La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

10/01/2019 | FRANCE | N°17/04407

France | France, Cour d'appel de Versailles, 3e chambre, 10 janvier 2019, 17/04407


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 57B



3e chambre



ARRET N°



CONTRADICTOIRE



DU 10 JANVIER 2019



N° RG 17/04407



N° Portalis DBV3-V-B7B-RTOK



AFFAIRE :



SA MMA IARD Assurances Mutuelles venant aux droits de la SA COVEA RISKS



C/



[V] [Y]





Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 26 Mai 2017 par le Tribunal de Grande Instance de NANTERRE

N° Chambre : 6

N° RG : 1

5/01116



Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :





à :

Me Isabelle DELORME-MUNIGLIA de la SCP COURTAIGNE AVOCATS

Me Rémi BAROUSSE de la SELASU TISIAS







RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 57B

3e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 10 JANVIER 2019

N° RG 17/04407

N° Portalis DBV3-V-B7B-RTOK

AFFAIRE :

SA MMA IARD Assurances Mutuelles venant aux droits de la SA COVEA RISKS

C/

[V] [Y]

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 26 Mai 2017 par le Tribunal de Grande Instance de NANTERRE

N° Chambre : 6

N° RG : 15/01116

Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :

à :

Me Isabelle DELORME-MUNIGLIA de la SCP COURTAIGNE AVOCATS

Me Rémi BAROUSSE de la SELASU TISIAS

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE DIX JANVIER DEUX MILLE DIX NEUF,

La cour d'appel de Versailles, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

1/ SA MMA IARD Assurances Mutuelles

N° SIRET : 775 652 126

[Adresse 1]

[Adresse 1]

prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

2/ SA MMA IARD

N° SIRET : 440 048 882

[Adresse 2]

[Adresse 1]

prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

venant aux droits, toutes deux, de la société COVEA RISKS

Représentant : Me Isabelle DELORME-MUNIGLIA de la SCP COURTAIGNE AVOCATS, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 52 - N° du dossier 019235

Représentant : Me Matthieu PATRIMONIO de la SCP RAFFIN & ASSOCIES, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P0133

APPELANTES

****************

Madame [V] [Y]

née le [Date naissance 1] 1948 à [Localité 1]

de nationalité Française

[Adresse 3]

[Adresse 3]

Représentant : Me Rémi BAROUSSE de la SELASU TISIAS, Postulant et Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : C2156 - N° du dossier 0220

INTIMEE

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 786 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 15 Novembre 2018 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Françoise BAZET, Conseiller et Madame Caroline DERNIAUX, Conseiller chargé du rapport.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Véronique BOISSELET, Président,

Madame Françoise BAZET, Conseiller,

Madame Caroline DERNIAUX, Conseiller,

Greffier, lors des débats : Madame Lise BESSON,

-------------------

FAITS ET PROCÉDURE

En décembre 2010, Mme [V] [Y] a souscrit à un produit de défiscalisation monté par les sociétés Diane et Gesdom portant sur des investissements en outre-mer, en application des dispositions de l'article 199 undecies B du code général des impôts issu de la loi de programme pour l'outre-mer du 21 juillet 2003, dite 'Girardin industriel'. Ces investissements consistaient, par le biais de sociétés en nom collectif ou de sociétés en participation (SNC ou SEP), à procéder à l'acquisition de centrales photovoltaïques en vue de leur location aux entreprises exploitantes locales dans les DOM-TOM, et permettant une réduction d'impôt, proportionnelle au montant de ces souscriptions et imputable sur l'impôt dû au titre de l'année de réalisation de l'investissement, ou pouvant être reportée sur cinq ans. L'investisseur était tenu de conserver ses parts pendant cinq ans, à l'issue desquels l'exploitant des matériels s'engageait à les racheter à un prix déterminé, tenant compte d'une rétrocession partielle de l'avantage fiscal obtenu.

Mme [Y] a ainsi versé à la société Diane la somme de 13 779 euros, outre 64 euros de frais de dossier.

En mai 2011, la société Diane lui a remis l'attestation fiscale permettant la réduction d'impôt escomptée sur ses revenus de l'année 2010 et Mme [Y] a bénéficié d'une réduction d'impôt de 16 241 euros.

Toutefois, l'administration fiscale a estimé qu'une installation dans le secteur photovoltaïque devait être considérée comme constitutive d'un investissement réalisé, ouvrant droit à la réduction d'impôt prévue par l'article 199 undecies B précité, à compter de sa date de raccordement au réseau électrique ou, au minimum, à compter du dépôt d'un dossier complet de demande de raccordement auprès d'EDF. Pour ces motifs, l'administration fiscale a engagé une procédure de rectification à l'encontre de Mme [Y].

Par jugement du 24 juillet 2014, le tribunal de commerce de Paris a ouvert une procédure de redressement judiciaire au bénéfice de la société Diane. Le redressement judiciaire a été converti en liquidation judiciaire par un jugement du 19 août 2014.

Estimant avoir subi un préjudice du fait des sociétés Diane et Gesdom, Mme [Y] a assigné, le 26 janvier 2015, la société Covea Risks, assureur de ces sociétés, aux droits de laquelle viennent les sociétés MMA Iard et MMA Iard Assurances Mutuelles (les MMA) devant le tribunal de grande instance de Nanterre afin d'obtenir l'indemnisation de son préjudice financier et moral.

Par jugement du 26 mai 2017, le tribunal a :

reçu l'intervention volontaire des MMA,

condamné in solidum les MMA à payer à Mme [Y] la somme de 14 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice matériel,

dit que cette somme produira intérêts au taux légal à compter du présent jugement,

dit que les intérêts échus pour une année entière depuis la demande en justice, soit le 26 janvier 2015, produiront eux-mêmes intérêts à compter du 26 janvier 2016,

condamné in solidum les MMA aux dépens, ainsi qu'au paiement d'une indemnité de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

ordonné l'exécution provisoire,

rejeté toutes demandes plus amples ou contraires.

Par acte du 9 juin 2017, les MMA ont interjeté appel et, aux termes de conclusions du 23 octobre 2018, demandent à la cour de :

réformer le jugement rendu en toutes ses dispositions défavorables aux MMA,

juger que l'intimée ne rapporte pas la preuve ni d'une faute ni d'un préjudice réparable tant dans son principe que dans son quantum,

juger que l'intimée ne rapporte pas, ainsi, la preuve d'une créance de responsabilité civile à l'encontre de la société Diane ni de la société Gesdom,

juger sans objet la demande de condamnation formée à l'encontre des MMA, ès qualité d'assureurs de la société Diane,

débouter l'intimé de l'ensemble de ses demandes,

à titre subsidiaire :

juger que le contrat souscrit par la CNCIF auprès de Covea Risks n'a nullement vocation à s'appliquer, ni la société Diane, ni la société Gesdom n'ayant exercé une activité de Conseiller en Investissements Financiers,

juger que le contrat souscrit par la société Diane auprès de Covea Risks n'a nullement vocation à s'appliquer dans le cas présent, en raison des clauses d'exclusion stipulées,

à titre infiniment subsidiaire :

juger que le plafond de la police CNCIF est de 3 000 000 euros ; qu'il y a lieu de globaliser les sinistres et désigner tel séquestre qu'il plaira à la cour pour une durée de 5 ans,

juger que la somme correspondant à la franchise par sinistre, soit 15 000 euros, à la charge de la société Diane et/ou Gesdom, doit être déduit du montant de la condamnation éventuellement prononcée à l'encontre des MMA dans le cas où la cour devrait retenir la responsabilité de la société Diane et si la cour ne retenait pas l'existence d'un sinistre sériel.

Au titre du contrat souscrit directement par la société Diane :

juger que le plafond est de 1 250 000 euros, qu'il y a lieu de globaliser les sinistres et désigner tel séquestre qu'il plaira à la cour pour une durée de 5 ans,

juger que la somme correspondant à la franchise par sinistre, soit 20 000 euros, à la charge de la société Diane, doit être déduite du montant de la condamnation éventuellement prononcée à l'encontre de la société Covea Risks, dans le cas où la cour devrait retenir la responsabilité de la société Diane et si elle ne retenait pas l'existence d'un sinistre sériel.

Au titre du contrat souscrit par la société Gesdom :

juger que le plafond est de 4 000 000 euros, qu'il y a lieu de globaliser les sinistres et désigner tel séquestre qu'il plaira à la cour pour une durée de 5 ans,

juger que la somme correspondant à la franchise par sinistre, soit 20 000 euros, à la charge de la société Gesdom, doit être déduite du montant de la condamnation éventuellement prononcée à l'encontre des MMA, dans le cas où la cour devait retenir la responsabilité de la société Gesdom et si elle ne retenait pas l'existence d'un sinistre sériel,

en tout état de cause : débouter l'intimé de son appel incident, et de l'ensemble de ses demandes, le débouter de sa demande au titre de la prétendue résistance abusive.

Par dernières écritures du 3 octobre 2018, Mme [Y] demande à la cour de :

confirmer le jugement rendu en ce qu'il a dit qu'elle dispose d'une créance de responsabilité à l'encontre des sociétés Diane et Gesdom,

le réformer sur le montant des préjudices subis, et, statutant à nouveau, fixer les dommages subis à :

16 241 euros pour le préjudice matériel,

3 000 euros pour le préjudice immatériel.

le confirmer en ce qu'il a dit que les MMA doivent garantir la responsabilité civile de la société Diane au titre de la police CNCIF n° 112.788.909, de la société Gesdom au titre de la police CNCIF n° 112.788.909 et de la police Gesdom n° 114 247 742,

condamner les MMA à garantir la responsabilité civile de la société Diane au titre de la police Diane n° 120.137.363,

le confirmer en ce qu'il a dit qu'aucune franchise individuelle ne lui est opposable s'agissant d'un sinistre sériel,

dire qu'une seule franchise doit s'appliquer par police et par année d'investissement,

condamner solidairement les MMA à lui payer la somme de 16 241 euros pour le préjudice matériel et celle de 3 000 euros pour le préjudice immatériel avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation de l'assureur, soit le 30 janvier 2015, et capitalisation des intérêts par année entière,

le réformer en ce qu'il a jugé qu'un plafond de garantie de 3 000 000 d'euros s'applique à la garantie au titre de la police n° 112.788.909,

dire que la police CNCIF n° 112.788.909 ne comporte pas de plafond de garantie opposable ou, à titre subsidiaire, que son plafond annuel s'élève à 3 000 000 d'euros, que la police Gesdom n° 114 247 742 comporte un plafond annuel de 4 000 000 d'euros, que la police Diane n° 120.137.363 comporte un plafond de 1 250 000 euros par an, et dire que les plafonds des polices se cumulent,

le confirmer en ce qu'il a refusé de désigner un séquestre, et, à titre subsidiaire, dire que la somme séquestrée portera intérêts à son profit,

condamner in solidum les MMA à lui payer la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive,

condamner in solidum les MMA à lui payer la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, et aux dépens de première instance et d'appel avec recouvrement direct.

La cour renvoie aux écritures des parties en application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile pour un exposé complet de leur argumentation.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 25 octobre 2018.

SUR QUOI, LA COUR

Le tribunal a retenu pour l'essentiel que :

les sociétés Diane et Gesdom étaient chargées de la réalisation et du suivi de l'opération en métropole et il leur appartenait donc de vérifier que la condition essentielle à l'avantage fiscal était présumée acquise avant de faire souscrire à Mme [Y] un apport éligible à sa déclaration de revenus pour l'année 2010 ; elles devaient s'assurer de la réalisation de l'investissement, au sens de la doctrine fiscale ancienne et constante en vigueur qu'elles ne pouvaient ni ne devaient ignorer ; elles devaient donc non seulement contrôler la matérialité des travaux, mais également s'assurer qu'une demande de raccordement avait été déposée auprès d'EDF avant le 31 décembre de l'année en cours et, à défaut, informer l'investisseur de ce qu'il ne pourrait prétendre à la réduction d'impôt escomptée ; enfin, le cabinet Diane devait s'assurer de la constitution de l'investissement au 31 décembre 2010 avant d'adresser à Mme [Y] son attestation fiscale en mai 2011 ; les deux sociétés ont donc manqué à leurs obligations contractuelles ;

Mme [Y] justifie avoir investi, frais de dossier inclus, la somme de 13 843 euros, en contrepartie de laquelle elle pouvait espérer une réduction d'impôt de 16 241 euros ; elle a, dans un premier temps, obtenu cette réduction mais a ensuite subi un redressement fiscal du même montant, sans subir de pénalités ; elle sera indemnisée par l'octroi de la somme de 14 000 euros ;

les tracas et démarches afférents à la procédure relèvent des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et ne constituent pas un préjudice moral ;

le montage proposé par les sociétés Diane et Gesdom à Mme [Y] est couvert par les deux polices souscrites auprès des MMA qui sont mal fondées à opposer des exclusions de garantie ;

s'agissant de la limitation de garantie à 3 000 000 euros et 4 000 000 euros pour l'ensemble des réclamations liées aux manquements dans la mise en 'uvre de placements 'Girardin Industriel', les MMA font état mais ne justifient pas de l'existence de réclamations multiples à l'encontre des sociétés Diane et Gesdom, de nature à atteindre ou dépasser ces sommes en sorte qu'il n'y a pas lieu de faire droit à la demande de séquestre.

S'agissant de la faute contractuelle reprochée à la société Diane, les assureurs indiquent s'en rapporter à l'appréciation de la cour.

S'agissant de la société Gesdom, les MMA soutiennent qu'elle n'a contracté aucune obligation envers le souscripteur dès lors qu'elle n'était pas en charge du suivi de l'investissement, ne gérait pas les sociétés véhicules de la defiscalisation (les SEP), n'était pas en charge du dépôt du dossier de raccordement et ne délivrait pas les attestations fiscales. Elles en déduisent qu'aucune faute contractuelle ou délictuelle ne saurait être imputée à la société Gesdom.

Sur le préjudice, les appelantes observent que l'intimée n'a subi qu'une perte de chance de bénéficier d'un avantage fiscal et que la perte d'un avantage fiscal ne constitue pas un préjudice indemnisable dès lors que le contribuable est seulement amené à payer l'impôt auquel il est légalement tenu. Elles ajoutent qu'en l'espèce la perte de chance n'est pas caractérisée puisque l'investisseur ne démontre pas qu'il aurait pu, autrement, c'est à dire en souscrivant à un autre produit fiscal, obtenir le même avantage fiscal et ce dans les mêmes conditions. Elles indiquent que le jugement doit être réformé en ce qu'il a accordé à la restitution des fonds investis alors que seule peut être retenue une perte de chance à ce titre, laquelle ne saurait être supérieure à 80 %, soit 11 200 euros.

Mme [Y] fait notamment valoir qu'elle ne réclame pas l'impôt qu'elle aurait dû payer mais la réparation des pertes subies et du manque à gagner dont elle a été privée. Elle indique que son préjudice matériel est de 16 241 euros correspondant à ses pertes (13 843 euros correspondant à la somme investie et aux frais de dossier) et de 2 398 euros correspondant

à son manque à gagner (soit le montant de la réduction d'impôt attendue de 16 241 euros, déduction faite des sommes investies). Elle soutient en outre que la police 112.788.909 ne comporte pas de plafond de garantie en sorte qu'il n'y a pas lieu de séquestrer les sommes dues par les MMA, étant ajouté que la cour d'appel de Paris n'ordonne pas de mise sous séquestre dans les mêmes litiges, ce qui crée une inégalité de traitement entre les investiseurs.

***

Sur les manquements allégués

Il est constant qu'avant que leurs relations ne se gâtent en 2011, entraînant la mise en cause de Gesdom par Diane devant le tribunal de commerce de Nanterre pour des faits de concurrence déloyale, les deux sociétés ont commercialisé et mis en oeuvre un montage utilisant comme sociétés de portage des SNC et des SEP qu'elles ont constituées. Ce montage complexe est le fruit d'un partenariat entre les deux sociétés permettant d'offrir en métropole un produit de défiscalisation et outre mer de proposer des revenus tirés de la vente de l'électricité produite par les centrales photovoltaïques.

Gesdom a commercialisé le montage. Dans la brochure commerciale qu'elle a éditée en janvier 2010, elle évoque à plusieurs reprises qu'il s'agit de son montage. Le dossier de souscription du 23 octobre 2010 fait apparaître en couverture son nom et au pied de chaque page sont mentionnés son nom, son activité (CIF), son appartenance à la Chambre Nationale des CIF ainsi que son numéro de RCS et son siège social.

La commercialisation d'un produit financier complexe comme celui-ci en cause implique que Gesdom soit tenue à l'égard de l'investisseur de s'assurer que le montage est bien conforme à ce qui était attendu et décrit. L'obligation de Gesdom ne s'arrête donc pas au jour de la souscription du contrat.

Il en résulte que nonobstant le fait que le produit ait été proposé à Mme [Y] par la société Diane, également conseil en gestion de patrimoine, la société Gesdom doit répondre envers les investisseurs de ce que le produit qu'elle a commercialisé était conforme aux conditions posées par la réglementation fiscale pour bénéficier de l'avantage fiscal annoncé et qui était la motivation première des investisseurs.

Le dispositif de défiscalisation institué à l'article 199 undecies B du code général des impôts, connu sous le nom du dispositif 'Loi Girardin Industriel', autorise les contribuables à bénéficier d'une réduction d'impôt sur le revenu à raison des 'investissements productifs neufs' réalisés dans les départements d'outre-mer, dans le cadre d'une entreprise exerçant une activité agricole, industrielle, commerciale ou artisanale, à charge pour l'investisseur de souscrire au capital de différentes sociétés transparentes fiscalement, investissant dans des matériels industriels, installés et exploités outre mer. Les investisseurs sont regroupés dans des sociétés de portage, le plus souvent des SNC, qui acquièrent des biens grâce à des prêts bancaires, donnés à bail à des entreprises locales. Les loyers qu'elles versent servent à rembourser les emprunts. Les investisseurs perdent le capital investi mais bénéficient, dès l'année de souscription, d'une réduction d'impôt.

Le dossier de souscription se réfère explicitement aux avantages fiscaux offerts par les dispositions précitées et il ne peut être mis en doute qu'en investissant dans les programmes qui lui étaient présentés, au cas présent des centrales photovoltaïques, Mme [Y] recherchait pour l'essentiel un avantage fiscal, mis en avant par la société Diane, cabinet de conseil en investissement financier notamment spécialisée dans l'élaboration et la mise en oeuvre de stratégies patrimoniales et la société Gesdom, société de conseil en ingénierie industrielle spécialisée dans le financement de matériels devant être exploités dans les départements et collectivités d'outre-mer.

Il n'est nullement démontré que l'attention de l'investisseur ait été attirée sur le fait que l'avantage fiscal recherché pouvait être remis en cause si la mise en production de l'équipement photovoltaïque acquis n'était pas effective au 31 décembre de l'année concernée et que cette mise en production nécessitait le raccordement de la centrale au réseau de distribution EDF. Bien au contraire, cet avantage fiscal a été présenté comme certain.

La notice annexée au dossier de souscription comporte une rubrique intitulée 'avertissement' ainsi rédigée : 'Cet investissement, comme tout investissement à caractère financier, comporte un risque pouvant engendrer la perte de tout ou partie du capital investi et, en cas d'aléas, générer des frais connexes. Il est important de souligner que la société en nom collectif est une société transparente et que les associés sont responsables des engagements de toute nature pris par la société. Il est à noter également que la défaillance d'un partenaire, d'un exploitant ou de tout autre intervenant à l'opération peut annuler ou mettre en cause la ou les destinations de l'opération'. La cour observe qu'il n'y est nullement fait état de ce que l'avantage fiscal pourrait ne pas être atteint même si les investisseurs ont respecté les obligations qui sont les leurs, comme la domiciliation en France ou la conservation des parts de la SNC durant cinq ans.

Il ne saurait être tiré argument d'un revirement de l'administration fiscale quant aux conditions d'éligibilité de l'avantage fiscal. En effet, l'article 199 undecies B se réfère expressément aux 'investissements productifs neufs' et l'instruction du 30 janvier 2007 vient préciser 'que l'année de réalisation de l'investissement s'entend de l'année au cours de laquelle l'immobilisation est créée, c'est-à-dire achevée, par l'entreprise ou lui est livrée au sens de l'article 1604 du code civil, ou est mise à disposition dans le cadre d'un contrat de crédit-bail'.

Par décisions du 26 avril 2017, le Conseil d'Etat a jugé qu'il 'résulte de la combinaison de ces dispositions que le fait générateur de la réduction d'impôt prévue à l'article 199 undecies B est la date de la création de l'immobilisation au titre de laquelle l'investissement productif a été réalisé ou de sa livraison effective dans le département d'outre-mer. Dans ce dernier cas, la date à retenir est celle à laquelle l'entreprise, disposant matériellement de l'investissement productif, peut commencer son exploitation effective et, dès lors, en retirer des revenus. Par suite, s'agissant de l'acquisition de centrales photovoltaïques installées sur les toits des habitations des particuliers et données en location à des sociétés en vue de leur exploitation pour la production et la vente d'énergie électrique, la cour n'a pas commis d'erreur de droit en jugeant que la date à retenir était celle du raccordement des installations au réseau public d'électricité, dès lors que les centrales photovoltaïques, dont la production d'électricité a vocation à être vendue par les sociétés exploitantes, ne peuvent être effectivement exploitées et par suite productives de revenus qu'à compter de cette date'. Le Conseil d'Etat a jugé que l'instruction du 30 janvier 2007 ne donnait pas une interprétation nouvelle du dispositif légal prévu à l'article 199 undecies B s'agissant du fait générateur de l'impôt.

Il incombait aux sociétés Diane et Gesdom de s'assurer de l'effectivité des installations photovoltaïques et de leur raccordement. A tout le moins, il leur appartenait de mettre en évidence sur les dossiers de souscription les conditions requises par la législation fiscale pour bénéficier de la réduction d'impôt annoncée et surtout les risques de perdre l'avantage ou de faire face à un redressement si la condition de raccordement et par suite de productivité de la centrale n'était pas remplie.

Il y a lieu de juger qu'en présentant comme certaine l'obtention d'une réduction d'impôt alors que les conditions d'octroi de cet avantage fiscal n'étaient pas réunies, en délivrant, s'agissant de Diane, une attestation fiscale erronée, les deux sociétés ont fourni à Mme [Y] des informations inexactes qui ont été de nature à la déterminer à souscrire.

Les préjudices subis

Mme [Y] fait à raison valoir que les fautes des deux sociétés ont entraîné pour elle une perte qui réside dans l'investissement effectué en vain, l'opération ne prévoyant pas le remboursement de l'investissement lequel était consommé par l'achat du matériel et les frais de montage.

Au cas présent, Mme [Y] a investi à perte puisqu'elle n'a pas eu en contrepartie la réduction d'impôt escomptée. Cette perte est définitive et il ne saurait être soutenu qu'elle pourrait être compensée par la détention des parts sociales des sociétés de portage dépourvues de valeur.

Le préjudice de Mme [Y], au titre de la perte de son investissement, s'élève donc à la somme de 13 779 euros, outre celle de 64 euros au titre des frais de dossier.

S'agissant des sommes réglées au titre du redressement fiscal, il est de principe constant qu'aucun préjudice ne peut résulter du paiement auquel un contribuable est légalement tenu, le paiement d'un impôt mis à sa charge à la suite d'un redressement fiscal ne constituant pas un dommage indemnisable. Il est toutefois admis qu'un professionnel du droit peut être condamné à prendre en charge les conséquences financières d'un redressement fiscal s'il est établi que, dûment informé, le client n'aurait pas été exposé au paiement de l'impôt rappelé ou aurait acquitté un impôt moindre. Mme [Y] échoue à faire cette démonstration.

Elle a, en revanche, subi une perte de chance de bénéficier du gain fiscal espéré, dés lors que l'investissement dépendait de divers paramètres créant un aléa. Sachant que l'opération devait lui permettre de réaliser un gain de 2 398 euros (investissement de 13 843 euros, mais réduction fiscale attendue de 16 241 euros), cette perte de chance sera évaluée à 1 670 euros.

Les préjudices matériels s'élèvent ainsi à la somme de 15 513 euros (13 779 + 64 + 1 670). Le jugement sera donc infirmé sur ce point.

Cette somme produira intérêts au taux légal à compter du 26 mai 2017, date du jugement. Les intérêts seront capitalisés dans les conditions de l'article 1343-2 du code civil.

Il n'est pas justifié en l'espèce d'un préjudice immatériel dont Mme [Y] serait fondée à demander réparation et le tribunal sera approuvé d'avoir rejeté ce chef de demande.

Sur la garantie des MMA

C'est par de justes motifs que la cour adopte que le tribunal a jugé que la police n° 112 788 909 souscrite par la Chambre nationale des conseillers en investissements financiers au profit de ses membres auprès de la société Covea Risks avait vocation à s'appliquer, étant observé que la société Gesdom comme la société Diane avaient la qualité de CIF.

Le fait pour Mme [Y] de se prévaloir devant la cour d'un contrat d'assurance souscrit auprès de Covea Risks par Diane (police 114 247 747 à laquelle s'est substituée en 2011 la police 120.137.363) dont elle n'a découvert l'existence que postérieurement au prononcé du jugement entrepris -et que l'assureur s'est abstenu d'évoquer jusqu'alors- ne peut s'analyser en une demande nouvelle, dés lors qu'il s'agit simplement pour Mme [Y] de fonder désormais ses demandes indemnitaires inchangées sur plusieurs polices d'assurances connues de l'assureur.

La police n° 114.247.747, souscrite par Diane, n'a pas vocation à s'appliquer puisqu'elle couvrait l'activité de monteur jusqu'au 31 janvier 2010.

La police n° 120.137.363, souscrite par la société Diane à effet du 1er janvier 2011, est quant à elle applicable, puisqu'il s'agit d'une police 'base réclamation' et que par application de l'article L. 124-5 du code des assurances, elle est mobilisable dés lors que le fait dommageable est antérieur à la date de résiliation ou d'expiration de la garantie et que la première réclamation est adressée à l'assuré ou à son assureur entre la prise d'effet initiale de la garantie et l'expiration d'un délai maximum de cinq ans à compter de sa date de résiliation ou d'expiration.

La police souscrite par Gesdom en 2008 et portant le numéro n° 114.247.742 a également vocation à s'appliquer.

Il convient de rappeler qu'en application de l'article L 112-6 du code des assurances l'assureur peut opposer au tiers qui invoque le bénéfice de la police les exceptions opposables au souscripteur originaire.

S'agissant de la clause excluant la garantie de l'assureur pour les dommages provenant d'une faute intentionnelle ou dolosive, la cour observe que pour inacceptable qu'elle soit au cas présent, la faute résultant du manquement à un devoir de conseil et d'information et la prise de risque que la grande négligence des sociétés Diane et Gesdom ont fait peser sur les investisseurs ne permettent pas de caractériser l'intention dolosive de ces dernières qui serait exclusive de tout aléa. La divergence d'interprétation entre les assurées et l'administration fiscale ne peut, à elle seule, suffire à établir la réalité d'un dol ou d'une faute intentionnelle, la clause d'exclusion alléguée visant une malveillance particulière ou une incompétence telle qu'elle lui serait assimilable.

La clause excluant de la garantie 'les dommages découlant d'une obligation de performances financières, fiscales ou commerciales, des produits ou services rendus, sur laquelle l'assuré se sera engagé expressément' n'a pas vocation à s'appliquer dés lors que le contrat de souscription conclu avec Mme [Y] ne contient pas d'engagement chiffré sur le montant de la réduction d'impôt susceptible d'être obtenue et que la responsabilité de Diane et de Gesdom ne résulte pas du non-respect d'une obligation de performance mais d'une faute commise à l'occasion de l'interprétation des textes applicables.

La clause excluant la garantie de l'assureur des 'conséquences de retards dans l'exécution des prestations''est par trop imprécise pour pouvoir être valablement invoquée à l'encontre de Mme [Y].

Aux termes de l'article L124-1-1 du code des assurances, constitue un sinistre tout dommage ou ensemble de dommages causés à des tiers, engageant la responsabilité de l'assuré, résultant d'un fait dommageable et ayant donné lieu à une ou plusieurs réclamations. Le fait dommageable est celui qui constitue la cause génératrice du dommage. Un ensemble de faits dommageables ayant la même cause technique est assimilé à un fait dommageable unique.

Le plafond de garantie, opposable à Mme [Y], est alors appliqué de façon globale pour l'ensemble des tiers lésés.

Mme [Y] soutient, s'agissant de la police 112.788.909, qu'aucun plafond de garantie n'est stipulé pour les activités exercées par Diane à savoir l'ingénierie financière et l'assistance à la déclaration de revenus

Cette analyse du contrat est inexacte. En effet, dans la description des activités assurées (page 3), l'activité d'ingénierie financière est associée à celle de conseil financier. Or, le plafond de garantie stipulé au contrat d'assurance de responsabilité civile est fixé à 2 500 000 euros 'par sinistre', s'agissant notamment de l'activité de conseiller en investissement financier (page 7 de la police), qui inclut donc celle d'ingénierie financière. D'ailleurs, l'attestation d'assurance délivrée le 17 février 2011 fait état de ce que la société Diane a souscrit la police 112.788.909 aux termes de laquelle la garantie accordée pour les activités de conseil en gestion de patrimoine et activités annexes telles que démarchage en produits bancaires ou financiers, intermédiaires en produits bancaires ou financiers, intermédiation en opérations de banque, conseils en investissements financiers/CIF, agent ou intermédiaire immobilier (sans maniement et détention de fonds) est plafonnée à 3 000 000 euros par sinistre, sans limite par an.

L'article L124-3 dispose que l'assureur ne peut payer à un autre que le tiers lésé tout ou partie de la somme due par lui, tant que ce tiers n'a pas été désintéressé, jusqu'à concurrence de ladite somme, des conséquences pécuniaires du fait dommageable ayant entraîné la responsabilité de l'assuré.

Il en résulte qu'un assureur, qui a connaissance de la pluralité de victimes disposant de droits sur l'indemnité d'assurance et alors qu'il existe un risque réel de dépassements de garantie en raison du cumul des demandes, ne peut payer un tiers lésé avant un autre et que le paiement se fait alors au marc l'euro et non 'au prix de la course'.

Il est constant que les MMA font l'objet de très nombreuses procédures conduites par des investisseurs se considérant comme victimes des agissements des sociétés Gesdom et Diane. Si ces demandes devaient aboutir il est possible que le plafond de garantie soit dépassé et qu'une répartition au marc l'euro doive être effectuée.

Il y a lieu en conséquence de désigner un séquestre selon les modalités précisées au dispositif de l'arrêt.

S'agissant d'un sinistre sériel, une seule franchise doit être appliquée à l'ensemble des sinistres et aucune franchise contractuelle ne saurait être appliquée individuellement à Mme [Y].

L'exercice d'une action en justice constitue en principe un droit et ne dégénère en abus que dans le cas de malice, de mauvaise foi ou d'erreur grossière équipollente au dol, étant précisé que l'appréciation inexacte qu'une partie fait de ses droits n'est pas en soi constitutive d'une faute.

En l'espèce, compte tenu du sens de la présente décision qui a notamment fait droit à la demande de séquestre formée par les MMA, Mme [Y] est mal fondée à soutenir que les appelantes auraient commis un abus en interjetant appel du jugement. Elle sera donc déboutée de sa demande de dommages-intérêts pour procédure abusive.

Le jugement sera confirmé en ses dispositions relatives à l'indemnité de procédure et aux dépens.

En remboursement de ses frais irrépétibles d'appel, il sera alloué à Mme [Y] la somme de 3 000 euros.

Les MMA, qui succombent, seront condamnées aux dépens d'appel avec recouvrement direct.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Infirme le jugement en ce qu'il a fixé à la somme de 14 000 euros la condamnation des sociétés MMA Iard et MMA Iard Assurances Mutuelles en réparation du préjudice matériel de Mme [V] [Y] et en ce qu'il a rejeté la demande de séquestre,

Le confirme en ses autres dispositions,

Statuant à nouveau du chef infirmé :

Condamne les sociétés MMA Iard et MMA Iard Assurances Mutuelles à payer à Mme [V] [Y] la somme de 15 513 euros en réparation de son préjudice financier,

Dit que cette somme produira intérêts au taux légal à compter du 26 mai 2017,

Dit que les intérêts seront capitalisés dans les conditions de l'article 1343-2 du code civil,

Désigne la Caisse des dépôts et consignations comme séquestre, avec pour mission de conserver les fonds alloués et garantis par les assureurs (15 513 euros) dans l'attente des décisions définitives tranchant les réclamations formées à l'encontre des sociétés Diane et Gesdom dans lesquelles le dommage a la même cause, sans que cette conservation ne puisse excéder 5 ans à compter de la date à laquelle le présent arrêt deviendra définitif,

Rejette les autres demandes formées par Mme [V] [Y],

Y ajoutant :

Rejette la demande de dommages-intérêts pour procédure abusive formée par Mme [V] [Y],

Condamne in solidum les sociétés MMA Iard et MMA Iard Assurances Mutuelles à payer à Mme [V] [Y] la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne in solidum les sociétés MMA Iard et MMA Iard Assurances Mutuelles aux dépens d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Madame Véronique BOISSELET, Président et par Madame Lise BESSON, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le Greffier,Le Président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 3e chambre
Numéro d'arrêt : 17/04407
Date de la décision : 10/01/2019

Références :

Cour d'appel de Versailles 03, arrêt n°17/04407 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2019-01-10;17.04407 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award