COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 4EA
13e chambre
ARRÊT No
CONTRADICTOIRE
DU 19 MARS 2019
No RG 18/06764 - No Portalis DBV3-V-B7C-SVZZ
AFFAIRE :
LE PROCUREUR DE LA RÉPUBLIQUE près le tribunal de commerce de NANTERRE
C/
Société X... Q...
...
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 21 Septembre 2018 par le Tribunal de Commerce de NANTERRE
No chambre :
No Section :
No RG :
Expéditions exécutoires
Expéditions
Copies
délivrées le : 19/03/2019
à :
Me Franck LAFON
Me Dan ZERHAT
TC NANTERRE
M.P
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE DIX NEUF MARS DEUX MILLE DIX NEUF,
La cour d'appel de Versailles, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
LE PROCUREUR DE LA RÉPUBLIQUE près le tribunal de commerce de NANTERRE
[...]
[...]
APPELANT
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La Société X... Q... société de mandataires judiciaires prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège prise en la personnede Maître P... Q... ès qualités de liquidateur judiciaire de la Société Global high tech
[...]
[...]
Représentée par Maître Franck LAFON avocat postulant au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 618 - No du dossier 20180426 et par la SCP PIERREPONT etamp; ROY-MAHIEU avocat plaidant au barreau de PARIS.
Monsieur F... W...
[...]
Représenté par Maître Dan ZERHAT de l'AARPI OHANA ZERHAT avocat postulant au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 731 - No du dossier 18078133 et par Maître Johann BOUSKILA avocat plaidant au barreau de PARIS.
INTIMES
****************
Composition de la cour :
L'affaire a été débattue à l'audience publique du 04 Février 2019, Madame Sophie VALAY-BRIERE, présidente, ayant été entendue en son rapport, devant la cour composée de :
Madame Sophie VALAY-BRIERE, Présidente,
Madame Marie-Andrée BAUMANN, Conseiller,
Madame Delphine BONNET, Conseiller,
qui en ont délibéré,
Greffier, lors des débats : Monsieur Jean-François MONASSIER
En la présence du Ministère Public, représenté par Monsieur Fabien BONAN, Avocat Général dont l'avis du 11 octobre 2018 a été transmis le même jour au greffe par la voie électronique.
La SAS Global high tech (GHT) avait pour activité la commercialisation en gros de produits électroniques et de téléphonie mobile avant de se réorienter vers les énergies renouvelables. Elle était présidée par la SARL House consulting holding (HCH), elle-même gérée et détenue à 95% par Monsieur I... W....
Sur déclaration de cessation des paiements de la société GHT, le tribunal de commerce de Nanterre a, par jugement du 13 janvier 2016, prononcé l'ouverture d'une procédure de liquidation judiciaire à l'égard de celle-ci, fixé provisoirement la date de cessation des paiements au 14 juin 2014 et désigné la Selarl X...-Q..., prise en la personne de Me P... Q..., en qualité de liquidateur judiciaire. Le 19 avril 2017, la procédure a été étendue à la SCI BT Lou.
Suivant exploit d'huissier de justice en date du 4 janvier 2017, la Selarl X...-Q..., ès qualités, a fait assigner M. W... en sa qualité de représentant permanent de la société HCH, dirigeante de la société GHT, aux fins de le voir condamné à supporter tout ou partie de l'insuffisance d'actif de cette dernière, évalué à la somme de 941 262,15 euros, ainsi qu'à une mesure de faillite personnelle et subsidiairement d'interdiction de diriger.
M. W..., la société HCH et la Selarl X...-Q..., ès qualités, se sont rapprochés et ont rédigé un "protocole d'accord transactionnel". Selon ordonnance du 7 mars 2018, le juge-commissaire désigné dans la procédure collective de la société GHT a autorisé le liquidateur judiciaire à régulariser cette transaction.
Selon jugement contradictoire rendu le 21 septembre 2018, le tribunal de commerce
de Nanterre a homologué la transaction.
La décision a été notifiée le 24 septembre suivant au procureur de la République près le tribunal de commerce de Nanterre, qui en a relevé appel suivant déclaration du 2 octobre 2018.
Dans ses conclusions déposées au greffe et notifiées par RPVA le 11 octobre 2018, le ministère public demande à la cour de :
- déclarer l'appel recevable ;
- le dire bien fondé,
- annuler le jugement,
- prononcer le rejet de la requête aux fins d'homologation de transaction.
Le ministère public soutient que, nonobstant la qualification erronée du jugement rendu en dernier ressort, son appel interjeté dans le délai de dix jours suivant la notification du jugement est recevable, étant précisé que les dispositions du code de commerce relatives aux voies de recours ne ferment pas la voie de l'appel contre un jugement d'homologation rendu sur le fondement de l'article L.642-24 et que le ministère public peut interjeter appel d'un jugement dont les dispositions portent atteinte à l'ordre public.
Après avoir relevé que les griefs de détournements d'actif et abus de bien social, de paiements préférentiels et surfacturations au titre des conventions de trésorerie intragroupe au profit de la société HCH, de poursuite abusive d'une exploitation déficitaire, de défaut de tenue d'une comptabilité régulière et d'omission de déclarer la cessation des paiements dans le délai légal allégués par le liquidateur judiciaire dans son assignation pouvaient justifier une condamnation à supporter une partie de l'insuffisance d'actif et une sanction personnelle, il fait valoir que le jugement emportant renonciation par la Selarl X...-Q..., ès qualités, de son droit d'agir en sanction personnelle à l'encontre de M. W... méconnaît l'ordre public économique en ce qu'une telle renonciation conduit le liquidateur judiciaire à disposer d'un droit indisponible fondé sur la protection de l'ordre économique.
Il considère, en effet, qu'au regard de leur nature punitive et préventive les sanctions personnelles, qui sont exercées dans l'intérêt général et non pas dans le seul intérêt collectif des créanciers, sont des droits indisponibles ne pouvant pas faire l'objet d'une transaction.
Il prétend ensuite qu'il convient d'annuler le jugement d'homologation d'une part en ce qu'il n'a pas eu connaissance du contenu exact de la requête qui n'était pas jointe à la convocation le privant ainsi d'une information complète en méconnaissance des dispositions de l'article 425 du code de procédure civile et l'obligeant à s'en rapporter à l'audience faute d'informations suffisantes et d'autre part en ce qu'il n'est pas motivé.
Il soutient, enfin, que la transaction ne respecte pas les exigences légales des articles L.642-24 du code de commerce et 2044 et suivants du code civil, d'une part en ce qu'elle porte sur des droits indisponibles, d'autre part en ce que n'étant pas exercées dans l'intérêt collectif des créanciers de la procédure collective mais dans l'intérêt général, la faillite personnelle et l'interdiction de gérer n'entrent pas dans le périmètre de la transaction que le liquidateur judiciaire est autorisé par l'article L.642-24 du code de commerce à conclure, de troisième part en ce que c'est la société HCH, non assignée en responsabilité pour insuffisance d'actif, et non M. W... personnellement, qui supporte toutes les concessions et enfin en ce qu'elle ne protège pas suffisamment l'intérêt collectif des créanciers au regard du faible montant de l'indemnité transactionnelle.
Selon ordonnance de la présidente de la chambre en date du 31 octobre 2018, l'affaire a été fixée à bref délai.
Dans ses conclusions déposées au greffe et notifiées par RPVA le 7 décembre 2018, M. W... demande à la cour de :
- déclarer le ministère public irrecevable en son appel ;
- en conséquence, rejeter l'ensemble de ses demandes ;
- déclarer le ministère public mal fondé en son appel ;
- confirmer le jugement en ce qu'il a homologué la transaction litigieuse ;
- débouter le ministère public de ses demandes ;
- condamner le ministère public aux entiers dépens.
M. W... fait valoir en premier lieu que l'acte d'appel et les conclusions subséquentes encourent la nullité en raison du grief subi dans la mesure où il n'a été rendu destinataire que d'un extrait de l'assignation délivrée par le procureur de la République au visa de l'article 908 du code de procédure civile, que celle-ci ne mentionnait pas le délai de trois mois visé à l'article 909 du code de procédure civile mais un délai de deux mois, qu'elle visait l'annulation d'un jugement rendu le 16 décembre 2016 et a été notifiée à une adresse erronée. Il ajoute qu'il n'a été récipiendaire d'aucune notification au titre de l'article 905-2 du code de procédure civile auquel renvoie l'article R.661-6 du code de commerce à peine de caducité de l'appel.
Il ajoute que le procureur de la République n'a pas d'intérêt à agir dans la mesure où d'une part, l'article L.624-24 du code de commerce autorise le liquidateur à transiger sur toutes les contestations qui intéressent collectivement les créanciers, ce qui est le cas des sanctions personnelles, d'autre part, la renonciation du liquidateur judiciaire à agir au visa des articles L.651-2 et suivants et L.653-1 et suivants du code de commerce représente "la concession réciproque" de celui-ci et, par ailleurs la capacité du ministère public à agir sur le fondement de ces textes n'est pas affectée par la transaction à laquelle il n'est pas partie, enfin le ministère public, ayant choisi à l'audience de s'en rapporter et acquiesçant ainsi à la décision rendue, ne peut en application du principe de concentration des moyens modifier son analyse et le contenu de ses moyens en l'absence d'éléments nouveaux.
Il fait valoir en deuxième lieu que le jugement d'homologation est motivé par référence aux pièces visées et que le ministère public ne rapporte pas la preuve de ce que le dossier complet de la procédure ne lui aurait pas été transmis.
Il prétend en troisième lieu que les renonciations consenties par le liquidateur sont régulières dès lors que l'article L.624-24 du code de commerce n'écarte pas les actions en sanctions personnelles de son champ d'application, qu'en y renonçant le liquidateur n'a pas disposé de droits indisponibles et que le ministère public a conservé ses droits à agir.
Il précise en outre qu'il a personnellement consenti des concessions, directement par l'abandon d'une créance de 282 000 euros, et indirectement à travers les concessions consenties par la société HCH, dont il détient 95% du capital, celle-ci, en sa qualité de dirigeante de la société GHT, ayant un intérêt personnel et direct à participer à la transaction dès lors qu'elle est solidairement tenue des conséquences de sa gestion avec son représentant permanent.
Il explique, enfin, que la transaction est conforme à l'intérêt collectif des créanciers puisqu'elle prévoit une réduction de 54% du passif, une contribution à hauteur de 12,6% de l'insuffisance d'actif et une renonciation à l'instance.
Dans ses conclusions déposées au greffe et notifiées par RPVA le 12 décembre 2018, la Selarl X...-Q..., ès qualités de liquidateur judiciaire de la société GHT, demande à la cour de lui donner acte de ce qu'elle s'en rapporte à la sagesse de la cour quant à la recevabilité et au bien-fondé de l'appel.
Elle rappelle toutefois que le juge-commissaire l'a autorisée à régulariser le protocole estimant bonnes et valables les concessions réciproques et que le tribunal de commerce, qui a homologué la transaction, a également jugé satisfaisantes les concessions réciproques consenties par les parties aux termes de la transaction. Elle précise qu'à l'audience le ministère public ne s'est pas opposé à l'homologation.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 14 janvier 2019.
Pour un plus ample exposé des prétentions et des moyens des parties, il est renvoyé à leurs écritures conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
SUR CE,
M. W... développe des moyens et formule des demandes de nullité de l'acte d'appel et des conclusions subséquentes puis de caducité de l'appel dans le corps de ses écritures sans solliciter, dans le dispositif de ses conclusions, sur lequel la cour statue conformément à l'article 954 du code de procédure civile, de prétentions à ce titre.
Il n'y a pas lieu par conséquent d'examiner ces moyens et de statuer de ces chefs.
Sur la recevabilité de l'appel du ministère public
Conformément aux dispositions de l'article 536 du code de procédure civile, la qualification inexacte d'un jugement par les juges qui l'ont rendu est sans effet sur le droit d'exercer un recours.
Au regard de son objet, le jugement a été qualifié à tort "en dernier ressort", en sorte que l'appel formé à son encontre est recevable.
M. W... ne critique pas la qualité du ministère public à interjeter appel d'un jugement homologuant une transaction mais son intérêt à agir.
Bien qu'il s'en soit rapporté à justice en première instance, le ministère public a la faculté d'interjeter appel car le fait pour une partie de s'en rapporter à justice sur le mérite d'une demande implique de sa part non pas un acquiescement à cette demande mais la contestation de celle-ci.
Au demeurant, l'objet de la transaction intéressant l'ordre public économique, il a un intérêt à agir, peu important qu'il ne soit ni partie à la transaction ni partie principale en première instance ou qu'il ait conservé sa capacité à agir par ailleurs, et peut en cause d'appel développer des moyens nouveaux.
L'appel formé par le ministère public est donc recevable.
Sur la nullité du jugement
En application de l'article 455 du code de procédure civile, le jugement doit être motivé.
Tel n'est pas le cas en l'espèce, dès lors que le tribunal qui s'est contenté de viser la requête, les textes applicables et l'ordonnance du juge-commissaire n'a procédé à aucune analyse des pièces qui lui était soumises, notamment du protocole transactionnel.
Le jugement sera, par conséquent, annulé, sans qu'il soit nécessaire d'examiner les autres moyens tendant à la même fin.
L'annulation du jugement étant prononcée pour une autre cause que l'irrégularité de l'acte introductif d'instance, la cour d'appel, saisie du litige en son entier par l'effet dévolutif de l'appel, est tenue de statuer sur le fond.
Sur l'homologation de la transaction
Selon l'article L.642-24 du code de commerce, le liquidateur peut, avec l'autorisation du juge-commissaire et le débiteur entendu ou dûment appelé, compromettre et transiger sur toutes les contestations qui intéressent collectivement les créanciers même sur celles qui sont relatives à des droits et actions immobiliers.
L'homologation du tribunal est nécessaire, chaque fois que le montant de la transaction est indéterminé ou excède la compétence en dernier ressort de la juridiction, ce qui est le cas en l'espèce.
L'article 2044 du code civil définit la transaction comme un contrat par lequel les parties, par des concessions réciproques, terminent une contestation née, ou préviennent une contestation à naître.
Aux termes du protocole, conclu le 26 avril 2018, entre d'une part la société HCH et M. W... et d'autre part la Selarl X... Q..., ès qualités, destiné à "mettre un terme définitif à l'action en comblement de passif pendante devant le tribunal de commerce de Nanterre [...] et afin d'éviter toutes actions du liquidateur judiciaire sur le fondement des articles L.632-1, L.632-2, L.651-2 et suivants, L.653-1 et suivants du code de commerce, et en contrepartie de la renonciation à cette instance à l'encontre de la société HCH et de M. W...", la société HCH s'est engagée à payer une indemnité transactionnelle d'un montant de 50 000 euros et à abandonner les créances qu'elle détient à l'encontre de la liquidation judiciaire de la société GHT, soit 2 155 333,61 euros, rachetée auprès du fournisseur Napco le 25 avril 2017, et 282 507,07 euros rachetée auprès du bailleur, la SCI Lou, le 24 janvier 2018.
M. W... s'est également engagé à abandonner cette dernière créance.
L'article 3 précise que cette "renonciation vise les demandes, instances et actions pendantes devant le tribunal de commerce de Nanterre (RG no2017L00421) ainsi que les actions qui pourraient être incitées par le liquidateur judiciaire sur le fondement des articles L.632-1, L.632-2, L.651-2 et suivants, L.653-1 et suivants du code de commerce".
Les articles L.651- 2 et suivants visent l'action en responsabilité pour insuffisance d'actif.
Il n'est pas contesté qu'il entre dans les pouvoirs du liquidateur judiciaire de transiger dans le cadre d'une action en responsabilité pour insuffisance d'actif et de renoncer, en contrepartie du versement d'une somme d'argent destinée à dédommager les créanciers de la procédure collective, à engager ou poursuivre une action avant qu'une décision de condamnation ne soit rendue.
Les articles L.653-1 et suivants du code de commerce concernent la faillite personnelle et les autres mesures d'interdiction.
La faillite personnelle et l'interdiction de gérer sont des mesures d'intérêt public qui tendent à éliminer de manière temporaire du monde des affaires des dirigeants incompétents ou malhonnêtes. Elles sont de nature tout à la fois préventive et punitive.
Si la juridiction saisie d'une demande de sanctions, l'est, comme en matière de responsabilité pour insuffisance d'actif, dans l'intérêt collectif des créanciers, les sanctions professionnelles, qui n'ont pas la même finalité, concernent, au delà de celui-ci, l'intérêt général dans son ensemble.
Le moyen selon lequel le ministère public, non partie à la transaction, conserve la possibilité d'introduire une action est inopérant en ce qu'il ne donne pas pour autant pouvoir au liquidateur judiciaire de transiger pour ce qui dépasse le seul intérêt collectif des créanciers.
La transaction ne peut donc porter que sur la contribution pécuniaire du dirigeant poursuivi dans le cadre d'une action aux fins de condamnation pécuniaire et ne peut pas avoir pour objet de faire échec, moyennant le paiement d'une certaine somme ou l'abandon d'une créance, aux actions tendant au prononcé d'une sanction professionnelle.
Il convient, dans ces conditions, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres concessions réciproques de rejeter la demande d'homologation.
PAR CES MOTIFS,
La cour statuant publiquement, par arrêt contradictoire,
Déclare recevable l'appel formé par le ministère public ;
Annule le jugement déféré ;
Statuant à nouveau,
Rejette la demande d'homologation de la transaction régularisée le 26 avril 2018, entre d'une part la société HCH et M. W... et d'autre part la Selarl X... Q..., ès qualités ;
Condamne M. I... W... aux dépens de première instance et d'appel.
Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Signé par Madame Sophie VALAY-BRIERE, Présidente et par Monsieur MONASSIER, le greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le greffier, La présidente,