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04/04/2019 | FRANCE | N°17/06384

France | France, Cour d'appel de Versailles, 3e chambre, 04 avril 2019, 17/06384


COUR D'APPEL


DE


VERSAILLES








Code nac : 62B





3e chambre





ARRET N°





CONTRADICTOIRE





DU 04 AVRIL 2019





N° RG 17/06384





N° Portalis DBV3-V-B7B-RZL6





AFFAIRE :





SASU TDF





C/





Y... I... épouse U...








Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 04 Juillet 2017 par le Tribunal de Grand

e Instance de NANTERRE


N° Chambre : 7


N° RG : 15/05161








Expéditions exécutoires


Expéditions


Copies


délivrées le :








à :


Me Martine DUPUIS de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES


Me Sophie PORCHEROT de la SCP REYNAUD ASSOCIES








RÉPUBLIQUE FRANÇAISE





AU NOM DU PEUPLE FRAN...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 62B

3e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 04 AVRIL 2019

N° RG 17/06384

N° Portalis DBV3-V-B7B-RZL6

AFFAIRE :

SASU TDF

C/

Y... I... épouse U...

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 04 Juillet 2017 par le Tribunal de Grande Instance de NANTERRE

N° Chambre : 7

N° RG : 15/05161

Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :

à :

Me Martine DUPUIS de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES

Me Sophie PORCHEROT de la SCP REYNAUD ASSOCIES

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE QUATRE AVRIL DEUX MILLE DIX NEUF,

La cour d'appel de Versailles, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

SASU TDF

RCS n° 342 404 399

[...]

[...]

agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

Représentant : Me Martine DUPUIS de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 625 - N° du dossier 1758177

Représentant : Me Didier GAZAGNE, Plaidant, avocat substituant Me Alain BENSOUSSAN de la SELAS ALAIN BENSOUSSAN, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : E0241

APPELANTE

****************

Madame Y..., X..., H... I... épouse U...

née le [...] à PARIS 17ème (75)

de nationalité Française

[...]

[...]

Représentant : Me Sophie PORCHEROT de la SCP REYNAUD ASSOCIES, Postulant et Plaidant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 177 - N° du dossier 349590

substituée par Me Aude GONTHIER de la SCP REYNAUD ASSOCIES

INTIMEE

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 786 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 11 Février 2019 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Caroline DERNIAUX, Conseiller chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Véronique BOISSELET, Président,

Madame Françoise BAZET, Conseiller,

Madame Caroline DERNIAUX, Conseiller,

Greffier, lors des débats : Madame Lise BESSON,

FAITS ET PROCÉDURE

Mme Y... I... épouse U... a acquis le 5 septembre 1998 une maison sise [...] au prix de 1050 000 francs, soit 160 000 euros.

Un pylône appartenant à la société télédiffusion de France (TDF), opérateur de réseaux hertziens et d'infrastructures mutualisés en Europe était alors déjà implanté sur le terrain en aplomb.

La société TDF avait construit la station radioélectrique en 1977 et est devenue propriétaire du site de Honfleur le 5 janvier 1994.

Mme I... a estimé que le pylône de TDF avait pris une ampleur telle que sa présence avait fini par être un frein à la revente de sa maison lorsqu'elle en a eu le projet à compter de janvier 2011.

Elle a contacté la Mairie de Honfleur en mai 2011 et la société TDF en juin 2011 afin d'obtenir des précisions sur les modifications affectant l'antenne depuis 1998.

Mme I... a vendu son bien immobilier le 16 juillet 2013 après la signature d'un compromis de vente le 15 mai 2013, au prix de 600 000 euros.

Soutenant avoir cédé son bien avec une forte dépréciation à hauteur de 30 %, Mme I... a sollicité, par courrier recommandé du 9 décembre 2014 adressé à la société TDF, l'indemnisation du préjudice allégué.

Un refus lui a été opposé par la société TDF par courrier du 24 décembre 2014.

Par acte du 16 avril 2015, Mme I... a assigné la société TDF en réparation de son préjudice devant le tribunal de grande instance de Nanterre.

Par jugement du 4 juillet 2017, le tribunal a :

condamné la société TDF à payer à Mme I... les sommes de :

150 000 euros en réparation du préjudice financier,

5 000 euros en réparation du préjudice visuel,

5 000 euros en réparation du préjudice moral.

débouté Mme I... de ses demandes au titre du prêt-relais et de la perte du bénéfice d'un régime fiscal plus favorable,

condamné la société TDF à payer à Mme I... la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens,

ordonné l'exécution provisoire.

Par acte du 23 août 2017, la société TDF a interjeté appel de cette décision et, aux termes de conclusions du 29 janvier 2019, demande à la cour de :

déclarer mal fondée Mme I... en son appel incident,

infirmer le jugement rendu en ce qu'il l'a condamnée à payer à Mme I... les sommes de 150 000 euros, 5 000 euros et 5 000 euros en réparation de ses préjudices et 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

confirmer le jugement en ce qu'il a débouté Mme I... de ses demandes au titre du prêt-relais et de la perte du bénéfice d'un régime fiscal plus favorable,

juger qu'il n'existe aucun trouble du voisinage présentant un caractère anormal compte tenu de la préoccupation du site par la société TDF et de l'obligation légale de mutualisation faite par la loi à la société TDF,

juger que Mme I... ne démontre pas l'existence d'un risque sanitaire résultant de la station radioélectrique,

juger que Mme I... ne démontre pas le lien de causalité entre le préjudice allégué et la présence des antennes-relais et ne rapporte pas la preuve du préjudice allégué ni dans son principe ni dans son quantum,

juger qu'il n'est pas contesté par Mme I... que celle-ci a acquis sa maison en 1998 et qu'à cette date le site radioélectrique de la société TDF et le pylône existaient déjà,

juger qu'elle a exécuté l'obligation légale de mutualisation qui s'impose à elle comme à tout opérateur conformément aux dispositions de l'article D98-6-1 du code des communications électroniques, permettant depuis le 9 mars 2006 un partage d'infrastructure qui bénéficie aux opérateurs de téléphonie mobile : Orange, Bouygues Telecom, SFR et Free ainsi qu'aux sociétés Illiad et Towercast,

juger que la théorie de la préoccupation tire son fondement légal dans le décret n° 2006-268 du 7 mars 2006 et dans l'article L. 112-16 du code de la construction et de l'habitation,

juger que les ajouts successifs d'antennes-relais sur le pylône depuis 2006 ne sont que le résultat de la mise en oeuvre de l'obligation légale de mutualisation faite à la société TDF depuis le 9 mars 2006, date d'entrée en vigueur de l'article 1er du décret n° 2006-268 du 7 mars 2006, et des demandes qui lui ont été faites par les opérateurs depuis cette date,

juger que ses activités se sont poursuivies normalement,

juger que l'aspect visuel des antennes-relais est sans effet sur le champ visuel de Mme I... qui ne justifie d'aucun préjudice,

juger que les troubles allégués par Mme I... concernant l'aspect du pylône et des antennes-relais, n'entraînent pas de droit à réparation dans la mesure où l'acte authentique d'achat du bien immobilier a été établi postérieurement à l'existence des activités de la société TDF et que celles-ci s'exercent en conformité avec les dispositions législatives ou réglementaires en vigueur,

juger que dans les écritures de Mme I..., en date du 8 avril 2017, en première instance, il n'était fait état d'aucune contestation avant le 15 juin 2011,

constater qu'elle respecte sur le site de Honfleur les dispositions du décret n° 2002-775 du 3 mai 2002 pris en application du 12° de l'article L.32 du code des postes et télécommunications et relatif aux valeurs limites d'exposition du public aux champs électromagnétiques émis par les équipements utilisés dans les réseaux de télécommunication ou par les installations radioélectriques et la mise en oeuvre du principe d'Alara,

constater qu'elle a appliqué les principes prudentiels d'Alara, de prévention prudente, de proportionnalité et de progrès,

constater l'importance de ses activités au regard de l'intérêt général de la commune de Honfleur,

juger qu'elle a respecté le principe de précaution sur le site de Honfleur,

déclarer mal fondée Mme I... en toutes ses demandes et la débouter,

en tout état de cause, condamner Mme I... à lui payer la somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile outre les intérêts légaux, ainsi qu'aux dépens avec recouvrement direct.

Par dernières écritures du 30 janvier 2019, Mme I... demande à la cour de :

confirmer le jugement rendu en ce qu'il a :

jugé que la société TDF devait être déclarée garante du trouble anormal de voisinage par elle subi,

condamné la société TDF au paiement de la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens,

l'infirmer pour le surplus,

la juger recevable et bien fondée en son appel incident et faire droit à ses demandes,

condamner la société TDF à lui verser les sommes de :

319 683 euros au titre du préjudice financier, dont 230 000 euros de dépréciation de la maison, 57 704 euros de prêt relais, 31 979 euros de perte du bénéfice d'un régime fiscal plus favorable, 10 000 euros de préjudice visuel et 10 000 euros de préjudice moral,

5 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au titre de la procédure d'appel, ainsi qu'aux dépens de première instance et d'appel,

débouter la société TDF de l'intégralité de ses demandes reconventionnelles.

La cour renvoie aux écritures des parties en application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile pour un exposé complet de leur argumentation.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 31 janvier 2019.

SUR QUOI, LA COUR

Le tribunal a jugé que le lien entre la dépréciation de la maison et l'existence de 'l'impressionnante' antenne relais qui a 'fait fuir bon nombre d'acquéreurs', était caractérisé et que la société TDF devait être déclarée responsable du trouble anormal de voisinage subi par Mme I..., à l'origine des préjudices subis.

Il a cependant considéré que Mme I... ne démontrait pas le lien de causalité entre le trouble anormal causé par le pylône et la perte du bénéfice d'un régime fiscal plus favorable, le paiement de ces impôts résultant de sa qualité de propriétaire cédant son bien, pas plus qu'elle ne prouvait le lien causal entre ledit trouble et le fait de contracter un prêt relais.

Il a fixé le préjudice financier résultant de la perte de valeur du bien à la somme de 150 000 euros.

Il a jugé que les ajouts successifs conférant à l'antenne son aspect massif ont été réalisés au fil des années, ce qui a causé un préjudice visuel à l'intéressée et que les tracas et soucis divers occasionnés par les maints refus d'acquéreurs potentiels de son bien directement liés à la présence aux alentours de l'antenne relais litigieuse lui avaient causé un préjudice moral.

TDF indique que la station radioélectrique de la commune de Honfleur est installée depuis 1977 et accueille des antennes-relais depuis 1990, que l'intimée est devenue propriétaire d'une maison située en contre-bas de ladite station en 1998, que ce n'est que le 16 avril 2015 qu'elle l'a assignée pour obtenir réparation de divers préjudices au motif que l'antenne relais lui causerait un trouble anormal du voisinage. Or, elle observe qu'en vertu de la théorie de la préoccupation qui s'applique en l'espèce :

le pylône, dont la hauteur n'a pas varié, est présent depuis 1977 sur une parcelle du terrain dont elle est devenue propriétaire en 1994,

son activité était antérieure à l'acquisition du bien par Mme I...,

elle exerce ses activités en conformité avec les dispositions législatives qui, d'une part, lui imposent la mutualisation du pylône et, d'autre part, fixent des valeurs limites d'exposition du public aux champs électromagnétiques.

Elle fait valoir que, sur le plan scientifique et technique, en l'état des connaissances, l'absence de risque sanitaire des antennes relais a été constatée ; comme le démontrent les rapports de mesures accessibles sur le site Cartoradio de l'ANFR, le champ électromagnétique global du site TDF est inférieur de 71 % aux valeurs limites légales d'exposition du public aux champs électromagnétiques fixées par la recommandation européenne de 1999 et le décret du 3 mai 2002. Elle ajoute qu'elle a appliqué le principe de précaution et minimisé les risques connus en maintenant l'exposition à son plus bas niveau raisonnablement réalisable, compte tenu des coûts, des techniques, des avantages pour la santé publique, la sécurité et la préoccupation sociale et économique.

Elle observe que pour considérer que le pylône constituait un trouble anormal du voisinage, le tribunal s'est fondé exclusivement sur un ressenti, sans caractériser le caractère excessif du trouble au regard des inconvénients normaux du voisinage, de la théorie de la préoccupation et des obligations légales de TDF. Elle ajoute que la demande de réparation des préjudices de l'intimée n'est justifiée ni sur le plan scientifique et technique, ni sur le plan de la santé publique, ni sur le plan légal.

Elle ajoute que la dépréciation de la valeur de la propriété de l'intimée résulte de l'évolution du marché immobilier des résidences secondaires depuis 2008, du fait de la crise financière. Le site radioélectrique, le pylône et les antennes-relais préexistant à la date d'acquisition par Mme I... de sa maison en 1998 et la répercussion minime voire nulle de son aspect visuel n'étant que la conséquence de l'obligation légale de mutualisation, l'intimée n'a pas caractérisé de trouble visuel et ce d'autant qu'il n'existe pas de droit acquis à la vue en milieu urbain.

Mme I... soutient que le trouble anormal du voisinage résulte en l'espèce de l'extension et de l'importance prise par le pylône de la société TDF d'année en année, cette antenne radioélectrique présentant des risques sanitaires potentiels et un impact visuel préjudiciable.

Elle indique que l'antenne était 'à peine visible' lorsqu'elle a acheté la maison mais que, alors qu'il y avait autrefois une répartition des antennes légères sur divers sites, l'ensemble des antennes a été rassemblé sur le pylône litigieux, entraînant la métamorphose de celui-ci, en sorte que des éléments massifs sont venus se greffer latéralement sur cinq niveaux. Elle rappelle que le trouble anormal existe même en l'absence de faute et qu'il importe peu qu'en accueillant de nouvelles antennes sur ce pylône, TDF ait respecté la loi, tout en améliorant son chiffre d'affaires Elle fait valoir qu'en l'état, les connaissances scientifiques sur l'impact des antennes-relais ne permettent aucunement d'exclure un risque sanitaire. Or, cette simple constatation, relayée par les médias, surtout à partir de 2008, entraîne nécessairement chez de nombreuses personnes une crainte sérieuse d'être exposées à ces ondes et par conséquent de résider à proximité d'une antenne-relais telle que celle objet du litige. Elle considère donc qu'indépendamment de l'impact visuel bien réel de l'antenne, le risque sanitaire potentiel est également, en lui-même, constitutif d'un trouble anormal du voisinage.

Elle indique que TDF ne peut se prévaloir de la théorie de la préoccupation puisque les nuisances se sont aggravées postérieurement à son acquisition de la maison, dès lors que le pylône s'est considérablement épaissi, qu'il a changé d'affectation (il supporte aujourd'hui de multiples antennes de téléphonie mobile et non essentiellement des antennes de télévision et la puissance des antennes n'a cessé d'augmenter) et que son aspect visuel n'est plus du tout le même.

***

Il est de principe que nul ne doit causer à autrui un trouble excédant les inconvénients normaux du voisinage. Il s'agit d'une responsabilité objective qui ne nécessite pas la preuve d'une faute, son unique fondement est le dommage et la réparation sa seule fonction.

Aux termes de l'article L 112-16 du code de la construction et de l'habitation, les dommages causés aux occupants d'un bâtiment par des nuisances dues à des activités agricoles, industrielles, artisanales, commerciales ou aéronautiques, n'entraînent pas droit à réparation lorsque le permis de construire afférent au bâtiment exposé à ces nuisances a été demandé ou l'acte authentique constatant l'aliénation ou la prise de bail établi postérieurement à l'existence des activités les occasionnant dès lors que ces activités s'exercent en conformité avec les dispositions législatives ou réglementaires en vigueur et qu'elles se sont poursuivies dans les mêmes conditions.

TDF n'est pas contredite utilement lorsqu'elle indique qu'avant que Mme I... n'achète la maison en cause en 1998, le pylône abritait déjà 5 opérateurs de téléphonie, Orange, SFR, TDF, Ermes et RRI, qu'entre 2006 et 2011, deux nouveaux opérateurs ont été accueillis, Bouygues Telecom et l'Illiad et qu'après la mise en vente de la propriété en 2011, Free est venue installer une antenne, de sorte qu'en 2013, lors de la vente le pylône accueillait 6 opérateurs de la téléphonie mobile, d'internet et de la télévision, la radio ayant disparu.

Force est de constater, ainsi que le souligne à raison TDF, que Mme I... ne produit aucune photographie du pylône contemporaine de la date à laquelle elle a acheté son bien, en 1998, puisqu'elle se contente de produire des prises de vue de 1992 et des croquis de 1990 qui ne permettent pas de comparaison utile.

En revanche, TDF verse aux débats une photographie du pylône à la date d'acquisition de la propriété par Mme I... et une autre de mai 2013, date de la vente du bien. Mme I... ne conteste pas l'authenticité de ses deux prises de vue.

Or, s'il est exact que certains équipements se sont ajoutés entre 1998 et 2013, contribuant à élargir quelque peu le pylône, il est inexact de prétendre que l'ouvrage a subi une modification à ce point importante que son aspect en ait été sensiblement changé, étant observé que sa hauteur n'a pas varié.

A partir du 7 mars 2006, date à laquelle le législateur a introduit dans le code des postes et des communications électroniques une obligation légale de mutualisation, c'est à dire un dispositif de partage des infrastructures, et sous réserve de la faisabilité et de la compatibilité technique, TDF a répondu aux demandes de partage de son pylône émanant d'autres opérateurs.

Cette disposition légale permet d'éviter la multiplication des pylônes, et favorise donc la préservation de l'environnement, tout en étendant la couverture mobile en France en 2G, 3G et 4G, et de satisfaire ainsi les besoins de la population.

TDF indique ainsi que grâce à cette politique de mutualisation, une seule antenne couvre la totalité de la zone jusqu'à la côte de la Manche.

En admettant même que, du fait de ce partage imposé par la législation, il soit considéré que TDF n'a pas poursuivi ces activités (connues en 1998 de Mme I... lorsqu'elle a acquis le bien et alors qu'à cette date le pylône abritait déjà cinq antennes relais de téléphonie mobile) dans les mêmes conditions au sens de l'article L 112-16 précité, puisque d'autres antennes ont été installées, même si le site ne réalise pas d'autres activités que l'émission des champs électromagnétiques restant très inférieure au seuil légal imposé, il importe de mesurer si ce pylône, tel qu'il se présentait en 2011, constituait une gêne susceptible de constituer un trouble anormal du voisinage.

En principe, les troubles anormaux de voisinage sont en effet constatés lorsqu'un seuil de tolérance aux inconvénients dus au voisinage est dépassé. Il est convenu que le voisinage, la collectivité, la promiscuité causent inévitablement des désagréments qui doivent être supportés dans une certaine limite. Par conséquent, chacun doit accepter de subir une certaine gêne, résultant obligatoirement de la vie en communauté et ce n'est que lorsque les inconvénients deviennent intolérables qu'un trouble anormal est alors constaté. La théorie des troubles anormaux de voisinage se fonde ainsi sur le dépassement d'un seuil de gêne.

Il faut à nouveau rappeler que lorsque Mme I... a acquis le bien en 1998, le pylône existait déjà et qu'il lui appartient donc de prouver que le fait que des antennes-relais y aient été ajoutées a entraîné une dégradation significative de son environnement constitutive d'un trouble anormal du voisinage.

Or, il doit être constaté que Mme I... ne verse qu'une photographie sur laquelle on voit le pylône depuis sa propriété, il s'agit d'une vue prise en contre-plongée depuis la rue, devant le portail de la propriété, sur laquelle on voit une partie du pylône dépasser du toit de la maison, à l'arrière du terrain.

Cette maigre communication de pièces s'explique.

En effet, ainsi que le met en évidence l'étude de visibilité réalisée par TDF, à partir d'informations objectives de nature cartographique, géographique, altimétrique issues de Google Map, Google Earth et Géoportail, et de données scientifiques relatives au champs visuel humain (pièce 100 de TDF) la propriété de Mme I... est encastrée dans le creux de la colline sur laquelle se trouve le pylône, la façade arrière de la maison (à l'est) jouxtant la pente de 17 mètres pouvant atteindre 46° (soit une pente de 104 %), les antennes-relais sont situées à plus de 30 mètres au-dessus de la propriété, toutes les vues orientées nord, sud ou ouest sont intactes, la vue vers l'est étant entravée par la colline, d'ailleurs, aucune surface plane, terrasse ou aire de jeux n'est implantée à l'est du terrain, du côté du pylône.

En outre, les antennes se situant sur une partie du pylône comprise entre 12 et 25 mètres et l'ouvrage étant situé sur une colline qui se trouve à 17 mètres au-dessus de la propriété, en posture debout ou assise, les antennes-relais sont hors du champ visuel normal de Mme I..., celle-ci devant lever la tête pour les voir.

Il convient également de tenir compte de l'effet de taille apparente (plus un objet est loin, plus sa taille apparaît petite) : les antennes-relais faisant en moyenne 1 m de haut et 0,25 m de large et étant situées à une distance d'environ 60 mètres de la propriété, leur taille apparente depuis la propriété de Mme I... est comprise entre 0,3 et 2 cm. Il faut ajouter que ceci ne concerne que les antennes implantées sur le seul côté du pylône visible depuis cette propriété (face nord ouest), nombre de ces antennes étant placées en oblique, à l'arrière du pylône ou encore devant, soit sur des zones que Mme I... ne peut pas voir.

Enfin, le masquage végétal autour du pylône, tant en période estivale qu'hivernale, camoufle entièrement le pylône pour toute vue depuis les 6 fenêtres de la façade est de la maison (pièces TDF 106, 115, 116, 117 et 118).

Aucun de ces constats n'est contredit par Mme I... qui ne verse d'ailleurs aux débats aucun élément objectif prouvant la gêne qu'elle allègue, en dehors de la photographie ci-dessus décrite, bien insuffisante.

Cette gêne invoquée par l'intimée apparaît d'ailleurs, ainsi que le relève à raison TDF, toute relative puisque Mme I... n'a adressé son premier courrier à TDF que le 15 juin 2011 (alors que le bien était en vente depuis janvier 2011) et qu'elle n'a invoqué un trouble anormal du voisinage qu'en 2013, 15 ans après l'achat de sa propriété, 7 ans après la mise en oeuvre du principe de mutualisation par TDF et 2 ans après la mise en vente de son bien.

Il apparaît donc que Mme I... ne rapporte pas la preuve de ce que le pylône de TDF a, postérieurement à 1998, généré un trouble anormal du voisinage sur le plan visuel, la présence de cet ouvrage, même équipé d'antennes-relais supplémentaires, n'altérant que de manière très limitée l'environnement de sa propriété, qui reste pour l'essentiel préservé, en sorte que le désagrément résultant de la vue de cette installation n'excède pas les inconvénients normaux du voisinage.

S'agissant des allégations de Mme I... sur le 'risque sanitaire potentiel' lié à la présence des antennes-relais, il convient de citer quelques extraits des courriels que Mme I... elle-même adressait aux personnes qui la contactaient pour se renseigner sur la maison alors en vente :

le 24 décembre 2012 : 'l'antenne de Tv a tjs existé. Elle a par contre grossis avec le temps pour les tel. Elle ne peut plus grossir. Elle est sur la hauteur de la coline assez loin tout de même, à env 150m à vol d'oiseau. Un rapport a été fait. Elle est 86 fois moins forte que la limite autorisée et 10000 fois moins puissante que la tour Eiffel qui a pourtant tout autour les appartements les plus recherchés de Paris. Des lotissements un peu haut de gamme ont été faits très récemment au pied de l'antenne sans que ça ne pose aucun pb. Ils se sont vendus tous et relativement vite (certains aux alentours de 600000e sans charme ...) Nous vous montreront où ils sont car ils sont sur les hauteurs alors que nous sommes plus en contrebas C'est vrai que par contre c'est un peu dommage pour l'esthétisme car comme je vous l'ai dit au tel, c'est le seul défaut de cette maison ...'

le 13 février 2013 : 'voilà quelques infos pour l'antenne. La valeur la plus haute des ondes mesurées ds notre maison est de 0,72V/M soit 39 fois inférieur à la valeur limite la plus faible fixée par le décret du 3 mai 2002 (les conclusions sont page 7 du rapport ci-joint). La valeur d'un téléphone portable à un mètre de distance est entre 0,5 - 2 V/M, comme vous pouvez le voir ci-après. Le Wifi est entre 1,1 et 4,9 V/M à 50 cm de distance (ie qd on est sur son ordinateur). Comme vous pouvez le constater, il n'y a pas plus de risque avec l'antenne qu'avec un téléphone et il y en a même bcp moins qu'avec le wifi. Par ailleurs, comme je vous le disais tout à l'heure, les ondes ne peuvent pas dévaler une pente. La colline nous protège intégralement. Il y a plus d'ondes sur le plateau que chez nous'. (Ces propos ont été tenus à plusieurs personnes intéressées par la maison, les 16 et 18 mars 2013, le 13 avril 2013).

Ces propos résument, mieux que ne saurait le faire TDF, la situation sanitaire réelle générée par la présence du pylône litigieux et Mme I... ne saurait, sans se contredire, affirmer aujourd'hui que cet ouvrage constitue un 'risque sanitaire potentiel'.

Il suffira de préciser que le rapport réalisé le 27 juillet 2011 par la société Aexperise à la demande de Mme I... (qu'elle adressait en pièce jointe aux destinataires des courriels précités) a effectivement mis en évidence que le champ électrique total du site TDF était 38,89 fois inférieur au niveau de référence le plus faible, soit 71 % inférieur au seuil légal.

Le juge judiciaire n'a bien évidemment aucune légitimité pour remettre en cause une réglementation (le décret n° 2002-775 du 3 mai 2002) qui a été arrêtée en fonction des données contemporaines de la science et qui a fixé les seuils intégrant le principe de précaution, lequel ne consiste pas à supprimer tout risque, mais à adopter les mesures proportionnées.

En toute hypothèse, la peur d'être exposé à un risque sanitaire ne constitue pas la preuve de la réalité de ce danger, et Mme I... ne saurait imputer à TDF la responsabilité du délai qui s'est écoulé pour trouver des acquéreurs et la moins-value qu'elle dit avoir supportée dans le cadre de la vente de sa propriété, étant observé qu'elle l'a finalement vendue au prix de 600 000 euros, ce qui doit être considéré comme son juste prix sur le marché immobilier de la région à cette époque étant observé qu'aucune personne raisonnable n'achèterait un bien situé dans une zone dangereuse fût-ce moyennant une diminution de prix.

En conséquence, en l'absence de preuve d'un trouble anormal du voisinage imputable à TDF, Mme I... sera déboutée de toutes ses demandes.

Le jugement sera infirmé en toutes ses dispositions.

Mme I... sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel et versera à TDF la somme de 6 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

Statuant à nouveau :

Déboute Mme Y... I... de toutes ses demandes,

Condamne Mme Y... I... aux dépens de première instance et d'appel lesquels pourront être recouvrés dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile.

La condamne à la somme de 6 000 euros au titre de l'article 700.

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Madame Véronique BOISSELET, Président et par Madame Claudine AUBERT, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le Greffier, Le Président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 3e chambre
Numéro d'arrêt : 17/06384
Date de la décision : 04/04/2019

Références :

Cour d'appel de Versailles 03, arrêt n°17/06384 : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2019-04-04;17.06384 ?
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