COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 80C
6e chambre
ARRÊT N° 332
CONTRADICTOIRE
DU 03 OCTOBRE 2019
N° RG 19/00313
N° Portalis : DBV3-V-B7D-S5XF
AFFAIRE :
[O] [C]
C/
SA ALLIANZ IARD
Décision déférée à la cour : Ordonnance rendue le 11 Janvier 2019 par le Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de NANTERRE
N° Section : Référé
N° RG : 18/00346
Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées le 04 Octobre 2019 à :
- Me Solange DANCIE
- Me Martine DUPUIS
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE TROIS OCTOBRE DEUX MILLE DIX NEUF,
La cour d'appel de Versailles, a rendu l'arrêt suivant, fixé au 12 septembre 2019 puis prorogé au 03 octobre 2019, les parties en ayant été avisées, dans l'affaire entre :
Monsieur [O] [C]
né le [Date naissance 1] 1967 à [Localité 1]
de nationalité Française
[Adresse 1]
[Localité 2]
Représenté par Me Solange DANCIE de la SCP DEBLOIS & DANCIE, constituée/plaidant, avocate au barreau de LIMOGES
APPELANT
****************
La SA ALLIANZ IARD
N° SIRET : 542 110 291
[Adresse 2]
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentée par Me Olivier MEYER, plaidant, avocat au barreau de PARIS ; et par Me Martine DUPUIS de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, constituée, avocate au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 625
INTIMÉE
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l'article 786 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 17 Juin 2019 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Valérie DE LARMINAT, Conseiller, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Monsieur Luc LEBLANC, Président,
Madame Valérie DE LARMINAT, Conseiller,
Madame Nathalie GAUTRON-AUDIC, Conseiller,
Greffier, lors des débats : Monsieur Nicolas CAMBOLAS,
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Rappel des faits constants
La SA Allianz Iard est une société d'assurances. Elle emploie plus de dix salariés et applique la convention collective nationale de l'inspection d'assurance du 27 juillet 1992.
M. [O] [C], né le [Date naissance 1] 1967, a été engagé par cette société en qualité de conseiller prévoyance santé, par contrat à durée indéterminée du 6 septembre 1999.
À compter du 1er septembre 2002, il a été nommé inspecteur commercial.
Il occupait en dernier lieu les fonctions de responsable de marché à [Localité 4] et était titulaire de mandats représentatifs et syndicaux (délégué du personnel et représentant syndical au CHSCT).
Par lettre du 20 décembre 2016, la société a notifié à M. [C] une mesure de dispense d'activité à titre conservatoire pour une durée indéterminée, une salariée placée sous son autorité hiérarchique lui reprochant des agissements délictueux.
Le 4 mai 2017, le tribunal correctionnel de Limoges a déclaré M. [C] coupable de vol, dégradation ou détérioration d'un bien appartenant à autrui, et violation de domicile au préjudice de cette salariée.
Le 19 octobre 2017, M. [C] a saisi le conseil de prud'hommes de Nanterre, en sa formation de référé, aux fins de voir ordonner sa réintégration en qualité de responsable de marché à [Localité 4].
Par ordonnance du 15 juin 2018, le conseil de prud'hommes a ordonné à la SA Allianz Iard de proposer à M. [C] un poste de travail correspondant à ses fonctions et à son statut, dans un délai de huit jours à compter de la notification de l'ordonnance, sous astreinte de 500 euros par jour de retard à compter de ce délai.
Par lettre du 25 juillet 2018, la société a proposé à M. [C] un poste de responsable de marché à [Localité 5], ce que le salarié a refusé par lettre du 14 août 2018.
Par lettre du 5 octobre 2018, la société a fait une deuxième proposition de responsable de marché à [Localité 6], qui a été refusée par le salarié le 25 octobre 2018.
Soutenant que son employeur n'avait pas exécuté la décision, par requête en date du 19 octobre 2017, M. [C] a saisi la formation de référé du conseil de prud'hommes de Nanterre, laquelle s'en était expressément réservé le pouvoir, pour obtenir la liquidation de l'astreinte et le prononcé d'une nouvelle astreinte.
La décision contestée
Par ordonnance contradictoire rendue le 11 janvier 2019, la formation de référé du conseil de prud'hommes de Nanterre a :
- constaté que la proposition de poste en date du 25 juillet 2018 correspondait aux fonctions et au statut de M. [C],
- fixé le taux de l'astreinte provisoire à la somme de 50 euros par jour,
- condamné la société à payer à M. [C] la somme de 400 euros pour la période du 18 juillet 2018 au 25 juillet 2018,
- dit n'y avoir lieu à la fixation d'une autre astreinte,
- débouté M. [C] de se demande de dommages-intérêts,
- débouté les parties du surplus de leurs demandes,
- dit que chacune des parties supportera la charge de ses frais irrépétibles et condamné la société aux dépens.
Le conseil a considéré que la proposition faite par l'employeur le 25 juillet 2018 était en adéquation avec la rémunération et le statut de responsable commercial de M. [C], conformément à la convention collective du 27 juillet 1992.
Il a relevé que le premier juge n'avait pas expressément visé le statut de salarié protégé, le terme statut correspondant au statut commercial ou administratif, qui conditionne l'application de conventions collectives distinctes.
La procédure d'appel
M. [C] a interjeté appel de l'ordonnance par déclaration n° 19/00313 du 31 janvier 2019.
Prétentions de M. [C], appelant
Par conclusions adressées par voie électronique le 15 avril 2019, M. [C] demande à la cour d'appel ce qui suit :
- réformer intégralement l'ordonnance rendue par le bureau de départage de référé du conseil de prud'homme de Nanterre le 11 janvier 2019,
- débouter la SA Allianz Iard de toutes ses demandes fins et conclusions contraires aux présentes,
- dire et juger que la SA Allianz Iard ne lui a pas, dans les délais et les termes prescrits par l'ordonnance rendue par la formation de référé en formation de départage du conseil de prud'hommes de Nanterre le 15 juin 2018, proposé un poste correspondant à ses fonctions et à son statut,
- liquider l'astreinte fixée par la décision du 15 juin 2018 à hauteur de 500 euros par jour de retard à compter du 15 juillet 2018 et jusqu'à la date de la décision à intervenir,
- fixer une nouvelle astreinte, définitive, à hauteur de 1 000 euros par jour de retard pour que la SA Allianz Iard lui propose un poste dans les termes de la décision définitive rendue le 15 juin 2018,
- condamner la SA Allianz Iard à lui verser une somme de 5 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi par lui du fait de cette situation.
L'appelant sollicite en outre une somme de 6 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Prétentions de la SA Allianz Iard, intimée
Par conclusions adressées par voie électronique le 14 mai 2019, la SA Allianz Iard demande à la cour ce qui suit :
- confirmer l'ordonnance du 11 janvier 2019 en ce qu'elle a modéré à 50 euros par jour le montant de l'astreinte liquidée,
- à titre principal, dire que l'astreinte due à M. [C] a couru du 18 juillet 2018 au 25 juillet 2018, la liquider à 8 jours x 50 euros = 400 euros,
- subsidiairement, dire que l'astreinte a couru du 18 juillet 2018 au 5 octobre 2018, la liquider à 79 jours x 50 euros = 3 950 euros,
- constater que la proposition formulée par elle le 5 octobre 2018 (responsable de marché à [Localité 6]) correspondant à ses fonctions et à son statut et qu'elle est de surcroît située dans le périmètre de ses mandats,
- dire n'y avoir lieu à la fixation d'une nouvelle astreinte.
Elle demande la condamnation de M. [C] à lui verser une somme de 4 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et qu'il soit prononcée la compensation entre les sommes dues par elle au titre de la liquidation de l'astreinte et les sommes dues par M. [C] au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Pour plus ample exposé des moyens des parties, il est renvoyé à leurs conclusions respectives, en application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 23 mai 2019.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur l'exécution de l'obligation
Par ordonnance du 15 juin 2018, le conseil de prud'hommes a ordonné sous astreinte à la SA Allianz Iard de proposer à M. [C] un « poste de travail correspondant à ses fonctions et à son statut ».
En application des articles L. 131-1 et suivants du code des procédures civiles d'exécution, tout juge peut, même d'office, ordonner une astreinte pour assurer l'exécution de sa décision. L'astreinte est indépendante des dommages-intérêts. Elle est considérée comme provisoire, à moins que le juge n'ait précisé son caractère définitif. L'astreinte est liquidée par le juge de l'exécution, sauf si le juge qui l'a ordonnée reste saisi de l'affaire ou s'en est expressément réservé le pouvoir. Le montant de l'astreinte provisoire est liquidé en tenant compte du comportement de celui à qui l'injonction a été adressée et des difficultés qu'il a rencontrées pour l'exécuter. L'astreinte est supprimée en tout ou partie s'il est établi que l'inexécution ou le retard dans l'exécution de l'injonction du juge provient, en tout ou partie, d'une cause étrangère.
Il convient de vérifier dans un premier temps si l'obligation mise à la charge de la société a été exécutée ou non.
Aux termes de l'ordonnance du 15 juin 2018 devenue définitive en l'absence de recours, il n'a pas été ordonné la réintégration de M. [C] dans son ancien poste de responsable de marché à [Localité 4], comme semble le soutenir le salarié, mais son affectation sur un poste équivalent, « correspondant aux fonctions et au statut de M. [C] ».
Compte tenu des motifs de l'ordonnance, il apparaît que le terme « statut » renvoie au statut professionnel de responsable commercial et non au statut de représentant du personnel de M. [C]. Il est en effet indiqué : « (') le manque de diligence de l'employeur à proposer une nouvelle affectation conforme au statut et à la rémunération du salarié cause un trouble manifestement illicite dans la relation de travail. En l'état, il n'est pas démontré de trouble manifestement illicite quant à l'exercice des mandats de représentation (...) », ce qui implique une distinction claire entre les deux notions.
Aucune condition tenant à l'exercice des mandats n'a donc été imposée par l'ordonnance.
La SA Allianz Iard a dans un premier temps proposé à M. [C] un poste de responsable de marché à [Localité 5].
Par lettre du 14 août 2018, M. [C] a refusé cette affectation. Il a opposé le fait que cette affectation ne correspondait pas à son statut puisque « située dans une région hors du périmètre de ses mandats », que le poste proposé impliquait plusieurs modifications du contrat de travail soumis à son accord préalable, que ce poste était également soumis à l'appréciation de l'inspecteur du travail. Il a souligné enfin que le poste était le plus éloigné possible de sa précédente affectation, dans une région qu'il ne connaît pas.
La SA Allianz Iard a dans un deuxième temps, le 5 octobre 2018, proposé à M. [C] un poste de responsable de marché à [Localité 6].
Par lettre du 25 octobre 2018, M. [C] a indiqué « ne pas pouvoir accepter le poste ». Il a fait valoir que ce poste n'était pas disponible. Il a remis en cause les raisons invoquées de cet éloignement - préserver une subordonnée - qu'il considère comme étant un prétexte à une discrimination à son égard. Il a encore indiqué : « Enfin, mon « déplacement » entraînerait nécessité de la mise en place de la procédure de modification de mon contrat de travail, puisqu'il me faudrait déménager, selon ce qui est indiqué dans cette correspondance et que ceci ne pourrait se faire qu'après exécution de la procédure préalable obligatoire. En conséquence de quoi, je considère que votre correspondance susvisée ne correspond pas aux prescriptions de la décision rendue le 15 juin 2018 par le conseil de prud'hommes de Nanterre ».
Dans les deux cas, les postes proposés, de responsable de marché, identiques au poste précédemment occupé par M. [C], correspondaient aux fonctions et au statut du salarié, tel qu'exigé par l'ordonnance.
Les réserves liées à l'avis de l'inspecteur du travail et à l'accord du salarié au titre de la modification du contrat de travail s'imposent mais ne remettent pas en cause la démarche de l'employeur tenu aux termes de l'ordonnance de faire une proposition.
Dès lors qu'elles visent en réalité à contester la décision rendue sur la nécessité de fournir au salarié un poste équivalent et non de le réintégrer dans son poste, les considérations liées aux motifs et à l'importance de l'éloignement sont inopérantes.
M. [C] fait également valoir dans ses conclusions le fait que, dans ses précédentes fonctions, il animait une équipe, ce qui ne sera plus le cas en cas de mutation et que cela aura des répercussions sur la part variable de sa rémunération dans la mesure où il était intéressé aux résultats de l'équipe. Le contrat de travail ne mentionne toutefois pas l'existence d'une part variable et M. [C] ne produit aucun élément permettant de vérifier cette allégation, laquelle sera écartée.
M. [C] soutient enfin concernant la proposition de poste à [Localité 6], que le poste ne serait pas vacant. La SA Allianz Iard explique que le poste est libre même si un contentieux l'oppose à la précédente occupante, qui a été licenciée pour inaptitude. En toute hypothèse, il appartient à l'employeur de gérer cette éventuelle difficulté sans que M. [C] puisse l'opposer à ce stade.
Les deux propositions répondant aux exigences fixées par l'ordonnance du 15 juin 2018, la SA Allianz Iard doit être considérée comme ayant rempli l'obligation mise à sa charge.
Sur la liquidation de l'astreinte
L'astreinte a commencé à courir le 18 juillet 2018, soit huit jours après la notification de l'ordonnance intervenue le 9 juillet 2018.
Il a été retenu que la première proposition intervenue par lettre du 25 juillet 2018 répondait aux exigences de l'ordonnance.
L'astreinte a donc couru du 18 au 25 juillet 2018, soit pendant huit jours.
Le montant de l'astreinte provisoire doit être liquidé en tenant compte du comportement de la SA Allianz Iard à qui l'injonction a été adressée et des difficultés qu'elle a rencontrées pour l'exécuter.
Les difficultés rencontrées par la SA Allianz Iard sont en relation avec la rareté des postes de responsables de marché à pourvoir et avec la nécessité d'une affectation du salarié qui préserve son éloignement par rapport à la salariée victime. L'attitude peu constructive de M. [C], qui a refusé les deux propositions sans tenter de les discuter, doit être prise en compte.
Si elle n'a pas respecté le délai de huit jours fixé dans la décision, la SA Allianz Iard justifie de diligences qui l'ont conduites à faire deux propositions sérieuses au salarié en moins de trois mois. Il y a également lieu de prendre en compte le très court délai laissé dans la décision pour une exécution spontanée.
Au regard de ces circonstances, il convient de modérer le montant de l'astreinte, initialement fixé à 500 euros, et de le ramener à la somme de 50 euros par jour de retard.
L'astreinte sera liquidée à la somme totale de 400 euros, soit 50 euros X 8 jours.
Compte tenu de la teneur de la décision, il n'y a pas lieu à fixation d'une nouvelle astreinte.
L'ordonnance sera confirmée en toutes ses dispositions.
Sur les dépens et les frais irrépétibles
M. [C], qui succombe dans ses principales prétentions, supportera les dépens de la présente instance en application des dispositions de l'article 696 du code de procédure civile.
Pour des considérations tirées de l'équité, la demande de la SA Allianz Iard présentée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile sera rejetée.
PAR CES MOTIFS,
La Cour, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort :
CONFIRME en toutes ses dispositions l'ordonnance rendue par le conseil de prud'hommes de Nanterre le 31 janvier 2019 ;
REJETTE la demande présentée par la SA Allianz Iard en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE M. [O] [C] au paiement des entiers dépens ;
Arrêt prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, et signé par Monsieur Luc LEBLANC, Président, et par Monsieur Nicolas CAMBOLAS, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le GREFFIER,Le PRÉSIDENT,