COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 80A
19e chambre
ARRET N°
contradictoire
DU 03 AVRIL 2019
N° RG 16/04235 - N° Portalis DBV3-V-B7A-Q674
AFFAIRE :
Q... F...
C/
SA TRANSDEV ILE DE FRANCE
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 08 Septembre 2016 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de SAINT GERMAIN EN LAYES
Section : C
N° RG : 15/64
Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :
SELAS DADI AVOCATS
AARPI INTER-BARREAUX JRF AVOCATS
le :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE TROIS AVRIL DEUX MILLE DIX NEUF,
La cour d'appel de Versailles, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
Monsieur Q... F...
de nationalité Française
[...]
Représentant : Me Ghislain DADI de la SELAS DADI AVOCATS, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : A0257, substitué par Me Tiffany VEYSI, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : A0257
APPELANT
****************
SA TRANSDEV ILE DE FRANCE
[...]
Représentant : Me Arnaud BLANC DE LA NAULTE de l'AARPI NMCG AARPI, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : L0007, substitué par Me Maureen CURTIUS, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : L0007 - Représentant : Me Oriane DONTOT de l'Association JRF, AARPI INTER-BARREAUX, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 633
INTIMÉE
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l'article 786 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 19 Février 2019 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Luc LEBLANC, président chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Monsieur Luc LEBLANC, Président,
Madame Marie-Christine HERVIER, Conseiller,
Monsieur Stéphane BOUCHARD, Conseiller,
Greffier, lors des débats : Madame Gaëlle POIRIER,
FAITS ET PROCÉDURE :
Aux termes d'un contrat de travail à durée déterminée qui s'est poursuivi ensuite pour une durée indéterminée, M. Q... F... a été engagé à compter du 2 juillet 2012 en qualité de conducteur-receveur par la société Véolia Transport, aux droits de laquelle vient la société Transdev Ile de France.
Les relations de travail étaient soumises à la convention collective des transports routiers et activités auxiliaires.
M. F... a été licencié le 28 janvier 2015 pour les griefs suivants :
- avoir utilisé son téléphone portable pour filmer deux passagers alors qu'il était au volant de son bus,
- avoir eu une altercation avec un autre passager.
Au moment de la rupture du contrat de travail, la rémunération mensuelle brute de M. F... s'élevait à la somme de 2 281,42 € et la société employait habituellement au moins onze salariés.
M. F... a contesté son licenciement devant le conseil de prud'hommes de Saint-Germain-en-Laye.
Par jugement du 8 septembre 2016, auquel il convient de se reporter pour l'exposé des faits, prétentions et moyens soutenus devant eux, les premiers juges ont décidé que le licenciement était fondé sur une cause réelle et sérieuse et ont débouté M. F... de ses demandes. Ils ont donné acte à la société Transdev Ile de France de ce qu'elle reconnaissait devoir au salarié la somme de 1 588,87 € au titre d'un rappel de salaire sur la modulation et l'ont condamnée à payer à M. F... la somme de 500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Aux termes de conclusions transmises par voie électronique le 6 juin 2017, auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé de ses moyens, M. F... demande à la cour de :
- infirmer le jugement entrepris sauf en ses dispositions relatives au rappel de salaire sur la modulation,
- juger que son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse,
- à titre principal :
- ordonner sa réintégration au sein de la société Transdev Ile de France avec maintien de l'ensemble de ses acquis,
- condamner la société Transdev Ile de France à lui payer les sommes suivantes :
- 12 000 € à titre de dommages-intérêts,
- 3 105 € correspondant au règlement de la prime de remplacement pour la période de décembre 2012 à mars 2015,
- 44,02 € à titre de rappel de salaire du 1er janvier au 29 mars 2015,
- 16 € à titre de prime de samedi,
- à titre subsidiaire,
- condamner la société Transdev Ile de France à lui payer les sommes suivantes :
- 2 281,42 € au titre des congés payés,
- 22 814,20 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse correspondant à 10 mois de salaire brut,
- les rappels de salaire et de primes déjà citées,
- dire que ces sommes porteront intérêts au taux légal à compter de l'envoi à la défenderesse de la convocation devant le bureau de conciliation,
- ordonner l'exécution provisoire sur ces sommes,
- condamner la société Transdev Ile de France au paiement de la somme de 3 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens ;
En réplique, aux termes de conclusions transmises par voie électronique le 1er décembre 2017, auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé de ses moyens, la société Transdev Ile de France demande à la cour de :
- confirmer le jugement entrepris sauf en ce qu'il la condamne à payer la somme de 500€ sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner M. F... à lui verser la somme de 2 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et à supporter les dépens dont distraction au profit de Maître Rol, AARPI JRF Avocats, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile,
MOTIFS :
Vu la lettre de licenciement,
Vu les conclusions des parties,
Sur la contestation du bien-fondé du licenciement :
Considérant que la lettre de licenciement reproche à M. F... deux faits s'ajoutant à ceux déjà sanctionnés en 2013 et 2014 :
- le 6 janvier 2015, avoir filmé des usagers à l'aide de son téléphone au cours de l'accostage à l'arrêt 'Nicot' alors qu'il était au volant de son bus,
- le 8 janvier 2015, avoir eu une altercation avec un passager au motif que celui-ci lui avait demandé de remettre les éclairages principaux dans le bus afin de lire, ce qu'il a refusé de faire ;
Considérant que le premier grief est établi par les pièces produites par la société Transdev Ile de France notamment les captures d'écran et vidéos prises à l'intérieur du bus conduit par M. F... ; qu'il a bien utilisé son téléphone portable pour filmer les passagers alors qu'il était au volant et devait manoeuvrer à l'approche d'un arrêt de bus ;
Considérant qu'il ressort d'une lettre écrite par l'adjoint d'exploitation qui se trouvait sur place, le 6 janvier 2015, que 'Lors de son arrivée sur l'arrêt Nicot, M. F... était en train de filmer le déroulement de sa manoeuvre avec son téléphone portable à la main, tout en conduisant' ;
Considérant que pour expliquer ces faits, M. F... prétend avoir voulu attirer l'attention sur ses conditions difficiles de travail et sur le nombre excessif des personnes transportées ; qu'il ajoute que son téléphone était posé sur un support de sorte que la sécurité des passagers n'a jamais été compromise ;
Considérant cependant qu'en se comportant comme il l'a fait, le salarié a contrevenu aux règles élémentaires de sécurité dans le transport public qui imposent une vigilance et une maîtrise constante de la part du conducteur de bus ;
Considérant que, dans ses conclusions, M. F... précise lui-même qu'il faisait pivoter son mobile pour filmer son arrivée à l'arrêt ;
Considérant qu'un tel comportement est particulièrement dangereux à l'approche d'un arrêt de bus fréquenté par de nombreux passagers dont des enfants et le salarié devait recourir à d'autres moyens s'il voulait, comme il le prétend, témoigner des mauvaises conditions de transport ;
Considérant que le second grief tient à l'altercation survenue avec un passager qui souhaitait le maintien de l'éclairage du bus pour pouvoir lire et s'est heuré au refus de M. F... ;
Considérant que ces faits sont établis par une lettre de réclamation adressée à la société Transdev Ile de France par une passagère qui indique 'Après le départ du bus, le chauffeur a éteint les lumières, un passager lui a demandé de rallumer pour pouvoir lire. Le chauffeur est devenu particulièrement agressif et a clairement menacé le passager en lui disant qu'il ne savait pas à qui il avait affaire et nous a laissés dans le noir' ;
Considérant que M. F... soutient de son côté avoir été agressé par un usager qui se plaignait d'être dans le noir alors qu'une lumière bleue fluorescente était allumée et dit avoir gardé son calme face à cette personne mais les attestations produites par l'intéressé à ce sujet sont contredites par la lettre de réclamation de la passagère qui indique avoir été particulièrement stressée par l'incident et relève le comportement agressif et menaçant du chauffeur qui a refusé d'allumer la lumière ;
Considérant que le salarié soutient également qu'aucune note ou circulaire ne lui a été adressée au sujet de l'éclairage du bus mais il ressort des documents produits par l'entreprise qu'après un précédent incident similaire, M. F... avait eu un entretien avec son responsable et avait été sensibilisé sur cette question, les clients s'étant déjà plaints du fait qu'ils devaient voyager en soirée avec la veilleuse bleue ;
Considérant qu'aux deux griefs invoqués dans la lettre de licenciement s'ajoute le fait que le salarié a déjà été sanctionné à plusieurs reprises en 2013 et 2014 ;
Considérant que M. F... estime qu'il ne doit pas en être tenu compte mais la société Transdev Ile de France fait observer à juste titre qu'un dernier manquement professionnel permet de retenir l'ensemble des faits précédents même s'ils ont déjà été sanctionnés en leur temps pourvu qu'il soit de nature similaire ;
Considérant que les sanctions prononcées en 2013 et 2014 étant déjà justifiées par les négligences de M. F... au volant de son bus, la société Transdev Ile de France était bien fondée à en faire état dans sa lettre de licenciement pour souligner la persistance du comportement fautif du salarié ;
Considérant que, dans ces conditions, c'est à juste titre que les premiers juges ont décidé que les faits reprochés au salarié étaient établis et suffisamment graves pour entraîner son licenciement ;
Que le jugement sera confirmé en ce qu'il retient la cause réelle et sérieuse de licenciement et déboute le salarié de sa contestation ainsi que de ses prétentions à réintégration ou indemnisation ;
Sur les demandes salariales :
Considérant que M. F... demande d'abord le paiement d'une indemnité compensatrice de congés payés, égale à 10 % de l'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse qu'il revendique, au motif qu'il n'a pu bénéficier de la totalité des congés auxquels il avait droit à la date de la rupture de son contrat de travail ;
Considérant toutefois qu'il ressort de ses bulletins de paie que le salarié avait épuisé ses droits à congés au moment de son départ de l'entreprise ;
Considérant qu'il ne peut de toute façon pas demander le paiement d'une indemnité compensatrice sur la base des 10 mois de salaire brut correspondant aux dommages-intérêts réclamés à tort au titre de la rupture de son contrat de travail ;
Considérant que le salarié fait aussi grief à la société Transdev Ile de France de ne pas lui avoir payé une prime de remplacement pour la période allant de décembre 2012 à mars 2015 alors qu'il en avait bénéficié avant la signature du contrat à durée indéterminée en date du 26 novembre 2012 ;
Considérant toutefois que le salarié bénéficiant d'un contrat à durée indéterminée ne peut plus prétendre aux avantages accordés dans le cadre d'un contrat à durée déterminée pour compenser la précarité de sa situation de travail ;
Considérant qu'il estime que cette prime aurait dû être maintenue car il n'a pas postulé pour l'attribution du réseau Résalys et que le choix n'a pas été validé en commission ;
Considérant cependant que l'employeur fait observer qu'en l'absence de candidats pour cette ligne, il lui appartenait de désigner le conducteur qui y était affecté ;
Considérant que la société Transdev ajoute que M. F... a été affecté sur cette ligne en qualité de titulaire, avec un planning connu à l'avance, et non en qualité de remplaçant ; qu'il n'était donc pas, soumis aux mêmes contraintes que les salariés remplaçants et n'avait donc pas droit à la prime de remplacement destinée à compenser ces inconvénients ;
Considérant que M. F... demande ensuite le paiement d'un rappel de salaire et d'une prime de samedi pour la période de janvier à mars 2015 sur le fondement de l'accord d'entreprise intervenu le 8 octobre 2015 ;
Considérant que si l'employeur fait observer qu'à la date de cet accord, le salarié ne faisait plus partie du personnel de l'entreprise, il ressort du protocole pour les NAO 2015 que ces augmentations du salaire de base et de la prime de samedi présentent un caractère rétroactif au 1er janvier 2015 ;
Considérant que, contrairement à ce que soutient la société, aucune mention de l'accord n'exclut de son application les salariés ayant quitté l'entreprise avant sa conclusion ;
Considérant que, dans ces conditions, si les premiers juges ont débouté à juste titre M. F... de sa demande en paiement d'une indemnité compensatrice de congés payés et d'une prime de remplacement, c'est à tort qu'ils lui ont refusé le rappel de salaire et de prime de samedi ;
Considérant que le jugement sera infirmé sur ce seul point et la société Transdev Ile de France devra verser au salarié les sommes de 44,02 € et de 16 € qui lui sont dues ;
Considérant qu'en cause d'appel, la demande d'exécution provisoire est sans objet ;
Considérant qu'enfin, au regard de la situation respective des parties, il ne sera pas fait application en appel des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ; que la condamnation prononcée par les premiers juges à ce titre sera en revanche maintenue ;
PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant par mise à disposition au greffe et par arrêt contradictoire ;
- Confirme le jugement en toutes ses dispositions sauf en ce qu'il déboute M. Q... F... de sa demande de rappel de salaire et de prime de samedi pour la période de janvier à mars 2015 ;
Statuant à nouveau sur les chefs infirmés :
- Condamne la société Transdev Ile de France à payer à M. Q... F... la somme de 44,02€ à titre de rappel de salaire et celle de 16 € au titre de prime de samedi, pour la période de janvier à mars 2015, avec intérêts au taux légal à compter de la convocation de l'employeur devant le bureau de conciliation du conseil de prud'hommes ;
- Dit n'y avoir lieu de statuer sur la demande d'exécution provisoire ;
- Déboute les parties de leurs demandes respectives en cause d'appel sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamne M. Q... F... aux dépens qui seront recouvrés pour ceux le concernant par Maître Oriann DONTOT de l'Association JRF, AARPI INTER-BARREAUX, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile ;
- prononcé hors la présence du public par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Monsieur Luc LEBLANC, président et par Madame POIRIER, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le greffier, Le président,