COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 80A
6e chambre
ARRÊT N° 125
CONTRADICTOIRE
DU 18 AVRIL 2019
N° RG 17/01341
N° Portalis : DBV3-V-B7B-RMG5
AFFAIRE :
[H] [K]
C/
SA AGENCE GÉNÉRALE DU BÂTIMENT
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 15 Février 2017 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire d'ARGENTEUIL
N° Section : Industrie
N° RG : 16/00222
Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées le 19 Avril 2019 à :
- Me Leila VOLLE
- Me Yann DEBRAY
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE DIX HUIT AVRIL DEUX MILLE DIX NEUF,
La cour d'appel de Versailles, a rendu l'arrêt suivant, fixé au 28 février 2019 puis prorogé au 18 avril 2019, les parties en ayant été avisées, dans l'affaire entre :
Monsieur [H] [K]
né le [Date naissance 1] 1988 à [Localité 1]
de nationalité Française
[Adresse 1]
[Adresse 1]
Représenté par Me Marie WATREMEZ-DUFOUR, plaidant, avocate au barreau de l'ESSONNE ; et par Me Leila VOLLE, constituée, avocate au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 718
APPELANT
****************
La SA AGENCE GÉNÉRALE DU BÂTIMENT
N° SIRET : 333 296 580
[Adresse 2]
[Adresse 2]
Représentée par Me Yann DEBRAY, constitué/plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : B0888
INTIMÉE
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l'article 786 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 03 Décembre 2018 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Nathalie GAUTRON-AUDIC, Conseiller, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Monsieur Jean-François DE CHANVILLE, Président,
Madame Valérie DE LARMINAT, Conseiller,
Madame Nathalie GAUTRON-AUDIC, Conseiller,
Greffier, lors des débats : Monsieur Nicolas CAMBOLAS,
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
La société emploie au moins 11 salariés et relève de la convention collective nationale du bâtiment région parisienne.
Par contrat à durée indéterminée du 11 mars 2013, M. [H] [K], né le [Date naissance 1] 1988, était engagé par la société Agence Générale du Bâtiment (ci-après AGB), en qualité de dessinateur en électricité, position ETAM niveau E.
A l'issue de la période d'essai, les parties s'accordaient pour diminuer la rémunération brute mensuelle du salarié de 2 500 à 2 300 euros, suivant un avenant au contrat du 5 juillet 2013.
Le 26 mars 2015, la société notifiait au salarié un avertissement.
Après un entretien préalable qui se tenait le 23 juin 2015, M. [K] se voyait notifier son licenciement pour cause réelle et sérieuse par courrier du 21 juillet 2015.
Le 4 mai 2016, le salarié saisissait le conseil de prud'hommes d'Argenteuil aux fins de contester son licenciement.
Par jugement du 15 février 2017, le conseil de prud'hommes d'Argenteuil a :
- dit que le licenciement de M. [H] [K] au motif d'une cause réelle et sérieuse est justifié,
- débouté M. [H] [K] de l'ensemble de ses demandes,
- débouté la SA Agence Générale du Bâtiment de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- mis les éventuels dépens à la charge de M. [H] [K].
Le salarié a interjeté appel de ce jugement le 14 mars 2017.
Par conclusions communiquées par voie électronique le 13 juin 2017, il demande à la cour d'infirmer le jugement et de condamner la société AGB à lui verser les sommes suivantes :
' 19 000 euros de dommages et intérêts pour licenciement nul, ou à titre subsidiaire pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
' 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Par conclusions communiquées par voie électronique le 25 juin 2017, la société AGB sollicite de la cour la confirmation du jugement rendu par le conseil de prud'hommes et le débouté de l'ensemble des demandes du salarié. Elle demande également à la cour de condamner M. [K] à lui verser la somme de 5 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 8 novembre 2018.
Il est renvoyé aux écritures des parties pour un exposé plus ample de leurs prétentions et moyens conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la nullité du licenciement résultant de la dénonciation d'un harcèlement moral
M. [K] prétend qu'il a fait l'objet d'un harcèlement moral de la part de son employeur et qu'il a été licencié pour l'avoir dénoncé. Il en déduit que le licenciement est nul.
La société AGB réplique que M. [K] n'a pas été licencié pour avoir dénoncé un prétendu harcèlement moral mais au regard des graves manquements qui lui sont imputables.
Aux termes de l'article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
Selon l'article L. 1152-2 du code du travail, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral et pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés.
En application de l'article L. 1152-3 du code du travail, toute rupture du contrat de travail intervenue en méconnaissance des dispositions rappelées ci-dessus est nul. Ce texte assure ainsi la protection du salarié qui est licencié pour avoir dénoncé des faits de harcèlement moral, même si ces faits ne s'avèrent pas établis, sauf mauvaise foi.
En l'espèce, à la suite d'une altercation, le 25 mars 2015, entre M. [K] et son supérieur hiérarchique, M. [T], la société AGB a notifié un avertissement au salarié, par lettre du 26 mars 2015, lui reprochant une dégradation de la qualité de son travail, une utilisation déraisonnable de l'outil informatique en particulier de l'internet à des fins personnelles, le non-respect de ses horaires de travail, des insultes envers son supérieur hiérarchique et un comportement d'insubordination.
Par courrier du 20 avril 2015 adressé à M. [O] [L], président de la société, le salarié a contesté les faits qui lui étaient reprochés et énuméré les agissements répétés de harcèlement moral dont il se prétendait victime.
Dans ce courrier, le salarié a également indiqué être en possession de deux enregistrements des conversations du vendredi 29 novembre 2013 et du lundi 2 décembre 2013 avec sa hiérarchie.
La société AGB a demandé à M. [K] des explications sur ces prétendus enregistrements, par courriers du 7 mai et du 26 mai 2015 auxquels l'intéressé n'a donné aucune suite. Elle a alors convoqué le salarié à un entretien préalable qui s'est tenu le 23 juin 2015 et au cours duquel celui-ci a admis qu'il ne disposait d'aucun enregistrement.
S'en est suivi le licenciement de M. [K] le 21 juillet 2015. Il est reproché au salarié :
- d'avoir persisté dans son comportement fautif, en dépit de l'avertissement notifié le 26 mars 2015, en passant du temps "sur internet à consulter des sites non professionnels et souvent illicites alors que [son] travail n'est pas fait",
- d'avoir fait preuve de déloyauté et d'insubordination en prétendant disposer d'enregistrements clandestins de conversations avec sa hiérarchie et en refusant de déférer aux demandes de son employeur visant à lui communiquer les modalités et les personnes visées par ces enregistrements.
Il ne résulte pas des motifs énoncés dans la lettre de licenciement que la rupture du contrat résulte de la dénonciation de faits de harcèlement moral, ainsi que le prétend M. [K]. Il ressort au contraire des éléments du dossier que l'employeur a souhaité se défaire d'un salarié qu'elle estimait indélicat, n'envisageant plus de poursuivre la relation de travail avec une personne avec laquelle la confiance était rompue.
Il convient au surplus de relever qu'aucune demande n'est formulée par le salarié au titre d'un prétendu harcèlement.
Le jugement déféré sera dès lors confirmé en ce qu'il a débouté M. [K] de sa demande de nullité du licenciement.
Sur le bien-fondé du licenciement
M. [K] soutient à titre subsidiaire que son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse.
La société AGB réplique que le licenciement est parfaitement justifié et, alors qu'une faute grave aurait pu être imputée au salarié, que c'est une cause réelle et sérieuse qu'elle a décidé de retenir.
L'article L. 1232-1 du code du travail subordonne la légitimité du licenciement pour motif personnel à l'existence d'une cause réelle et sérieuse.
L'article L. 1235-1 du code du travail dispose qu'en cas de litige, le juge, à qui il appartient d'apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties après avoir ordonné, au besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si un doute persiste, il profite au salarié.
Ainsi l'administration de la preuve du caractère réel et sérieux des motifs du licenciement n'incombe pas spécialement à l'une ou l'autre des parties, l'employeur devant toutefois fonder le licenciement sur des faits précis, objectifs, imputables au salarié et matériellement vérifiables.
Les motifs invoqués dans la lettre de licenciement ont été précédemment rappelés.
S'agissant de la consultation abusive de sites non professionnels et souvent illicites sur internet par le salarié, en dépit de l'avertissement notifié le 26 mars 2015, la société AGB produit l'historique des connexions internet du salarié entre le 13 février 2015 et le 26 mars 2015 mais ne justifie pas de la reprise des consultations internet après l'avertissement. Ce fait ayant déjà été sanctionné par l'avertissement, il ne peut plus être reproché utilement au salarié.
S'agissant des enregistrements clandestins de conversations avec sa hiérarchie, il est établi que M. [K] a admis, lors de l'entretien préalable, qu'il n'avait procédé à aucun des enregistrements allégués et que l'employeur en a pris acte. Contrairement à ce qu'ont pu estimer les premiers juges, le fait pour le salarié de n'avoir pas déféré aux injonctions de son employeur qui lui demandait de communiquer les modalités d'enregistrements inexistants ne caractérise pas le comportement déloyal et d'insubordination invoqué par la société AGB.
Il en résulte qu'en l'absence de motif valable, le licenciement apparaît dépourvu de cause réelle et sérieuse. Le jugement entrepris sera donc infirmé sur ce point.
Sur les conséquences financières du licenciement
En application de l'article L.1235-3 du code du travail, si un licenciement intervient pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse et qu'il n'y a pas réintégration du salarié dans l'entreprise, il est octroyé à celui-ci, à la charge de l'employeur, une indemnité qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.
Compte tenu notamment qu'à la date du licenciement, M. [K] percevait une rémunération mensuelle brute de 2 300 euros, qu'il était âgé de 27 ans à la date du licenciement, qu'il bénéficiait d'une ancienneté de plus de deux ans, compte tenu également de ce qu'il ne justifie pas de sa situation à ce jour, il convient de lui allouer, en application de l'article L. 1235-3 du code du travail, la somme de 13 800 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Sur les dépens de l'instance et les frais irrépétibles
La société AGB supportera les dépens en application des dispositions de l'article'696 du code de procédure civile.
Elle sera en outre condamnée à payer à M. [K] une indemnité sur le fondement de l'article'700 du code de procédure civile, que l'équité et la situation économique respective des parties conduisent à arbitrer à la somme globale de 2 500 euros au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel.
PAR CES MOTIFS,
La Cour, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort :
INFIRME le jugement déféré, sauf en ce qu'il a débouté M. [H] [K] de sa demande de nullité du licenciement ;
Statuant à nouveau et y ajoutant,
CONDAMNE la société Agence Générale du Bâtiment à payer à M. [H] [K] la somme de 13 800 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
CONDAMNE la société Agence Générale du Bâtiment à payer à M. [H] [K] la somme de 2 500 euros au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE la société Agence Générale du Bâtiment aux dépens de première instance et d'appel ;
Arrêt prononcé par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, et signé par Madame Valérie DE LARMINAT, Conseiller, en remplacement de Monsieur Jean-François DE CHANVILLE, Président, légitimement empêché, et par Monsieur Nicolas CAMBOLAS, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le GREFFIER,P /Le PRÉSIDENT empêché,