COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
VM
Code nac : 55B
12e chambre
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 05 FEVRIER 2019
N° RG 17/05723 - N° Portalis DBV3-V-B7B-RXII
AFFAIRE :
SA GEFCO
C/
Société Chubb European Group SE, ancien.dénom. Chubb European Group Limited ancien.dénom. Ace European Group Limited
...
Décision déférée à la cour : Jugement rendu(e) le 28 Juin 2017 par le Tribunal de Commerce de NANTERRE
N° Chambre : 1
N° Section :
N° RG : 2011F02727
Expéditions exécutoires
Expéditions
Copies
délivrées le :
à :
Me Chantal DE CARFORT
Me Claire RICARD,
Me Patricia MINAULT
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE CINQ FEVRIER DEUX MILLE DIX NEUF,
La cour d'appel de Versailles, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
SA GEFCO
[Adresse 1]
[Localité 1]
Représentant : Me Chantal DE CARFORT de la SCP BUQUET-ROUSSEL-DE CARFORT, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 334 - N° du dossier 20417 - Représentant : Me Marianne SCHEUBER de la SCP SCHEUBER JEANNIN ASSOCIES, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P0464
APPELANTE
****************
Société Chubb European Group SE, ancien.dénom. Chubb European Group Limited ancien.dénom. Ace European Group Limited
Etablissement principal pour la France : [Adresse 2]
[Adresse 2]
[Localité 2]
Représentant : Me Claire RICARD, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 622 - N° du dossier 2017283
Représentant : Me Rozenn LOPIN du PARTNERSHIPS CLYDE & CO LLP, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P0429 par Me LE CALVEZ
SAS TRANSPORTS CATROUX SA
N° SIRET : 712 02 3 0 500
[Adresse 3]
[Localité 3]
Représentant : Me Patricia MINAULT de la SELARL MINAULT PATRICIA, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 619 - N° du dossier 20170426 - Représentant : Me Sylvie NEIGE, Plaidant/, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : C1771
Société ALLIANZ GLOBAL CORPORATE & SPECIALTY SE, venant aux droits de la société ALLIANZ GLOBAL CORPORATE & SPECIALITY FRANCE
N° SIRET : 487 42 4 6 088
[Adresse 4]
[Adresse 4]
[Localité 4]
Représentant : Me Patricia MINAULT de la SELARL MINAULT PATRICIA, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 619 - N° du dossier 20170426 - Représentant : Me Sylvie NEIGE, Plaidant/, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : C1771
INTIMEES
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l'article 786 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 13 Décembre 2018 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Mme Véronique MULLER, Conseiller chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Thérèse ANDRIEU, Président,
Monsieur Denis ARDISSON, Conseiller,
Mme Véronique MULLER, Conseiller,
Greffier, lors des débats : Monsieur Alexandre GAVACHE,
EXPOSÉ DU LITIGE
La société L'Oréal, assurée auprès de la société ACE European Group Limited (devenue Chubb European Group, ci après société Chubb) a conclu un contrat de commission de transport avec la société Gefco pour l'acheminement en France de ses marchandises.
Le 29 juin 2010, la société Gefco a sous-traité à la société Transports Catroux la prestation de transport qui lui avait été confiée par la société L'Oréal pour l'acheminement de produits cosmétiques à destination de la société Nocibé, les marchandises ayant une valeur de 1.547.309 euros.
Selon lettre de voiture du 30 juin 2010, la société Transports Catroux a pris en charge les marchandises à [Localité 5] (45) afin de les acheminer à [Localité 6] (59). La semi-remorque chargée des marchandises a été laissée en stationnement sur un parking à [Localité 7] (45), dans l'attente qu'un second chauffeur vienne la prendre en charge le lendemain. La semi-remorque a cependant disparu au cours de la nuit. Elle a été retrouvée vide le 2 juillet 2010.
Par acte du 30 juin 2011, la société ACE (devenue Chubb) - agissant sur le fondement de la cession de droits que la société L'Oréal lui a consenti - a fait assigner les sociétés Gefco et Transports Catroux aux fins de les voir condamner au paiement de la somme de 1.547.309,29 euros.
Par actes des 13 et 18 juillet 2011, la société Gefco a appelé en garantie la société Transports Catroux et son assureur Allianz Global Corporate (ci-après Allianz).
Par jugement du 28 juin 2017, le tribunal de commerce de Nanterre a :
- déclaré recevable l'action de la société ACE,
- condamné la société Gefco à payer à la société ACE la somme de 1.547.309,29 euros outre intérêts au taux légal à compter du 30 juin 2011, et capitalisation des intérêts,
- mis hors de cause les sociétés Transports Catroux et Allianz,
- condamné la société Gefco à payer à la société ACE la somme de 2.000 euros au titre des frais irrépétibles,
- condamné la société Gefco à payer aux sociétés Catroux et Allianz la somme de 2.000 euros au titre des frais irrépétibles,
- condamné la société Gefco aux dépens.
PRÉTENTIONS DES PARTIES
Vu l'appel interjeté le 25 juillet 2017 par la société Gefco.
Vu les dernières conclusions notifiées le 5 décembre 2018 par lesquelles la société Gefco demande à la cour de :
- Infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions.
- Dire que les demandes formées par la compagnie Chubb sont irrecevables pour défaut de qualité et d'intérêt à agir.
En conséquence,
- Débouter la compagnie Chubb de l'intégralité de ses demandes.
- Condamner la compagnie Chubb au paiement de la somme de 30.000,00 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
- Déclarer sans objet l'appel en garantie formé par la société Gefco à l'encontre des sociétés Transports Catroux et Allianz,
- Condamner la compagnie Chubb aux entiers dépens.
Subsidiairement,
-dire que la société Gefco n'a commis aucune faute personnelle ayant un lien de causalité avec la perte des marchandises.
- dire que la société L'OREAL a commis une faute ayant contribué à la perte des marchandises, celle-ci constituant une exonération de responsabilité qui bénéficie autant à la société Gefco qu'à la société Catroux.
- dire que cette exonération de responsabilité ne saurait être inférieure à 50 % du montant de l'indemnité à laquelle pourrait prétendre la compagnie Chubb.
- dire que la limitation de responsabilité applicable en l'espèce s'élève à la somme de 9,452 tonnes x 2.300,00 euros = 21.739,60 euros.
- En tout état de cause, adjuger à la société Gefco le bénéfice de son appel en garantie formé à l'encontre de la société Catroux et de la compagnie Allianz.
- Condamner in solidum la société Catroux et la compagnie Allianz à relever et garantir indemne la société Gefco de toutes condamnations qui viendraient à être mises à sa charge, étant rappelé qu'en cas de faute inexcusable de la société Catroux le plafond de garantie de la compagnie Allianz s'élève à 152.450,00 euros.
- Condamner in solidum la société Catroux et la compagnie Allianz à payer à la société Gefco la somme de 30.000,00 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
- Condamner in solidum la société Catroux et la compagnie Allianz aux entiers dépens de première instance et d'appel dont le montant pourra être recouvré conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Très subsidiairement,
- dire que la société L'OREAL a commis une faute ayant contribué à la perte des marchandises, celle-ci constituant une exonération de responsabilité qui ne saurait être inférieure à 50 % du montant de l'indemnité à laquelle pourrait prétendre la compagnie,
- Condamner in solidum la société Catroux et la compagnie Allianz à relever et garantir indemne la société Gefco des condamnations qui viendraient à être mises à sa charge pour une part qui ne saurait être inférieure à 50 % desdites condamnations, étant rappelé qu'en cas de faute inexcusable de la société Catroux le plafond de garantie de la compagnie Allianz s'élève à 152.450,00 euros.
- Condamner in solidum la société Catroux et la compagnie Allianz à payer à la société Gefco la somme de 30.000,00 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
- Condamner in solidum la société Catroux et la compagnie Allianz aux entiers dépens de première instance et d'appel dont le montant pourra être recouvré, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Vu les dernières conclusions notifiées le 6 décembre 2018 au terme desquelles la société Chubb demande à la cour de :
- Confirmer le jugement en ce qu'il a déclaré l'action d'Ace recevable, en ce qu'il a retenu la faute personnelle de Gefco dans la survenance du vol, écarté toute part de responsabilité de l'Oréal et ce faisant, condamné Gefco à payer la somme de 1.547.309,20 euros outre intérêts au taux légal compter du 30 juin 2011, avec capitalisation, les dépens à Ace ainsi que 2.000 euros, au titre de l'article 700 du CPC,
- Sur appel incident, infirmer le jugement en ce qu'il a mis hors de cause les Transports Catroux et Allianz et statuant à nouveau, condamner in solidum Gefco et Transports Catroux à payer à Chubb la somme de 1.547.309,20 euros avec intérêts au taux légal à compter du 30 juin 2011, lesdits intérêts capitalisés, aux entiers dépens de première instance ainsi qu'à 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du CPC.
- Débouter Transports Catroux et Allianz de leur appel incident.
- Condamner in solidum Gefco et Transports Catroux aux entiers dépens de la présente instance ainsi qu'à 5.000 euros au titre de l'article 700 du CPC, en cause d'appel.
Vu les dernières conclusions notifiées le 16 février 2018 au terme desquelles les sociétés Transports Catroux et Allianz demandent à la cour de :
- Déclarer la société Chubb irrecevable à agir,
- En conséquence, la débouter et déclarer l'appel en garantie de la société Gefco sans
objet,
- La condamner à payer la somme de 4.000,00 euros aux sociétés Transports Catroux et Allianz au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens,
A titre subsidiaire :
- Confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a mis hors de cause les Transports Catroux,
- Constater que le dommage résulte exclusivement de la faute personnelle commise par Gefco,
- Dire et juger que la faute personnelle de Gefco constitue un cas exonératoire faisant tomber la présomption de responsabilité qui pèse sur les Transports Catroux,
- En conséquence exonérer les Transports Catroux de toute responsabilité,
- Se faisant confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a mis purement et simplement hors de cause la société Catroux et son assureur Allianz.
A titre infiniment subsidiaire :
- Dire que la Compagnie Chubb et la société Gefco ne rapportent pas la preuve de la faute inexcusable des Transports Catroux,
- En conséquence, faire application des limitations de responsabilité applicables,
- Dire que toute condamnation à l'encontre des Transports Catroux ne peut excéder la somme de 21.739,60 euros,
- Dire et juger que toute condamnation à l'encontre de la société Allianz ne peut excéder la somme de 21.339,60 euros,
- Condamner Compagnie Chubb et la société Gefco au paiement de la somme de 5.000,00 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens, ceux d'appel distrait conformément aux dispositions de l'article 699 du CPC.
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 13 décembre 2018.
Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la cour, conformément à l'article 455 du code de procédure civile, renvoie aux conclusions déposées par les parties et au jugement dont appel.
MOTIFS DE LA DÉCISION
1 - Sur la recevabilité de l'action de la société Chubb
Il résulte de l'article 31 du code de procédure civile que l'action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d'agir aux seules personnes qu'elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé.
Il résulte de l'article L. 111-2 du code des assurances que ne peuvent être modifiées par convention les prescriptions des titres I, II, III et IV du présent livre, sauf celles qui donnent aux parties une simple faculté et qui sont contenues (') dans les articles (') L.121-12 (...).
Il résulte en outre de l'article L. 121-12 du code des assurances que l'assureur qui a payé l'indemnité d'assurance est subrogé, jusqu'à concurrence de cette indemnité, dans les droits et actions de l'assuré contre les tiers qui, par leur fait, ont causé le dommage ayant donné lieu à la responsabilité de l'assureur.
En l'espèce, la société Chubb, assureur de la société L'Oréal, exerce son action non pas sur le fondement d'une subrogation légale ou conventionnelle à l'encontre des tiers auteurs du dommage, mais sur le fondement d'une cession, par la société L'Oréal, de ses droits à son profit.
Les sociétés Gefco, Catroux et Allianz soutiennent que le recours de l'assureur à l'encontre du responsable du dommage est nécessairement de nature subrogatoire, impliquant un paiement effectif au profit de l'assuré, à l'exclusion du recours fondé sur une cession de droits, arguant notamment du fait que le mécanisme de la cession de droits est insuffisamment protecteur des droits des assurés en ce qu'il permet à l'assureur d'agir contre le responsable sans qu'il ait au préalable indemnisé son assuré. Elles soutiennent qu'en créant une subrogation légale spécifique au profit de l'assureur, le législateur a écarté la pratique ancienne des cessions de droits, ce qui a été confirmé par la jurisprudence ultérieure de la cour de cassation.
La société Chubb soutient au contraire qu'elle peut valablement agir en qualité de cessionnaire des droits de la société L'Oréal. Elle soutient que l'article L. 121-12 du code des assurances est supplétif et que les parties peuvent y déroger, notamment en ce que l'assureur peut agir sur le fondement d'une subrogation conventionnelle au lieu de la subrogation légale.
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Il résulte des dispositions précitées, et notamment de la possibilité de modification par convention des dispositions de l'article L. 121-12 précité, que celles-ci ne sont pas d'ordre public, la jurisprudence la plus récente précisant en outre qu'elles ne sont pas impératives, de sorte que rien n'empêche l'assureur d'agir, outre sur le fondement d'une subrogation, sur le fondement d'une cession de droits.
Force est ici de constater que, par un acte du 1° septembre 2010, la société L'Oréal a cédé l'intégralité de ses droits détenus au titre du vol survenu entre le 30 juin et le 1° juillet 2010.
Cette cession de droits n'étant pas contestée par les parties, il convient de confirmer le jugement dont appel en ce qu'il a dit que la société Chubb était recevable à agir sur ce fondement.
2 ' sur la demande formée par la société Chubb à l'encontre des sociétés Gefco et Transport Catroux
La société Chubb sollicite la confirmation du jugement en ce qu'il a retenu la faute personnelle de la société Gefco en sa qualité de commissionnaire de transport, et son infirmation en ce qu'il a rejeté son action en responsabilité à l'égard de la société Catroux et de son assureur. Elle sollicite donc la condamnation in solidum des sociétés Gefco et Catroux à l'indemniser du dommage subi par son assurée.
2 -1 ' sur le manquement de la société Gefco à ses obligations
Il résulte de l'article L. 132-5 du code de commerce que le commissionnaire de transport est garant des avaries ou pertes de marchandises et effets, s'il n'y a stipulation contraire dans la lettre de voiture ou force majeure.
La société Chubb recherche la responsabilité personnelle de la société Gefco pour manquement à ses obligations de commissionnaire de transport en ce qu'elle omis de répercuter au voiturier les consignes de sécurité énoncées au cahier des charges.
La société Gefco admet ne pas avoir fait signer le cahier des charges à la société Catroux et ne pas l'avoir fait agréer par la société L'Oréal, mais soutient que ces circonstances n'ont aucun lien de causalité avec la perte des marchandises. Elle indique en outre que la société Catroux était informée de la nature des marchandises et qu'il lui appartenait de prendre spontanément les mesures nécessaires. Elle soutient à titre subsidiaire que la société L'Oréal a elle-même commis une faute qui l'exonère au moins partiellement de sa responsabilité.
La société Transports Catroux estime que les fautes commises, tant par la société Gefco que par la société L'Oréal sont la cause exclusive du dommage, l'exonérant de toute responsabilité. Elle sollicite dès lors la confirmation du jugement en ce qu'il l'a mise hors de cause.
***
Le cahier des charges signé entre la société L'Oréal et la société Gefco prévoit au chapitre « conditions générales de sécurité », paragraphe « sous-traitance » que la sous-traitance ne peut se réaliser qu'avec des transporteurs ayant signé le chapitre Sécurité du cahier des charges et que les transporteurs affrétés doivent en outre avoir été agréés par les responsables du groupe L'Oréal. Il est enfin précisé que : « l'affréteur doit s'assurer que pour toute opération de transport pour le compte du groupe L'Oréal, le transporteur sélectionné est bien signataire des accords ci-inclus ».
Le cahier des charges précise en outre au paragraphe « sécurité des marchandises » que le « véhicule ne doit pas stationner dans un lieu sans aucune surveillance » durant les coupures journalières et qu'il est « interdit de désaccoupler le tracteur et la remorque ...sauf en cas de fonctionnement par relais. Dans ce cas, la remorque ne doit rester désaccouplée que le temps du changement de tracteur ».
Le fait que la société Gefco ait omis, d'une part de faire agréer la société Catroux par la société L'Oréal, d'autre part de lui faire signer le chapitre sécurité du cahier des charges caractérise bien un manquement de la société Gefco à ses obligations.
Il résulte en outre du rapport d'expertise qu'en contradiction avec les consignes de sécurité dont elle n'avait pas connaissance, la société Catroux a stationné le camion dans un lieu sans aucune surveillance, et qu'elle a en outre désaccouplé le tracteur et la remorque durant une longue période entre 13 h 35 le 30 juin 2010 et 2 heures du matin le 1° juillet 2010, ces deux circonstances ayant grandement facilité le vol de la remorque de sorte qu'elles sont en lien de causalité certaine avec la perte des marchandises.
Le fait que la confirmation d'affrètement adressée par la société Gefco à la société Catroux mentionne au titre des instructions particulières « fret et véhicule à sécuriser impérativement » et que la lettre de voiture mentionne comme nature de marchandises « cosmétiques », s'il permet de démontrer que la société Catroux avait connaissance de la nature des marchandises et qu'elle devait prendre des mesures de sécurité, est insuffisant à démontrer que la société Gefco a rempli son obligation, dès lors que l'information qu'elle devait donner à son sous-traitant était beaucoup plus précise (stationnement dans un lieu surveillé, interdiction de désaccouplement).
Le manquement de la société Gefco à son obligation de faire signer les consignes de sécurité à la société Catroux est en lien de causalité avec le fait que celle-ci, non informée de ces consignes ainsi qu'il résulte notamment du rapport d'expertise, a elle-même omis de stationner le véhicule dans un lieu surveillé et de laisser le tracteur couplé à la remorque, circonstances en lien de causalité directe avec la perte des marchandises.
C'est ainsi à bon droit que le premier juge a retenu une faute personnelle de la société Gefco.
2- 2 ' sur la faute imputée à la société L'Oréal
Les sociétés Gefco et Catroux soutiennent que la société L'Oréal a elle-même commis une faute les exonérant partiellement de leur responsabilité, dans une proportion que la société Gefco évalue à 50%, au motif, d'une part que le défaut d'agrément du sous-traitant peut entrainer une responsabilité conjointe du transporteur et de la société L'Oréal, d'autre part que la société L'Oréal a elle-même omis de faire signer au chauffeur le document reprenant les règles de sécurité, et enfin pour n'avoir pas exigé un transport direct sans coupure.
La société Chubb conteste tout manquement de son assurée à ses obligations.
La société Gefco ayant accepté les conditions du transport, et notamment la contrainte d'une coupure nocturne, ne peut aujourd'hui rechercher la responsabilité de la société L'Oréal sur ce point.
Le cahier des charges prévoit : « en cas de nécessité absolue, un transporteur non agréé peut être utilisé sous la responsabilité conjointe du directeur de l'agence transport et du responsable de l'établissement L'Oréal concerné ». Force est ici de constater que la société Gefco n'établit pas l'existence d'une nécessité absolue de recourir à un transporteur non agréé, de sorte qu'il n'y a pas lieu à partage de responsabilité à ce titre.
Le cahier des charges prévoit en outre au paragraphe « sous-traitance » que « lors du chargement, le conducteur doit émarger un document reprenant les règles principales ». La société Gefco soutient que ces règles principales sont celles relatives à la sécurité des marchandises (point E2 du cahier des charges), tandis que la société Chubb soutient qu'il s'agit simplement des règles de sécurité des personnels (règles de sécurité des opérations de chargement et déchargement).
En l'absence de production du document que le conducteur doit émarger, la cour n'est pas en mesure de s'assurer si les règles principales sont celles relatives à la sécurité des marchandises ou des personnels. L'absence de production de ce document est imputable à la société Chubb qui ne met pas la cour en mesure d'effectuer les vérifications nécessaires, de sorte qu'elle doit en supporter les conséquences, la cour considérant ainsi que les règles principales portent sur la sécurité des marchandises.
En tout état de cause, force est de constater que la société Chubb, et surtout son assurée, ne justifient pas avoir remis au conducteur les règles principales et de les lui avoir fait émarger. Si la société L'Oréal avait respecté le cahier des charges et remis au conducteur les règles principales de sécurité des marchandises, l'attention de ce dernier aurait été attirée sur les risques encourus au cours du transport, augmentant ainsi les chances d'éviter le sinistre, de sorte que ce non-respect du cahier des charges est en lien de causalité avec le dommage subi.
La cour retiendra dès lors que la société L'Oréal a elle-même commis un manquement à ses obligations en lien de causalité avec le dommage subi, estimant toutefois que sa responsabilité ne peut être évaluée à plus de 15% du dommage, l'essentiel de la responsabilité pesant sur la société Gefco, en sa qualité de professionnel de l'organisation du transport.
Le jugement sera donc réformé sur ce point.
2-3 - sur le manquement de la société Catroux à ses obligations
Il résulte de l'article L. 133-1 du code de commerce que le voiturier est garant de la perte des objets à transporter, hors les cas de la force majeure.
Il résulte de l'article L. 133-8 du même code qu'est inexcusable la faute délibérée qui implique la conscience de la probabilité du dommage, et son acceptation téméraire sans raison valable.
La société Chubb recherche également la responsabilité de la société Catroux en sa qualité de voiturier sur le fondement de la lettre de voiture. Elle soutient que la société Catroux a commis une faute inexcusable l'empêchant de se prévaloir des limitations de responsabilité. Elle fait ainsi valoir que la société Catroux connaissait la nature et la valeur du chargement, rappelant qu'elle n'a pris aucune mesure pour le sécuriser, lui faisant ainsi courir un risque de façon téméraire et sans raison valable dès lors qu'elle avait la possibilité de stationner la remorque sur deux autres sites surveillés.
La société Gefco soutient également que la société Catroux a commis une faute inexcusable.
La société Transports Catroux affirme avoir agi avec diligence et prudence en mettant en oeuvre les précautions d'usage, de sorte qu'elle n'a commis aucune faute de quelque nature que ce soit, ajoutant qu'en tout état de cause les fautes commises, tant par la société Gefco que par la société L'Oréal constituent des causes exonératoires de sa propre responsabilité. A titre subsidiaire, elle soutient qu'aucune faute inexcusable ne peut lui être imputée de sorte qu'elle est bien fondée à se prévaloir des limitations de responsabilité. Elle fait valoir qu'elle ignorait la valeur du chargement et n'avait reçu aucune instruction, de sorte qu'elle ne pouvait avoir conscience du risque encouru par le fait le laisser la remorque dételée sur une aire de stationnement non surveillée.
***
Les seuls éléments portés à la connaissance de la société Catroux, quant à la nature de la marchandise et aux règles de sécurité à adopter, sont d'une part le fait qu'il s'agissait de produits manufacturés, et plus précisément de cosmétiques, d'autre part le fait que le « fret et le véhicule sont à sécuriser impérativement. »
Si la société Catroux avait ainsi connaissance du fait qu'elle transportait des cosmétiques, aucun élément ne lui permettait de connaître la valeur particulièrement élevée du chargement (plus d'un million et demi d'euros), d'autant que le prix du transport était un prix standard (420 euros pour un transport de 350 kilomètres) ainsi qu'elle le fait observer.
Si la société Gefco avait, à l'occasion de plusieurs transports antérieurs (mai 2010), donné à la société Catroux des indications précises quant aux mesures de sécurité à adopter ' telles que « véhicule à sécuriser SVP pour tous arrêts sur parking sécurisé » (cf : annexes du rapport CESAM) ' force est de constater que tel n'était pas le cas pour le transport du 30 juin 2010, la mention « véhicule et fret à sécuriser impérativement » ne portant pas de consigne particulière notamment quant à l'utilisation d'un parking sécurisé.
Du fait de l'absence d'information précise quant à la valeur des marchandises, et de consignes de sécurité moins contraignantes que lors de transports antérieurs, la société Catroux n'avait pas de raison particulière de craindre la survenance d'un vol et ne pouvait donc avoir conscience de la probabilité d'un dommage. Le fait d'avoir stationné le véhicule sur un terrain privé fermé par une grille et un cadenas, même non surveillé, pouvait dès lors se concevoir comme une mesure de sécurité suffisante au regard des consignes qu'elle avait reçues.
Il n'est donc pas démontré que la société Catroux ait commis une faute inexcusable, ni même une quelconque faute, la cause exclusive du dommage étant, d'une part le manquement du commissionnaire à son obligation de transmettre les consignes de sécurité au voiturier, d'autre part la faute de la société L'Oréal qui a omis de remettre au conducteur les règles principales de sécurité des marchandises.
Le jugement dont appel sera donc confirmé en ce qu'il a mis hors de cause la société Catroux et son assureur.
2-4 ' sur l'indemnisation de la société Chubb
La société Chubb sollicite la condamnation in solidum des sociétés Gefco, Catroux et Allianz à lui régler la somme de 1.547.309,29 euros en réparation du préjudice subi par son assurée.
La société Catroux ayant été mise hors de cause, aucune condamnation ne peut être prononcée à son encontre, ni même à l'encontre de son assureur.
La société Gefco ne conteste pas le quantum de la demande, tel que retenu par le premier juge et conforme au rapport d'expertise [X].
Compte tenu du partage de responsabilité, la société Chubb ne peut prétendre au paiement d'une somme supérieure à : 1.547.309,29 euros x 85 % = 1.315.212,80 euros.
Il convient donc de condamner la société Gefco à payer à la société Chubb la somme de 1.315.212,80 euros, outre intérêts au taux légal à compter du 30 juin 2011 et capitalisation des intérêts.
Le jugement sera donc infirmé de ce chef.
Aucune part de responsabilité n'ayant été mise à la charge de la société Catroux, l'appel en garantie formé par la société Gefco à l'encontre de cette dernière ne peut prospérer.
Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile :
Le jugement sera confirmé en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et aux dépens.
La société Gefco sera condamnée à payer aux sociétés Catroux et Allianz une somme globale complémentaire de 3.000 euros au titre des frais irrépétibles. Il n'apparaît pas inéquitable de laisser à la charge de la société Chubb les frais irrépétibles qu'elle a dû assumer en cause d'appel.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt contradictoire,
Confirme le jugement du tribunal de commerce de Nanterre en ce qu'il a :
- déclaré recevable l'action exercée par la société ACE devenue Chubb European Group,
- mis hors de cause les sociétés Transports Catroux et Allianz,
- condamné la société Gefco au paiement des dépens et de frais irrépétibles,
Infirme le jugement pour le surplus, et statuant à nouveau,
Condamne la société Gefco à payer à la société Chubb European Group la somme de 1.315.212,80 euros, outre intérêts au taux légal à compter du 30 juin 2011 et capitalisation des intérêts,
Y ajoutant,
Condamne la société Gefco aux dépens d'appel, avec droit de recouvrement direct, par application de l'article 699 du code de procédure civile,
Condamne la société Gefco à payer aux sociétés Transports Catroux et Allianz la somme de 3.000 euros au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel.
prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
signé par Madame Thérèse ANDRIEU, Président et par Monsieur GAVACHE, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le greffier, Le président,