COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 4DC
13e chambre
ARRÊT No
CONTRADICTOIRE
DU 16 AVRIL 2019
No RG 18/02510 - No Portalis DBV3-V-B7C-SJYJ
AFFAIRE :
Me Patrick LEGRAS DE GRANDCOURT
C/
La SASU EVENTIS AND CO
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 06 Avril 2018 par le Tribunal de Commerce de NANTERRE
No chambre :
No Section :
No RG : 2017L02834
Expéditions exécutoires
Expéditions
Copies
délivrées le : 16/04/2019
à :
Me Patricia MINAULT
Me Martine DUPUIS
TC NANTERRE
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE SEIZE AVRIL DEUX MILLE DIX NEUF,
La cour d'appel de Versailles, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
Maître Patrick LEGRAS DE GRANDCOURT pris en sa qualité de liquidateur à la liquidation judiciaire de la Sté SDW
[...]
Représenté par Maître Patricia MINAULT de la SELARL MINAULT Patricia avocat postulant au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 619 - No du dossier 20180126 et par Maître Isilde QUENAULT avocat plaidant au barreau de PARIS.
APPELANT
****************
La SASU EVENTIS AND CO prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège [...]
Représentée par Maître Martine DUPUIS avocat postulant au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 625 - No du dossier 1859621 et par Maître François KOPF avocat plaidant au barreau de PARIS.
INTIMÉE
****************
Composition de la cour :
L'affaire a été débattue à l'audience publique du 25 Février 2019, Madame Sophie VALAY-BRIERE, présidente, ayant été entendue en son rapport, devant la cour composée de :
Madame Sophie VALAY-BRIERE, Présidente,
Madame Marie-Andrée BAUMANN, Conseiller,
Madame Delphine BONNET, Conseiller,
qui en ont délibéré,
Greffier, lors des débats : Monsieur Jean-François MONASSIER La société SDW, holding dans le domaine de la restauration, détenait jusqu'en avril 2014 la société Bagatelle restauration (la société Bagatelle) qui exploitait le restaurant "Les Jardins de Bagatelle" en vertu d'une convention d'occupation du domaine public signée le 7 avril 2006 avec la mairie de Paris.
Le 28 mars 2014, la SAS Eventis and co (la société Eventis) a acquis 50 % du capital de la société Bagatelle pour un prix de 333 000 euros. Une garantie de passif, contestée par Maître LEGRAS DE GRANDCOURT, a été signée à la même date, garantissant d'une part, dans la limite de 200 000 euros, les déclarations incomplètes ou inexactes ou l'apparition d'un passif non comptabilisé ni provisionné d'origine antérieure à la date d'entrée en vigueur du contrat et d'autre part, dans la limite de 500 000 euros, toute somme due à la mairie de Paris au titre de la convention d'occupation.
Cette garantie de passif a été actionnée à deux reprises :
- une première fois le 31 octobre 2014, pour défaut de paiement des redevances par la société Bagatelle à la mairie de Paris pour un montant total de 632 735,33 euros. La société SDW s'est reconnue débitrice de cette somme envers la société Bagatelle, a accepté de déplafonner la garantie de passif initialement fixée à 500 000 euros et a cédé à la société Eventis 300 parts de la société Le Domaine des étangs pour un prix de 300 000 euros ainsi qu'une créance en compte courant d'un montant de 332 753,33 euros qu'elle détenait dans cette même société. La dette de la société SDW a ainsi été éteinte par compensation dans le cadre d'une délégation parfaite de paiement et la société Eventis a procédé au paiement des redevances entre les mains de la Mairie de Paris.
- L'URSSAF l'ayant mise en demeure pour des cotisations impayées, la société Eventis a actionné à nouveau la garantie de passif le 27 octobre 2015 pour un montant de 828 382,50 euros au titre du passif social, dont la créance de L'URSSAF.
La société SDW a à nouveau admis cette réclamation et accepté le déplafonnement de la garantie initialement limitée à 200 000 euros. Reconnaissant que la société Eventis était titulaire d'une créance de 828 382,50 euros, elle a payé cette dette en lui cédant une créance en compte courant qu'elle disait détenir sur la société Le Domaine des étangs pour le même montant.
Sur assignation de l'URSSAF en date du 10 septembre 2015, la société SDW a été placée en redressement puis liquidation judiciaires par jugements du tribunal de commerce de Nanterre des 29 octobre 2015 et 26 octobre 2016, maître LEGRAS DE GRANDCOURT étant désigné mandataire puis liquidateur judiciaire. La date de cessation des paiements a été fixée au 30 avril 2014.
Le 21 juin 2017, la société Eventis a déposé, au visa de l'article L.622-26 du code de commerce, une requête en relevé de forclusion afin d'être autorisée à déclarer au passif de la société SDW une créance éventuelle à hauteur de 1 461 117,83 euros, correspondant à la totalité des sommes réclamées par maître LEGRAS DE GRANDCOURT aux termes d'une assignation délivrée le 12 mai 2017, demande à laquelle le juge-commissaire a fait droit suivant ordonnance rendue le 8 novembre 2017.
Maître LEGRAS DE GRANDCOURT, ès qualités, a formé opposition à l'encontre de cette ordonnance.
La société Eventis a déclaré sa créance à la procédure collective de la société SDW le 4 décembre 2017.
Par arrêt du 27 mars 2018, la présente cour a notamment confirmé la nullité du paiement par la société SDW de la somme de 828 382,50 euros intervenu le 27 octobre 2015, annulé le paiement fait par la société SDW à la société Eventis de 632 735,33 euros réalisé le 1er avril 2015 par compensation, condamné la société Eventis à payer à maître LEGRAS DE GRANDCOURT ès qualités la somme de 632 735,33 euros avec intérêts au taux légal à compter du 20 mars 2017 et ordonné le retour dans le patrimoine de la société SDW de la créance en compte courant d'un montant de 828 382,50 euros qu'elle détenait dans les comptes de la société Le domaine des étangs.
Suivant jugement contradictoire rendu le 6 avril 2018, le tribunal de commerce de Nanterre a :
- dit maître LEGRAS DE GRANDCOURT, ès qualités, recevable en son opposition à l'encontre de l'ordonnance du juge commissaire du 8 novembre 2017, mais mal fondé ;
- confirmé l'ordonnance en toutes ses dispositions ;
- débouté maître LEGRAS DE GRANDCOURT, ès qualités, de toutes ses autres demandes.
Me LEGRAS DE GRANDCOURT, ès qualités, a régulièrement interjeté appel de ce jugement le 10 avril 2018. Selon exploits d'huissier de justice en date des 19 octobre et 26 octobre 2018, délivrés selon les modalités de l'article 659 du code de procédure civile pour le second, il a fait signifier la déclaration d'appel, les conclusions signifiées par la société Eventis et ses conclusions no1 et 2 à la société SDW qui n'a pas constitué avocat.
Dans ses dernières conclusions, déposées au greffe et notifiées par RPVA le 27 septembre 2018, il demande à la cour de :
- infirmer le jugement ;
En conséquence,
A titre principal :
- déclarer irrecevable la société Eventis en sa demande de relevé de forclusion ;
A titre subsidiaire et en tout état de cause :
- débouter la société Eventis de sa demande de relevé de forclusion et de l'ensemble de ses demandes ;
- condamner la société Eventis au paiement de la somme de 7 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens dont distraction au profit de la SELARL Patricia Minault, avocat, conformément à l'article 699 du code de procédure civile.
Il soutient qu'en l'espèce les conditions de recevabilité prévues par l'article L.622-26 du code de commerce ne sont pas remplies et que la demande de relevé de forclusion est irrecevable en ce qu'elle a été formée hors du délai légal.
Après avoir rappelé que la connaissance de l'état de cessation des paiements est indifférente dans le cadre du relevé de forclusion, il fait valoir que la société Eventis a eu connaissance de l'ouverture de la procédure collective et de la date de cessation des paiements retenue par le tribunal de commerce dès le 13 novembre 2015, date de la publication au Bodacc du jugement d'ouverture de la procédure collective le rendant opposable à tous, et non à compter du 12 mai 2017, date de délivrance de l'assignation en nullité de la période suspecte.
Invoquant notamment la jurisprudence de la Cour de cassation relative à l'intérêt à former tierce-opposition au jugement reportant la date de cessation des paiements (Com. 14 juin 2017 no15-25698), il fait valoir que c'est à la date de la publication du jugement d'ouverture de la procédure collective et de la date de cessation des paiements que naît la connaissance du risque d'être actionné en nullité de période suspecte et partant l'intérêt à déclarer sa créance éventuelle et à agir d'un créancier sur les droits duquel la date de cessation des paiements peut avoir une incidence.
Il précise que la société Eventis, qui s'est fait régler des prétendues dettes par le biais de modes de paiement non communément admis et anormaux en période suspecte, avait connaissance, du fait de la nature même des paiements reçus, du caractère anormal de ceux-ci et ne pouvait pas ignorer, dès la publication au Bodacc du jugement d'ouverture de la procédure collective de la société SDW, qu'elle s'exposait à une demande en restitution du prix en sorte qu'elle n'était pas dans l'impossibilité de connaître sa créance liée à la nullité de ces paiements.
Il ajoute, enfin, qu'en indiquant en première instance ne pas avoir déclaré sa créance pour ne pas s'auto-incriminer, la société Eventis a montré qu'elle avait connaissance du caractère anormal des actes en cause dès leur conclusion, et ne peut pas se prévaloir de sa propre turpitude.
Dans ses conclusions déposées au greffe et notifiées par RPVA le 29 août 2018, la société Eventis demande à la cour de :
- confirmer le jugement du tribunal de commerce de Nanterre du 6 avril 2018 en toutes ses dispositions ;
- la juger recevable et bien fondée en sa demande de relevé de forclusion ;
- débouter maître LEGRAS DE GRANDCOURT, ès qualités, de l'intégralité de ses demandes ;
- condamner maître LEGRAS DE GRANDCOURT, ès qualités, à lui verser la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens, dont ceux d'appel pourront être directement recouvrés par la SELARL Lexavoué Paris-Versailles, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Elle prétend que la jurisprudence juge de manière constante que dans le cas d'une créance née de la nullité d'un paiement effectué en période suspecte, le délai supplémentaire pour agir en relevé de forclusion prévu par l'article L.622-26 du code de commerce commence à courir à compter de la date de l'assignation en nullité, dès lors que le créancier était dans l'impossibilité de connaître l'obligation du débiteur avant la délivrance de l'assignation, et précise qu'en l'espèce, ce n'est que par l'assignation qui lui a été délivrée le 12 mai 2017, soit postérieurement au terme du délai de six mois, qu'elle a eu connaissance de la remise en cause par maître LEGRAS DE GRANDCOURT, ès qualités, du paiement de sa créance intervenu en période suspecte.
Elle rappelle qu'en cas de paiement effectué avant l'ouverture de la procédure collective, le créancier dont la créance a été éteinte par ledit paiement n'est pas soumis à l'obligation de déclaration et considère qu'elle a ainsi pu légitiment ne pas déclarer les créances, objet du recours en nullité, dans la mesure où, précisément, elles avaient été payées par la société SDW et n'existaient plus dans leur principe.
Elle fait valoir également qu'outre les sanctions éventuelles pour déclaration d'une créance supposée auquel il s'exposerait, procéder à la déclaration de créances éteintes au motif qu'une action pourrait être exercée sur le fondement des nullités de la période suspecte reviendrait pour le créancier à émettre des doutes sur la validité des actes passés par lui ou des paiements qu'il a reçus et irait contre le droit de chaque personne à ne pas s'auto-incriminer, sans compter qu'une telle obligation alourdirait considérablement le processus de vérification des créances et créerait une présomption de nullité des paiements réalisés pendant la période suspecte alors qu'il appartient à l'inverse au liquidateur judiciaire d'apporter la preuve que les paiements intervenus sont anormaux.
Elle indique, enfin, que la circonstance que la créance ait son origine antérieurement au jugement d'ouverture ne peut pas avoir pour effet de la priver de la possibilité de demander à être relevée de la forclusion.
Elle en conclut que sa demande est recevable et bien fondée puisque sa défaillance dans la déclaration de créance n'est pas de son fait.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 24 janvier 2019.
Pour un plus ample exposé des prétentions et des moyens des parties, il est renvoyé à leurs dernières écritures signifiées conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
SUR CE,
En application de l'article L.622-24 du code de commerce, toutes les créances antérieures au jugement d'ouverture, même éventuelles, doivent être déclarées.
La créance de restitution résultant pour la société Eventis de l'annulation des paiements effectués en période suspecte par suite de l'arrêt rendu par la présente cour le 27 mars 2018, qui a son origine antérieurement au jugement d'ouverture de la procédure collective, doit donc être déclarée.
Selon l'article L.622-26 du code de commerce, dans sa rédaction actuelle, le jugement d'ouverture datant du 29 octobre 2015, "A défaut de déclaration dans les délais prévus à l'article L.622-24, les créanciers ne sont pas admis dans les répartitions et les dividendes à moins que le juge-commissaire ne les relève de leur forclusion s'ils établissent que leur défaillance n'est pas due à leur fait [...]. L'action en relevé de forclusion ne peut être exercée que dans le délai de six mois. Ce délai court à compter de la publication du jugement d'ouverture [...].Par exception, si le créancier justifie avoir été placé dans l'impossibilité de connaître l'obligation du débiteur avant l'expiration du délai de six mois, le délai court à compter de la date à laquelle il est établi qu'il ne pouvait ignorer l'existence de sa créance".
Le jugement qui a ouvert la procédure de redressement judiciaire de la société SDW a été publié au Bodacc le13 novembre 2015, produisant ainsi ses effets à l'égard des tiers à compter de cette date.
Il est constant que la société Eventis n'a ni déclaré sa créance dans le délai de deux mois prévu à l'article R.622-24 du code de commerce ni demandé à être relevée de la forclusion dans le délai de six mois expirant le 13 mai 2016.
Pour pouvoir bénéficier de l'exception prévue au dernier alinéa de l'article L.622-26, la société Eventis doit rapporter la preuve qu'elle s'est trouvée dans l'impossibilité de connaître l'obligation du débiteur avant l'expiration du délai de six mois pour agir en relevé de forclusion fixé par ce texte.
L'obligation de déclarer ne s'applique qu'à des créances existantes, même éventuelles. Dès lors la créance éteinte en suite de son paiement effectué avant l'ouverture de la procédure collective n'a pas à être déclarée.
En l'espèce, le paiement des sommes de 632 735,33 euros et de 828 382,50 euros a été opéré par compensation, pour le premier, courant avril 2015 dans le cadre d'un acte de délégation de paiement et pour le second, le 27 octobre 2015, dans le cadre d'un acte de cession de créance.
Ainsi, au jour de l'ouverture de la procédure collective de la société SDW, le 29 octobre 2015, la société Eventis ne détenait plus de créance à l'encontre de celle-ci et en suite de la publication de cette décision au Bodacc, laquelle mentionnait la date de cessation des paiements, ouvrant le délai de déclaration des créances, elle n'avait aucun intérêt à déclarer une créance éteinte.
Ce n'est qu'avec la mise en demeure en date du 17 mars 2017 puis, plus certainement encore, par la délivrance de l'assignation du 12 mai 2017 à la demande de maître LEGRAS DE GRANDCOURT, ès qualités, qu'elle a eu connaissance du risque d'annulation des paiements réalisés en période suspecte.
Nonobstant la nature de ces paiements et la connaissance par la société Eventis de leur caractère anormal, leur nullité, fut-elle de plein droit, restait subordonnée à l'action du liquidateur judiciaire lequel n'avait pas d'obligation à agir, sauf à voir le cas échéant sa responsabilité engagée.
Il s'en déduit que la société Eventis n'a eu connaissance de l'obligation du débiteur que par cet acte. Ainsi son intérêt à déclarer sa créance éventuelle de restitution est né, non pas de la publication au Bodacc de la date de cessation des paiements de la société SDW, mais de la délivrance de l'assignation du 12 mai 2017, laquelle constitue par suite le point de départ de l'action en relevé de forclusion.
Il en va différemment de l'intérêt à former tierce opposition au jugement de report de la date de cessation des paiements, qui, en ce qu'il fragilise rétroactivement une situation juridique, peut porter atteinte aux droits de certains créanciers, en sorte que l'intérêt de ces derniers à former tierce opposition à ce jugement, qui n'est subordonné qu'à une atteinte éventuelle mais suffisamment déterminée et probable, naît de la publication du jugement au Bodacc.
La demande en relevé de forclusion formée par la société Eventis le 21 juin 2017, soit dans le délai de six mois débutant le 12 mai 2017, est donc recevable et fondée en ce qu'il est justifié, par les éléments rappelés ci-dessus, que sa défaillance n'était pas de son fait.
Le jugement sera donc confirmé sauf en ce qu'il a mis les dépens à la charge de la procédure collective, les frais de l'instance en relevé de forclusion devant être supportés par le créancier défaillant par application de l'article R.622-25 du code de commerce.
Il n'est pas inéquitable de laisser à chaque partie la charge de ses propres frais, non compris dans les dépens, engagés à l'occasion de la présente instance.
Enfin, il ne peut pas y avoir recouvrement direct des dépens compte tenu de la procédure collective.
PAR CES MOTIFS,
La cour statuant publiquement, par arrêt contradictoire,
Confirme le jugement sauf en ce qu'il a mis les dépens à la charge de la procédure collective ;
Statuant à nouveau de ce chef,
Condamne la société Eventis etamp; co aux dépens de première instance et d'appel ;
Rejette les demandes d'indemnités procédurales.
Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Signé par Madame Sophie VALAY-BRIERE, Présidente et par Monsieur MONASSIER, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le greffier, La présidente,