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11/04/2019 | FRANCE | N°17/07520

France | France, Cour d'appel de Versailles, 3e chambre, 11 avril 2019, 17/07520


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES



Code nac : 61B



3e chambre



ARRET N°



CONTRADICTOIRE



DU 11 AVRIL 2019



N° RG 17/07520



N° Portalis DBV3-V-B7B-R4QK



AFFAIRE :



[L] [L]

...



C/



CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DES HAUTS DE SEINE

...



Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 18 Mai 2017 par le Tribunal de Grande Instance de NANTERRE

N° chambre : 2

N° RG : 14/13729
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Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :





à :

Me Oriane DONTOT de l'AARPI INTER-

BARREAUX JRF AVOCATS

Me Jean-michel HOCQUARD de la SCP HOCQUARD et ASSOCIES

Me Franck REIBELL de la SELARL REIBELL ASSOCIES

Me ...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 61B

3e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 11 AVRIL 2019

N° RG 17/07520

N° Portalis DBV3-V-B7B-R4QK

AFFAIRE :

[L] [L]

...

C/

CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DES HAUTS DE SEINE

...

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 18 Mai 2017 par le Tribunal de Grande Instance de NANTERRE

N° chambre : 2

N° RG : 14/13729

Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :

à :

Me Oriane DONTOT de l'AARPI INTER-

BARREAUX JRF AVOCATS

Me Jean-michel HOCQUARD de la SCP HOCQUARD et ASSOCIES

Me Franck REIBELL de la SELARL REIBELL ASSOCIES

Me Christophe DEBRAY

Me Melina PEDROLETTI

Me Franck LAFON

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE ONZE AVRIL DEUX MILLE DIX NEUF,

La cour d'appel de Versailles, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

1/ Monsieur [L] [L], pris tant en son nom personnel qu'en sa qualité de représentant légal de ses enfants mineurs :

- [C] [L], née le [Date naissance 1] 2004

- [G] [L], née le [Date naissance 2] 2006

- [A] [L], né le [Date naissance 1] 2010

né le [Date naissance 3] 1976 à [Localité 1]

de nationalité Française

[Adresse 1]

[Localité 2]

2/ Madame [U] [P] épouse [L], prise tant en son nom personnel qu'en sa qualité de représentante légale de ses enfants mineurs :

- [C] [L], née le [Date naissance 1] 2004

- [G] [L], née le [Date naissance 2] 2006

- [A] [L], née le [Date naissance 1] 2010

née le [Date naissance 4] 1976 à [Localité 3]

de nationalité Française

[Adresse 1]

[Localité 2]

3/ Madame [H] [P]

née le [Date naissance 5] 1950 à [Localité 4]

de nationalité Française

[Adresse 2]

[Localité 5]

Représentant : Me Oriane DONTOT de l'AARPI INTER-BARREAUX JRF AVOCATS, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 633 - N° du dossier 20171070

Représentant : Me Marc CECCALDI, Plaidant, avocat au barreau de MARSEILLE

APPELANTS

****************

1/ CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DES HAUTS DE SEINE

Division du contentieux

[Adresse 3]

[Localité 6]

prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

Représentant : Me Jean-michel HOCQUARD de la SCP HOCQUARD ET ASSOCIES, Postulant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P0087 - N° du dossier 320187

INTIMEE

2/ SA AVIVA ASSURANCES

N° SIRET : B 306 522 6655

[Adresse 4]

[Localité 7]

prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

Représentant : Me Christophe DEBRAY, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 627 - N° du dossier 17772

Représentant : Me Alberta SMAIL de la SELARL REIBELL ASSOCIES, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : A0419 substituant Me Franck REIBELL de la SELARL REIBELL ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : R226

INTIMEE

3/ MACIF

[Adresse 5]

[Localité 8]

prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

Représentant : Me Mélina PEDROLETTI, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : V 626 - N° du dossier 23850

Représentant : Me Sophie DUGUEY, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : G0229

INTIMEE

4/ Société LAITERIE FROMAGERIE DU VAL D'AY, ETS REAUX

[Adresse 6]

prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

Représentant : Me Franck LAFON, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 618 - N° du dossier 20170414

Représentant : Me Jean-louis FOURGOUX de la SELARL FOURGOUX ET ASSOCIES, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P0069

INTIMEE

****************

Composition de la cour :

L'affaire a été débattue à l'audience publique du 21 Février 2019, Madame Françoise BAZET, Conseiller, ayant été entendu en son rapport, devant la cour composée de :

Madame Véronique BOISSELET, Président,

Madame Françoise BAZET, Conseiller,

Madame Caroline DERNIAUX, Conseiller,

qui en ont délibéré,

Greffier, lors des débats : Madame Lise BESSON

------

FAITS ET PROCEDURE

Le 14 novembre 2005, [C] [L], née [Date naissance 1] 2004, alors qu'elle était gardée quelques jours par ses grands-parents maternels, a présenté les premiers symptômes d'un syndrome hémolytique et urémique (SHU) avec atteinte neurologique précoce et sévère diagnostiquée le 20 novembre 2005, nécessitant son hospitalisation pour plusieurs mois.

Les analyses effectuées ont permis de détecter la présence d'une souche de Escherichia coli (E.coli) de sérotype O26, producteur de Shiga-toxine (STEC) dans les selles de l'enfant.

Le signalement à l'[Établissement 1] ([Établissement 2]) d'autres cas de SHU pédiatriques en Normandie et en Ile-de-France à la même époque a provoqué l'ouverture d'une enquête alimentaire. Il est ressorti de cette enquête que pour 11 de ces enfants, la consommation de camemberts au lait cru dans les sept jours précédant l'apparition des symptômes avait été rapportée et, plus particulièrement pour 4 d'entre eux la consommation de camemberts au lait cru de marque Réo, Réaux ou Le Gaslonde, fabriqués par le même producteur, la société Laiterie Fromagerie du Val d'Ay - Etablissements Réaux (ci-après la société Réaux).

A la suite de ces résultats, des analyses des fromages de la société Réaux effectuées au mois de décembre 2005 ont mis en évidence des souches d'E.coli O26, non productrices de Shiga-toxines.

Imputant l'affection développée par leur fille à la consommation d'un camembert Réo acheté au magasin Carrefour des [Localité 9], M.et Mme [L], agissant tant en leur nom personnel qu'en celui de leurs enfants mineurs dont [C] [L] ont, par exploits délivrés le 6 avril 2007, assigné à jour fixe devant le tribunal de grande instance de Nanterre, la société Carrefour Hypermarchés France, vendeur, la société Réaux, producteur, ainsi que son assureur, la société Aviva Assurances sur le fondement des articles 1386-1 et suivants du code civil.

La CPAM des Hauts de Seine, auprès de qui est assurée [C] [L], a été attraite en la cause par exploit délivré le 26 avril 2007.

Par jugement rendu le 28 septembre 2007, le tribunal a mis hors de cause la société Carrefour Hypermarchés France et a, avant dire droit, ordonné deux mesures d'expertise judiciaire, l'une destinée à rechercher l'origine de la contamination de [C] [L], menée par le docteur [B] lequel s'est adjoint Mme [Q], sapiteur en microbiologie, et l'autre confiée aux docteurs [W], néphrologue, [N], ORL, [K], neurologue et [Y], pédiatre, en vue de procéder à l'évaluation des préjudices de l'enfant. Par ordonnance du 13 août 2008, le magistrat chargé du contrôle des expertises a décidé que les docteurs [N] et [Y] poursuivraient seuls la mesure d'expertise.

Par acte d'huissier des 18 février et 31 mai 2010, la société Aviva Assurances a fait assigner en intervention forcée et en garantie Mme [H] [P], grand-mère de [C], ainsi que son assureur la Macif et les opérations d'expertise leur ont été rendues opposables par décision du juge de la mise en état.

Les docteurs [Y] et [N] ont déposé leur rapport le 7 février 2011, puis un second rapport le 12 décembre 2013 après que le juge de la mise en état, sur demande de M.et Mme [L], leur ait confié une seconde expertise. L'état de [C] n'est, au terme de ce second rapport, toujours pas consolidé.

Par jugement du 18 mai 2017, le tribunal a :

- dit que le camembert de marque 'Réo' mis en circulation par son producteur la société Laiterie Fromagerie du Val d'Ay ' Ets Th. Réaux et ingéré par [C] [L] était défectueux,

- dit cependant que compte tenu des connaissances techniques et scientifiques au moment de cette mise en circulation, la société Laiterie Fromagerie du Val d'Ay ' Ets Th. Réaux ne pouvait pas déceler l'existence de ce défaut et doit donc être exonérée de sa responsabilité du fait de ce produit défectueux,

- rejeté en conséquence l'ensemble des demandes de Mme [P] et de M. et Mme [L]

- rejeté les demandes de la CPAM des Hauts- de-Seine,

- dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile,

- laissé les dépens à la charge de Mme [P] et de M. et Mme [L], avec recouvrement direct

Par acte du 20 octobre 2017, Mme [P] et M. et Mme [L] ont interjeté appel de ce jugement et par dernières écritures du 10 juillet 2018 demandent à la cour de :

- rejeter, comme infondés, les appels incidents des sociétés Réaux et Aviva,

- confirmer le jugement en ce qu'il a dit que le camembert de marque ' Réo' mis en circulation par son producteur et ingéré par [C] [L] en novembre 2005 était défectueux,

- réformer, pour le surplus, le jugement dont appel,

- juger que la société Réaux, prise en sa qualité de producteur du camembert de marque 'Reo' défectueux, est responsable de l'entier dommage subi par [C] [L] à la suite de l'ingestion dudit produit et des préjudices par ricochets éprouvés par ses père, mère, frère et soeur,

- exonérer de toute responsabilité en lien avec la consommation dudit produit défectueux Mme [P] et prononcer sa mise hors de cause,

- condamner solidairement la société Réaux et son assureur, Aviva, à prendre en charge l'entier préjudice subi par la jeune [C] et les préjudices réfléchis de ses proches,

- condamner solidairement les sociétés Réaux et Aviva à payer :

à Mme et M. [L], ès qualité d'administrateurs légaux de leur fille mineure [C], une somme de 100 000 euros à titre de provision à valoir sur la réparation du préjudice définitif de celle-ci,

à Mme et M. [L], une somme de 10 000 euros chacun à valoir sur la réparation de leur préjudice par ricochet, notamment d'affection,

à M. et Mme [L], ès qualité d'administrateurs légaux de leur fille et fils mineurs une somme de 7 500 euros chacun à valoir sur la réparation de leur préjudice par ricochet, notamment d'affection,

à chacun des concluants, une somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile

- juger que les sommes allouées en principal seront assorties des intérêts au taux légal à compter de la demande en justice et que les intérêts seront capitalisés par année entière à compter de cette même date,

- juger que dans l'hypothèse où l'exécution forcée devra être réalisée par l'intermédiaire d'un huissier, le montant des sommes par lui retenues devra être supporté par le débiteur en sus de l'application de l'article 700 du code de procédure civile

- condamner solidairement les sociétés Réaux et Aviva aux entiers dépens avec recouvrement direct

Par dernières écritures du 1er février 2019, la société Laiterie fromagerie du Val d'Ay ' Ets Réaux demande à la cour de :

à titre principal :

- infirmer le jugement et juger que le camembert de marque Réo ne présentait pas de caractère défectueux,

- juger que "les demandeurs" n'établissent pas avec certitude l'existence d'un lien de causalité entre le dommage subi par [C] [L] et la consommation de camembert de marque Réo ,

- débouter les parties de l'ensemble de leurs demandes à l'égard de la société Réaux,

A titre subsidiaire :

- confirmer le jugement en ce qu'il a exonéré de sa responsabilité et débouter les appelants de l'ensemble de leurs demandes à l'égard de la société Réaux.

A titre très subsidiaire :

- juger que la responsabilité de l'entreprise Réaux ne peut être retenue qu'à concurrence des faits qui lui sont directement et certainement imputables,

- juger que la responsabilité de l'entreprise Réaux ne peut être retenue pour les frais médicaux engagés qui ne seraient pas la conséquence directe et certaine des faits qui lui sont imputés

- déclarer irrecevable et dans tous les cas, mal fondée la CPAM,

- la débouter de l'intégralité de ses demandes

- débouter "les demandeurs" de leurs demandes de provision.

Dans ses conclusions signifiées le 11 avril 2018, la société Aviva Assurances demande à la cour de :

- infirmer le jugement en ce qu'il a retenu que les conditions de l'article 1386-1 du code civil étaient réunies

- constater que les consorts [L] ne rapportent la preuve ni d'un défaut du camembert commercialisé par la société Laiterie Fromagerie du val d'ay ' Ets Réaux ni d'un lien de causalité certain entre la maladie de [C] et l'ingestion du fromage de marque Réo

En tout état de cause,

- confirmer le jugement en ce qu'a été retenue l'existence d'une cause, en l'occurrence le risque de développement, de nature à exonérer la société Laiterie fromagerie du val d'ay ' Ets Réaux de toute responsabilité.

En conséquence,

- débouter les consorts [L] de l'intégralité de leurs demandes à l'encontre de la Société Laiterie fromagerie du Val d'Ay - Ets Réaux et de son assureur, la société Aviva assurances,

- débouter la CPAM des Hauts de Seine de ses demandes à l'encontre de la société Laiterie fromagerie du Val d'Ay ' Ets Réaux et de son assureur

A titre subsidiaire :

- ramener les demandes provisionnelles des consorts [L] à de plus justes proportions.

- juger que la société Aviva assurances ne saurait être tenue à garantie au-delà de son plafond de garantie qui s'élève à la somme de 3 050 000 euros

En tout état de cause,

- condamner les consorts [L] à lui payer la somme de 3000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

- condamner les consorts [L] ou tout autre succombant aux entiers dépens avec recouvrement direct.

Par dernières écritures du 9 mars 2018, la CPAM des Hauts de Seine demande à la cour de :

- infirmer le jugement dont appel en toutes ses dispositions ;

- constater la responsabilité exclusive de la société Laiterie fromagerie du Val D'ay Ets Th. Réaux dans l'intoxication alimentaire dont a été victime [C] [L], après absorption d'un camembert de la marque 'Reo' ;

En conséquence,

- condamner in solidum la société Laiterie fromagerie du Val d'ay - Ets Th. Réaux et la société Aviva Assurances, son assureur, à verser à la CPAM des Hauts-de-Seine la somme de

489 593,92 euros au titre du remboursement des prestations versées pour le compte de [C] [L], ès-qualités d'ayant droit de M. [L], et ce, sous réserve des prestations non connues à ce jour et pour celles qui pourraient être versées ultérieurement ;

- les condamner in solidum à lui régler les intérêts au taux légal sur la somme de 228 522,66 euros à compter du 20 juin 2007, date de la première demande ; sur la somme de 242 524,19 euros à compter du 11 octobre 2011 ; et pour le surplus (18 547,07 euros ) à compter du 2 décembre 2016, lesdits intérêts formant anatocisme à l'expiration d'une année

- constater qu'elles sont également redevables de l'indemnité forfaitaire prévue à l'alinéa 9 de l'article L.376-1 du code de la sécurité sociale dont le montant a été actualisé à la somme de 1066 euros et les condamner in solidum à en assurer le versement auprès de la CPAM des Hauts-de-Seine ;

- les condamner in solidum à lui payer la somme de 5000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- les condamner au paiement des entiers dépens avec recouvrement direct

- 'prononcer l'exécution provisoire de la décision à intervenir en toutes ses dispositions'.

La société Macif par dernières écritures du 13 avril 2018 demande à la cour de :

- confirmer le jugement

En cas d'infirmation,

' juger que Mme [P] n'a commis aucune faute en lien de causalité avec le dommage corporel présenté par sa petite-fille [C] [L], de nature à engager sa responsabilité civile

Par suite,

' prononcer la mise hors de cause pure et simple de la Macif

Subsidiairement,

' juger que [C] [L] n'a pas la qualité de tiers au sens du contrat d'assurance Macif et que la garantie Responsabilité Civile, dont l'objet est l'indemnisation des dommages occasionnés aux tiers, n'a donc pas vocation à s'appliquer

' condamner la société Aviva assurances, ou toute autre partie succombante, à lui verser une indemnité d'un montant de 12 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile

' condamner la société Aviva assurances, ou toute autre partie succombante, aux entiers dépens avec recouvrement direct

La cour renvoie aux écritures des parties en application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile pour un exposé complet de leur argumentation.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 14 février 2019.

SUR QUOI LA COUR :

Les appelants rappellent que la défectuosité d'un produit est établie dès lors qu'il ne présente pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre, celle-ci s'appréciant au regard de l'usage qui peut raisonnablement en être attendu. Ils soulignent qu'il est de principe que la preuve du caractère défectueux du produit et de son lien causal avec le dommage peut être rapportée par des présomptions graves, précises et concordantes.

Ils font valoir que le rapport des experts [B] et [Q] permet de retenir qu'il est très vraisemblable que [C] a été contaminée par la souche d'E.coli 026 lors de l'ingestion d'un morceau de camembert de la marque Réaux et que de leur côté les experts [Y] et [N] ont conclu à l'existence d'un lien de causalité direct et certain entre l'absorption du camembert et le SHU présenté par l'enfant.

Les appelants contestent la pertinence de la mise en cause de Mme [P], la grand-mère maternelle, rappelant qu'en application des articles 1245-12 et 1245-13 du code civil, seule une faute de la victime ou d'une personne dont elle est responsable pourrait éventuellement exonérer le fabricant ou atténuer sa responsabilité et que la littérature, notamment médicale, de l'époque ne comportait aucune contre-indication relative au fromage au lait cru dans l'alimentation des enfants.

M.et Mme [L] reprochent au tribunal d'avoir fait bénéficier la société Réaux de la cause d'exonération prévue par l'article 1245-10 du code civil, soit le risque de développement, alors que, selon eux, les risques liés à la consommation de produits à base de lait cru étaient déjà connus des professionnels en 2005.

La société Réaux affirme qu'il appartient à M.et Mme [L] de prouver que le camembert de marque Réo qui aurait été ingéré par leur fille aurait été contaminé par une souche pathogène E.coli, laquelle serait directement et exclusivement la cause de la maladie postérieurement développée par celle-ci. Elle soutient que contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, cette preuve n'est pas rapportée, rappelant que l'agent bactérien responsable du SHU dit ' typique' appartient à l'espèce Escherichia coli (E.coli), le plus souvent de sérotype O157:H7, qui peut être détecté par des analyses que la société Réaux pratique régulièrement et de façon volontaire puisque ce dépistage n'a pas de caractère obligatoire. Or, sont apparus d'autres sérotypes, moins connus et pour lesquels aucun moyen de dépistage n'a été mis à la disposition des industriels qui n'ont de surcroît jamais été alertés sur ce risque par les autorités sanitaires et les autorités de contrôle : la souche Escherichia coli O26 et la souche O80 moins connue à l'époque, dont le caractère très pathogène a été ultérieurement révélé. Ce sont ces souches qui ont été retrouvées dans les prélèvements effectués sur [C]. Elles doivent, pour revêtir un risque de caractère pathogène, présenter cumulativement deux gènes de virulence : le gène Stx et le gène eae. La société Réaux soutient que la complexité des tests confirme encore aujourd'hui la difficulté à mettre en évidence les souches pathogènes et rappelle que les prélèvements effectués dans l'échantillon des lots commercialisés à l'époque des faits ont mis en évidence que ces échantillons ne présentaient pas de gène de virulence pas plus que la présence de la souche E.Coli O80 pourtant retrouvée dans les selles de l'enfant.

La société Réaux ajoute que le guide de nutrition de la naissance à 3 ans publié en septembre 2004, validé par l'AFSSA, était systématiquement adressé à tous les nouveaux parents par la Caisse d'assurance maladie et mentionnait clairement qu'il ne fallait jamais donner de lait cru à un enfant, préconisation qui figurait également dans l'ouvrage de référence rédigé par Mme [R] à destination des jeunes parents.

Elle affirme par ailleurs que le lien de causalité entre le camembert Réo et le dommage subi par [C] n'est pas suffisamment établi pour engager sa responsabilité et ce d'autant que sont ignorées les conditions de conservation et de consommation du camembert suite à son achat.

S'agissant du risque de développement, la société Réaux observe qu'au moment des faits, le sérotype O26 n'était recherché par aucun professionnel du secteur puisque l'identification de cette souche n'était possible qu'au niveau de laboratoires de recherche comme le laboratoire de l'école nationale vétérinaire de [Localité 10] ou le laboratoire de l'AFSSA de [Localité 11]. Elle observe que ces dépistages qui n'étaient alors pas obligatoires ne le sont toujours pas dans la réglementation française.

La société Aviva développe des moyens similaires à ceux résumés précédemment et soutenus par son assurée, la société Réaux.

La Macif déclare s'en rapporter quant au bien-fondé de l'action indemnitaire menée par M.et Mme [L]. Pour le cas où la cour l'accueillerait, la Macif rappelle que, par application de l'article 1245-13 du code civil, la faute d'un tiers ne peut exonérer le fabricant de sa responsabilité. Elle soutient que son assurée, Mme [P], n'a commis aucune faute qui serait de nature à fonder l'action récursoire de la société Aviva.

La CPAM des Hauts de Seine ne développe pas de moyen quant au fond de l'affaire.

* * *

Aux termes de l'article 1386-9, devenu 1245-8 du code civil, transposant l'article 4 de la directive 85/374/CEE du Conseil du 25 juillet 1985 relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des Etats membres en matière de responsabilité du fait des produits défectueux , le demandeur doit prouver le dommage, le défaut et le lien de causalité entre le défaut et le dommage. Dès lors, il lui incombe d'établir, outre que le dommage est imputable au produit incriminé, que celui-ci est défectueux . Cette preuve peut être rapportée par des présomptions pourvu qu'elles soient graves, précises et concordantes.

Un produit est défectueux au sens de l'article 1245-3 du code civil, lorsqu'il n'offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre. Dans l'appréciation de la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre, il doit être tenu compte de toutes les circonstances et notamment de la présentation du produit, de l'usage qui peut en être raisonnablement attendu et du moment de sa mise en circulation.

Ainsi que le rappelle le docteur [Q], sapiteur désigné en qualité de médecin hygiéniste, les Escherichia coli sont des bactéries qui existent naturellement dans le tube digestif et ne provoquent en général pas de maladies hormis les gastro-entérites infantiles et des infections urinaires. Certaines souches sont toutefois susceptibles de produire des toxines responsables d'un pouvoir pathogène. Le syndrome hémolytique et urémique SHU est souvent lié à la présence dans le tube digestif de bactéries productrices de Shiga-toxines, le plus souvent Escherichia coli STEC, soit l'Escherichia coli produisant des Shiga-toxines. Le sous-type le plus connu est le sous-type Escherichia coli O157:H7. Le sous-type O26 vient en 2ème position.

Il est constant que jusqu'aux faits du 14 novembre 2005, l'enfant [C] [L] n'a présenté aucune pathologie significative et était en bonne santé.

Il résulte du rapport du docteur [B] que lors de l'examen des selles de l'enfant du 18 novembre 2005 réalisé par le laboratoire associé au [Établissement 3] de l'hôpital [Établissement 4] ont été retrouvées :

- présence de E coli O26

- amplification du gène stx2 positive

- recherche par PCR du gène eae positive

L'analyse des selles du 28 novembre 2005 réalisée par l'Institut [Établissement 5] confirme la présence d'Escherichia coli présentant les gènes de pathogénicité suivants : gène stx 2, gène eae, gène hlyA.

Selon le docteur [Q], il existe à la lecture du rapport établi par l'[Établissement 2] en 2007, qui a étudié 16 cas survenus au cours de l'automne 2005 dont celui de [C], un argument épidémiologique fort pour que la consommation d'un camembert au lait cru soit le fromage incriminé puisque cette consommation a été rapportée par les parents de 12 des 16 enfants, 9 de ces enfants ayant cité la marque Réaux et aucune autre exposition à risque commune n'ayant été mise en évidence. Selon l'expert, l'épidémiologie est corroborée par la microbiologie puisqu'une même souche d'Escherichia coli O26 a été isolée chez 7 cas, dont [C], et qu'elle est similaire à celle retrouvée dans les fromages de l'échantillonnage de la société Réaux. Une souche O26 possédant des gènes de toxines stx2 et eae a été isolée chez 4 enfants dont [C]. Celle-ci est la seule chez laquelle ont été prélevées 2 souches de STEC : le O26 et le O80, cette dernière souche n'étant pas présente dans les fromages examinés.

Le sapiteur ajoute que des résultats complémentaires ont été obtenus auprès du [Établissement 3] (sérologie et examen des selles en novembre et décembre 2005) et que l'homologie des souches de E.coli O26 de [C] et celle du fromage de marque Réaux est confirmée ( page 13 du rapport). Il précise que les enfants de moins de 2 ans sont nettement plus en risque de développer un SHU (60% des cas sont de cet âge). Si ce risque est significativement plus élevé chez les enfants qui ont reçu des antibiotiques - ce qui fut le cas de [C] [L] - le docteur [Q] précise qu'il est tout à fait conforme aux bonnes pratiques de prescrire des antibiotiques lorsque l'enfant souffre d'une diarrhée glairo-sanglante avec une hyperleucocytose. Au demeurant, ce traitement n'a duré que 48 heures et a été interrompu dés la suspicion d'un SHU.

Le sapiteur conclut qu'il est très vraisemblable que [C] a été contaminée par la souche d'E coli O26 producteur des toxines stx2 et eae lors de la consommation d'un morceau de camembert au lait cru.

L'expert et le sapiteur s'accordent à souligner que si, dans les analyses de lait des 48 producteurs fournissant la société Réaux, 5 ont été retrouvées positives à E.coli O26 mais que les souches isolées ne présentaient pas les gènes de toxine, il était connu que les souches E.coli O26 pouvaient perdre leurs shiga-toxines au cours des repiquages c'est à dire lors des cultures biologiques, que la production de toxine n'était pas un critère fiable pour dire si deux souches étaient identiques ou pas, d'autant que l'expression des gènes de virulence, qui seuls peuvent entraîner le caractère pathogène d'une souche, varie et que leur expression in vitro ne correspond pas toujours à leur expression in vivo du fait de la variabilité génétique considérable des souches STEC O26.

La présence de la souche E.coli O80 dans les selles de l'enfant alors qu'elle n'était pas présente dans les échantillons de fromage ne peut donc suffire à faireconclure à une origine autre d'intoxication dés lors que la souche O26 a bien été retrouvée dans les échantillons de la fromagerie et que les gènes de virulence ont pu ne s'exprimer qu'une fois qu'ils se sont trouvés dans l'organisme de l'enfant.

C'est donc à bon droit que le tribunal a jugé d'une part qu'il existait des indices graves, précis et concordants démontrant le caractère défectueux du camembert Réo consommé en ce qu'il était porteur de la souche E. coli O26 présentant les gènes de virulence et d'autre part que du fait de la rareté de la maladie contractée, de l'épidémie constatée par les autorités sanitaire, de l'ingestion certaine du fromage défectueux par plusieurs enfants tombés malades, possible pour d'autre, et de la concomitance de l'apparition des premiers symptômes avec l'ingestion du fromage s'agissant de [C] [L], il existait un lien de causalité certain entre cette absorption du camembert et l'émergence du syndrome hémolytique et urémique.

C'est par de justes motifs que la cour adopte que le tribunal a jugé qu'en 2005 les parents n'étaient pas suffisamment mis en garde contre les risques qu'il y avait à donner à un jeune enfant du fromage au lait cru et que la société Réaux ne saurait faire valoir que le niveau de sécurité légitimement attendu ne concernait que les individus en âge d'en consommer.

Aux termes de l'article 1245-10 du code civil, le producteur peut échapper à sa responsabilité de plein droit en prouvant que l'état des connaissances scientifiques et techniques, au moment où il a mis le produit en circulation, n'avait pas permis de déceler l'existence du défaut.

Dans son avis du 28 novembre 2001, l'AFSSA concluait à la nécessité de mettre des moyens de recherche à la disposition des laboratoires de diagnostic en vue d'identifier les sérogroupes 'non O157" et notamment le O26.

Dans son avis d'avril 2003, intitulé ' bilan des connaissances relatives aux Escherichia coli producteurs de Shiga-toxines ( STEC)' l'AFSSA écrivait : ' à ce jour les données sur la physiologie des STEC concernent essentiellement le seul sérotype O157:H7. Pour les autres sérogroupes (O26, O103, O111, O145'), les données sont quasiment inexistantes' et recommandait dans ses axes de réflexion et de recherche de mettre au point des méthodes de détection des autres sérogroupes d'intérêt et en particulier O26,O103 et O111.

Cinq ans plus tard, et trois ans après les faits dont [C] [L] a été victime, saisie par la direction générale de l'alimentation, l'AFSSA écrivait le 15 juillet 2008 : ' Les données de surveillance française (1996-2006) mettent en évidence la prédominance du sérogroupe O157 (83% des cas) parmi ces infections à STEC confirmées. Plusieurs sérogroupes non O157 ont également été mis en évidence : O26 (6%), O103 (3%), O145 (2%), O91, O111 et O55 (1%)'. Elle ajoutait : ' il faut noter que cette forte prédominance du sérogroupe O157 est très probablement liée à une sous estimation du nombre réel d'infections à STEC non O157, due à l'absence de stratégies d'isolement efficaces pour ces souches à ce jour'.

En décembre 2008, l'AFSSA soulignait que s'il existait plusieurs méthodes validées pour identifier la souche E coli O157, aucune méthode de référence ou méthode alternative validée n'était en revanche disponible pour détecter les 'souches Stec pathogènes non O157".

Le rapport d'investigation de l'[Établissement 2] établi en 2007 à la suite de cette épidémie d'infections à E coli producteurs de Shiga-toxines non O157, survenue entre octobre et décembre 2005 dans le Nord Ouest de la France, souligne qu'à l'époque des faits la contamination par fromages au lait cru était bien documentée s'agissant de l'E coli O157 mais que des souches STEC O26 et O80 n'avaient encore jamais été isolées dans ces fromages. Le rapport met aussi l'accent sur la difficulté d'interprétation des résultats de recherches de STEC O26 du fait de la grande diversité génétique évolutive, incluant des changements de génotype stx. Le rapport souligne qu'il s'agit de la première épidémie d'E.coli producteurs de shiga-toxines non O157 liée à la consommation de camembert au lait cru, ce qui met en lumière la nécessité d'une surveillance des STEC incluant les 'non O157" ainsi que l'utilité de recommander de ne jamais donner de lait cru à un enfant de moins de trois ans.

La société Réaux rapporte ainsi la preuve qu'en 2005 l'état des connaissances techniques et scientifiques ne lui permettait pas de déceler l'existence du défaut du camembert ingéré par [C] [L] au moment où il a été mis en circulation.

Le jugement sera en conséquence approuvé d'avoir rejeté les demandes formées par M.et Mme [L] ainsi que par la CPAM des Hauts de Seine et confirmé en toutes ses dispositions.

L'équité ne commande pas l'application de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.

M.et Mme [L], qui succombent, seront condamnés aux dépens d'appel avec recouvrement direct.

PAR CES MOTIFS

LA COUR

Confirme le jugement en toutes ses dispositions.

Y ajoutant

Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.

Condamne M.et Mme [L] aux dépens d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Madame Véronique BOISSELET, Président et par Madame Claudine AUBERT, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le Greffier,Le Président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 3e chambre
Numéro d'arrêt : 17/07520
Date de la décision : 11/04/2019

Références :

Cour d'appel de Versailles 03, arrêt n°17/07520 : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2019-04-11;17.07520 ?
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