'appel,

Condamne Mme [H] aux dépens.

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Madame Véronique BOISSELET, Président et par Madame Claudine AUBERT, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le Greffier,Le président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 3e chambre
Numéro d'arrêt : 18/03624
Date de la décision : 17/10/2019

Références :

Cour d'appel de Versailles 03, arrêt n°18/03624 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2019-10-17;18.03624 ?
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