COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 80A
11e chambre
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 18 AVRIL 2019
N° RG 17/02739 - N° Portalis DBV3-V-B7B-RSLS
AFFAIRE :
C... N...
C/
SARL CK PRINT
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 19 Avril 2017 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de NANTERRE
N° Chambre :
N° Section : C
N° RG : F 15/00558
Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :
la SCP BENOIST/REDON
Me Olivier FONTIBUS
le :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE DIX HUIT AVRIL DEUX MILLE DIX NEUF,
La cour d'appel de Versailles, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
Monsieur C... N...
né le [...] à SANNOIS (95110)
de nationalité Française
[...]
Représentant : Me Sandrine BOULFROY de la SCP BENOIST/REDON, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de VAL D'OISE, vestiaire : 48 - N° du dossier 25264
APPELANT
****************
SARL CK PRINT
N° SIRET : 500 743 729
[...]
[...]
Représentant : Me Eric DI CONSTANZO et Me Sarah BALLUET, avocats au barreau de ROUEN de la SELARL ACT'AVOCATS substitué par Me Julien LEMAIRE, avocate au barreau de ROUEN, de la SELARL ACT'AVOCATS
Représentant : Me Olivier FONTIBUS, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 108 - N° du dossier 17.00060
INTIMEE
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l'article 786 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 15 Mars 2019 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Bérangère MEURANT, Conseiller chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Hélène PRUDHOMME, Président,
Monsieur Eric LEGRIS, Conseiller,
Madame Bérangère MEURANT, Conseiller,
Greffier, lors des débats : Madame Sophie RIVIERE,
Le 1er août 2007, M. C... N... était embauché par la société Consulting Impression Presse, devenue CK Print, en qualité de responsable technique par contrat à durée indéterminée. Le contrat de travail était régi par la convention collective de la papeterie, fourniture de bureau, de bureautique et informatique de libraire.
Le 9 décembre 2014, la SARL CK Print notifiait à M. N... un avertissement pour un comportement agressif et violent.
Le même jour, l'employeur écrivait au salarié afin de lui demander de restituer son véhicule de fonction sous un mois considérant que l'attribution d'un véhicule à titre permanent ne se justifiait plus au regard des rares déplacements induits par ses missions. Il lui indiquait que l'avantage en nature correspondant serait intégré à son salaire brut et qu'en cas de besoin de déplacement à venir, il serait remboursé sur la base du barème kilométrique fiscale si aucun véhicule de service n'était disponible.
Le 21 décembre 2014, M. N... refusait par écrit de restituer son véhicule de fonction considérant que ce véhicule faisait partie intégrante du contrat de travail et que ses fonctions n'avaient pas été modifiées. Les 5 et 6 janvier 2015, M. N... persistait dans son refus.
Le 6 janvier, l'employeur le convoquait à un entretien préalable en vue de son licenciement. L'entretien avait lieu le 20 janvier 2015. Le 26 janvier 2015, il lui notifiait son licenciement pour faute grave en raison de la contestation du pouvoir de direction de l'employeur.
Le 23 février 2015, M. N... saisissait le conseil de prud'hommes de Nanterre en contestation du caractère réel et sérieux de son licenciement.
Vu le jugement du 19 avril 2017 rendu en formation paritaire par le conseil de prud'hommes de Nanterre qui a :
- dit que le licenciement pour faute grave de M. C... N... est parfaitement fondé et motivé.
- débouté M. N... de l'intégralité de ses demandes.
- débouté la SARL CK Print de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
- condamné M. C... N... aux éventuels dépens de l'instance.
Vu la notification de ce jugement le 27 avril 2017.
Vu l'appel régulièrement interjeté par M. C... N... le 26 mai 2017.
Vu les conclusions de M. N... notifiées le 29 janvier 2018, soutenues à l'audience par son avocat, auxquelles il convient de se référer pour plus ample exposé et par lesquelles il est demandé à la cour d'appel de :
- déclarer M. N... recevable et bien fondé en son appel et notamment en ses conclusions.
- infirmer la décision rendue par le conseil de prud'hommes de Nanterre le 19 avril 2017 en toutes ses dispositions.
Statuant à nouveau
- dire et juger le licenciement de M. N... abusif.
- condamner la société CK-Print à payer à M. N... les sommes suivantes :
- 25000 euros au titre de dommages et intérêts pour licenciement abusif,
- 7 289,46 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,
- 728,95 euros au titre des congés payés y afférents,
- 5 467,09 euros au titre de l'indemnité légale de licenciement,
- 2 430 euros au titre du salaire pendant la mise à pied conservatoire (du 06 au
26/01/2015),
- 243 euros au titre des congés payés y afférents,
- 10000 euros au titre de dommages et intérêts pour licenciement vexatoire
- dire et juger que ces sommes porteront intérêt au taux légal à compter de la saisine du Conseil.
- condamner la société CK Print à payer à M. N... la somme de 4000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Vu les écritures de la SARL CK Print notifiées le 30 avril 2018, soutenues à l'audience par son avocat, auxquelles il convient de se référer pour plus ample exposé et par lesquelles il est demandé à la cour d'appel de :
A titre principal,
- prononcer la caducité de la déclaration d'appel en raison du non-respect par l'appelant du délai imparti pour déposer ses conclusions,
A titre subsidiaire,
- confirmer purement et simplement le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Nanterre du 19 avril 2017 en ce qu'il a dit et jugé que le licenciement pour faute grave notifié à M. C... N... le 26 janvier 2015 était parfaitement fondé et motivé,
En conséquence,
- débouter M. C... N... de l'ensemble de ses demandes au demeurant totalement disproportionnées et injustifiées,
- voir condamner M. C... N... à payer à la SARL CK Print, une somme de 3500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- voir condamner M. C... N... en tous les dépens.
Vu l'ordonnance de clôture rendue le 18 octobre 2018.
Vu la lettre de licenciement.
SUR CE,
Sur la caducité de la déclaration d'appel
La SARL CK Print soulève la caducité de la déclaration d'appel à défaut pour M. N... d'avoir remis ses conclusions au greffe dans le délai de 3 mois de l'article 908 du code de procédure civile.
Cependant, les délais imposés par les articles 908 à 911 du code de procédure civile ne sont pas applicables aux procédures soumises aux dispositions de l'article 905 du même code. La cour observe par ailleurs que l'appelant a respecté le calendrier qu'elle avait fixé. Dans ces conditions, le moyen d'irrecevabilité sera rejeté.
Sur la rupture du contrat de travail :
M. N... considère que la demande de restitution du véhicule est une mesure de rétorsion en raison d'un différend l'ayant opposé à M. L..., gérant, au sujet du fils de ce dernier, dont il était le supérieur hiérarchique. Il conteste toute modification de son activité justifiant la restitution de son véhicule de fonction. Il souligne que la suppression d'un avantage en nature, même institué de façon unilatérale par l'employeur, constitue une modification du contrat de travail qui doit être acceptée par le salarié, même si cet avantage est compensé d'une autre manière. Il développe ses demandes indemnitaires et formule une demande de 10000euros de dommages et intérêts pour licenciement vexatoire.
La SARL CK Print reproche au salarié, non pas d'avoir contesté la décision de restitution du véhicule de fonction, mais de ne pas l'avoir rendu alors qu'il ne lui appartenait pas et qu'il faisait l'objet d'un contrat de location au nom de l'employeur. Elle soutient que le contrat de travail de M. N... ne mentionne pas d'obligation de fournir un véhicule de fonction. Elle précise que le salarié bénéficiait d'un véhicule de service qu'il n'utilisait presque plus dès lors que son activité se concentrait sur l'encadrement des techniciens dont il avait la responsabilité. Elle insiste sur le fait qu'elle s'était engagée à majorer le salaire de M. N... de la contrepartie financière de l'avantage en nature, soit 218,03 euros.
L'employeur rappelle que M. N... avait fait l'objet d'un avertissement le 9 décembre 2014 en raison d'un comportement agressif traduisant déjà une contestation du pouvoir de direction de l'employeur, le salarié n'ayant pas accepté que M. L... contrôle les plannings qu'il avait élaborés.
Subsidiairement, la SARL CK Print conteste le principe et le quantum des demandes indemnitaires.
- Sur le bien fondé
La faute grave est celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constituent une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise même pendant la durée du préavis.
L'employeur qui invoque la faute grave pour licencier doit en rapporter la preuve.
Il ressort de la lettre de licenciement du 26 janvier 2015 que M. N... a été licencié en raison de son refus de restituer le véhicule de fonction qui avait été mis à sa disposition, caractérisant ainsi une contestation du pouvoir de direction de l'employeur.
Si le contrat de travail de M. N... ne stipule pas la mise à disposition d'un véhicule de fonction, mais la réalisation des prestations « à l'aide de véhicules fournis par la société », les pièces de la procédure, et notamment les échanges de courriels entre les parties et du courrier que la SARL CK Print a adressé à M. N... le 9 décembre 2014, démontrent que le salarié bénéficiait d'un véhicule de fonction au titre d'un engagement unilatéral de l'employeur depuis plusieurs années. Cet avantage en nature était valorisé à la somme de 218,03 euros sur les bulletins de salaire.
Par courrier du 9 décembre 2014, l'employeur a informé le salarié de son souhait de supprimer la mise à disposition de ce véhicule à compter du 5 janvier 2015, précisant que la valeur de l'avantage en nature serait intégrée à la rémunération brute mensuelle.
Cependant, le salaire, en tant qu'élément substantiel du contrat de travail, ne peut être modifié sans l'accord du salarié, quand bien même la modification ne porte que sur la structure de la rémunération dont le montant demeure identique. En l'absence d'accord de M. N..., la SARL CK Print ne pouvait lui imposer la restitution du véhicule, de sorte que le licenciement, fondé sur le refus du salarié de se soumettre à la directive de l'employeur, est dépourvu de cause réelle et sérieuse. Le jugement entrepris sera par conséquent infirmé.
- Sur les conséquences financières
Il ressort des pièces versées aux débats que le montant du salaire mensuel doit être fixé à la somme de 3644,73 euros.
Le quantum des indemnités réclamées au titre du rappel de salaire consécutif à la mise à pied, du préavis et de l'indemnité de licenciement n'est pas contesté par l'employeur, ne serait-ce qu'à titre subsidiaire.
Les éléments de la procédure permettent d'allouer à M. N... les sommes suivantes :
- 7 289,46 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,
- 728,95 euros au titre des congés payés y afférents,
- 5 467,09 euros au titre de l'indemnité de licenciement,
- 2 430 euros au titre du salaire pendant la mise à pied conservatoire du 6 au 26/01/2015,
- 243 euros au titre des congés payés y afférents.
L'attestation Pôle emploi établit qu'à la date du licenciement, la SARL CK Print employait moins de 11 salariés.
Aux termes de l'article L.1235-5 du code du travail, les dispositions relatives à l'absence de cause réelle et sérieuse prévues à l'article L1235-3 du même code selon lesquelles il est octroyé au salarié qui n'est pas réintégré une indemnité qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois, ne sont pas applicables au licenciement d'un salarié de moins de deux ans d'ancienneté et au licenciement intervenant dans une entreprise employant habituellement moins de 11 salariés. En cas de licenciement abusif, le salarié peut prétendre à une indemnité correspondant au préjudice subi.
A la date du licenciement, M. N... avait 39 ans et bénéficiait d'une ancienneté de 14 ans et demi au sein de l'entreprise. S'il est établi qu'il a retrouvé un emploi dès le mois d'avril 2015 auprès de la société Foss France, la cour relève qu'il a subi une baisse significative de sa rémunération s'élevant à la somme de 2470 euros.
Il convient par conséquent d'évaluer à la somme de 25000 euros le montant des dommages-intérêts alloués au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse, en application de l'article L 1235-5 du code du travail.
Sur les dommages et intérêts pour le licenciement vexatoire
Les éléments de la procédure ne permettent pas de démontrer le caractère vexatoire du licenciement auquel l'employeur a procédé. M. N... doit en conséquence être débouté de sa demande.
Sur les intérêts
Les intérêts au taux légal portant sur les condamnations de nature salariale seront dus à compter de la réception de la convocation de l'employeur devant le bureau de conciliation. S'agissant des créances de nature indemnitaire, les intérêts au taux légal seront dus à compter de la décision les ayant prononcées.
Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens
Compte tenu de la solution du litige, la décision entreprise sera infirmée de ces deux chefs et par application de l'article 696 du code de procédure civile, les dépens de première instance et d'appel seront mis à la charge de la SARL CK Print.
La demande formée par M. N... au titre des frais irrépétibles en cause d'appel sera accueillie, à hauteur de 2 000 euros.
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
Statuant publiquement et contradictoirement
Rejette le moyen présenté au titre de la caducité de l'appel,
Infirme le jugement entreprisen toutes ses dispositions hormis celles relative à l'indemnisation de la procédure de licenciement vexatoire ;
Statuant de nouveau,
Dit que le licenciement de M. C... N... est dépourvu de cause réelle et sérieuse,
Condamne la SARL CK Print à payer à M. C... N... les sommes suivantes :
- 7 289,46 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,
- 728,95 euros au titre des congés payés y afférents,
- 5 467,09 euros au titre de l'indemnité de licenciement,
- 2 430 euros au titre du salaire pendant la mise à pied conservatoire du 6 au 26/01/2015,
- 243 euros au titre des congés payés y afférents,
- 25000 euros au titre du licenciement abusif,
Dit que les sommes à caractère salarial produiront intérêts au taux légal à compter de la convocation de l'employeur en conciliation et celles à caractère indemnitaire produiront intérêts au taux légal à compter du présent arrêt ;
Condamne la SARL CK Print aux dépens de première instance et d'appel ;
Condamne la SARL CK Print à payer à M. C... N... la somme de 2000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Arrêt prononcé par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,
Signé par Mme Hélène PRUDHOMME, président, et MmeSophie RIVIERE, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le GREFFIER Le PRESIDENT