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18/09/2019 | FRANCE | N°17/03028

France | France, Cour d'appel de Versailles, 17e chambre, 18 septembre 2019, 17/03028


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 80A



17e chambre



ARRÊT N°



CONTRADICTOIRE



DU 18 SEPTEMBRE 2019



N° RG 17/03028



AFFAIRE :



[L] [R]-

[C]





C/

SA AXWAY SOFTWARE









Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 08 Juin 2017 par le conseil de prud'hommes - formation paritaire de Nanterre

Section : Encadrement

N° RG : F 16/01065



Copies exécutoire

s et certifiées conformes délivrées à :



Me Christophe DEBRAY



SELEURL MONTECRISTO







le :





RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



LE DIX-HUIT SEPTEMBRE DEUX MILLE DIX NEUF,

La cour d'appel de Versailles, a rendu l'arrêt suivant...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80A

17e chambre

ARRÊT N°

CONTRADICTOIRE

DU 18 SEPTEMBRE 2019

N° RG 17/03028

AFFAIRE :

[L] [R]-

[C]

C/

SA AXWAY SOFTWARE

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 08 Juin 2017 par le conseil de prud'hommes - formation paritaire de Nanterre

Section : Encadrement

N° RG : F 16/01065

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

Me Christophe DEBRAY

SELEURL MONTECRISTO

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE DIX-HUIT SEPTEMBRE DEUX MILLE DIX NEUF,

La cour d'appel de Versailles, a rendu l'arrêt suivant fixé au 3 juillet 2019 puis prorogé au 18 septembre 2019, les parties ayant été avisées dans l'affaire entre :

Madame [L], [U] [Q]

née le [Date naissance 1] 1964 à [Localité 1] (92)

de nationalité Française

[Adresse 1]

[Localité 2]

Représentants : Me Christophe DEBRAY, Constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 627 et Me Stéphane BURTHE de la SELARL IGMAN CONSEIL, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : E0222, substitué par Me Martine ASSIE-SEYDOUX, avocat au barreau de Paris

APPELANTE

****************

SA AXWAY SOFTWARE

N° SIRET : 433 977 980

[Adresse 2]

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentant : Me Frédéric ZUNZ de la SELEURL MONTECRISTO, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : J153

INTIMEE

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 786 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 18 Avril 2019 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Evelyne SIRE-MARIN, Président chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Clotilde MAUGENDRE, Président,

Madame Evelyne SIRE-MARIN, Président,

Monsieur Laurent BABY, Conseiller,

Greffier, lors des débats : Madame Corinne DELANNOY,

Par jugement du 8 juin 2017, le conseil de prud'hommes de Nanterre (section encadrement) a :

- dit que Mme [L] [Q] n'a pas été victime de harcèlement moral de la part de la société Axway Software ni d'un quelconque comportement inadapté de la part de cette dernière pouvant caractériser un manquement à son obligation de sécurité de résultat,

en conséquence,

- débouté Mme [Q] de sa demande de résiliation judiciaire et de toutes ses autres demandes,

- débouté la société Axway Software de sa demande reconventionnelle,

- condamné Mme [Q] aux entiers dépens.

Par déclaration adressée au greffe le 14 juin 2017, Mme [Q] a interjeté appel de ce jugement.

Une ordonnance de clôture a été prononcée le 25 janvier 2018.

Par dernières conclusions déposées au greffe le 13 décembre 2017, Mme [Q] demande à la cour de :

- la recevoir en son appel, ainsi qu'en ses écritures, l'y déclarant bien-fondée,

- infirmer dans toutes ses dispositions le jugement rendu le 8 juin 2017 par la section encadrement du conseil de prud'hommes de Nanterre,

statuant à nouveau,

à titre principal,

- condamner la société Axway Software à lui payer les sommes suivantes :

. 110 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement entaché de nullité,

. 80 000 euros à titre d'indemnité pour préjudice distinct (violation de l'obligation de préservation de la santé des salariés),

. 102 086, 25 euros à titre de paiement du salaire pendant la période de mise à pied conservatoire,

. 10 208,63 euros à titre des congés payés y afférents,

à titre subsidiaire,

- condamner la société Axway Software à lui payer la somme de 38 890 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

en tout état de cause,

- condamner la société Axway Software à lui payer les sommes suivantes :

. 13 773,54 euros à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement,

. 13 218 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

. 1 321,80 euros à titre de congés payés sur préavis,

. 4 406 euros à titre de prime 13ème mois 2016,

. 3 488,08 euros à titre de prime 13ème mois 2017,

- condamner la société Axway Software à lui remettre l'ensemble des documents de fin de contrat sous astreinte de 100 euros par jour de retard à dater de la notification du jugement,

- condamner la société Axway Software à lui payer les intérêts légaux capitalisés à dater de la saisine du conseil de prud'hommes,

- condamner la société Axway Software à lui payer la somme de 6 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la société Axway Software aux entiers dépens dont distraction au profit de Me Christophe Debray, Avocat, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Par dernières conclusions déposées au greffe le 22 janvier 2018, la société Axway Software demande à la cour de :

à titre principal,

- dire que Mme [Q] n'a pas été victime d'un quelconque harcèlement moral de sa part,

en conséquence,

- débouter Mme [Q] de l'intégralité de ses fins et prétentions,

à titre subsidiaire,

- limiter toute condamnation au titre d'un licenciement nul ou sans cause réelle et sérieuse au versement de la somme de 38 295 euros,

- dire que toute astreinte quant à la remise des documents sociaux ordonnée et ramenée à de plus justes proportions par la cour ne commencera à courir qu'à 15 jours de la notification du jugement à intervenir,

en tout état de cause,

- condamner Mme [Q] au versement de la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner Mme [Q] aux entiers dépens.

LA COUR,

Mme [L] [Q] a été engagée par la société Axway Software, qui a pour activité principale l'édition de logiciels informatiques, en qualité de cadre de gestion, par contrat à durée indéterminée à compter du 15 juillet 2009. (sa pièce 1).

Elle occupait les fonctions de responsable ressources humaines, statut cadre, classification 3.1, coefficient 170, chargée du recrutement France et Europe, la convention collective applicable étant celle des bureaux d'études Techniques, Cabinets d'Ingénieurs-Conseils et Sociétés de Conseil (Syntec).

Les parties s'accordent sur le montant du salaire de base de Mme [Q] qui s'élevait à 4 406 euros (pièce 2).

A la suite du déménagement de son bureau le 11 janvier 2016, la salariée a été victime d'une lombalgie qui a entraîné un arrêt de travail pour lombalgie à la suite d'un accident du travail.

Le 1er arrêt était du 13 janvier au 17 janvier 2016 (pièce 15 de la salariée). La date de consolidation de la lombalgie consécutive à l'accident du travail était fixée le 10 juin 2016 par la CPAM (pièce 4), date de la fin de l'arrêt de travail de Mme [Q] pour accident du travail (sa pièce 3).

Elle était ensuite en arrêt maladie du 10 juin 2016 jusqu'à son licenciement le 16 octobre 2017, soit au total 1 an et 10 mois d'arrêt de travail.

Le 18 janvier 2016, Mme [Q] était convoquée à un entretien préalable à un éventuel licenciement pour faute le 25 janvier 2016, avec mise à pied conservatoire (sa pièce 8). La salariée était présente à cet entretien.

Son mandat au CHSCT s'était terminé en 2015, plus de 6 mois avant cette convocation.

En raison de son arrêt de travail, l'employeur suspendait la procédure de licenciement selon courrier du 10 février 2016 et elle était convoquée le 11 février 2016 à une visite médicale de reprise. Mme [Q] a été convoquée 8 fois par la médecine du travail à une visite de reprise, dont une mise en demeure de se présenter en date du 18 mai 2016 à la convocation du 28 mai (sa pièce 7).

Aucun élément n'est produit sur cette visite, qu'il s'agisse de la présence de la salariée ou d'un compte-rendu du médecin, ni par Mme [Q], ni par l'employeur.

Le 24 mai 2016, Mme [Q] a saisi le conseil de prud'hommes de Nanterre aux fins d'obtenir la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de la société Axway.

Il n'est pas contesté qu'elle a été convoquée à de nombreuses reprises à un entretien préalable à un éventuel licenciement (pièces 8 et 29), assorti systématiquement d'une mise à pied conservatoire. Durant cette période, Mme [Q] s'est rendue à plusieurs entretiens préalables.

Par lettre recommandée avec demande d'avis de réception datée du 16 octobre 2017, Mme [Q] était licenciée pour « insuffisance professionnelle caractéristique » avec versement du préavis et d'une indemnité conventionnelle de licenciement (pièce 30 de la salariée).

Lorsqu'un salarié demande la résiliation judiciaire de son contrat de travail en raison de faits qu'il reproche à son employeur, tout en continuant à travailler à son service, et que ce dernier le licencie ultérieurement, le juge doit d'abord rechercher si la demande de résiliation du contrat était justifiée; si tel est le cas, il fixe la date de la rupture à la date d'envoi de la lettre de licenciement.

I/ SUR LA RÉSILIATION JUDICIAIRE DU CONTRAT DE TRAVAIL,

L'article 1184 du code civil, dans sa version applicable au présent litige, dispose que la condition résolutoire est toujours sous-entendue dans les contrats synallagmatiques, pour le cas où l'une des deux parties ne respecte pas son engagement.

Dans ce cas, le contrat n'est pas résolu de plein droit. La partie envers laquelle l'engagement n'a pas été exécuté, a le choix ou de forcer l'autre à l'exécution de la convention lorsqu'elle est possible, ou d'en demander la résolution avec dommages et intérêts.

Dans l'hypothèse où l'employeur manque gravement à ses obligations contractuelles, le salarié est en droit de solliciter la rupture du contrat de travail aux torts de son employeur.

Lorsque les manquements de l'employeur à ses obligations légales, conventionnelles ou contractuelles sont établis, ont revêtu une gravité suffisante et empêchent la poursuite du contrat de travail, la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail doit être accueillie, avec effet à la date de la décision la prononçant.

Mme [L] [Q] a demandé la résiliation judiciaire de son contrat de travail car elle affirme avoir été victime, depuis le mois de novembre 2012, d'un comportement hostile de la part de son supérieur hiérarchique, M.[N], qui lui opposait, selon elle, "un refus de communication, des propos honteux et diverses brimades et humiliations".

Elle estime donc avoir été victime de harcèlement moral pour les raisons suivantes :

- lors du déménagement de son bureau le 11 janvier 2016, Mme [Q] relate que M. [N] a exigé d'elle qu'elle déplace son matériel informatique, notamment une imprimante d'un poids conséquent, et l'ensemble de ses dossiers.

Selon elle, un tel déménagement n'avait d'autre but que de l'humilier puisque des services logistiques existaient dans la société et auraient pu se charger de ce transport.

- le 18 janvier 2016, jour de sa reprise après son arrêt de travail pour accident du travail du 11 janvier, un salarié Axway l'a informée d'une procédure disciplinaire pour faute grave accompagnée d'une mise à pied conservatoire, sans rémunération. Elle affirme avoir été raccompagnée de façon humiliante et devant plusieurs collègues jusqu'à la porte de l'entreprise, alors que ses accès informatiques lui étaient coupés sur le champ.

- en raison de sa convocation à quatorze reprises à un entretien préalable concernant de prétendues fautes professionnelles totalement inexistantes et prescrites et de sa mise à pied conservatoire durant 21 mois.

Elle précise avoir saisi le CHSCT, dont elle avait été membre jusqu'en 2015, d'une demande d'enquête et d'audition de la direction de l'entreprise, mais que la réponse du CHSCT n'avait aucun rapport avec la question.

Mme [Q] souligne que cette procédure l'a plongée dans une grave dépression dont elle ne se remet qu'à grand peine, faits attestés par M. [D] (sa pièce 9) et par des certificats médicaux établis par le Docteur [C] [F], son médecin traitant (pièce 5).

Elle affirme que le médecin du travail et l'inspecteur du travail ont estimé que la procédure disciplinaire dont elle était l'objet avait des conséquences préjudiciables sur sa santé.

Elle estime que le contraste entre le motif de licenciement finalement retenu et le caractère traumatisant des procédures disciplinaires est révélateur du caractère nocif et pernicieux de la démarche de M. [N] qui, selon elle, avait décidé de la licencier et a procédé à deux recrutements pour son poste en février et septembre 2016.

La société Axway réfute tout harcèlement moral. Elle réplique que Mme [Q] a toujours pu compter sur le soutien de son supérieur hiérarchique, M.[N], alors qu'elle rencontrait de grandes difficultés avec plusieurs collaborateurs du service ressources humaines auquel elle appartenait.

- Sur le déménagement, l'employeur affirme qu'en fin d'année 2015, il a été demandé à Mme [Q], tout comme à plusieurs personnes de son service, de porter quelques affaires lors d'un changement de bureau effectué le 11 janvier 2016. Il s'agissait de quelques pochettes et d'un ordinateur, qui n'exigeait pas de consultation du CHSCT.

- Sur l'accident du travail, l'employeur constate que Mme [Q] a déclaré un accident du travail le jour de la remise de la lettre de convocation à entretien préalable, en raison d'un lumbago intervenu lors du déménagement une semaine plus tôt.

- Sur les nombreuses convocations à un entretien préalable en vue d'une sanction disciplinaire pouvant aller jusqu'au licenciement, l'employeur expose qu'elles n'ont pu donner lieu à notification de licenciement dans la mesure où l'arrêt maladie de la salariée était immédiatement prolongé et ne permettait donc pas de lever le statut de salarié protégé en arrêt de travail pour accident du travail.

-------------------------------------------

L'article L. 1152-1 du code du travail dispose qu'aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Le régime de la preuve du harcèlement moral ou sexuel est défini à l'article L. 1154-1 du code du Travail qui dispose, dans sa version en vigueur lors des faits "Lorsque survient un litige relatif à l'application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 et L. 1153-1 à L. 1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement.

Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles."

Selon cet article, dans sa version applicable au litige, et tel qu'interprété à la lumière de la directive CE/2000/78 du 27 novembre 2000, il appartient donc au salarié de présenter des éléments de fait permettant de présumer l'existence d'un harcèlement, à charge pour le juge d'apprécier si ces éléments, pris en leur ensemble, permettent de présumer, de supposer, l'existence d'un harcèlement moral.

Dans l'affirmative, il incombe ensuite à l'employeur de prouver que les faits qui lui sont imputés ne sont pas constitutifs de harcèlement et qu'ils sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

- Concernant le déménagement, il s'agissait, selon les attestations versées aux débat par l'employeur, d'un transport de matériel très restreint d'un bureau à l'autre dans le même couloir, pour 6 salariés du service des ressources humaines, dont Mme [Q], ces salariés occupant 4 bureaux, en raison de l'arrivée de M. [H] le 1er février 2016 dans le service (pièce 2 de l'employeur, courrier électronique de M.[N] du 4 janvier 2016).

Mme [M], directeur du service « talent acquisition », qui accueillait le nouveau salarié, atteste que Mme [Q] « a changé de bureau pour s 'installer trois bureaux plus loin dans le couloir. Il s'agissait de déplacer son ordinateur portable, les quelques dossiers en cours (une dizaine de pochettes de quelques feuillets) et son caisson à roulettes. Elle n'a pas sollicité d'aide et a même refusé l'aide qui lui a été proposée. Elle n 'a fait état d'aucun mal-être ce jour ni le lendemain ». (Attestation de Mme [M], pièce n°3 de l'employeur).

M. [G], responsable ressources humaines, confirme également que la salariée :« a été amenée à transférer ces quelques affaires et fournitures vers un autre bureau situé quelques mètres plus loin sur le même étage. Je confirme qu'il s'agissait là d'un mouvement mineur, sans manutention particulière et pour lequel un chariot à roulettes avait d'ailleurs été fourni ».(Attestation de M. [G], pièce n°4 de l'employeur).

Enfin, Mme [E] [T], analyste rémunération et avantages, également concernée par ce déménagement de bureau, précise que :« lors du déménagement, j'ai proposé mon aide à [L] [Q]. Elle a refusé mon aide.» (Attestation de Mme [T], pièce n°18 de l'employeur).

Aucune pièce contraire n'étant produite par la salariée, l'agissement de l'employeur allégué par la salariée n'est pas établi puisque 5 autres salariés que Mme [Q] étaient concernés par ce déplacement de postes de travail dans le même couloir, avec un transport très limité du matériel de travail personnel (ordinateur et une dizaine de dossiers).

- Concernant l'attitude vexatoire de l'employeur caractérisée par le fait que le 18 janvier 2016, jour de sa reprise après son arrêt de travail pour accident du travail du 11 janvier, un salarié d'Axway aurait informé Mme [Q] d'une procédure disciplinaire pour faute grave accompagnée d'une mise à pied conservatoire et l'aurait raccompagnée de façon humiliante devant plusieurs collègues jusqu'à la porte de l'entreprise, Mme [Q] ne produit aucune pièce à l'appui de ses allégations.

En revanche, la société Axway produit une attestation de M. [G], responsable ressources humaines, qui a remis à Mme [Q] la lettre de convocation à entretien préalable, et confirme que cela s'est passé de façon respectueuse et discrète pour la salariée qui a eu le temps de pouvoir prendre les affaires personnelles qu'elle souhaitait, M. [G] décidant de lui remettre le courrier en l'absence de ses collègues (pièce n°4 de l'employeur).

Il ne ressort de ces éléments aucune preuve d'une attitude vexatoire à l'encontre de la salariée.

- Concernant les convocations à de multiples reprises à un entretien préalable (pièces 8, 25 de la salariée), la cour constate que la salariée a reçu 13 convocations (ses pièces 8, 25, 29), entre le 18 janvier 2016, date de la 1ère convocation, et le 16 octobre 2017, date de la lettre de licenciement.

L'employeur avance que ces convocations successives étaient dues au statut de membre du CHSCT de Mme [Q] et aux arrêts de travail pour accidents du travail de la salariée qui, selon lui, l'empêchaient de procéder au licenciement.

S'agissant du statut de membre du CHSCT Mme [Q] précise dans ses écritures que son mandat au CHSCT s'était terminé en 2015, plus de 6 mois avant sa 1ère convocation. Elle ne revendique pas le statut de salariée protégée. Il n'y avait donc pas lieu de repousser pour cette raison ses convocations à l' entretien préalable de licenciement.

S'agissant en revanche des arrêts de travail pour accident du travail, il est établi que Mme [Q] a été en arrêt pour accident du travail du 13 janvier jusqu'au 10 juin 2016, puis du 11 juin 2016 au 16 octobre 2017 pour arrêt maladie.

La société Axway, dans sa 1ere convocation du 18 janvier 2016, et dans toutes les suivantes, envisage « une mesure disciplinaire pouvant aller jusqu'à un éventuel licenciement » et a estimé qu'elle ne pouvait procéder pendant cette période à un entretien préalable au licenciement.

En effet, sauf en cas de faute grave, dont rien n' établit que l'employeur souhaitait se prévaloir à l'encontre de Mme [Q], l'article L.1226-9 du code du travail concernant le salarié victime d'un accident du travail prévoit « qu'au cours de ces périodes de suspension du contrat de travail, l'employeur ne peut rompre ce dernier que s'il justifie soit d'une faute grave de l'intéressé, soit de son impossibilité de maintenir ce contrat pour un motif étranger à l'accident ou à la maladie ».

L'employeur ne faisait donc en l'espèce qu'appliquer ces dispositions en suspendant la procédure de licenciement pendant la période de suspension du contrat de travail liée à l'accident du travail et en donnant la possibilité à la salariée de s'expliquer.

- Concernant les allégations de Mme [Q] d'acharnement de son supérieur hiérarchique, le directeur des ressources humaines, M. [N], aucune pièce n'est produite par la salariée hormis le compte-rendu de l'entretien préalable au licenciement du 9 mai 2016 (sa pièce 9), lors duquel M. [N] lui reproche son insuffisance professionnelle et les courriers de la salariée à l'inspection du travail.

La société Axway Software verse aux débats un ensemble de courriers électroniques adressés à Mme [Q] depuis 2012, année d'arrivée de M. [N] dans l'entreprise, qui démontrent au contraire qu'ils entretenaient des relations professionnelles courtoises:

Ces courriels sont les suivants (pièces n°8-l à 8-13 de l'employeur) :

- le 18 décembre 2012 en réponse à un arrêt maladie de la salariée: «soignes-toi bien et reposes-toi bien, tiens-nous au courant»,

- le 20 décembre 2012 "si tu n'es pas remise prends le temps nécessaire pas de problème",

- le 30 janvier 2013 suite à retard de la salariée causée par un décès familial "pas de problème je comprends prends le temps qu'il faut pour réconforter ta fille et être auprès d'elle",

- le 2 avril 2013 suite à une demande de la salariée de préparation d'une réunion chez elle " bien sûr",

- le 12 avril 2013 "je voulais te remercier de ton aide pour les élections",

- le 1er août 2013 suite à une demande de la salariée d'aller chez le dentiste "pas de problème",

- le 2 décembre 2013 suite à une demande de la salariée de partir plus tôt "bien sûr que je suis OK"

- ainsi qu'un mail de Mme [Q] du 22 juillet 2014 adressée à M. [N] "j'ai croisé [O] [A] ce matin, qui m'a dit que tu étais le meilleur DRH que la société Axway Software avait recruté".

Il ne résulte de ces échanges aucun acharnement de son supérieur hiérarchique, M. [N], sur la salariée, bien au contraire.

En conclusion, dès lors que les seuls faits établis sont la multiplicité des convocations de la salariée à un entretien préalable de licenciement, que la première convocation a été envoyée à la fin du premier arrêt de travail de 8 jours et que l'entretien préalable a pour objet de permettre au salarié de s'expliquer ils ne font pas présumer l'existence d'un harcèlement moral.

Confirmant le jugement, la cour rejette donc la demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail de Mme [Q] fondée sur le harcèlement moral et sa demande subséquente d'indemnité pour licenciement nul.

II/ SUR LA VIOLATION DE L'OBLIGATION DE SÉCURITÉ,

Mme [Q] sollicite 80 000 euros à titre d'indemnité pour préjudice distinct (violation de l'obligation de préservation de la santé des salariés).

Elle précise avoir saisi le CHSCT d'une demande d'enquête et d'audition de la direction de l'entreprise et affirme que le médecin du travail et l'inspecteur du travail ont estimé que la procédure disciplinaire dont elle était l'objet avait des conséquences préjudiciables sur sa santé.

La société Axway Software réplique que Mme [Q] a en effet activé l'ensemble des institutions permettant d'obliger l'employeur à cesser toute pratique caractérisant un harcèlement moral, mais que toutes ont conclu qu'il n'existait aucun manquement de l'employeur.

L'article L. 4121-1 du code du travail dispose que " l'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.

Ces mesures comprennent :

1° Des actions de prévention des risques professionnels, y compris ceux mentionnés à l'article L. 4161-1 ;

2° Des actions d'information et de formation ;

3° La mise en place d'une organisation et de moyens adaptés.

L'employeur veille à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes."

La cour constate que l'inspection du travail a été saisie par Mme [Q] suivant lettre du 22 juillet 2016 (sa pièce n°10).

Elle a répondu à Mme [Q] le 5 août 2016 en lui rappelant la réglementation en vigueur et les différentes procédures à disposition des salariés en cas de harcèlement moral (pièce n°11 de Mme [Q])

Après nouvel échange de courriers, l'inspecteur du travail a invité Mme [Q] à prendre rendez-vous avec lui (ses pièces n°12 et 13) et a écrit à la société Axway pour attirer l'attention de celle-ci sur la situation de la salariée et sur les délais de prescription des fautes disciplinaires (lettre de l'Inspection du Travail du 5 décembre 2016, pièce n°16 de l'employeur).

La société Axway a répondu à l'Inspecteur du travail le 16 décembre 2016 en précisant qu'elle suspendait les entretiens préalables liés à la procédure de licenciement en l'attente de la fin de l'arrêt de travail de la salariée (pièce 17 de l'employeur), ce qui n'a pas entraîné de réponse de l'inspecteur du travail.

Concernant le CHSCT, le compte rendu de la réunion du 25 octobre 2016 ne conclut à aucun harcèlement moral et estime justifiées les convocations successives de la salariée par l'employeur pour entretien préalable au licenciement en l'attente de la fin de ses arrêts de travail (compte rendu de la réunion du CHSCT du 25 octobre 2016, pièce n°6 de l'employeur).

La cour observe que le Secrétaire du CHSCT, M. [J] [K] a informé Mme [Q] « qu'au vu des réponses apportées par la direction lors de cette réunion et de l'échange que nous avons eu, il ne nous semble pas que nous nous trouvions dans une situation de danger grave et imminent qui nécessiterait un droit d'alerte au sens de l'article L 4131-1 du Code du Travail » (pièce 7 de l'employeur).

Enfin, le médecin du travail n'a jamais pris attache avec l'employeur pour lui faire part de sa préoccupation quant à l'état de santé de Mme [Q], alors que l'employeur l'a convoquée à 9 reprises entre février et septembre 2017, lui adressant même une mise en demeure le 18 mai 2016 de se présenter à la visite médicale de reprise du 27 mai 2016 (pièces 7, 18, 26, 28 de la salariée) et que le salarié peut se voir reprocher une faute grave s'il refuse de se présenter devant le médecin du travail pour subir les visites médicales de reprise.

Mme [Q] répondait au médecin du travail qu'elle se présenterait à la convocation du 14 juin 2016 (sa pièce 19), sans que sa présence effective ne soit établie, ni que le compte-rendu de cette visite ne figure à son dossier.

Elle refusait (sa pièce 21, courrier du 12 septembre 2016) de fournir une attestation médicale à son employeur sur la nature de l'affection qui justifiait son arrêt maladie pour lombalgie au delà de son arrêt pour accident du travail, c'est à dire de mai 2016 jusqu'à son licenciement en octobre 2017.

En conclusion, étant rappelé que le harcèlement moral n'est pas établi, il convient de constater qu'il n'est pas établi de lien certain et direct entre la dégradation de l'état de santé de la salariée et ses conditions de travail, et que la société qui a consulté le CHSCT, a répondu à l'inspecteur du travail et n'a jamais été sollicitée par le médecin du travail, n'a pas manqué à son obligation de sécurité.

Confirmant le jugement, la cour rejette la demande de Mme [Q] d'indemnité pour préjudice distinct (violation de l'obligation de préservation de la santé des salariés)

III. SUR LE PAIEMENT DU SALAIRE DE LA MISE A PIED CONSERVATOIRE

Mme [Q] demande à ce titre le paiement de la somme de 102 086, 25 euros à titre de paiement du salaire pendant la période de mise à pied conservatoire et de 10 208,63 euros à titre des congés payés y afférents.

Elle expose qu'elle a fait l'objet d'une mise à pied conservatoire renouvelée lors de chaque convocation à entretien préalable durant les 21 mois qu'a duré la procédure.

La société Axway Software réplique que la salariée était en arrêt maladie pendant cette période et percevait des indemnités journalières de sécurité sociale complétées par la prévoyance et que son salaire ne lui est donc pas dû car la salariée demande le versement de son salaire en plus des indemnités perçues au titre de l'arrêt maladie.

Elle fait aussi observer que la demande de rappel de mise à pied conservatoire n'est pas formulée à titre subsidiaire en cas d'absence de condamnation sur la nullité.

En application de l'article 954 du code de procédure civile, la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif des conclusions.

Dans le dispositif de ses conclusions Mme [Q] ne sollicite le paiement du salaire pendant la période de mise à pied conservatoire qu'en accessoire de sa demande principale qui tend au prononcé de la résiliation judiciaire du contrat de travail et à l'attribution d'une indemnité pour licenciement nul.

Dès lors que Mme [Q] a été déboutée de sa demande au titre de la résiliation judiciaire et que cette demande en est l'accessoire, elle sera aussi déboutée de sa demande de paiement du salaire pendant la période de mise à pied conservatoire.

IV/ SUR LE LICENCIEMENT,

La lettre de licenciement est ainsi rédigée : « Je fais suite à l'entretien préalable à un éventuel licenciement du mercredi 11 octobre 2017 à 14 heures auquel vous vous êtes présentée accompagnée de M [N] [U], membre de la représentation du personnel.

Au cours de cet entretien nous avons évoqué les différents griefs à votre encontre.

Vous avez été embauchée le 15 juillet 2009 en qualité de « Cadre de gestion. Au dernier état de la relation contractuelle vous étiez Senior HR Manager Recrutement EMEA....

Votre mission consiste à réaliser les recrutements de nouveaux collaborateurs pour l'Europe et pour ce faire, assurer intégralité du processus:

Définir le besoin avec les opérationnels

Lancer le processus de recherche adapté

Sélection des CV

Entretien avec les candidats

Présentation aux managers des candidats sélectionnés

Suivi du processus jusqu 'à l 'embauche éventuelle.

En tant qu'experte confirmée, votre responsabilité essentielle réside dans votre aptitude à mobiliser les canaux les plus efficaces pour identifier, attirer et convaincre les meilleurs talents et ce, dans un marché du logiciel particulièrement concurrentiel. Votre expertise est mesurée à l'aune de votre aptitude à vous distinguer de cette concurrence, à attirer des profils particulièrement convoités, constamment sollicités en déployant une stratégie de sourcing innovante et multicanale afin de se différencier sur un secteur saturé et extrêmement compétitif. Votre efficacité à mener à bien vos missions de recrutement dans des délais satisfaisants a directement une répercussion sur la capacité de l'Entreprise à disposer de la force de travail suffisante, des compétences nécessaires à l'atteinte de ses objectifs. Votre performance s'apprécie également au regard de la qualité de la relation entretenue tant avec les managers en recherche de nouveaux profils qu'avec ces derniers. En aucun cas, votre action ne peut se résumer à passer une annonce, attendre des candidatures en espérant que parmi celles-ci au moins une répondra au besoin de l'entreprise.

Accessoirement, vous avez à votre demande pris en charge le développement de l'emploi handicapé chez Axway.

Malheureusement, nous avons eu à déplorer plusieurs manquements nous ayant conduits à cet entretien.

En effet, nous avons reçu plusieurs plaintes de managers recrutants, dans lesquelles ils évoquaient des délais extrêmement longs qui de plus s'allongeaient, un manque de candidatures adressées, parfois même des candidates dont les compétences étaient peu ou pas en rapport avec le poste à pourvoir et surtout un manque total de visibilité et de suivi de votre part.

Afin de vous permettre de mieux rendre compte des actions que vous lanciez pour mener à bien vos recrutements et détailler l'état d'avancement de ces derniers, votre manager vous avait proposé un tableau de suivi proposant un certain nombre d'indicateurs permettant d'établir un reporting vers les opérationnels. Néanmoins vous avez tenté par tous moyens d'éluder cet outil, n'hésitant pas à remplir au hasard les différents indicateurs afin de le rendre inutilisable, de votre management.

Malgré les instructions claires et répétées de votre management, vous vous êtes refusée de le documenter et donc de formellement rendre compte de vos actions - à moins que ce ne soit uniquement dans le but d'éviter de révéler vos inactions.

Ces multiples difficultés ont ainsi contraint certains HRBP (Human Ressources Business Partner) à reprendre directement en charge les recrutements sur leur périmètre (alors que cela ne devait pas faire partie de leurs prérogatives) afin satisfaire leurs clients internes et ainsi compenser vos défauts d'action. Cette démarche, qui s'est avérée fructueuse (ils ont trouvé des candidats de qualité dans des délais beaucoup plus brefs) aurait pu également avoir un effet positif pour vous en vous permettant de vous focaliser sur un nombre plus réduit de recrutements. Malheureusement cela n'a pas été le cas.

Par ailleurs, nous avons déploré un certain nombre de problèmes relationnels avec les différents membres de l'équipe. A ce jour aucun des HRBP ne souhaite plus travailler avec vous tant les relations sont difficiles stériles et votre opposition à toute initiative, systématique. Ce point avait d'ailleurs été évoqué à plusieurs reprises lors de vos entretiens d'évaluation sans que vous jugiez utile de le corriger.

Enfin, vous avez souhaité prendre en charge le recrutement des travailleurs handicapés suite à la signature de l'accord d'entreprise sur le sujet.

Pour ce faire vous avez sollicité une formation, accordée par votre hiérarchie mais les résultats n'ont pas été au rendez-vous.

Votre management vous a donc suggéré de vous rapprocher de la personne en charge de ce dossier dans une autre entité de l'UES pour bénéficier de son retour d'expérience, et des moyens supérieurs dont dispose cette entité.

Néanmoins vous n'avez jamais pris contact avec cette personne, reportant sans cesse l'initiative si bien qu'aucune nouvelle embauche de travailleurs handicapés n'ait été réalisée par vos soins (si ce n'est un jeune embauché dont vous ignoriez la qualité RQTH (reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé) qui s'est déclaré postérieurement à son recrutement).

Lors de notre entretien du 11 octobre dernier, vous n'avez pas saisi l'occasion qui vous était donnée d'apporter des éléments d'explication vous bornant à répéter : « Je conteste ». De ce fait, nous ne sommes pas en mesure de modifier notre appréciation des faits et nous considérons que ces différents faits démontrent pleinement une insuffisance professionnelle caractéristique qui nous conduit à vous notifier votre licenciement pour cause réelle et sérieuse.

Votre préavis de 3 mois, démarrera à compter de la première présentation de la présente. Il vous sera rétribué aux échéances habituelles de paye. Nous vous dispensons d'effectuer ce préavis.

Par ailleurs, la mise à pied prononcée à titre conservatoire vous sera intégralement rémunérée.

La société Axway vous adressera par courrier ultérieur, à la fin de votre préavis-1'ensemble de vos documents de fin de contrat, à savoir notamment, votre attestation Pôle Emploi, votre solde de tout compte et votre certificat de travail outre une notice d'information sur les conditions et modalités du maintien à titre gratuit des garanties de couverture complémentaire santé et de prévoyance en vigueur dans l'entreprise, le maintien de ces couvertures étant ouvert pour une durée maximale de 12 mois en cas de prise en charge par l'assurance chômage.

Nous profitons de la présente pour lever toute clause de non concurrence qui aurait-pu être stipulée tout au long de la relation de travail et qui par conséquence ne sera pas indemnisée. Enfin nous vous demandons de bien vouloir nous remettre tout le matériel que nous vous avons confié pour exercer votre activité professionnelle...» (pièce n°30 de la salariée)

Mme [Q] soulève, à l'appui de chacun de ses moyens, la prescription des faits en application de l'article L 1332-4 du code du travail et précise que le délai de prescription de deux mois n'est ni suspendu ni interrompu par la maladie du salarié.

Elle estime par ailleurs que ce licenciement est dépourvu de toute cause réelle et sérieuse.

Elle souligne que l'employeur a modifié la qualification du licenciement, initialement fondé sur la faute, selon les convocations aux entretiens préalables, en le faisant reposer dans la lettre de licenciement sur une insuffisance professionnelle afin de s'affranchir du délai de prescription, lequel n'est applicable qu'aux seuls faits fautifs.

La salariée convient avoir bénéficié d'un préavis et du paiement de l'indemnité conventionnelle de licenciement.

Mme [Q] conteste toute insuffisance professionnelle et affirme que ses anciens collègues témoignent au contraire de son professionnalisme, de son implication dans l'exécution de ses missions de recrutement, en produisant une attestation de M. [V], directeur financier (sa pièce n° 31).

La société Axway Software réplique que le licenciement de Mme [Q] repose sur l'incapacité qui est la sienne de mener à bien les missions qui lui sont confiées en sa qualité de Senior HR Manager Recrutement EMEA. L'employeur développe dans ses écritures les griefs reprochés dans la lettre de licenciement.

Il est constant que l'article L 1332-4 du code du travail dispose : «Aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement de poursuites disciplinaires au-delà d'un délai de deux mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l'exercice de poursuites pénales ».

Ce délai de prescription de deux mois n'est ni suspendu ni interrompu par la maladie du salarié provoquée par un accident de travail, une maladie professionnelle ou une maladie non professionnelle du salarié.

Une nouvelle convocation du salarié à un second entretien préalable n'a pas pour effet de suspendre ce délai.

Il est en l'espèce reproché à Mme [Q] plusieurs griefs :

- plusieurs plaintes des managers de l'entreprise à propos du recrutement, qui les ont contraints à reprendre directement en charge les recrutements,

- des problèmes relationnels avec des membres de son équipe,

- l'absence de compte-rendus de ses actions,

- l'absence de prise en charge du recrutement des travailleurs handicapés.

Il résulte des termes de la lettre de licenciement que les trois derniers griefs qui font état d'un refus de la salariée de prendre en compte les instructions de sa hiérarchie et d'une opposition systématique à toute initiative ont un caractère disciplinaire et sont donc prescrits.

Il convient donc d'examiner seulement les plaintes des managers de l'entreprise à propos du recrutement qui font état de l'insuffisance professionnelle de la salariée.

La lettre de licenciement lui reproche : "des délais extrêmement longs de recrutement qui de plus s'allongeaient, un manque de candidatures adressées, parfois même des candidats dont les compétences étaient peu ou pas en rapport avec le poste à pourvoir et surtout un manque total de visibilité et de suivi de votre part" et "ont ainsi contraint certains HRBP (Human Ressources Business Partner) à reprendre directement en charge les recrutements »

L'insuffisance professionnelle constitue un motif de licenciement dès lors qu'elle repose sur des éléments objectifs matériellement vérifiables au regard des responsabilités du salarié.

L'incompétence alléguée doit reposer sur des éléments concrets et ne peut être fondée sur une appréciation purement subjective de l'employeur.

L'insuffisance professionnelle, qui ne suppose aucun comportement fautif du salarié, doit être constatée sur une période suffisamment longue pour ne pas apparaître comme passagère ou purement conjoncturelle, être directement imputable au salarié et non la conséquence d'une conjoncture économique difficile, ne doit pas être liée au propre comportement de l'employeur ou à son manquement à l'obligation d'adapter ses salariés à l'évolution des emplois dans l'entreprise.

Si la charge de la preuve du caractère réel et sérieux du licenciement ne pèse spécialement sur aucune des parties, le juge formant sa conviction au vu des éléments fournis par les parties et au besoin après toute mesure d'instruction qu'il juge utile en application de l'article 1235-1 du code du travail.

Il appartient néanmoins à l'employeur de fournir au juge des éléments lui permettant de constater la réalité et le sérieux du motif invoqué qui peuvent être établis notamment par les évaluations professionnelles du salarié ou des courriels ou des attestations produites par les parties.

La charge de la preuve est donc partagée, mais le doute doit profiter au salarié et il appartient au juge de restituer aux faits leur juste qualification.

L'activité essentielle de la société est d'éditer, de concevoir, de développer des logiciels informatiques, de les commercialiser, et de procéder à leur installation et à leur maintenance.

Il convient d'abord de constater que Mme [Q] a été engagée en qualité de cadre de gestion, responsable relations humaines chargée du recrutement et a été licencié pour insuffisance professionnelle au bout de 8 ans d'ancienneté dans l'entreprise dans le même service. Il n'est pas contesté qu'elle était chargée du recrutement dans le domaine des logiciels, selon l'organigramme de la société (pièce 22 de l'employeur).

Selon la salariée, ces critiques ne tiennent pas compte de l'extrême difficulté à laquelle elle était confrontée pour trouver des candidats et lorsqu'elle arrivait à en sélectionner, ces derniers avaient de prétentions en termes de rémunération totalement en dehors des budgets qui lui étaient accordés.

Mme [Q] ne conteste pas qu'elle était en charge au sein de la société du recrutement des nouveaux collaborateurs pour l'Europe et qu'elle assurait l'intégralité du processus de recrutement à savoir :

.définir le processus de recrutement avec les opérationnels,

.lancer le processus de recherche,

.sélectionner des CV,

.entretien avec les candidats,

.présentation aux managers des candidats sélectionnés,

.suivi du processus jusqu'à l'embauche éventuelle.

Elle conteste le contenu de ses deux derniers entretiens d'évaluation et produit une attestation de M. [H] [V], directeur financier, qui déclare :

« Lors des processus de recrutement dans mon équipe, [L] a toujours été très utile et professionnelle. La lenteur du processus de recrutement dans mon domaine était plus lié à la frilosité de mon N+l à recruter en France.

Elle a un avis technique mais aussi humain très pertinent et Axway aurait pu éviter beaucoup de turn over et procédures aux Prud'hommes si on l'avait écoutée. Elle gardait avec les commerciaux et les ingénieurs une relation forte et étroite, utile lors des processus de recrutement mais aussi dans la rétention des talents. » (sa pièce n° 31).

Cependant l'employeur produit les pièces suivantes :

- des courriers électroniques de M. [Z] à M. [N], directeur des ressources humaines,du 7 octobre 2013 au 19 novembre 2013, pièce n°23 de l'employeur avec traduction libre),« J'espérais que l'entretien téléphonique permettrait d'avancer et de maintenir mes demandes, mais je vais le faire par mail maintenant. Pour être très clair sur ce que j 'attends car cela ne semble pas avancer depuis les mails que j'ai adressés il y a deux semaines (...)

J'ai suivi le processus décrit dans le mail de [W] ([N], directeur des ressources humaines) je ne sais pas pourquoi je ne vois pas de réponse et mes demandes d'entretien téléphonique pour discuter ont été repoussés. Y a-t-il une difficulté avec ces éléments ' »

- M. [W], chef opérationnel d'Axway, indiquait dans un courrier électronique à M. [N], directeur des ressources humaines, du 3 juin 2015 (pièce n°24 de l'employeur) qu'il souhaitait porter à l'attention de M. [N] la situation décrite dans des courriers électroniques concernant les plans de recrutement pour lesquels il indique qu'il ne peut obtenir de HR Recrutement le service attendu «Comme tu peux le voir, l'activité de HR a été très limitée et de faible qualité et en revanche, les inputs fournis par le management opérationnel ne sont pas utilisés. Les seules vraies actions sont celles qui sont directement prises en charge par le management 1TOM.

Je peux comprendre la difficulté de recruter certains profils (mais ceux-ci ne sont pas très spécifiques), en revanche la passivité est inacceptable.

Je te demande donc de voir ce qu'il faut faire pour changer cet état de fait qui est très préoccupant et met en cause les plans opérationnels. Si nécessaire, nous sommes prêts à changer d'interlocuteur si [L], aujourd'hui en charge, n'a pas la capacité de traiter ces dossiers.»

- M. [G], responsable "éditions HRBP" d'Axway, indiquait dans un courrier électronique du 7 janvier 2016 (pièce n°25 de l'employeur) à Mme [M], directeur du service « talent acquisition » au sein de la DRH:

« Je regrette mais je refuse de travailler avec [L] sur ces sujets. J'ai tenté en vain l'année dernière d'avancer avec elle sur ces points qui me semblaient pertinents compte tenu du volume .... de CV mais je me suis heurté à une résistance à toute épreuve. Tu constateras d 'ailleurs que ces chantiers sont tous au point mort et qu 'aucune initiative n 'est en cours pour tenter de redresser la situation. »

- Le même jour, il était également indiqué par Mme [E]: « Ce délai de recrutement est problématique et je vais devoir rendre compte au comité d'audit planifié fin Janvier du fait que nous ne sommes pas en mesure de trouver ce type de profil. Nous devons absolument trouver des solutions. C'est impératif. » (Courrier électronique du 7 janvier 2016, pièce n°15)

Enfin, M. [Z] [J] précisait dans un courrier électronique du 13 janvier 2016 à Mme [M] intitulé "problèmes récurrents de recrutement"(pièce n°26 de l'employeur)

« Le recrutement sur l 'équipe « Common » n 'avance pas du tout et je manque cruellement de visibilité.

En fin d'année dernière et après de longs mois d'attentes nous avons finalement eu des entretiens avec deux candidats dont les compétences se sont avérées désastreuses et depuis le début de l'année, je n'ai aucune nouvelle d'[L] concernant ce recrutement.

Ce n'est pas la première fois que les recrutements sont anormalement longs il est vraiment capital pour la réussite de la R&D que ce recrutement avance, je compte sur toi pour faire ton maximum pour que la situation change rapidement et que des progrès significatifs soient perçus».

La cour constate que Mme [Q] était elle-même destinataire de certains de ces courriels (pièce 23 et 33 de l'employeur) et qu'elle était avisée du mécontentement des responsables internes de l'entreprise par son responsable, M. [N].

Ainsi, dans un courrier du 3 juin 2015 son responsable lui écrivait :

«J'ai été à nouveau challengé hier en VI sur le recrutement notamment par Christophe [W] qui n'a pas caché son insatisfaction, que je ne peux que comprendre. Il m'a de plus adresse aujourd'hui un email extrêmement désagréable sur le sujet.

En effet, certains postes ITOM sont ouverts depuis février et sont encore à des phases peu avancées du processus de recrutement. Je pense notamment aux postes Sales dont tu connais le caractère stratégique puisqu'ils sont directement rattachés à la génération de chiffre d'affaires. » (pièce n°28 de l'employeur)

Le 8 juin 2015, M. [N] lui écrivait aussi : "..... Nos clients sont mécontents mais la seule qui n'en serait pas responsable (selon toi) c'est toi. ....Les opérationnels disent qu'ils n'ont pas reçu de CV...... je te demande à présent de te mettre sérieusement au travail pour avancer sur les différents postes ouverts et répondre au mécontentement grandissant des opérationnels".

De plus, l'évaluation en date du 18 février 2014 ( pièce 9-1 de l'employeur) conclut : "une année mitigée" et souligne que "le timing doit être amélioré" et que "la salariée a de nombreux accrochages avec les responsables HRBP".

L'évaluation du 12 février 2015 confirme les difficultés professionnelles de la salariée et mentionne: " de nombreux recrutements ont été trop long pas de réels résultats..... la communication n'est pas toujours facile avec [L] qui considère souvent avoir raison et refuse d'écouter les remarques des autres ..... la confiance des managers n'est pas toujours acquise et les derniers événements effrite un peu celle de son management......les nombreuses accrochages réguliers avec les autres membres de l'équipe ne peuvent pas perdurer....."(pièce 12-1 de l'employeur).

Enfin, Mme [Q] ne conteste pas qu'elle disposait pourtant de l'aide, depuis 2014, d'une chargée de recrutement travaillant avec elle.

Étant observé que la salariée a été absente pour arrêt maladie pendant un an et 10 mois, depuis le 13 janvier 2016 jusqu'à son licenciement le 16 octobre 2017, tous ces éléments qui convergent entre 2013 et début 2016 permettent de conclure que le grief concernant les insuffisances de la salariée en matière de recrutement est établi.

Dans la mesure où le recrutement de collaborateurs de l'entreprise constituait son unique mission, ces insuffisances professionnelles, démontrées sur une période suffisamment longue, à savoir de 2013 à début 2016 (date à partir de laquelle laquelle elle était pendant un an et 10 mois en arrêt de travail), elles justifient en elles-même le licenciement pour insuffisance professionnelle de Mme [Q].

Confirmant le jugement, la cour dit le licenciement de Mme [Q] pour insuffisance professionnelle est fondé, ce qui constitue une cause réelle et sérieuse de licenciement.

Le jugement sera donc également confirmé en ce qu'il a débouté Mme [Q] de sa demande d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

V. SUR LES AUTRES DEMANDES,

Sur le versement de l'indemnité conventionnelle de licenciement, de l'indemnité compensatrice de préavis et des congés payés sur préavis,

Mme [Q], ayant admis avoir été remplie de ses droits, sera déboutée de ses demandes.

Sur le paiement des primes de 13ème mois 2016 et 2017,

Mme [Q] sollicite le paiement de 4 406 euros à titre de prime 13ème mois 2016 et de 3 488,08 euros à titre de prime 13ème mois 2017.

La société Axway réplique que la demande ne peut prospérer puisque Mme [Q] a perçu le 13e mois en ce qu'il est compris dans l'assiette de calcul des indemnités journalières de sécurité sociale et de prévoyance.

La cour constate que le livret de prévoyance remis à la salariée précise que la base servant au calcul des prestations est égal au total des rémunérations brutes, primes, gratifications et rappels compris perçus au cours des 12 derniers mois civils (page 15 de la notice d'information, pièce n°19). Le 13e mois est donc compris dans le calcul des indemnités journalières de sécurité sociale et de prévoyance.

Confirmant le jugement, la cour rejette la demande de Mme [Q] de condamner la société Axway à lui verser les primes de 13ème mois 2016 et 2017.

Il convient de rejeter les autres demandes, fins et conclusions.

En application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, Mme [Q] sera condamnée à verser la somme de 1000 euros à la société Axway en cause d'appel et la condamne aux dépens de la procédure d'appel et à ceux de la procédure en première instance.

PAR CES MOTIFS :

La cour statuant publiquement et contradictoirement, en dernier ressort et par mise à disposition au greffe,

Confirme le jugement en toutes ses dispositions,

Y ajoutant, déboute Mme [Q] de ses demande sur le versement de l'indemnité conventionnelle de licenciement, de l'indemnité compensatrice de préavis et des congés payés sur préavis,

Déboute les parties de leurs demandes autres, plus amples,

Condamne Mme [Q] à verser la somme de 1000 euros à la société Axway en cause d'appel et la condamne aux dépens de la procédure d'appel et à ceux de la procédure en première instance.

Arrêt prononcé par mise à disposition au greffe de la cour, conformément à l'avis donné aux parties à l'issue des débats en application de l'article 450, alinéa 2, du code de procédure civile, et signé par Mme Clotilde Maugendre, président et M. Achille Tampreau greffier.

La greffier, La présidente,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 17e chambre
Numéro d'arrêt : 17/03028
Date de la décision : 18/09/2019

Références :

Cour d'appel de Versailles 17, arrêt n°17/03028 : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2019-09-18;17.03028 ?
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