La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

19/09/2019 | FRANCE | N°17/08390

France | France, Cour d'appel de Versailles, 3e chambre, 19 septembre 2019, 17/08390


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 63A



3e chambre



ARRET N°



REPUTE CONTRADICTOIRE



DU 19 SEPTEMBRE 2019



N° RG 17/08390



N° Portalis DBV3-V-B7B-R7SA



AFFAIRE :



[M] [C] [K] [T]

...



C/



[I], [U], [W]

[F]

...







Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 21 Septembre 2017 par le Tribunal de Grande Instance de NANTERRE

N° chambre : 2

N

° RG : 14/11858



Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :

à :





Me Stéphanie ARENA



Me Jean-luc HIRSCH



Me Claire RICARD



RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



LE DIX NEUF SEPTEMBRE DEUX MILLE DIX NEUF,

La cour ...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 63A

3e chambre

ARRET N°

REPUTE CONTRADICTOIRE

DU 19 SEPTEMBRE 2019

N° RG 17/08390

N° Portalis DBV3-V-B7B-R7SA

AFFAIRE :

[M] [C] [K] [T]

...

C/

[I], [U], [W]

[F]

...

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 21 Septembre 2017 par le Tribunal de Grande Instance de NANTERRE

N° chambre : 2

N° RG : 14/11858

Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :

à :

Me Stéphanie ARENA

Me Jean-luc HIRSCH

Me Claire RICARD

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE DIX NEUF SEPTEMBRE DEUX MILLE DIX NEUF,

La cour d'appel de Versailles, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

1/ Monsieur [M] [C] [K] [T]

né le [Date naissance 1] 1954 à [Localité 1]

de nationalité Française

[Adresse 1]

[Adresse 1]

2/ Madame [P], [Y] [S] - [T]

née le [Date naissance 2] 1955 à [Localité 2] (BELGIQUE)

de nationalité Française

[Adresse 2]

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentant : Me Stéphanie ARENA, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 637

Représentant : Me Sophie PERIER-CHAPEAU de la SELARL SELARL PERIER - CHAPEAU & ASSOCIES, Plaidant, avocat au barreau de PARIS

APPELANTS

****************

1/ Monsieur [I], [U], [W] [F]

né le [Date naissance 3] 1951 à [Localité 4]

de nationalité Française

[Adresse 3]

[Adresse 3]

2/ MUTUELLE D'ASSURANCE DU CORPS DE SANTE FRANCAIS (MACSF)

N° Siren : 775 665 631

[Adresse 4]

[Adresse 4]

[Localité 5]

prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

Représentant : Me Jean-luc HIRSCH, Postulant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : D1665

Représentant : Me DENOIX, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire D1665

INTIMES

3/ RSI [Localité 6] devenue la SECURITE SOCIALE DES INDEPENDANTS

[Adresse 5]

[Adresse 5]

prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

INTIMEE - assignée à personne habilitée le 10 janvier 2018

4/ ONIAM (OFFICE NATIONAL D'INDEMNISATION DES ACCIDENTS MEDICAUX, DES AFFECTIONS IATROGENES ET DES INFECTIONS NOSOCOMIALES)

[Adresse 6]

[Adresse 6]

[Localité 7]

prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

Représentant : Me Claire RICARD, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 622 - N° du dossier 2017422

Représentant : Me Samuel m. FITOUSSI de la SELARL de la Grange et Fitoussi Avocats, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : R112

INTIME

5/ MUTUELLE L'UNION DES TRAVAILLEURS

[Adresse 7]

[Adresse 3]

prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

INTIMEE - assignée à personne habilitée le 5 janvier 2018

****************

Composition de la cour :

L'affaire a été débattue à l'audience publique du 13 Juin 2019, Madame Véronique BOISSELET, Président, ayant été entendu en son rapport, devant la cour composée de :

Madame Véronique BOISSELET, Président,

Madame Françoise BAZET, Conseiller,

Madame Caroline DERNIAUX, Conseiller,

qui en ont délibéré,

Greffier, lors des débats : Madame Claudine AUBERT

-----------

Le docteur [I] [F], chirurgien dentiste, a enlevé plusieurs dents à M. [M] [T], 52 ans comme né le [Date naissance 4] 1954, et notamment :

- le 10 octobre 2006 la dent n° 17,

- le 30 juin 2007 la dent n° 16,

- le 18 juillet 2007 les dents n° 26 et 27.

Fin juillet 2007, M. [T] a souffert de très violentes céphalées, accompagnées de fièvre, ce qui l'a incité à consulter le 30 juillet 2007 son médecin traitant qui a prescrit un bilan sanguin. Le lendemain il a été transporté au service des urgences du CHU [Établissement 1] et un bilan biologique a été réalisé, faisant suspecter une infection. Un scanner cérébral a été pratiqué et a fait craindre une tumeur au cerveau. Une intervention chirurgicale a été réalisée le 10 août 2007 par le docteur [R] qui a alors découvert un abcès cérébral encapsulé et a procédé à son ablation.

M. [T] a été placé sous antibiothérapie et a pu regagner son domicile le 15 août suivant. Il souffre depuis lors d'une perturbation des fonctions cognitives, de troubles mnésiques et comportementaux et suit un traitement antiépiléptique, antipsychotique et antidépresseur.

M. [T] a saisi la commission régionale de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux (CRCI) [Localité 6] qui a désigné en qualité d'expert le professeur [J], spécialisé en neurochirurgie le 3 mai 2010. Ce dernier a déposé son rapport le 25 juin 2010, et conclu à un aléa thérapeutique. S'estimant insuffisamment informée et jugeant que le CHU [Établissement 1] devait être mis en cause, la CRCI a ordonné une nouvelle expertise et désigné un collège d'experts composé du docteur [Z], neurochirurgien, du docteur [M], chirurgien-dentiste et du docteur [D], infectiologue, qui ont déposé leur rapport le 8 décembre 2011 et concluent à l'absence de faute du docteur [F] et du CHU [Établissement 1].

La CRCI a, par avis du 12 avril 2012, considéré que le dommage n'était imputable ni à une faute du docteur [F], ni à une faute du CHU [Établissement 1], ni à un accident médical non fautif.

Estimant cependant que des fautes ont été commises, ou en tout cas qu'un lien de causalité existe entre l'accident médical et le dommage, M. et Mme [T] ont assigné, par actes des 11, 12, 15 et 25 septembre 2014, le docteur [F] et son assureur la MACSF - Sou Médical, le RSI [Localité 6], la mutuelle Union des travailleurs et l'ONIAM afin d'obtenir réparation de leurs préjudices.

Par jugement du 21 septembre 2017, le tribunal de grande instance de Nanterre a :

- dit que le docteur [F] n'a commis aucune faute,

- dit que la preuve de l'imputabilité directe de l'abcès cérébral présenté par M. [T] en juillet 2007 à un acte de prévention, de diagnostic ou de soins n'est pas rapportée,

- rejeté les demandes de M. et Mme [T],

- déclaré le jugement commun au RSI [Localité 6] et à la mutuelle Union des travailleurs.

Par acte du 29 novembre 2017, M. et Mme [T] ont interjeté appel et prient la cour, par dernières écritures du 20 mars 2019, de :

- infirmer le jugement rendu,

- juger que les fautes reprochées au docteur [F] engagent sa responsabilité et sont à l'origine du dommage causé à M. [T],

- condamner in solidum le docteur [F] et la MACSF ' Sou Médical à réparer les préjudices subis par M. et Mme [T],

à titre subsidiaire,

- juger qu'il existe un faisceau d'indices suffisant permettant de retenir que M. [T] a été victime d'une infection liée aux soins et dont la réparation incombe à la solidarité nationale,

- condamner l'ONIAM à indemniser les préjudices subis par M. et Mme [T] à la suite des extractions dentaires pratiquées les 30 juin 2007 et 18 juillet 2007,

- dire que l'indemnisation des préjudices subis par M. [T] sera fixée ainsi :

dépenses de santé actuelles restant à charge 631,49 euros

frais divers 2 800,10 euros

tierce personne 31 440,00 euros

pertes de gains professionnels futures déduction faite de la pension d'invalidité servie par le RSI 123 511,26 euros

tierce personne après consolidation 354 807,80 euros

déficit fonctionnel temporaire 9 350,00 euros

souffrances endurées 20 000,00 euros

préjudice esthétique temporaire 2 000,00 euros

déficit fonctionnel permanent 65 000,00 euros

préjudice d'agrément 10 000,00 euros

- dire que l'indemnisation des préjudices subis par Mme [T] sera fixée ainsi qu'il suit :

préjudice moral 20 000,00 euros

préjudice d'accompagnement 20 000,00 euros

à titre infiniment subsidiaire,

- ordonner une nouvelle expertise par un nouveau collège d'experts,

- dans l'attente du rapport d'expertise à intervenir, condamner in solidum LA MACSF ' Sou Médical et le docteur [F], ou subsidiairement l'ONIAM, à payer :

à M. [T], une indemnité provisionnelle de 50 000 euros à valoir sur son préjudice corporel,

à Mme [T], une indemnité provisionnelle de 15 000 euros à valoir sur l'indemnisation de ses préjudices,

en tout état de cause,

- débouter les intimés de leurs demandes plus amples ou contraires et notamment celles tendant à la condamnation des concluants au paiement d'une somme au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner in solidum LA MACSF ' Sou Médical et M. [F], ou subsidiairement l'ONIAM, à payer à M. et Mme [T] la somme de 6 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens avec recouvrement direct,

- dire qu'en cas d'exécution forcée les sommes retenues par l'huissier seront supportées par le débiteur par application des articles A 444-31 et suivants du code de commerce, en sus de l'application de l'article 700 du code de procédure civile,

- dire la décision à intervenir commune aux organismes sociaux appelés en la cause.

Par dernières écritures du 22 janvier 2019, l'ONIAM prie la cour de :

- confirmer le jugement déféré sur sa mise hors de cause,

à titre subsidiaire,

- désigner un nouveau collège d'experts avec une mission complète,

- débouter M. et Mme [T] de leur demande de condamnation provisionnelle, au regard des contestations sérieuses qui y font obstacle,

à titre infiniment subsidiaire,

- donner acte à l'ONIAM de ce qu'il s'en rapporte à la sagesse de la cour concernant les éventuelles fautes du Dr [F],

en tout état de cause,

- rejeter ou ramener à de plus justes proportions les prétentions indemnitaires de M. [T],

- déclarer irrecevable la demande d'indemnisation de Mme [T], en sa qualité de victime par ricochet, en ce qu'elle est dirigée à l'encontre de l'ONIAM,

- condamner tout succombant à verser une somme de 3 000 euros à l'ONIAM au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens avec recouvrement direct,

- rejeter toute autre demande.

Par dernières écritures du 17 août 2018, la MACSF-Sou Médical et M. [F] prient la cour de :

- juger qu'il n'est pas établi que les préjudices des appelants sont en lien direct et certain avec les actes de soins dispensés par le docteur [F] le 30 juin et 18 juillet 2007,

- en tout état de cause, juger que le docteur [F] n'a pas commis de manquements à ses obligations qui soient à l'origine des dommages dont M. et Mme [T] réclament réparation,

- confirmer le jugement entrepris,

- juger M. et Mme [T] mal fondés en leur appel,

- rejeter toutes prétentions dirigées contre le docteur [F] et la MACSF,

- débouter les appelants de leurs demandes indemnitaires ou tendant à l'organisation d'une nouvelle mesure d'expertise,

- condamner M. et Mme [T] à payer au docteur [F] et à la MACSF une indemnité de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens avec recouvrement direct,

- si par impossible la cour estimait devoir ordonner une troisième expertise, aux frais avancés par M. et Mme [T], juger que la mission confiée à l'expert ou aux experts désignés devrait inclure les points mentionnés dans leurs écritures,

- débouter en tout état de cause M. et Mme [T] de leurs demandes provisionnelles,

- réserver, en ce cas, les dépens de l'instance.

Ont été régulièrement assignés, à personne habilitée, la Mutuelle des Travailleurs le 5 janvier 2018, et le RSI le 6 janvier 2018.

La cour renvoie aux écritures des parties en application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile pour un exposé complet de leur argumentation.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 23 mai 2019.

SUR QUOI, LA COUR

Le professeur [J] a, dans son rapport du 25 juin 2010, rappelé qu'a été découvert un abcès cérébral organisé, dont l'analyse anatomo pathologique a mis en évidence la présence d'un streptocoque anaérobie qui est un germe habituel de la flore ORL et buccodentaire. Il expose que ce syndrome infectieux avec abcès cérébral constitue une complication rarissime des extractions dentaires, que son imputabilité aux extractions dentaires précédemment subies par M. [T] est fort probable, mais ne peut cependant être affirmée à 100 %.

Hormis terrains médicaux particuliers que ne présentait pas M. [T], il n'y avait aucune indication d'antibiothérapie après des extractions dentaires simples, et l'absence de prescription d'antibiotiques par le docteur [F] était parfaitement légitime et conforme aux recommandations scientifiques actuelles.

La survenance d'une telle pathologie constitue une complication rarissime et imprévisible, devant être qualifiée d'aléa thérapeutique.

S'estimant insuffisamment informée, la CRCI [Localité 8] a désigné un collège d'experts, constitué des docteurs [Z], [M] et [D].

Ces nouveaux experts ont exposé que :

Devant un abcès du cerveau la recherche d'une lésion dentaire est systématique. M. [T] présentait des problèmes dentaires qui ont conduit à de nombreuses extractions. Cet état antérieur est à l'origine de l'infection qui a pu être spontanée ou favorisée lors d'un geste d'extraction.

La date d'apparition des céphalées, selon M. [T], a varié, ce dernier indiquant une apparition un mois avant son hospitalisation, avec une aggravation les derniers jours de juillet.

L'intervention a montré que l'abcès avait une coque, qui a été enlevée, ce qui rend difficile de rattacher l'abcès à une infection moins de 15 jours avant. Pour l'évaluation d'une éventuelle infection liée aux soins, les experts ont repris le 30 juin, qui est une date plus compatible avec le développement de cet abcès.

La physiopathologie des abcès cérébraux repose soit sur un mécanisme de contiguïté avec d'autres foyers infectieux (dentaire, ORL avec une flore polymicrobienne), soit sur un mécanisme de diffusion par voie hématogène, à partir d'un foyer infectieux à distance, le plus souvent dentaire, mais aussi pulmonaire et cardiaque. Cependant, dans 20 % des cas on ne retrouve pas de foyer initial.

Dans le cas de M. [T], les germes retrouvés sont ceux qui sont en général présents lorsque le foyer initial est dentaire ou pulmonaire, sa localisation frontale étant en faveur d'une sinusite frontale. Néanmoins les explorations réalisées à [Localité 9] à la recherche d'un foyer infectieux cardiaque, dentaire, pulmonaire et sinusien ont été négatives.

Le collège d'experts a conclu que, les abcès cérébraux d'origine dentaire étant décrits de façon exceptionnelle, aucune suite anormale n'étant décrite après les extractions, malgré les 13 jours séparant la dernière extraction de la découverte de l'abcès cérébral, on ne pouvait être certain que les extractions soient à l'origine du dommage. Un peu plus loin dans ses explications, il a précisé que M. [T] présentait un état antérieur, soit des lésions dentaires multiples qui ont conduit à des extractions, ainsi qu'un emphysème pulmonaire, affections qui constituent des facteurs connus d'abcès cérébral spontané.

Le tribunal a retenu pour l'essentiel que :

- malgré un manquement du docteur [F] dans la tenue du dossier médical de son patient, la violation de son obligation d'information quant aux soins qu'il a pratiqués les 30 juin et 18 juillet 2007 n'est pas démontrée. En effet, souffrant d'une parodontite sévère ayant provoqué son édentement au maxillaire supérieur, et ayant subi de nombreuses extractions dentaires, notamment par le docteur [F], M. [T] était parfaitement informé sur les soins pratiqués. En outre, la survenance d'un abcès cérébral étant imprévisible et rarissime, le docteur [F] n'avait pas à donner une information sur ce point.

- les demandeurs échouent à démontrer un quelconque manquement dans les actes de soins prodigués par le Dr [F] : si certes celui-ci n'a pas convenablement tenu le dossier médical de son patient, les extractions décidées l'ont été du fait de la grande mobilité des dents, confirmée par M. [T], et elles étaient inévitables. Par ailleurs le docteur [F] était légitime à ne pas mettre en place d'antibiothérapie post-opératoire compte tenu des règles de l'art en vigueur en 2007, et ce d'autant plus qu'aucun foyer d'infection profond majeur susceptible d'être à l'origine de l'abcès au cerveau n'a été retrouvé lors des nombreux examens que M. [T] a subis à l'hôpital [Établissement 1] par la suite.

- la demande de prise en charge du dommage de M. [T] au titre de la solidarité nationale ne peut qu'être rejetée, en l'absence de certitude de l'imputabilité directe du dommage à un acte de soin, absence de certitude sur laquelle les experts s'accordent.

M. et Mme [T] font valoir que le docteur [F] n'a pas respecté son obligation d'information car il n'a constitué aucun dossier médical contenant les informations devant y figurer aux termes du code de la santé publique et n'a pas sollicité un consentement écrit et éclairé du patient. De plus, le fait qu'il ait perdu le dossier de son patient a pour conséquence une inversion de la charge de la preuve obligeant ce dernier à apporter la preuve des circonstances ayant conduit à la prise en charge litigieuse. Aussi, le docteur ne leur a pas donné l'ensemble des informations qu'il était tenu de fournir, notamment les risques même exceptionnels de l'opération, le risque d'abcès cérébral étant par ailleurs prévisible car connu de la littérature médicale.

Ils considèrent que le docteur [F] a commis une faute de diagnostic et de soins. En effet, ils font valoir que ce dernier n'a réalisé aucun cliché pré-opératoire, puisque n'a été retrouvé aucun panoramique dentaire de celui-ci, et que le docteur n'a pas interrogé son patient alors même qu'aucune urgence ou obligation d'opération ne s'imposait à lui. Il est ajouté que les rapports d'expertise qui concluent à une absence de faute ont été rédigés uniquement sur les déclarations du praticien et qu'il ne peut être conclu à des soins conformes aux règles de l'art en l'absence de preuve rapportée par le dossier médical.

De plus, M. et Mme [T] font valoir qu'il existe un faisceau d'indices suffisant fondé sur des présomptions graves, précises et concordantes permettant de faire le lien entre la survenance de l'abcès et les extractions dentaires. A cet égard, ils affirment que M. [T] ne fumait plus, que l'emphysème pulmonaire n'a pas d'influence sur la survenance de l'abcès, et surtout qu'il n'y a pas de relation de causalité entre la dilatation des bronches dont souffre le patient et l'abcès cérébral spontané puisqu'il était exempt de tout abcès pulmonaire comme en attestent ses imageries. Encore, l'abcès ne peut être imputé au mauvais état dentaire de M. [T] alors que ce dernier est inconnu puisque non rapporté par le dossier médical et qu'aucun élément ne permet d'arriver à cette conclusion. Aussi, ils font valoir que la présence d'une capsule autour d'un abcès cérébral ne permet pas d'écarter le lien avec les avulsions, au contraire puisque la capsule se forme entre le 11ème et 14ème jour après le fait générateur et est détectacle au scanner à partir du 14ème jour. Par suite, à leurs yeux, les soins dentaires pratiqués par le docteur [F] sont pleinement compatibles avec l'apparition de l'abcès encapsulé. Enfin, ils font valoir que les informations notées à l'admission de M. [T] aux urgences ne peuvent être considérées comme reflétant de manière pertinente l'historique des symptômes présentés, ce dernier étant à ce moment dans un état fébrile suite à une crise d'épilepsie. En effet, M. [T] a bien précisé lors de l'expertise que les premières migraines très violentes étaient apparues quelques jours après les dernières extractions du 18 juillet 2007.

A titre subsidiaire, M. et Mme [T] soutiennent que si la cour considérait que les fautes reprochées au docteur ne sont pas caractérisées, il conviendra de conclure à un aléa thérapeutique devant être réparé par la solidarité nationale, le code de la santé publique disposant que la réparation de l'infection liée aux soins incombe à cette dernière. En effet, ils font valoir que si l'état antérieur de M. [T] ne supposait aucun acte d'investigation, de précaution opératoire ou de prescription antibiotique, alors seule une infection liée aux soins peut être considérée comme le fait générateur du dommage. Ces derniers ajoutent que contrairement à ce qu'affirment les intimés, la preuve par présomptions est pleinement recevable en présence d'un aléa thérapeutique.

Le docteur [F] et son assureur font valoir qu'il ne peut être sérieusement contesté que M. [T] avait une parodontite évoluée et que l'avulsion programmée était parfaitement indiquée. En effet, il est acquis que M. [T] pourtant âgé de seulement de 53 ans présentait une édentation quasi complète due à cette maladie et le rapport d'expertise indique que ce dernier a bénéficié de soins dentaires sur plusieurs années avec des extractions de dents mobiles, ces affirmations étant fondées sur les propres dires de M. [T]. A cet égard, la bonne hygiène bucco-dentaire évoquée par l'expert n'exclut pas cette maladie. Aussi, M. [T] indique lui-même dans ses conclusions que les extractions étaient programmées.

Le docteur [F] soutient qu'il n'est pas avéré que M. [T] ait contracté un streptocoque anaérobie dans les suites des avulsions dentaires des 30 juin et 18 juillet 2007, au contraire le second rapport rappelant que les extractions dentaires ne sont pas spécifiquement à l'origine des abcès cérébraux et qu'en l'espèce aucun élément en faveur d'un foyer infectieux dentaire n'existe. Il ajoute que l'examen effectué dans le service de stomatologie le 17 août 2017 conclut à l'absence de foyers infectieux profond majeur susceptible d'être à l'origine de l'abcès cérébral, et que M. [T] ne peut prétendre qu'à cette date le foyer a pu disparaître en raison d'une antibiothérapie instaurée depuis plus de 10 jours alors qu'elle a été prescrite après que les examens bactériologiques ont été effectués. Encore, il fait valoir que les différentes données développées par les experts démontrent qu'aucun épisode infectieux n'a été signalé immédiatement après les opérations et ces derniers excluent la relation de cause à effet entre les extractions et la constitution de l'abcès. Aussi, selon lui, certains éléments permettent d'envisager que les céphalées dont souffrait M. [T] et en rapport avec l'abcès préexistaient, ce dernier, lors de son admission à l'hôpital le 1er août 2007 indiquant qu'il avait des céphalées depuis un mois, puis depuis trois mois.

Sur le défaut d'information invoqué par M. et Mme [T], le docteur [F] fait valoir qu'aucune obligation d'information ne pesait sur lui au titre d'un risque grave non prévisible, à défaut de foyer infectieux pouvant être identifié, alors surtout qu'il n'existe aucune certitude que sa survenance soit en lien avec les extractions litigieuses.

Il rappelle en outre qu'une extraction dentaire lorsqu'elle est, comme indiqué dans le rapport, un 'acte simple' sur dents mobiles, sans phénomène infectieux clinique, ne nécessite pas de pratiquer préventivement des investigations à la recherche d'un foyer infectieux profond et que M. [T] ne présentait pas de pathologie générale chronique susceptible en elle-même d'induire un tel risque.

Enfin, il observe que M. et Mme [T] ne produisent aucun élément sérieux susceptible de remettre en cause l'avis exprimé par les experts désignés par la CRCI, le rapport du docteur [B] invoqué par ces derniers n'étant pas en contradiction avec leurs constatations et n'étant par ailleurs pas de nature à justifier la demande subsidiaire tendant à la mise en oeuvre d'une troisième expertise.

L'ONIAM expose que pour que l'article L1142-1 II alinéa 1 du code de la santé publique s'applique et que la solidarité nationale prenne en charge l'indemnisation d'un accident médical non fautif, le demandeur doit rapporter la preuve d'un lien de causalité direct et certain entre un événement indésirable (non fautif) survenu au décours d'un acte de soin et le préjudice (les conséquences anormales), ce lien ne pouvant être établi par le recours à des présomptions graves, précises et concordantes. Il s'oppose au versement de toute provision, dès lors que le droit à indemnisation de M. [T] au titre de la solidarité nationale n'est pas établi, ainsi qu'en témoigne la demande tendant à une nouvelle mesure d'expertise.

A titre infiniment subsidiaire, l'indemnisation par la solidarité nationale doit être exclue en présence d'une faute du docteur [F], l'ONIAM n'ayant vocation à indemniser un accident médical que dans la mesure où aucune responsabilité ne peut être retenue contre des professionnels, établissements, services et organismes de santé. Néanmoins, si la cour devait considérer que le médecin a manqué à son devoir d'information et que ce manquement est à l'origine d'une perte de chance, l'ONIAM ne pourrait indemniser que la part résiduelle du dommage non imputable à la perte de chance.

***

Sur les demandes au titre du manquement au devoir d'information :

La cour n'a rien à ajouter à la motivation précise et pertinente par laquelle le tribunal a écarté tout manquement par le docteur [F] à son devoir d'information et confirmera le jugement sur ce point.

Sur l'imputabilité du dommage aux actes pratiqués par le docteur [F] :

L'article 1142-1 1 du code de la santé publique dispose que les professionnels de santé ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de soins qu'en cas de faute.

L'article 1142-1 II du même code dispose que lorsque la responsabilité d'un professionnel de santé n'est pas engagée, un accident médical, une affection iatrogène ou une infection nosocomiale ouvre droit à la réparation des préjudices du patient au titre de la solidarité nationale lorsqu'ils sont directement imputables à des actes de soin et ont eu pour le patient des conséquences anormales au regard de son état de santé.

Ainsi, tant la responsabilité du docteur [F] que l'obligation à réparation de l'ONIAM dépendent de la question préalable de l'imputabilité du dommage, soit la survenance de l'abcès cérébral et ses conséquences, aux actes de soin pratiqués.

Les quatre experts interrogés ont tous admis qu'il était possible que l'abcès cérébral ait eu pour cause les extractions dentaires pratiquées par le docteur [F], notamment celle du 30 juin 2007, même si une telle complication était rarissime. Ils ont cependant souligné, avec des nuances tenant au degré d'incertitude, qu'il ne pouvait pas être affirmé que tel était bien le cas.

La causalité juridique n'est pas la causalité scientifique, qui revendique une certitude absolue et démontrable. Au contraire, il est admis que lorsque la preuve scientifique d'un fait est impossible, ce qui est le cas en l'espèce, des présomptions graves et concordantes, en l'absence de toute autre cause possible, peuvent suffire à constituer cette preuve.

Constituent des présomptions graves le rapprochement entre les dates des deux dernières extractions, et surtout celle du 30 juin 2007, et la manifestation de l'abcès cérébral, ainsi que la nature du germe retrouvé dont les expert s'accordent, sur le fait qu'il correspond en effet à un germe saprophyte de la cavité buccale.

Ce point a paru déterminant au professeur [J], qui a qualifié de lien entre l'abcès cérébral et une bactériémie provoquée par les extractions de hautement probable. Les docteurs [R] et [U], qui ont eu à traiter l'abcès, partageaient cette opinion, ainsi qu'il résulte des courriers produits.

Néanmoins, le collège d'experts désigné ultérieurement a observé que n'avait été retrouvé aucune trace de foyer infectieux de quelque nature que ce soit, dentaire ou pulmonaire notamment, lors des investigations effectuées au cours de l'hospitalisation de M. [T], avant prescription d'une antibiothérapie, et que ce dernier présentait au contraire un état antérieur caractérisé par des lésions dentaires multiples et un emphysème pulmonaire, constituant des facteurs connus d'abcès cérébraux spontanés. Ils ont précisé que, dans 20 % des cas d'abcès cérébraux, le foyer initial n'était pas retrouvé.

Le docteur [B], consulté pour avis par M. [T], ne remet pas en cause ces éléments, même s'il souligne que les extractions sont le seul événement hémorragique et bactériémique connu ayant étroitement précédé la constitution de l'abcès.

Ainsi, même imputable aux lésions dentaires importantes présentées par M. [T] d'un point de vue général, l'abcès cérébral a pu être spontané, et ne pas avoir été provoqué ou même favorisé par les extractions pratiquées par le docteur [F]. Il ne peut d'ailleurs qu'être observé que les nombreuses extractions antérieures subies n'ont pas été suivies de la moindre difficulté connue, et qu'aucune infection n'a été observée au siège des extractions des 30 juin et 18 juillet 2007.

Enfin, il existe une incertitude sur la date d'apparition de l'abcès cérébral, M. [T] ayant indiqué lors de son admission souffrir de céphalées depuis un mois, avec une aggravation les 5 derniers jours, ce qui apparaît difficilement compatible avec les extractions, tant de juin que de juillet 2007, compte tenu du temps nécessaire à cette pathologie pour faire ressentir ses effets souligné par les seconds experts.

En l'état, il sera retenu que la preuve de l'imputabilité de l'abcès cérébral aux extractions pratiquées par le docteur [F] n'est pas suffisamment rapportée. Il n'apparaît pas qu'une nouvelle mesure d'instruction, qui ne pourrait être menée que sur pièces vieilles maintenant de près de 12 ans, serait susceptible de lever l'incertitude qui subsiste.

Dès lors les demandes formées tant contre le docteur [F] que l'ONIAM ont été justement rejetées.

Le jugement sera dès lors confirmé en toutes ses dispositions.

M. et Mme [T], qui succombent, supporteront les dépens d'appel, avec recouvrement direct

PAR CES MOTIFS

La cour,

Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

Condamne in solidum M. et Mme [T] aux dépens d'appel, avec recouvrement direct,

Déclare le présent arrêt commun à la Mutuelle des Travailleurs et au RSI.

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Madame Véronique BOISSELET, Président et par Madame Claudine AUBERT, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le Greffier,Le Président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 3e chambre
Numéro d'arrêt : 17/08390
Date de la décision : 19/09/2019

Références :

Cour d'appel de Versailles 03, arrêt n°17/08390 : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2019-09-19;17.08390 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award