COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 62B
3e chambre
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 13 DECEMBRE 2018
N° RG 17/02722
N° Portalis DBV3-V-B7B-ROCS
AFFAIRE :
[F] [B]
...
C/
[H], [O] [S]
...
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 20 Février 2017 par le Tribunal de Grande Instance de PONTOISE
N° Chambre : 2
N° RG : 14/04334
Expéditions exécutoires
Expéditions
Copies
délivrées le :
à :
Me Caroline VARELA
Me Candice TROMBONE de la SELARL CR ASSOCIES
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE TREIZE DECEMBRE DEUX MILLE DIX HUIT,
La cour d'appel de Versailles, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
1/ Monsieur [F] [B]
né le [Date naissance 1] 1968 à [Localité 1]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
2/ Madame [Q] [W] [C] épouse [B]
née le [Date naissance 2] 1970 à [Localité 2]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
Représentant : Me Caroline VARELA, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 282
Représentant : Me Dimitri PINCENT, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : A0322
APPELANTS
****************
1/ Monsieur [H], [O] [S]
né le [Date naissance 3] 1955 à [Localité 3]
de nationalité Française
[Adresse 1]
[Adresse 1]
2/ Madame [S] [S] née [N]
née le [Date naissance 3] 1967 à [Localité 4]
de nationalité Française
[Adresse 1]
[Adresse 1]
Représentant : Me Candice TROMBONE de la SELARL CR ASSOCIES, Postulant et Plaidant, avocat au barreau du VAL D'OISE, vestiaire : 241
INTIMES
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l'article 786 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 22 Octobre 2018 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Caroline DERNIAUX, Conseiller chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Véronique BOISSELET, Président,
Madame Françoise BAZET, Conseiller,
Madame Caroline DERNIAUX, Conseiller,
Greffier, lors des débats : Madame Lise BESSON,
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FAITS ET PROCÉDURE
M. et Mme [B] sont propriétaires d'une maison sise [Adresse 2], cadastrée n° [Cadastre 1], section AZ ainsi que d'un terrain cadastré n° [Cadastre 2], section AZ.
M. et Mme [S] sont propriétaires d'une maison sise également [Adresse 2], cadastrée n° [Cadastre 3], section AZ. Le terrain de ces derniers est enserré entre les deux parcelles de M et Mme [B].
Le 8 mars 2007, les époux [S] ont obtenu un permis de construire afin de réaliser une extension.
Le 5 novembre 2012, un huissier de justice est venu constater un glissement du sol et un trou dans le jardin de M et Mme [B] en limite de propriété entre les parcelles AZ n° [Cadastre 1] et AZ n° [Cadastre 3].
Par ordonnance de référé du 21 mai 2013, le tribunal de grande instance de Pontoise a ordonné l'interruption immédiate des travaux de construction des époux [S], sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard à compter de la signification de la décision, le permis de construire étant manifestement périmé et ordonné une mesure d'expertise, désignant à cet effet M. [M] qui a déposé son rapport le 4 novembre 2013.
Parallèlement, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a, par ordonnance du 12 septembre 2013, rejeté la requête des époux [B] de suspension des décisions implicites par lesquelles le maire d'Argenteuil a rejeté leurs demandes des 9 et 11 avril 2013 tendant à voir constater la péremption du permis de construire. Cette ordonnance précise que l'urgence n'est pas avérée mais qu'il est constant que le permis de construire est désormais périmé.
Par jugement du 14 janvier 2016, le tribunal d'instance de Sannois a fixé la limite séparative des fonds cadastrés section AZ n° [Cadastre 1], [Cadastre 3] et [Cadastre 2] selon les conclusions de M. [A], expert géomètre, suivant le plan annexé à la décision.
Le 30 avril 2014 M et Mme [B] ont assigné M. et Mme [S] devant le tribunal de grande instance de Pontoise afin d'être indemnisés du préjudice causé par le glissement de terrain.
Par jugement du 20 février 2017, le tribunal a :
condamné in solidum M. et Mme [S] à verser à M. et Mme [B] la somme de 876 euros à titre de dommages-intérêts pour le préjudice matériel,
condamné in solidum M. et Mme [S] à verser à M. et Mme [B] la somme de 1 000 euros à titre de dommages-intérêts pour le préjudice de jouissance,
débouté M. et Mme [S] de leur demande de dommages-intérêts,
condamné M. et Mme [S] à verser à M. et Mme [B] la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens.
Par acte du 3 avril 2017, M. et Mme [B] ont interjeté appel et, aux termes de conclusions du 10 octobre 2018, demandent à la cour de :
écarter des débats les attestations irrégulières produites par les consorts [S],
débouter les consorts [S] de leur appel incident et de l'intégralité de leurs demandes irrecevables et mal fondées,
confirmer le jugement rendu en ce qu'il a retenu le principe de responsabilité civile des consorts [S] consécutivement au glissement de sol et les a condamnés au paiement des frais irrépétibles et aux dépens,
infirmer le jugement rendu en ce qu'il a limité le montant de leur préjudice matériel à la somme de 847 euros et leur préjudice matériel pour trouble de jouissance à la somme de 1 000 euros,
condamner in solidum M. et Mme [S] à leur payer la somme de 4 022,22 euros de dommages-intérêts au titre de leur préjudice matériel et la somme de 9 500 euros de dommages-intérêts au titre de leur préjudice moral pour trouble de jouissance,
condamner M. et Mme [S] au paiement de la somme de 4 000 euros au titre des frais irrépétibles d'appel, ainsi qu'aux dépens comprenant les frais d'expertise.
Par dernières écritures du 8 octobre 2018, M. et Mme [S] demandent à la cour de :
infirmer le jugement entrepris dans toutes ses dispositions,
débouter les consorts [B] de l'ensemble de leurs demandes,
dire que les consorts [B] ne pouvaient légitimement prendre possession de la parcelle [Cadastre 4], citée dans l'acte d'échange du 21 juillet 1928, cette bande de terre revenant aux consorts [S],
juger que les consorts [B] ont concouru au glissement de terre survenu en novembre 2012 en procédant à la vidange des eaux usées de leur piscine hors sol directement sur leur terrain, près des travaux effectués par eux de sorte que leur responsabilité ne saurait être établie,
juger que les plantations situées sur la zone sinistrée ont été plantées au mépris des dispositions de l'article 671 du code civil, de sorte que leur disparition ne saurait donner lieu à indemnisation d'un quelconque préjudice matériel au profit des consorts [B],
juger que l'accès au jardin extérieur des consorts [B] n'est pas seulement limité par l'intérieur de leur maison, mais peut également être effectué par l'accès latéral extérieur, de sorte qu'ils ne sauraient faire valoir l'existence d'un quelconque préjudice de jouissance,
à titre subsidiaire, fixer le quantum du préjudice matériel des consorts [B] à la somme de 150 euros et le quantum de leur préjudice de jouissance à la somme de 500 euros,
en tout état de cause, condamner solidairement les consorts [B] à leur verser la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens.
La cour renvoie aux écritures des parties en application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile pour un exposé complet de leur argumentation.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 11 octobre 2018.
SUR QUOI, LA COUR
Le tribunal a retenu pour l'essentiel que :
les époux [S] ont commis une faute de nature à engager leur responsabilité délictuelle,
l'effondrement ne s'étend que sur 3 à 4 mètres comme l'indique l'expert et l'huissier n'a noté que la présence d'un rosier sur la zone sinistrée,
il ressort du rapport d'expertise que les époux [B] ne peuvent pas accéder au jardin arrière par l'extérieur et doivent passer par l'intérieur de la maison mais que l'accès latéral de la maison pour accéder au jardin a été condamné alors que la protection du vide ne nécessitait pas de condamner totalement l'accès et le préjudice de jouissance est moindre en période hivernale.
L'expert a indiqué sans être utilement critiqué que la fouille que M. [S] a réalisée (l'intéressé ayant en effet indiqué à l'expert qu'il l'avait en grande partie réalisée lui-même pendant ses week-end) a été blindée de manière illusoire et totalement inefficace et il est d'ailleurs probable que ce blindage n'a été mis en place qu'à la suite de l'effondrement partiel en tête du front de fouille. Il a constaté que cette fouille avait créé chez M. et Mme [B] un trou le long de la clôture sur environ 3 à 4 mètres de long, 40 à 50 cm de largeur et jusqu'à 80 cm de profondeur, l'espace entre la maison et cette clôture, le long de la cavité, a été condamné.
M. et Mme [S] consacrent de longs développements au fait que la limite séparative des fonds ne serait pas située là où elle était matérialisée par la clôture et que par suite l'éboulement dont se plaignent M. et Mme [B] n'atteindrait en réalité pas leur fonds mais serait limité au leur. Ces arguments sont dépourvus de toute portée dès lors que le jugement du tribunal d'instance de Sannois du 14 janvier 2016 a homologué le rapport d'expertise établi par M. [A] le 13 mars 2015 qui fixe la limite séparative des fonds AZ [Cadastre 1], [Cadastre 3] et [Cadastre 2] selon un plan annexé au procès-verbal d'arpentage et de délimitation des propriétés, et que cette décision est définitive nonobstant les appels par deux fois interjetés par M. et Mme [S] et déclarés l'un et l'autre caducs par décision du conseiller de la mise en état du 1er décembre 2016 et par arrêt de cette cour du 23 janvier 2018.
M. et Mme [S] invoquent, pour la première fois en cause d'appel, le fait que l'éboulement survenu chez les [B] leur serait en réalité imputable puisqu'il serait survenu alors qu'ils avaient vidangé leur piscine hors sol de 15m3, en déversant l'eau sur le fonds [S].
Il est tout à fait surprenant que M. et Mme [S] n'aient pas songé à signaler cet événement à l'expert, M. [M]. Il est également troublant qu'ils n'aient déposé aucune pièce devant le tribunal. Il est, enfin, presque déloyal qu'ils aient attendu le 8 octobre 2018, alors que la clôture était fixée au 11 octobre pour accréditer leur propos en produisant des attestations listées sous les n° 5 et 6, témoignages qui auraient été établis les 17 mai 2013 et 27 juin 2013.
Il n'y a pas lieu d'écarter des débats les 'attestations irrégulières', ainsi qu'imprécisément désignées par les appelants, ces derniers ayant été à même d'y répondre malgré leur production tardive et leur éventuelle irrégularité au regard des exigences du code de procédure civile ne justifiant pas leur retrait des débats, la cour étant souveraine pour en apprécier la valeur probante.
Outre que ces témoignages ont été datés par la même personne qui n'est pas le scripteur de l'attestation, ils ne sont pas conformes aux dispositions de l'article 202 du code de procédure civile puisqu'il n'y est fait aucune référence à leur production en justice et au risque pour leur auteur d'être l'objet de sanctions pénales en cas de faux. En tout état de cause, ils ne sauraient en aucun cas être pris en considération au regard de leur communication plus que tardive alors que M. et Mme [S] ont participé aux opérations d'expertise sans jamais évoquer la vidange de la piscine comme pouvant être à l'origine de l'effondrement des terres.
S'agissant de la pièce n° 7, à savoir une attestation versée par M. et Mme [S] le 8 octobre 2018 également, elle n'est pas non plus conforme aux dispositions du code de procédure civile pour les mêmes raisons que celles précédemment évoquées et est ainsi dépourvue de toute portée probante. Le témoignage porte en outre sur un fait ne présentant pas d'intérêt pour la résolution de ce litige.
Il apparaît donc que M. et Mme [S] n'ont pas le moindre argument utile à invoquer pour contester la mise en cause de leur responsabilité dans l'éboulement subi par M. et Mme [B].
L'appel de M. et Mme [B] porte sur l'évaluation de leurs préjudices dont ils considèrent que le tribunal les a sous-évalués.
S'agissant du préjudice matériel caractérisé par la mise en place de terre pour combler le trou et l'achat de plantations pour remplacer celles qui ont été perdues, le devis produit par les appelants est manifestement sur-évalué comme l'a déjà noté l'expert, M. et Mme [B] prétendant replanter sur une bande de 3 à 4 mètres de long un rosier Pierre de Ronsard à 250 euros, une clématite à 55 euros, vingt sedum à 5 euros, 6 hortensias à 45 euros pièces et un camelia à 180 euros, outre 4 sachets de bulbes à 45 euros pièce. Les prix et le nombre de plantations sont exagérés.
Les photographies produites par les appelantes révèlent toutefois que l'endroit était bien fleuri et que s'y trouvait manifestement plus d'un rosier.
D'ailleurs, si l'huissier venu sur place n'a certes noté que la présence d'un rosier sur la zone sinistrée, cela ne signifie pas qu'il s'agissait de la seule plantation existante, les autres végétaux ayant parfaitement pu glisser dans le trou lorsque les terres se sont effondrées.
M. et Mme [S] dénient tout droit à M. et Mme [B] au titre du remplacement de leur rosier au motif qu'il ne devait pas être planté à plus de 50 cm de la limite séparative en application des dispositions de l'article 671 du code civil, texte violé par les premiers juges.
Cet argument est particulièrement mal fondé.
En effet, l'article 671 du code civil mérite d'être cité en entier puisqu'il prévoit que 'les arbres, arbustes et abrisseaux de toute espèce peuvent être plantés en espaliers, de chaque côté, sans que l'on soit tenu d'observer aucune distance, mais ils ne pourront dépasser la crête du mur', en sorte que la plantation du rosier, voire d'autres plantes, est légitime dès lors qu'elle ne dépasse pas le mur.
Par ailleurs, des usages particuliers, propres à Paris intramuros et à la banlieue parisienne, sont reconnus par les juridictions, et consacrent une dérogation aux distances prescrites par l'article 671 du code civil en sorte qu'il est possible en ces lieux de planter des végétaux en limite de propriété, dès lors qu'ils ne constituent pas une gêne excessive pour les voisins.
En conséquence M. et Mme [B] sont bien fondés à solliciter la remise en état de cette bande de plantations.
Si le devis qu'ils ont produit est surévalué (4 022,20 euros), la somme que leur a allouée le tribunal, soit 876 euros correspondant au coût du remplacement du rosier (350 euros), au coût de la terre végétale pour combler le trou (480 euros) et à 2h de main d'oeuvre (96 euros), est insuffisante.
Les protestations de M. et Mme [S], qui offrent de verser la somme de 150 euros (dont l'expert a souligné le caractère manifestement sous-évalué), sur le fait qu'il est inutile de mettre de la terre végétale dans l'éboulement qu'ils ont eux mêmes causé sont dénuées de toute pertinence, dès lors qu'il est acquis que cette bande de terrain était pourvue de belles plantations fleuries et qu'il est bien normal d'y remettre une terre adaptée à cette destination.
Compte tenu de l'ensemble de ces éléments, il sera alloué à M. et Mme [B], en réparation de leur préjudice matériel, la somme de 2 000 euros.
S'agissant du préjudice de jouissance, M. et Mme [B] ne pouvaient plus accéder au jardin arrière par l'extérieur et devaient passer par l'intérieur de la maison. Il est cependant exact que l'expert a indiqué qu'ils avaient condamné l'accès latéral de la maison pour accéder au jardin, alors que la protection du vide ne nécessitait pas de condamner totalement l'accès.
Il n'en demeure pas moins qu'ils ont subi un préjudice de jouissance du fait de l'accès limité à leur jardin et ce de novembre 2012 jusqu'à septembre 2013, qui justifie l'allocation d'une somme de 2 000 euros.
Le rejet, par le tribunal, de la demande de dommages-intérêts formée par M. et Mme [S] pour procédure abusive n'est pas critiqué et sera dès lors confirmé.
Le jugement sera confirmé en ses dispositions relatives aux dépens (qui incluent les frais d'expertise) et frais de procédure.
Succombant en appel, M. et Mme [S] seront condamnés aux dépens y afférents et verseront en outre une somme de 2 000 euros à M. et Mme [B] au titre des frais irrépétibles exposés en appel.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Dit n'y avoir lieu d'écarter des débats les pièces communiquées le 8 octobre 2018 par M. et Mme [S],
Infirme le jugement s'agissant des sommes allouées à M. et Mme [B] en réparation de leurs préjudice matériel et préjudice de jouissance,
Le confirme en ses autres dispositions,
Statuant à nouveau des chefs infirmés :
Condamne in solidum M. et Mme [S] à verser à M. et Mme [B] la somme de 2 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de leur préjudice matériel et celle de 2 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de leur préjudice de jouissance,
Y ajoutant :
Condamne in solidum M. et Mme [S] aux dépens d'appel,
Condamne in solidum M. et Mme [S] à payer à M. et Mme [B] la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame Véronique BOISSELET, Président et par Madame Lise BESSON, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier,Le Président,