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15/05/2019 | FRANCE | N°16/05136

France | France, Cour d'appel de Versailles, 17e chambre, 15 mai 2019, 16/05136


COUR D'APPEL


DE


VERSAILLES


Code nac : 80C





17e chambre


Renvoi après cassation





ARRÊT N°





CONTRADICTOIRE





DU 15 MAI 2019





N° RG 16/05136 -


AFFAIRE :





X... T...








C/


SA SOCIETE D'EDITION DE CANAL PLUS anciennement dénommée Canal +








Syndicat NATIONALCDE RADIODIFFUSION ET DE TELEVISION SNRT-CGT








D

écision déférée à la cour : jugement rendu le 06 Février 2014 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de Boulogne Billancourt


N° Section : Encadrement


N° RG : 13/01053








Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :





SELARL CABINET KTORZA





SCP AUGUST & DE...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80C

17e chambre

Renvoi après cassation

ARRÊT N°

CONTRADICTOIRE

DU 15 MAI 2019

N° RG 16/05136 -

AFFAIRE :

X... T...

C/

SA SOCIETE D'EDITION DE CANAL PLUS anciennement dénommée Canal +

Syndicat NATIONALCDE RADIODIFFUSION ET DE TELEVISION SNRT-CGT

Décision déférée à la cour : jugement rendu le 06 Février 2014 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de Boulogne Billancourt

N° Section : Encadrement

N° RG : 13/01053

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

SELARL CABINET KTORZA

SCP AUGUST & DEBOUZY et associés

Pôle emploi

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE QUINZE MAI DEUX MILLE DIX NEUF,

La cour d'appel de Versailles, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

DEMANDEUR ayant saisi la cour d'appel de Versailles par déclaration enregistrée au greffe social le 15 novembre 2016 en exécution d'un arrêt de la Cour de cassation du 05 octobre 2016 cassant et annulant partiellement l'arrêt rendu le 14 avril 2019 par la cour d'appel de Versailles, (6ème chambre sociale)

Monsieur X... T...

[...]

comparant en personne,

assisté de Me Joyce KTORZA de la SELARL CABINET KTORZA, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : B0053

****************

DÉFENDERESSE DEVANT LA COUR DE RENVOI

SA SOCIÉTÉ D'EDITION DE CANAL PLUS anciennement dénommée Canal +

N° SIRET : 329 211 734

[...]

représentée par Me Eric MANCA de la SCP AUGUST & DEBOUZY et associés - avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P0438

****************

PARTIE INTERVENANTE DEVANT LA COUR DE RENVOI

Syndicat NATIONALE DE RADIODIFFUSION ET DE TELEVISION SNRT-CGT

[...]

représentée par Me Joyce KTORZA de la SELARL CABINET KTORZA, Plaidant/Postulant, demeurant [...] , avocat au barreau de PARIS, vestiaire : B0053

Composition de la cour :

L'affaire a été débattue à l'audience publique du 15 Mars 2019, devant la cour composée de :

Madame Clotilde Maugendre, Président,

Madame Evelyne SIRE-MARIN, Président,

Monsieur Laurent BABY, Conseiller,

et que ces mêmes magistrats en ont délibéré conformément à la loi,

dans l'affaire,

Greffier, lors des débats : Madame Corinne DELANNOY

Par jugement du 6 février 2014, le conseil de prud'hommes de Boulogne-Billancourt (section encadrement) a :

- requalifié la relation de travail entre la société d'édition de Canal+ et M. X... T... en contrat à durée indéterminée à temps partiel,

- dit que la rupture de la relation de travail par la société d'édition de Canal+ envers M. T... est un licenciement sans cause réelle et sérieuse,

en conséquence,

- condamné la société d'édition de Canal+ à payer à M. T... les sommes suivantes :

. 4 425 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

. 442 euros à titre de congés payés sur préavis,

. 10 767,50 euros à titre d'indemnité de licenciement,

. 4 749 euros à titre de rappel de salaires entre janvier et mai 2013,

. 474,90 euros à titre de congés payés sur rappel de salaires,

. 7 375 euros à titre de rappel de 13ème mois sur 5 ans,

. 20 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

. 1 475 euros à titre d'indemnité de requalification en application de l'article L.1245-1 du code du travail,

. 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- ordonné l'exécution provisoire sur le tout,

- débouté M. T... de ses autres demandes,

- condamné la société d'édition de Canal+ à payer au syndicat national de radiodiffusion et de télévision CGT 'SNRT-CGT', intervenant volontaire, les sommes suivantes :

. 2 000 euros à titre de dommages et intérêts,

. 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la société d'édition de Canal+ aux entiers dépens.

Par arrêt du 14 avril 2015, la cour d'appel de Versailles, confirmant le jugement du conseil de prud'hommes de Boulogne-Billancourt du 6 février 2014, a :

- requalifié la relation de travail entre la société d'édition de Canal+ et M. T... en contrat à durée indéterminée,

- dit que la rupture de la relation de travail par la société d'édition de Canal+ est un licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- condamné la société d'édition de Canal+ à payer à M. T... la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

statuant à nouveau,

- dit que le contrat de travail à durée indéterminée est un contrat de travail à durée indéterminée à temps plein depuis le 29 octobre 1991,

- fixé le salaire mensuel de référence de M. T... à la somme de 4 133 euros,

- condamné la société d'édition de Canal+ à payer à M. T... les sommes suivantes :

. 4 133 euros à titre d'indemnité de requalification,

. 174 379 euros à titre de rappel de salaires,

. 1 743,79 euros à titre de congés payés sur rappel de salaires,

. 21 807 euros à titre de rappel du 13ème mois,

. 12 399 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

. 1 240 euros à titre de congés payés sur préavis,

. 30 170 euros à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement,

. 50 000 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

. 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- rejeté toutes les autres demandes,

- laissé les entiers dépens à la charge de la société d'édition de Canal+.

Par arrêt du 7 juin 2016, la cour d'appel de Versailles, procédant à une rectification d'erreur matérielle de l'arrêt rendu le 14 avril 2015, a :

- rectifié le dispositif de l'arrêt susvisé en ce que la société d'édition de Canal+ est condamnée à verser à M. T... la somme de 17 437,90 euros et non 1 743,79 euros à titre des congés payés sur rappel de salaires,

- dit que la présente décision sera mentionnée en marge de la minute de celui-ci,

- condamné le trésor public aux éventuel dépens.

Par arrêt du 5 octobre 2016, la chambre sociale de la Cour de cassation, qui a cassé et annulé, mais seulement en ce qu'il condamne la société d'édition de Canal+ à verser à M. T... des rappels de salaires au titre des périodes interstitielles, l'arrêt rendu le 14 avril 2015, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles, a remis sur ce point la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et les a renvoyées devant la cour d'appel de Versailles, autrement composée.

Par la saisine de cette cour du 15 novembre 2016 et conclusions déposées et soutenues oralement à l'audience par son conseil, la société d'édition de Canal+ demande à la cour de :

- prendre acte que M. T... a saisi la cour d'appel de renvoi pour se limiter à réitérer strictement la même argumentation que celle déjà servie devant la cour d'appel initiale le 10 février 2015, et pleinement censurée par la Cour de cassation dans sa décision du 5 octobre 2016,

en conséquence,

- confirmer le jugement prononcé le 6 février 2014 par le conseil de prud'hommes de Boulogne-Billancourt en ce qu'il a débouté M. T... de sa demande en rappel de salaire sur temps plein,

- condamner M. T... à lui payer la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

en tout état de cause,

- dire irrecevable le syndicat SNRT-CGT en son action et constitution.

Par conclusions déposées et soutenues oralement à l'audience par son conseil, M. X... T... demande à la cour de :

- dire qu'il s'est tenu à la disposition de la société d'édition de Canal + durant les périodes interstitielles,

- dire que sa relation de travail avec la société d'édition de Canal + est un contrat de travail à durée indéterminée à temps plein depuis l'origine, soit depuis le 29 octobre 1991,

en conséquence,

- condamner la société d'édition de Canal + à lui payer les sommes suivantes, avec intérêt au taux légal à compter de la réception par la société d'édition de Canal + de la convocation adressée par le greffe du conseil de prud'hommes de Boulogne-Billancourt pour le bureau de jugement :

. 174 150 euros à titre de rappels de salaire,

. 17 415 euros à titre de congés payés afférents :

- condamner la société d'édition de Canal + à lui payer la somme de 7 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouter la société d'édition de Canal + de toutes ses demandes, fins et conclusions,

- condamner la société d'édition de Canal + aux entiers dépens.

Par conclusions d'intervention volontaire déposées et soutenues oralement à l'audience par son conseil, le syndicat national de radiodiffusion et de télévision CGT «SNRT-CGT» demande à la cour de :

- dire recevable et bien fondée son intervention volontaire,

- condamner la société d'édition de Canal + à lui payer la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la société d'édition de Canal + aux entiers dépens.

Lors de l'audience, M. T... a demandé que soient écartées des débats trois nouvelles pièces communiquées tardivement par la Société d'édition de Canal+, laquelle en sollicite le maintien, ces pièces ne consistant qu'en de la jurisprudence.

LA COUR,

M. T... a été engagé par la société Canal, devenue la société Canal+, qui a pour activité principale l'audiovisuel, en qualité de truquiste, par contrat à durée déterminée en date du 29octobre 1991 pour la période d'octobre 1991 à juin 1992.

Le salarié a par la suite été engagé en qualité de chef monteur, par une succession de contrats à durée déterminée.

Entre deux contrats à durée déterminée, M. T... a été placé sous le régime des intermittents du spectacle.

Les relations contractuelles étaient régies par la convention collective d'entreprise Canal+.

Par courrier des 16 octobre 2012 et 3 décembre 2012, M. T... a sollicité de la part de la société d'éditions de Canal+ une collaboration par contrat à durée indéterminée. Après une période de pourparlers, M. T... a refusé le 22 mai 2013 le contrat à durée indéterminée à temps partiel proposé par la société d'édition Canal+.

Le 28 mai 2013, M. T... a saisi le conseil de prud'hommes de Boulogne-Billancourt d'une demande de requalification de ses contrats de travail à durée déterminée en un contrat à durée indéterminée à temps plein depuis le 29 octobre 1991.

SUR CE,

Sur l'incident de communication de pièces :

M. T... demande que les trois dernières pièces de la Société d'édition de Canal+ soient écartées des débats comme ayant été produites tardivement.

La Société d'édition de Canal+ réplique que les pièces en question ne consistent qu'en des jurisprudences.

L'article 15 du code de procédure civile prévoit que les parties doivent se faire connaître mutuellement en temps utile les moyens de fait sur lesquels elles fondent leurs prétentions, les éléments de preuve qu'elles produisent et les moyens de droit qu'elles invoquent, afin que chacune soit à même d'organiser sa défense.

L'article 16 énonce que le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction.

Il ne peut retenir, dans sa décision, les moyens, les explications et les documents invoqués ou produits par les parties que si celles-ci ont été à même d'en débattre contradictoirement.

Il ne peut fonder sa décision sur les moyens de droit qu'il a relevés d'office sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations.

En l'espèce, les pièces litigieuses sont les pièces 12 à 14 de l'employeur correspondant à des arrêts de la cour d'appel de Paris rendus dans le courant du mois de février 2019.

Ces pièces ont été communiquées tardivement puisqu'elles ont été transmises au conseil de M. T... 2 heures avant l'audience. Elles seront en conséquence écartées des débats.

Sur le rappel de salaire :

A titre liminaire, il convient de rappeler que la cour d'appel de Versailles, dans son arrêt du 7juin 2016, a, notamment, dans un premier temps requalifié la relation de travail entre la société d'édition de Canal+ et M. T... en contrat à durée indéterminée puis, dans un deuxième temps, dit que le contrat de travail à durée indéterminée est un contrat de travail à durée indéterminée à temps plein depuis le 29 octobre 1991.

La cour de cassation a cassé cet arrêt « mais seulement en ce qu'il condamne la société d'édition de Canal+ à verser à M. T... des rappels de salaires au titre des périodes interstitielles»

Par voie de conséquence, la cour, statuant dans le champ de la cassation, doit tenir pour acquis que la relation entre M. T... et la Société d'édition de Canal+ s'analyse comme un contrat de travail à durée indéterminée à temps complet. Reste seule à examiner la question du paiement des salaires pendant les périodes interstitielles.

M. T... expose qu'il s'est tenu à la disposition permanente de son employeur pendant les périodes interstitielles. Il soutient que son activité au sein de la société consistant à monter les sujets et reportages et que la société diffusant 365 jours par an et 24 heures sur 24 par le biais des nombreuses chaînes de son bouquet, il y avait matière à l'employer à plein temps tout au long de l'année ; qu'il a travaillé pendant 22 ans en continu pour la société tous les mois de l'année ; que ses modalités d'exercice caractérisent la disponibilité permanente à laquelle il était assujetti ; qu'en effet :

. il était tenu de contacter son employeur le vendredi après-midi et que le responsable du planning lui indiquait oralement quels jours de travail il allait effectuer la semaine suivante sans indication du nombre d'heures à effectuer ; qu'en outre, ses dates étaient constamment modifiées voire annulées par un simple appel téléphonique ou par texto du service planning ; qu'il n'a jamais eu aucun planning écrit pendant ses 22 années de collaboration,

. il était parfois contacté par téléphone ' à n'importe quel moment ' par les opérationnels de production (directeur de production ou journalistes) pour lui demander de venir travailler souvent la veille pour le lendemain,

. il lui arrivait également, tandis qu'il était au sein de Canal+, que le responsable du planning ou les opérationnels viennent le voir dans la salle de montage pour lui indiquer qu'il était requis le lendemain ou les prochains jours.

M. T... déduit de ce qui précède qu'il ne savait jamais combien de fois par mois il serait contacté, combien de jours de travail il allait effectuer, quels étaient ses horaires, quel était le nombre d'heures par jour de travail qu'il devait réaliser ; que dès lors, il se tenait à la disposition de la Société d'édition de Canal+ 365 jours sur 365 et ce, depuis l'origine de la collaboration ; qu'en outre, il savait que s'il ne se montrait pas prêt à travailler dans l'instant, il ne serait plus contacté par Canal+.

M. T... fait aussi valoir que la société produit ses lettres d'engagement comme autant de preuves qu'il était informé à l'avance de ses dates de travail ; que cependant, ses lettres d'engagement étaient établies par la société systématiquement après la fin de sa prestation de travail ; qu'à cet égard, il met en évidence plusieurs exemples montrant que, comme il le soutient, ses lettres d'engagement étaient effectivement établies a posteriori et, notamment l'exemple de son contrat du 3 juin 2008 comportant une majoration pour heures supplémentaires et plus généralement, le fait que sur 57 bulletins de salaire établis par la société entre 2008 et 2013 (période de la demande de rappel de salaire non couverte par la prescription), 45 bulletins de paie mentionnent des majorations pour dépassement du forfait 8h00 et pour heures supplémentaires, cette mention ne pouvant être réalisée qu'après que la prestation de travail a été effectuée.

Le salarié indique enfin que la Société d'édition de Canal+ était son employeur exclusif, ce que montrent les déclarations de revenus et avis d'imposition qu'il verse aux débats pour la période comprise entre 2008 et 2012.

En réplique, la Société d'édition de Canal+ conteste le fait que M. T... se serait tenu à sa disposition permanente et fait observer que sur la période non-prescrite (15 juin 2008 ' 22mai2013) de sa demande de rappel de salaire, il a travaillé :

. 64 jours du 15 juin 2008 au 31 décembre 2008 (soit une moyenne de 6 jours par mois),

. 34 jours sur l'année 2009 (soit une moyenne de 3 jours par mois),

. 84 jours sur l'année 2010 (soit une moyenne de 7 jours par mois),

. 66 jours sur l'année 2011 (soit une moyenne de 5,5 jours par mois),

. 71 jours sur l'année 2012 (soit une moyenne de 6 jours par mois),

. 11 jours du 1er janvier 2013 au 22 mai 2013 (soit une moyenne de 2,2 jours par mois),

. soit une moyenne globale de 6 jours par mois.

La Société d'édition de Canal+ estime que M. T... ne rapporte pas la preuve qui lui incombe de ce qu'il était à la disposition permanente de son employeur, cette thèse n'étant que pure fiction. Elle ajoute que c'est faussement que M. T... allègue que ses engagements étaient signés en fin de mois et que les attestations qu'il verse en ce sens sont clairement mensongères. Au contraire, la Société d'édition de Canal+ affirme que la totalité des engagements conclus sur la période retenue (15 juin 2008 ' 22 mai 2013), à l'instar des fiches de paie, font clairement apparaître que les jours de travail et le temps de travail de M. T... sont systématiquement renseignés ; qu'ainsi, chaque lettre d'engagement fait mention du nombre de jours de collaboration, leurs dates d'exécution et leur volume d'heures journalier ; que ces engagements et fiches de paie témoignent de l'état de la collaboration de M. T... soit une collaboration à hauteur d'environ 6jours par mois en moyenne, ce qui est loin de correspondre à un temps plein. La Société d'édition de Canal+ fait par ailleurs observer que M. T... a consenti sans réserve à chaque engagement conclu et n'a jamais émis en son temps la moindre observation ou réserve sur ses interventions ; qu'il avait donc tout le loisir de s'organiser et n'était jamais pris au dépourvu ; que chaque lettre d'engagement communiquée en témoigne.

La Société d'édition de Canal+ précise que le fait que M. T... n'ait pas eu d'autres employeurs n'implique pas qu'il était à sa disposition permanente ; que cette situation correspond à un choix de vie de M. T.... L'employeur rappelle à cet égard que M. T... a perçu de l'antenne Spectacle du Pôle emploi des indemnisations couvrant la perte de son emploi ; que pendant cette période de prise en charge, le salarié est à la recherche d'un emploi et assurément pas à la dispositions permanente d'un employeur en particulier, mais à la disposition de tout nouvel employeur qui pourrait répondre favorablement à la recherche d'emploi du salarié concerné.

La requalification d'un contrat de travail à durée déterminée en contrat de travail à durée indéterminée ne porte que sur le terme du contrat et laisse inchangées les stipulations contractuelles sur la durée du travail.

En l'espèce, le contrat a été requalifié en contrat à durée indéterminée en temps complet.

Sous couvert d'une demande de requalification d'un contrat de travail à temps partiel en contrat de travail à temps complet, M. T... tente en réalité d'obtenir le paiement des rappels de salaire pour les périodes d'inactivité consécutivement à la requalification de ses contrats de travail à durée déterminée d'usage en un contrat de travail à durée indéterminée. Or, en cas de requalification d'un contrat à durée déterminée en contrat à durée indéterminée (ce qui est le cas en l'espèce comme il a été vu plus haut), il appartient au salarié d'établir qu'il s'est tenu à la disposition de l'employeur pendant les périodes interstitielles pour en obtenir le paiement.

Cela conduit à l'examen de la question, débattue entre les parties, de la remise des plannings à M. T....

M. T... produit en pièce 30 l'attestation détaillée d'un autre salarié de la Société d'édition de Canal+ désormais retraité ' l'attestation de M. Q..., chef monteur, comme M. T... ' dont il ressort que « le principe de base était de contacter le planning par téléphone et de découvrir la charge de travail proposée pour la semaine à venir» ; qu'« aucune régularité d'une semaine sur l'autre» n'était instaurée ; que le personnel ainsi employé « n'était pas à l'abri d'une prolongation en heures supplémentaires qu'il était impossible de refuser sous peine de prendre le risque que vos propositions de travail soient diminuées. C'est également pour cela que l'on ne refusait jamais un travail imprévu proposé la veille pour le lendemain quand ce n'était pas le matin pour l'après-midi ('). Inversement, les annulations de dernière minute étaient fréquentes qui nous laissaient dés'uvrés sans pouvoir retrouver un contrat de remplacement dans un délai aussi court. Nous ne savions donc jamais au début du mois combien de jours nous allions travailler car les journées s'ajoutaient au fur et à mesure des semaines, nous signions le contrat en fin de mois quand le récapitulatif des jours du mois avait été fait par la responsable du planning montage.».

Cette dernière version est confirmée par un salarié de Canal+ qui atteste de façon circonstanciée de ce que « à la fin du mois, il y avait un récapitulatif des jours travaillés du mois écoulé et un contrat était établi a posteriori. C... I... établissait ce contrat avant qu'Z... O... (responsable du planning montage) le contrôle et le valide en apposant sa signature avant de le remettre au salarié. Si X... T... souhaitait continuer de manière régulière chez Canal+, il n'avait pas le choix que d'accepter ces conditions.»

M. T... verse au dossier l'attestation d'un autre collègue de travail ' M. R... comme lui chef monteur vidéo chez Canal+ ' qui témoigne de ce qu'un « planning était établi le vendredi soir pour la semaine suivante qui débutait le lundi. Les changements de planning et donc d'horaires, parfois à la dernière minute, étaient récurrents, comme les ajouts ou suppressions de vacations. Des appels téléphoniques ou SMS en période de repos (comme le week-end en famille) de jours comme de nuits, pour informer d'un changement d'horaire ou de vacation le lendemain étaient fréquents. Les vacations et horaires changeaient tous les jours et toutes les semaines» (pièce 32).

Le salarié produit encore l'attestation de M. K... (pièce 31), qui déclare avoir habité 18ans avec M. T.... De l'attestation de M. K..., il ressort que M. T... avait un « emploi du temps de travail décousu, ne sachant jamais comment allait se composer sa semaine de travail». Le témoin ajoute que M. T... « était habitué à travailler la nuit, week-ends et jours fériés, obligé de contrôler son répondeur en permanence car les piges tombaient au dernier moment et du jour au lendemain».

M. T... produit encore plusieurs témoignages de proches (sa fille en pièce 33, des amis en pièces 34 et 35) dont il ressort en substance que M. T... travaillait pour Canal+, qu'il se rendait disponible pour Canal+ qui le contactait très fréquemment de façon inopinée de telle sorte, ainsi qu'en atteste M. V... (pièce 35), qu'« à de nombreuses reprises, [le témoin a vu M. T...] être appelé le matin pour un travail l'après-midi, arriver en retard à un RDV parce que son temps de travail avait été rallongé pour les besoins du service». Ledit témoin ajoute : « A cette époque, notre vie amicale ne pouvait avoir lieu qu'à la condition d'accepter qu'à tout moment, X... T... pouvait être appelé par Canal+ pour un travail à réaliser dans les heures qui suivaient cet appel».

Ces multiples témoignages sont concordants. Ils rendent compte de ce que M. T... devait prendre l'initiative d'appeler Canal+ le vendredi pour connaître son emploi du temps de la semaine suivante. Ils rendent encore compte du manque de fiabilité de l'emploi du temps qui lui était alors oralement communiqué de telle sorte que son service pouvait être annulé ou qu'au contraire, d'autres tâches pouvaient lui être assignées. Ils rendent en outre compte de ce qu'il était particulièrement difficile pour le salarié de refuser un travail qui lui était proposé inopinément, puisque, loin de consacrer l'idée soutenue par l'employeur d'un choix de vie, un refus risquait d'inciter Canal+ à ne plus faire appel à lui de façon régulière. Ils rendent compte enfin de ce que les lettres d'engagement que l'employeur verse aux débats en pièce 1, sur lesquelles figurent des plannings précis, n'étaient en réalité pas communiquées au salarié en début de mission mais seulement une fois que la mission avait été réalisée, de telle sorte que ces lettres d'engagements ne peuvent être considérées comme valant planning mais comme un simple récapitulatif des horaires effectués par le salarié pour évaluer sa rémunération.

Il importe peu que le salarié ait, en réalité, travaillé à raison d'une moyenne de 6 jours par mois pour Canal+ dès lors qu'il établit que durant les périodes interstitielles, il ne pouvait adjoindre ses services à un autre employeur et qu'il se tenait bien à la disposition permanente de la Société d'édition de Canal+ laquelle était son unique employeur durant toute la période litigieuse.

Dès lors, M. T... établissant qu'il s'était tenu à la disposition permanente de la Société d'édition de Canal+, il convient, infirmant le jugement du conseil de prud'hommes de Boulogne-Billancourt, de faire droit à sa demande de rappel de salaire.

Il s'ensuit que la Société d'édition de Canal+ sera condamnée à payer à M. T... les rappels de salaire qu'il sollicite et qui ne sont pas utilement critiqués par l'employeur.

Ainsi, la Société d'édition de Canal+ sera-t-elle condamnée à payer à M. T... la somme de 174150 euros à titre de rappel de salaires, outre celle de 17 415 euros à titre de congés payés sur rappel de salaires avec intérêts au taux légal à compter de la réception, par l'employeur, de sa convocation devant le bureau de jugement du conseil de prud'hommes de Boulogne-Billancourt.

La présente décision sera en outre communiquée à Pôle emploi.

Sur la recevabilité des demandes du syndicat SNRT-CGT :

La Société d'édition de Canal+ expose que l'objet de la demande du SNRT-CGT est de dénoncer un prétendu recours abusif à l'intermittence concernant M. T... qui serait préjudiciable aux intérêts de sa profession. Or, la Société d'édition de Canal+ estime que la discussion élevée devant la cour concerne exclusivement la question de savoir si M. T... était ou non à la disposition permanente de son employeur, le reste des questions ayant déjà été tranché et en particulier celle de la requalification de travail en contrat de travail à durée indéterminée. La Société d'édition de Canal+ ajoute que cette question est éminemment personnelle et n'intéresse que M. T... ; qu'elle est totalement indifférente à la profession.

Pour sa part, le syndicat SNRT-CGT se fonde sur l'article L. 2132-3 du code du travail et fait valoir, au soutien de ses prétentions, que le sort subi par M. T... porte une atteinte directe à l'intérêt collectif des techniciens de l'audiovisuel qu'il représente ; qu'en effet, la situation de précarité qu'a supportée le salarié alors qu'il occupait un emploi permanent car intrinsèquement lié à l'activité de la Société d'édition de Canal+ est caractéristique de la situation de centaines d'autres collaborateurs de l'entreprise.

L'article L. 2132-3 du code du travail dispose que les syndicats professionnels ont le droit d'agir en justice. Ils peuvent, devant toutes les juridictions, exercer tous les droits réservés à la partie civile concernant les faits portant un préjudice direct ou indirect à l'intérêt collectif de la profession qu'ils représentent.

L e litige qui oppose M. T... à la Société d'édition de Canal+ portant dans la présente instance seulement sur un rappel de salaire, n'intéresse que la personne du salarié et non l'intérêt collectif de la profession.

Le syndicat SNRT-CGT est donc irrecevable en son intervention volontaire pour défaut d'intérêt et sera déclaré tel.

Sur les autres demandes :

La Société d'édition de Canal+ sera condamnée à payer à M. T... la somme de 3000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

La Société d'édition de Canal+ sera condamnée aux dépens.

PAR CES MOTIFS :

Statuant publiquement et par arrêt contradictoire, en dernier ressort et par mise à disposition au greffe, dans les limites de la cassation, la cour :

Écarte des débats les pièces 12 à 14 produites par la Société d'édition de Canal+,

Infirme le jugement,

Statuant à nouveau,

Condamne la Société d'édition de Canal+ à payer à M. T... 174 150 euros à titre de rappel de salaires, outre celle de 17 415 euros à titre de congés payés sur rappel de salaires avec intérêts au taux légal à compter de la réception, par l'employeur, de sa convocation devant le bureau de jugement du conseil de prud'hommes de Boulogne-Billancourt,

Y ajoutant,

Ordonne la communication du présent arrêt au Pôle Emploi,

Déclare le syndicat SNRT-CGT irrecevable en son intervention volontaire,

Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,

Condamne la Société d'édition de Canal+ à payer à M. T... la somme de 3000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne la Société d'édition de Canal+ aux dépens.

Arrêt prononcé par mise à disposition au greffe de la cour, conformément à l'avis donné aux parties à l'issue des débats en application de l'article 450, alinéa 2, du code de procédure civile, et signé par Mme Clotilde Maugendre, présidente et Mme Corinne Delannoy, greffière.

La greffière La présidente


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 17e chambre
Numéro d'arrêt : 16/05136
Date de la décision : 15/05/2019

Références :

Cour d'appel de Versailles 17, arrêt n°16/05136 : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2019-05-15;16.05136 ?
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