COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 89B
5e Chambre
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 31 JANVIER 2019
N° RG 18/01392
N° Portalis DBV3-V-B7C-SHGT
AFFAIRE :
[C] [T]
C/
SA BNP PARIBAS ...
Décision déférée à la cour : Jugement rendu(e) le 20 Décembre 2017 par le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de HAUTS DE SEINE
N° RG : 16-01518/N
Copies exécutoires délivrées à :
Me Emmanuelle BOUSSARD-VERRECCHIA
la SELEURL AURELIE FOURNIER AVOCAT
CPAM DES HAUTS DE SEINE
Copies certifiées conformes délivrées à :
[C] [T]
SA BNP PARIBAS
le :
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LE TRENTE ET UN JANVIER DEUX MILLE DIX NEUF,
La cour d'appel de VERSAILLES, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
Monsieur [C] [T]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
comparant en personne, assisté de Me Emmanuelle BOUSSARD-VERRECCHIA, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : E1355 substitué par Me Sophie KERIHUEL, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : E1355
APPELANT
****************
SA BNP PARIBAS
[Adresse 2]
[Adresse 2]
représentée par Me Aurélie FOURNIER de la SELEURL AURELIE FOURNIER AVOCAT, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P0372 substituée par Me Karine WEYDERT de la SELARL AURELIE FOURNIER, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P0372
CPAM DES HAUTS DE SEINE
[Adresse 3]
[Adresse 3]
représentée par Mme [N] [H] (Inspecteur contentieux) en vertu d'un pouvoir spécial
INTIMEES
****************
Composition de la cour :
L'affaire a été débattue le 22 Novembre 2018, en audience publique, devant la cour composée de :
Monsieur Olivier FOURMY, Président,
Madame Carine TASMADJIAN, Conseiller,
Madame Caroline BON, Vice présidente placée,
qui en ont délibéré,
Greffier, lors des débats : Madame Florence PURTAS
La cour de céans a été saisie par M. [T] d'une demande de reconnaissance de la faute inexcusable de la société Banque nationale de Paris Paribas (ci-après, la 'Société' ou la 'BNP') à la suite du décès de son épouse, [G] [A].
Par arrêt en date du 22 novembre 2018, la cour a rejeté la demande de M. [T] de surseoir à statuer et renvoyé l'affaire au fond à l'audience du 22 novembre 2018, au cours de laquelle elle a été plaidée.
Il convient de reprendre ici les éléments factuels essentiels à la compréhension du litige.
Salariée de la BNP depuis 1996, [G] [A] a été mise à la disposition de la société Fund Quest Advisor, filiale à 100% de la société BNP asset management holding, à compter du mois de janvier 2006.
Depuis 2013, elle était analyste séniore et gérait un portefeuille de valeurs mobilières.
A son retour des vacances d'été, début septembre 2015, [G] [A] s'est vu proposer une promotion, qu'elle a acceptée.
Le 10 septembre 2015, [G] [A] quitte son domicile [Établissement 1] (92). Elle se rend à la station [Localité 1], à [Localité 2], située à proximité de son lieu de travail, dans l'enceinte duquel elle ne pénètre pas.
Le même jour, peu après 11 heures, [G] [A] se donne la mort sur les voies du RER, en gare [Établissement 1].
Mariée à M. [C] [T], âgée de 43 ans, elle était mère de deux enfants.
La Société est informée des faits le même jour à 18h30.
Le 14 septembre 2015, la BNP établit une déclaration d'accident de trajet, qu'elle envoie à la caisse primaire d'assurance maladie des Hauts de Seine (ci-après, la 'Caisse' ou 'CPAM').
Le 24 septembre 2015, la BNP adresse à la CPAM une lettre de réserves, précisant que l'heure habituelle de début du travail d'[G] [A] se situait vers 9heures, et non 11heures30, comme mentionné par erreur sur la déclaration d'accident.
Le 14 octobre 2015, le procureur de la République du tribunal de grande instance de Nanterre décide le classement sans suite de la procédure (N15 254 000 140).
La Caisse indique n'avoir reçu le certificat de décès, dressé le 14 septembre 2015, que le 23 novembre 2015.
Le 21 décembre 2015, la Caisse écrit à M. [T] qu'elle a besoin d'un délai d'instruction complémentaire du dossier.
Le 18 février 2016, la Caisse refuse la prise en charge de l'accident au titre de la législation professionnelle et en informe M. [T] par courrier envoyé le lendemain.
M. [T] saisit la commission de recours amiable (ci-après, 'CRA') de la Caisse d'un recours à l'encontre de cette décision puis, dans le silence de la commission, le 12 juillet 2016, le tribunal des affaires de sécurité sociale des Hauts de Seine (ci-après, le 'TASS').
Le 13 mai 2016, le cabinet Aequitis remet au CHSCT son rapport d'expertise sur les conditions de travail au sein de 'Fund Quest Advisor' (ci-après, le 'Rapport').
Le 13 juillet 2016, la CRA rejette explicitement le recours de M. [T].
Par jugement en date du 20 décembre 2017, le TASS a :
. débouté M. [T] de sa demande tendant à dire que la Caisse a implicitement reconnu le caractère professionnel de l'accident survenu le 10 septembre 2015 au préjudice de son épouse, [G] [A]-[T] ;
. débouté M. [T] de sa demande tendant à reconnaître le caractère professionnel de l'accident survenu le 10 septembre 2015 au préjudice de son épouse ;
. dit que la décision de la Caisse du 18 février 2016 refusant la prise en charge de l'accident survenu le 10 septembre 2015 au préjudice d'[G] [A]-[T] au titre de la législation professionnelle est bien fondée ;
. débouté M. [T] de son action en reconnaissance de la faute inexcusable de la BNP s'agissant de l'accident survenu le 10 septembre 2015 au préjudice d'[G] [A]-[T] ;
. rejeté toute autre demande des parties ;
. dit que chacune des parties conserverait la charge de ses frais irrépétibles ;
. dit n'y avoir lieu à appliquer l'article 700 du code de procédure civile et rappelé que la procédure devant le tribunal était exempte de dépens.
M. [T] a relevé appel général de cette décision.
Les parties ont été convoquées à l'audience collégiale de la cour du 8 novembre2018.
Comme indiqué ci-dessus, la cour, par arrêt en date du 22 novembre 2018, a rejeté la demande de surseoir à statuer de M. [T] et l'affaire a été plaidée au fond, en audience collégiale, le même jour.
M. [T] demande à la cour de :
. réformer le jugement du TASS du 20 décembre 2017 ;
. le dire recevable, en son nom personnel et en sa qualité d'administrateur légal de ses enfants mineurs, [V] [V] et [Q] [T], et bien fondé en sa demande ;
A titre principal,
. dire que le suicide d'[G] [A] [T] est survenu par le fait du travail et qu'il constitue un accident du travail au sens de l'article L. 411-1 du code du travail ;
. dire que la société BNP est l'auteur d'une faute inexcusable à l'origine de l'accident mortel dont a été victime [G] [E] [T] le 10 septembre 2015 ; en conséquence,
. dire que la CPAM et la BNP devront assurer toutes conséquences de droit ;
. condamner la Société à réparer le préjudice consécutif de cette faute inexcusable ;
. ordonner la majoration maximale des rentes services et dire que si l'une des rentes cesse d'être due, le montant de la majoration correspondante sera répartir sur la rente restant attribuée ;
. lui allouer la somme de 80 000 euros et la somme de 80 000 euros à chacun de ses enfants mineurs en réparation de leur préjudice moral, à charge de la Société ;
. lui allouer ainsi qu'à ses enfants mineurs la somme globale de 60 000 euros au titre de l'action successorale, pour les souffrances physiques et morales endurées par [G] [A] [T] avant son décès, à charge de la Société ;
A titre subsidiaire :
. dire que le suicide d'[G] [A] [T] doit être pris en charge au titre de la législation professionnelle suite à la décision implicite de prise en charge de l'accident ;
A titre infiniment subsidiaire :
. dire que le suicide d'[G] [E] [T] s'apparente à un accident de trajet et de ce fait doit être pris en charge au titre de la législation sur les risques professionnels ;
En tout état de cause :
. condamner in solidum la Société BNP Paribas et la CPAM à lui verser la somme de 5 000 euros au titre de la première instance et la somme de 5 000 euros au titre de la procédure d'appel sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
La société BNP Paribas sollicite pour sa part la cour de :
Sur la demande de prise en charge du suicide d'[G] [E] [T] en tant qu'accident du travail :
. confirmer le jugement du TASS ;
. dire et juger que M. [T] ne rapporte pas la preuve de la survenance d'un accident au temps et au lieu de travail nécessaire et rejeter en conséquence la présomption d'imputabilité ;
. dire et juger que M. [T] ne rapporte pas la preuve que le suicide d'[G] [A] [T] caractérise un accident survenu par le fait du travail et rejeter en conséquence sa demande ;
. en tout état de cause, en cas de reconnaissance par la cour de ce que le suicide d'[G] [A] [T] constituerait un accident du travail, dire et juger que cette décision est inopposable à l'employeur en vertu du principe d'indépendance des relations Assuré/Caisse d'une part, Caisse/Employeur d'autre part ;
Sur la demande de M. [T] au titre d'une décision implicite de prise en charge de la Caisse :
. confirmer le jugement du TASS ;
. dire et juger que toute décision de prise en charge qui serait prononcée par la cour au motif que la Caisse n'aurait pas respecté ses obligations procédurales à l'égard de M. [T] lui est inopposable en vertu du principe d'indépendance des relations Assuré/Caisse d'une part, Caisse/Employeur d'autre part ;
. à titre subsidiaire, si la cour devait décider la prise en charge du suicide d'[G] [A] [T] au titre des accidents du travail sur le fondement d'une décision implicite de la Caisse au motif d'un défaut d'information de M. [T] dans les délais, constater la violation par la CPAM de ses obligations d'information à l'égard de la Société et en déduire en tout état de cause l'inopposabilité de toute décision de prise en charge qui pourrait être décidée par la cour ;
. à titre infiniment subsidiaire, si la cour devait décider la prise en charge du suicide d'[G] [A] [T] au titre des accidents du travail sur le fondement d'une décision de la CPAM concernant la déclaration faite le 12 juillet 2016, constater la violation par la Caisse de ses obligations d'information à l'égard de la Société et en déduire en tout état de cause l'inopposabilité de toute décision de prise en charge qui pourrait être décidée par la cour ;
Sur la demande de reconnaissance de la faute inexcusable,
A titre principal,
. confirmer le jugement du TASS ;
. dire et juger que M. [T] ne rapporte pas la preuve d'un ou des danger(s) au(x)quel(s) [G] [A] [T] aurait été exposée et dont la Société a ou aurait dû avoir conscience et de l'absence de mesures prises par la Société pour l'en préserver ;
. en déduire que la faute inexcusable de l'employeur n'est pas caractérisée et rejeter en conséquence la demande de M. [T] à ce titre ;
A titre subsidiaire,
. dans l'hypothèse où la cour caractériserait la faute inexcusable de l'employeur, fixer le quantum des indemnités pour préjudice d'affection de M. [T] et ses deux enfants ;
. rejeter les autres demandes d'indemnité comme étant non justifiées et non fondées.
La caisse primaire d'assurance maladie des Hauts de Seine demande à la cour de débouter M. [T] de son appel et l'y déclarer mal fondé, ainsi que de confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions.
Vu les conclusions relatives au sursis à statuer déposées tant pour M. [T] que pour la BNP, ainsi que les pièces y afférentes respectivement, auxquelles la cour se réfère expressément, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, pour plus ample exposé des moyens et prétentions des parties,
Vu les explications et les observations orales des parties à l'audience collégiale du 22 novembre 2018,
MOTIFS
Sur la prise en charge du suicide d'[G] [A] [T] au titre de la législation professionnelle
Sur une prise en charge implicite du suicide au titre de la législation professionnelle
Les parties s'accordent à considérer que la Caisse a reçu la déclaration d'accident du travail le 17 septembre 2015.
La Caisse ne conteste pas que M. [T] a remis à l'enquêteur assermenté un certificat de décès, qui a été annexé à l'enquête, « laquelle n'a été transmise à la Caisse que le 23 novembre 2015 », selon cette dernière.
Aux termes de l'article R. 441-10 du code de la sécurité sociale, la « caisse dispose d'un délai de trente jours à compter de la date à laquelle elle a reçu la déclaration d'accident et le certificat médical initial (') pour statuer sur le caractère professionnel (') de l'accident ». Si la Caisse estime avoir besoin d'un examen ou d'une enquête complémentaire, elle doit, aux termes de l'article R. 441-14 du même code, en informer les ayants droit de la victime et l'employeur avant l'expiration du délai susvisé.
En l'espèce, contrairement à ce que soutient la Caisse et a ce qu'a retenu le TASS, il n'est pas contestable que la Caisse doit être considérée comme ayant reçu le certificat de décès le jour où il a été remis à l'enquêteur et non pas le jour où le rapport d'enquête de ce dernier (ci-après, le Rapport) a été reçu par la Caisse.
Outre que l'enquêteur est un salarié de la Caisse, la cour rappelle qu'il est jugé que les délais commencent à courir, à l'égard de l'organisme social, dès la date de réception par lui du document nécessaire, et non pas à compter de la réception par le service chargé de conduire l'instruction du dossier.
En l'espèce, le certificat de décès a été dressé le 14 septembre 2015.
La liste des pièces jointes au Rapport indique que c'est à la même date du 26 octobre 2015 que l'enquêteur a reçu le « PV de constatation du mari », l'attestation du Procureur de la République et le certificat de décès.
C'est donc à compter de cette date qu'à commencer de courir le délai de l'article R. 441-10 précité.
Or, ce n'est que le 21 décembre 2015 que la Caisse a informé M. [T] de ce qu'un délai supplémentaire d'instruction était nécessaire, donc bien au-delà de ce délai.
La Caisse ne saurait tirer argument de ce que, le 26 octobre 2015, le certificat de décès n'était pas suffisamment détaillé (comme devrait l'être un certificat médical initial) pour déterminer l'origine traumatique ou morbide des lésions. La cour considère sur ce point qu'il n'est pas acceptable, dans les circonstances de la cause, que la Caisse ait suggéré qu'il était loisible à M. [T] de solliciter un médecin pour obtenir un certificat médical détaillé.
En effet, si l'article R. 441-7 du code de la sécurité sociale se lit : « Les certificats médicaux adressés à la (Caisse), conformément aux dispositions de l'article L. 441-6 devront mentionner, indépendamment des renseignements prévus audit article, toutes les constatations qui pourraient présenter une importance pour la détermination de l'origine traumatique ou morbide des lésions », il n'envisage pas expressément le cas d'un décès immédiat mais un accident dont les conséquences ont pu entraîner la mort, ainsi qu'il résulte des dispositions de l'article L. 441-6 du même code : « Le praticien établit (..) un certificat indiquant l'état de la victime et les conséquences de l'accident ou les suites éventuelles, en particulier la durée probable de l'incapacité de travail, si les conséquences ne sont pas exactement connues ». Cet article figure dans la section des dispositions générales, lesquelles, ainsi qu'il résulte expressément de l'article L. 441-1 qui ouvre cette section, concerne les victimes en général d'un accident du travail et non les victimes décédant sur le coup d'un tel accident, puisqu'il y est exigé de la victime d'informer/de faire informer l'employeur dans un délai déterminé.
En tout état de cause, la Caisse n'ignorait rien, dans le cas présent, des circonstances du décès d'[G] [A] [T] puisque :
. elle avait été saisie dès la déclaration d'accident du travail faite par la Société, le 14 septembre 2015, de la situation, en l'espèce d'un « Décès sur les voies RATP » survenu le 10 septembre 2015 ;
. l'enquêteur avait reçu dès le 26 octobre 2015 :
le certificat de décès ; et ;
le même jour, l'attestation du procureur de la République, selon laquelle, « à l'issue de l'enquête et de l'examen médico-légal et toxicologique effectués à la suite du décès de Madame [G] [A] [T] née le [Date naissance 1]/1972 à [Localité 3] , il est apparu que la mort était consécutive à un polytraumatisme majeur.
Je vous informe, qu'en l'absence d'infraction et s'agissant d'un suicide, la procédure (') fait l'objet d'un classement sans suite » (souligné par la cour).
Ainsi, dès le 26 octobre 2015, la caisse primaire d'assurance maladie disposait de tous les éléments nécessaires relatifs à « l'origine morbide des lésions », si tant est même que le texte susvisé ait été applicable.
En n'informant M. [T] que le 21 décembre 2015 qu'un délai complémentaire d'instruction était nécessaire, la Caisse n'a pas respecté les dispositions de l'article R. 441-10 du code de la sécurité sociale.
La cour doit en conséquence décider que la Caisse a implicitement pris en charge au titre de la législation professionnelle l'accident survenu le 10 septembre 2015 à [G] [A].
S'agissant d'une décision implicite, cependant, et compte tenu de l'indépendance des rapports Caisse/salarié et Caisse/employeur, la cour dira qu'elle n'est pas opposable à la société BNP Paribas.
La circonstance que la décision de prise en charge par la Caisse doive être considérée comme définitive à l'égard de M. [T] ne signifie pas pour autant que l'accident du travail soit établi.
Il convient donc d'examiner cette question avant d'aborder, le cas échéant, celle de la faute inexcusable de l'employeur.
Sur un accident du travail
Aux termes de l'article L. 411-1 du code de la sécurité sociale, est « considéré comme accident du travail, quelle qu'en soit la cause, l'accident survenu par le fait ou à l'occasion du travail à toute personne salariée ou travaillant, à quelque titre ou en quelque lieu que ce soit, pour un ou plusieurs employeurs ou chefs d'entreprise ».
Il résulte de ces dispositions une présomption que l'accident qui s'est déroulé au temps et au lieu du travail est un accident du travail, étant précisé, à toutes fins, qu'à cet égard, l'accident de trajet est assimilé à un accident de travail.
M. [T] soutient, en particulier, dans cette perspective, que l'accident est survenu sur le temps de travail, alors qu'[G] [A] [T] s'était rendue sur son lieu de travail et avait finalement renoncé à entrer dans les locaux et qu'il est démontré que le suicide de cette dernière avait un lien direct avec ses conditions de travail difficiles.
M. [T] reproche à la Caisse : des carences dans le déroulement et la retranscription de l'entretien qu'il a eu avec l'enquêteur ; une présentation orientée des conditions de travail de son épouse ; le fait que les déclarations de M. P. (N+2) à la suite du suicide ne correspondent pas à la réalité.
M. [T] fait par ailleurs valoir la partialité de l'enquête interne menée par la Société, qui s'est montrée réticente à la mener ; l'absence de prise en compte des remarques de l'inspection du travail ; l'absence de prise en compte de l'avis du médecin du travail sur les conditions de travail au sein de la société 'Fund Quest Advisor'.
M. [T] ajoute qu'il faut prendre en compte l' « impact particulièrement néfaste d'une 'promotion' durant les jours précédant l'accident' (en gras et souligné dans l'original des conclusions), notamment en ce que son épouse aurait désormais eu à superviser M. H., ayant dix ans d'expérience au sein de Fund Quest Advisor et à la tête d'une équipe de quatre personnes, alors qu'elle-même n'avait aucune expérience managériale, outre qu'il était basé à Londres. L'intéressé avait d'ailleurs posé, la veille des faits, la totalité de ses vacances sur la période des congés scolaires. Cette promotion devait être qualifiée de « anxiogène » (en gras dans l'original des conclusions), comme l'avaient relevé certains collègues. Or, M. P., dont le management était particulièrement autoritaire, avait exercé une « pression très importante » pour qu'[G] [A] accepte cette promotion, en ayant avec elle trois longs entretiens, les jours précédant le décès.
M. [T] souligne que la Société a été plus que réticente à mettre en place la mesure d'expertise sollicitée par le CHSCT et demandée par l'inspection du travail.
Il relève également que le bureau dans lequel travaillait son épouse était dépourvu de toute lumière naturelle, problème relevé par le CHSCT déjà en 2012, tandis que M. P. ne supportait pas que l'on en fasse la remarque ou qualifie ce lieu de travail de 'cave' ou de 'crypte' comme le faisait habituellement les salariés concernés.
Enfin, M. [T] fait référence au Rapport remis au CHSCT pour invoquer les pressions exercées par la hiérarchie sur les salariés analystes, avec un « jeu parfois retors » (en gras dans l'original des conclusions), et les jeux de pouvoirs internes, les décisions d'ordre politique « engendrant une organisation pathogène du travail » (souligné dans l'original des conclusions). M. [T] fait également référence sur ce point au courrier de l'inspection du travail du 11 juillet 2016, citant le Rapport.
Sur ce
Il est constant que Mme [G] [A] s'est suicidée à un horaire compatible avec ses horaires de travail, dès lors qu'elle était libre d'organiser son travail, lequel pouvait au demeurant la conduire à se rendre à des rendez-vous ailleurs que sur son lieu de travail.
La veille, elle avait d'ailleurs quitté son bureau avant 14 heures, afin d'honorer un rendez-vous professionnel, semble-t-il.
Cela étant, rien ne permet de considérer qu'[G] [A] s'est rendue sur son lieu de travail le jour des faits, en tout cas qu'elle en revenait.
Si la carte de transports qu'elle utilise permet de vérifier qu'elle affectivement emprunté le réseau du RER à la station [Établissement 2], à 10h03, sachant que cette station correspond à une des stations permettant l'accès à son bureau tout en se trouvant sur la ligne directe depuis son domicile, rien ne permet de considérer qu'elle s'est rendue sur son lieu de travail puisqu'aucun enregistrement de son badge n'a eu lieu.
En revanche, il est constant qu'[G] [A] s'est rendue à la gare RER [Établissement 3], est sortie de la station à 10h29, pour reprendre le RER à 10h49, à cette même station. Il n'existe aucune information permettant de savoir ce qu'[G] [A] a fait pendant ces vingt minutes.
[G] [A] s'est suicidée en gare [Établissement 1] vers 11 heures (à 11 heures 50 selon l'acte de décès).
Dès lors, la cour doit considérer que les faits ne se sont pas produits au temps du travail.
Il n'existe dès lors pas de présomption que le suicide serait lié au travail.
C'est donc à M. [T], es qualité, qu'il appartient de démontrer que le suicide est en lien avec le travail.
A cet égard, la cour doit tout d'abord relever qu'[G] [A] n'a laissé aucun élément d'aucune sorte susceptible d'établir ce lien.
Il est constant qu'elle était revenue de congés pour reprendre le travail au mois de septembre, qu'elle n'appréciait pas de devoir travailler dans un endroit ne recevant quasiment pas la lumière du jour et qu'elle appelait : 'la crypte', qu'il lui a été proposée une promotion, qu'elle l'a acceptée.
Pour autant, l'essentiel des observations faites par M. [T] prennent en compte des éléments postérieurs au suicide, notamment l'attitude de la Société.
Sur ce point, la cour relève que l'inspection du travail a clairement exprimé à l'employeur que son attitude, consistant à ne pas transmettre les informations ou à ne pas décider rapidement de mener une enquête sur les circonstances du drame, voire à ne pas respecter les préconisations du médecin du travail concernant une salariée.
Pour contestable, voire répréhensible, que soit cette attitude de la Société, il n'est pas possible d'en inférer un lien entre le travail d'[G] [A] et le suicide de cette salariée.
La cour comprend des pièces qui lui sont soumises qu'[G] [A] était une professionnelle de très bon niveau, que ses mérites justifiaient la promotion qui lui était proposée, que son manque d'expérience managériale, avéré, n'était pas si crucial qu'il a pu être dit, dès lors qu'elle allait se trouver sous les mêmes responsables hiérarchiques (N+1 et N+2), notamment Mme T., avec laquelle elle entretenait des relations suffisamment bonnes pour se rendre chez elle, à Londres, pendant un congé.
Certes, M. H. était un homme d'expérience et bien placé dans la hiérarchie. Mais, il faut le relever, il se trouvait lui aussi sous l'autorité de Mme T. et était également basé à Londres.
Par ailleurs, s'il est constant qu'[G] [A] appréhendait ses nouvelles fonctions, ce qui est au demeurant légitime, s'agissant d'une promotion avec de nouvelles attributions, outre qu'elle a accepté ce nouveau défi professionnel, aucune des personnes entendues au cours de l'enquête n'a émis l'hypothèse qu'elle aurait agi contrainte et forcée, ni même que l'idée de devoir affronter cette tâche lui était insupportable. Quand bien même [G] [A] était une personne qualifiée par beaucoup de 'intériorisée', un désarroi ou une angoisse majeure n'aurait pas pu passer inaperçu de tous ses collègues.
L'une des collègues dont elle était la plus proche (au sens qu'elles déjeunaient ensemble régulièrement) a précisé que la décision de promouvoir [G] [A] n'était pas encore officielle et que, la veille, celle-ci lui en avait parlé en lui demandant de garder la confidence. Mais [G] [A] n'avait manifesté « aucune inquiétude », le seul point qu'elle avait relevé étant le manque de lumière dans 'la crypte'.
La cour comprend, certes, que M. P. pouvait avoir un comportement parfois difficile pour ses collaborateurs (la lettre de M. B., datée 24 novembre 2015 le confirme, encore que l'intéressé évoque surtout un 'acharnement sur sa personne). Mais rien, dans le dossier, ne permet de penser qu'[G] [A] ait eu à en souffrir directement, encore moins que les réunions qu'elle aurait eues avec lui les jours précédant se soient déroulées dans un climat telle que cette salariée ait pu considérer la situation insupportable. La cour doit au demeurant noter que, compte tenu du changement de position accepté par [G] [A], il était aussi légitime que naturel que M. P. dût s'entretenir longuement avec elle.
Il est possible qu'[G] [A] n'ait pas apprécié que M. H. ait posé toutes ses vacances pour la période 2015-2016 pendant les vacances scolaires. Outre que rien ne démontre qu'il l'ait fait, rien ne démontre qu'[G] [A] en ait conçu un dépit insurmontable, aussi attachée qu'elle ait pu être à ses deux enfants.
La circonstance que l'assistante sociale de la Société, dans l'accompagnement de M. [T] pour les démarches à suivre suite au décès de son épouse, ait pu employer l'expression : « (s)'agissant d'un décès survenu au cours ou à l'occasion du travail ; un dossier 'Garantie Vie professionnelle' a été également ouvert par les services administratifs de la paie » ne saurait en aucune manière consister en un quelconque 'aveu' de la part de la Société et n'est en tout cas pas de nature à démontrer le lien entre le travail et le suicide d'[G] [A].
La cour relève en outre que les conclusions du Rapport, expressément mentionnées par l'inspection du travail (page 5 du courrier du 11 juillet 2016) et reprises par M. [T] dans ses conclusions, sont exprimées, sur ce point, sur le mode hypothétique : « peut-être que cette proposition de promotion a été à l'origine d'une prise de conscience radicale sur la nature ou les actes attendus de (la) part » d'[G] [A].
Enfin et surtout, l'inspecteur du travail lui-même, dans ce même courrier, alors qu'il note que le « changement de poste (envisagé) avait provoqué chez cette salariée un stress important. Stress qui pourrait avoir, notamment, pour origine 'l'arrière-plan des problématiques éthiques rencontrées par certains salariés de Fund Quest Advisor' » écarte expressément un lien entre le suicide et le travail : « L'enquête de l'inspecteur du travail n'a pas révélé à ce jour, de causalité directe entre l'acte de Madame [G] [A] [T] et son travail ».
Aucun élément nouveau n'est intervenu depuis.
Aucune des pièces soumises aux débats ne permet de modifier cette analyse des circonstances.
Il résulte de tout ce qui précède que le lien entre le suicide d'[G] [A] et son travail n'est en rien établi. Il ne constitue donc pas un accident du travail.
Par suite, la question de la faute inexcusable de l'employeur ne peut se poser.
M. [T] sera débouté de toutes ses demandes à cet égard, la cour confirmant sur ce point le jugement entrepris.
Sur les dépens et sur l'article 700 du code de procédure civile
La cour devra rappeler que la présente procédure est exempte de dépens.
La cour devra rappeler également qu'il n'existe pas de condamnation solidaire en matière d'indemnité de l'article 700 du code de procédure civile, outre qu'en l'espèce, il ne serait en aucune manière justifié de condamner conjointement la Caisse et la Société sur ce fondement.
M. [T], qui succombe pour l'essentiel, sera débouté de sa demande sur ce fondement.
PAR CES MOTIFS
La cour, après en avoir délibéré, statuant publiquement par décision contradictoire,
Confirme le jugement du tribunal des affaires de sécurité sociale des Hauts de Seine en date du 20 décembre 2017 en ce qu'il a :
. débouté M. [C] [T] de son action en reconnaissance de la faute inexcusable de la société BNP Paribas s'agissant de l'accident survenu le 10 septembre 2015 à son épouse, [G] [A]-[T] ;
. dit que chacune des parties conserverait la charge de ses frais irrépétibles et qu'il n'y avait lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Infirme le jugement entrepris pour le surplus ;
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Décide que la caisse primaire d'assurance maladie des Hauts de Seine a implicitement reconnu le caractère professionnel de l'accident survenu le 10 septembre 2015 à son épouse, [G] [A]-[T] ;
Rappelle que les rapports entre la caisse primaire d'assurance maladie des Hauts de Seine et M. [T] sont indépendants des rapports de cette caisse avec la société BNP Paribas ;
Rappelle que la présente procédure est exempte de dépens ;
Déboute M. [T] de sa demande d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Déboute les parties de toute demande autre, plus ample ou contraire ;
Prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Signé par Monsieur Olivier Fourmy, Président, et par Madame Florence Purtas, Greffier, auquel le magistrat signataire a rendu la minute.
Le GREFFIER, Le PRÉSIDENT,