COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 88G
5e Chambre
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 06 DECEMBRE 2018
N° RG 17/04736 - N° Portalis DBV3-V-B7B-R3PJ
AFFAIRE :
Etablissement Public CAISSE NATIONALE DE RETRAITES DES AGENTS DES COLLE CTIVITES LOCALES
C/
Madeleine D...
Décision déférée à la cour: Jugement rendu(e) le 08 Septembre 2017 par le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de chartres
N° RG : 2015-411
Copies exécutoires délivrées à :
la X... - GENIQUE
la AARPI F... E... Y... Z...
Copies certifiées conformes délivrées à :
Etablissement Public CAISSE NATIONALE DE RETRAITES DES AGENTS DES COLLE CTIVITES LOCALES
Madeleine D...
le :
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LE SIX DECEMBRE DEUX MILLE DIX HUIT,
La cour d'appel de VERSAILLES, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre:
Etablissement Public CAISSE NATIONALE DE RETRAITES DES AGENTS DES COLLE CTIVITES LOCALES
rue du Vergne - TSA 20006
[...]
représentée par Me Philippe A... de la X... - GENIQUE, avocat au barreau de CHARTRES, vestiaire : 000035
APPELANTE
****************
Madame Madeleine D...
[...]
représentée par Me Isabelle Y... G... F... E... Y... Z..., avocat au barreau de CHARTRES, vestiaire : 000002
INTIMEE
****************
Composition de la cour :
L'affaire a été débattue le 11 Octobre 2018, en audience publique, devant la cour composée de :
Monsieur Olivier FOURMY, Président,
Madame Carine TASMADJIAN, Conseiller,
Madame Caroline B..., Vice président placée,
qui en ont délibéré,
Greffier, lors des débats : Madame Florence PURTAS
Mme Madeleine C..., épouse D... (ci-après, Mme D...) est née le [...]. Elle est retraitée et demeure à Arrou (28).
Elle est la veuve de Pierre D..., qui était agent de la fonction publique territoriale, plus précisément agent communal, décédé [...].
Mme D... a bénéficié de la pension de réversion de Pierre D....
Dans le courant de l'année 2015, la caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales (ci-après, la 'Caisse' ou la 'CNRACL) a effectué un contrôle, dans le cadre duquel Mme D... a indiqué qu'elle vivait en concubinage depuis plusieurs années, en l'espèce depuis le 1erjuin1997.
La Caisse lui a alors indiqué, par courrier du 28 août 2015, que cette situation lui faisait perdre le bénéfice de la pension de réversion et lui réclamait le remboursement d'un indu d'un montant de 86099,85euros, pour la période du 1er juin 1997 au 31 juillet 2015.
Mme D... a contesté cette décision devant le tribunal des affaires de sécurité sociale de Chartres (ci-après, le 'TASS'), qui par jugement en date du 8 septembre 2017, a:
. rejeté l'exception d'incompétence soulevée par la Caisse;
. dit que la prescription était acquise pour la période antérieure au 28 août 2010;
. déclaré Mme D... redevable du trop-perçu de la pension de réversion servie sur la période du 28 août 2010 au 31 juillet 2015;
. dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile.
La CNRACL a relevé appel de cette décision, par RPVA (RG 17/04736) et par lettre (RG 17/04747).
Devant la cour, la Caisse maintient son exception d'incompétence et demande à la cour de:
. infirmer le jugement en toutes ses dispositions;
. se déclarer incompétent au profit du tribunal administratif d'Orléans;
Subsidiairement,
. dire et juger que Mme D... est redevable des prestations indument versées pendant la période du 1er janvier 1997 au 31 juillet 2015;
. condamner en conséquence Mme D... à lui payer la somme de 86099,85euros;
. condamner en outre Mme D... à lui payer la somme de 1200euros «à titre d'indemnité pour frais non compris dans les dépens», ainsi qu'en tous les dépens.
Mme D... sollicite pour sa part la cour de:
. débouter la Caisse de son appel;
. confirmer la décision entreprise en ce qu'elle a rejeté l'exception d'incompétence soulevée par la Caisse et retenu la compétence du TASS;
. constater que l'action en répétition de l'indu introduite par la CNRACL par décision du 28août2015 est prescrite à la date du 4 septembre 2010; en conséquence,
. dire et juger que Mme D... ne peut être redevable au titre de la pension de réversion indument versée que pour la période courant entre le 4 septembre 2010 et le 31 juillet 2015,
. condamner la CNACRL à payer la somme de 3000euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Vu les conclusions déposées, tant pour la CNRACL que pour Mme D..., ainsi que les pièces y afférentes respectivement, auxquelles la cour se réfère expressément, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, pour plus ample exposé des moyens et prétentions des parties,
Vu les explications et les observations orales des parties à l'audience du 11 octobre 2018,
MOTIFS
Sur la jonction
L'appel de la Caisse, formé à la fois par lettre et par RPVA, a été enregistré sous les références, respectivement, RG 17/04736 et RG 17/04747.
Les parties s'accordent avec la cour qu'il est d'une bonne administration de la justice de joindre les procédures, ce qui sera fait sous la référence RG 17/04736.
Sur l'exception d'incompétence
La Caisse fait notamment valoir qu'il résulte de l'article L. 142-1 du code de la sécurité sociale que le TASS règle les différends auxquels donnent lieu l'application des législations et règlementations de sécurité sociale et de mutualité sociale agricole, «et qui ne relèvent pas, par leur nature, d'un autre contentieux»; qu'en l'espèce, le litige porte sur le remboursement des arrérages d'une pension de réversion indument perçue par Mme D..., veuve de Pierre D..., qui était relevait des dispositions de l'article 2 de la loi n°84-53 du 26 janvier 1984 relative à la fonction publique territoriale.
La Caisse ajoute que l'article 1er du décret n°65-773 du 9septembre 1965, portant règlement d'administration publique et modifiant le décret n°49-1416 du 5octobre pris pour l'application de l'article 3 de l'ordonnance n°45-993 du 17 mai 1945 et relatif au régime de retraite des tributaires de la CNRACL précise que les «dispositions du présent décret s'appliquent aux fonctionnaires mentionnés à l'article 1er du décret du 19septembre 1947 susvisé et à leurs ayants cause» (souligné par la cour); que celui-ci énonce que sont «obligatoirement affiliés à (la Caisse') les agents' des communes.. investis d'un emploi permanent»; que Pierre D... a été affilié à la CNRACL en sa qualité de fonctionnaire territorial et a ainsi acquis des droits à pension auprès de ce régime.
Mme D... a perçu une pension de réversion sur le fondement de l'article 35 du décret du 9septembre 1965 et que cette pension «est sans conteste un avantage statutaire».
La Caisse relève également qu'en vertu de l'article R. 312-13 du code de la justice administrative, «les litiges relatifs aux pensions des agents des collectivités locales relèvent du tribunal administratif dans le ressort duquel est situé le siège de la personne publique dont l'agent intéressé relevait au moment de sa mise à la retraite».
Enfin, l'article 59 III du décret n°2003-1306 du 26décembre 2003 relatif aux fonctionnaires affiliés à la Caisse dispose que «la restitution des sommes payées indûment au titre des pensions, de leurs accessoires, d'avances provisoires sur pensions, attribués en application des dispositions du présent décret est réglé conformément aux dispositions de l'article L 93 du Code des Pensions Civiles et Militaires de Retraite».
Pour la Caisse, il «ne s'agit donc pas d'appliquer les 'législations et règlementations de sécurité sociale''».
Mme D... soutient en particulier, pour sa part, que la pension de réversion qui lui a été servie ne constitue pas un avantage 'statutaire' lié au seul statut de son défunt mari mais «bien une prestation de sécurité sociale», s'agissant du droit accordé au conjoint survivant d'une personne décédée du droit à la retraite que ladite personne aurait dû percevoir. Il «s'agit d'un droit consacré au conjoint survivant de manière générale».
Au demeurant, dans la décision notifiée le 28 août 2015, la Caisse indiquait elle-même que la juridiction compétente était le TASS.
Le régime spécial de sécurité sociale de la Caisse est, au sens de l'article 711-1 du code de la sécurité sociale, un régime spécial qui relève du contentieux de la sécurité sociale.
De plus, le «litige relatif à une demande de restitution de l'indu sur le droit à réversion découlant du régime de retraite du fonctionnaire décédé ne rentre pas dans le champ des exclusions de compétence de l'article L. 142-3 du Code de la Sécurité Sociale».
Sur ce
La cour ne peut que constater que la lettre du 28 août 2015, par laquelle la Caisse a réclamé à Mme D... le remboursement d'un indu de plus de 80000euros mentionne effectivement qu'elle peut contester cette décision devant le tribunal des affaires de sécurité sociale et non devant le tribunal administratif.
Pour surprenante qu'elle soit, dès lors que la Caisse soutient la compétence de la juridiction administrative, cette mention n'est pas de nature à créer un droit en faveur de MmeD... et il appartient à la cour d'examiner, comme le tribunal l'a fait, quelle est la juridiction compétente.
Aux termes de l'article L. 142-1 du code de la sécurité sociale, il est institué une organisation du contentieux de la sécurité sociale, qui règle les différends auxquels donner lieu l'application des législations et règlementations de sécurité sociale (et de mutualité sociale agricole) qui ne relèvent pas, par leur nature, d'un autre contentieux.
En l'espèce, le différend ne porte pas sur la qualité d'agent territorial de Pierre D.... Le litige ne porte pas davantage sur le droit à pension de Pierre D... auprès de la Caisse, ni sur le montant de ce droit, ni même sur la question de savoir si Mme D... pouvait, en principe, bénéficier d'une pension de réversion de la Caisse, à laquelle Pierre D... était affilié en sa qualité d'agent territorial.
Il porte exclusivement sur la question de savoir si Mme D..., compte tenu de sa situation personnelle, pouvait bénéficier / continuer de bénéficier d'une pension de réversion.
En d'autres termes, aucune question statutaire ne se pose.
La décision prise par la Caisse est une simple décision de gestion et la contestation soulevée par Mme D... est exclusivement fondée sur les droits qu'elle estime tenir de sa qualité d'assurée sociale.
Le litige relève donc de la compétence des juridictions du contentieux général de la sécurité sociale.
Le jugement sera confirmé, qui a retenu la compétence de la juridiction de sécurité sociale.
Sur le fond
La Caisse soutient que le TASS a fait une interprétation erronée de la règle posée par l'article 2224 du code civil, selon lequel les actions mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer: la Caisse avait jusqu'au 18 juin 2020 pour agir en répétition de l'indu.
En tout état de cause, les dispositions de l'article L 93 du code des pensions civiles et militaires de retraite, visent non seulement le cas de la fraude mais également l'omission ou la déclaration inexacte ou de mauvaise foi de la part du bénéficiaire. Or, il est constant que Mme D... a omis d'informer la caisse «de sa vie maritale avec un tiers».
La Caisse est donc fondée à demander le remboursement des prestations indument versées depuis la date à laquelle Mme D... a reconnu vivre en concubinage, soit le 1er janvier 1997.
Mme D... souligne, pour sa part, que la lettre de la Caisse lui réclamant l'indu est datée du 28 août 2015 et qu'elle l'a reçue le 4 septembre 2015 (cachet de la poste du 31août 2015) mais qu'au demeurant, elle n'avait «jamais été informée des dispositions de l'article 47 du décret 1306 de 2003» (en gras et souligné dans l'original des conclusions). Au demeurant, les obligations posées par ce décret sont postérieures au décès de Pierre D... et même postérieures à la date à laquelle Mme D... a commencé de vivre en concubinage.
Mme D... considère ainsi que le point de départ de la prescription de cinq ans ne peut être calculée que par rapport à la date à laquelle elle a reçu la correspondance de la Caisse, soit le 4septembre 2015. Toute demande de la Caisse de condamnation à restituer est donc prescrite pour toute la période antérieure au 4 septembre 2010.
Sur ce
La circonstance que l'article L. 93 du code des pensions civiles et militaires de retraite prévoit que «(s)auf le cas de fraude, omission, déclaration inexacte ou de mauvaise foi de la part du bénéficiaire, la restitution des sommes payés indûment au titre des pensions, de leurs accessoires ou d'avances provisoires sur pension, (') ne peut être exigée que pour celles de ces sommes correspondant aux arrérages afférents à l'année au cours de laquelle le trop-perçu a été constaté et aux trois années antérieures» n'a pas pour effet de permettre à la Caisse de réclamer à MmeD... un indu depuis 1997, quand bien même il n'est pas contesté que c'est à cette date que Mme D... a commencé de vivre en concubinage, qu'elle ne l'a pas signalé (ni alors ni jusqu'en 2015) à la Caisse et qu'il s'agit d'une omission au sens du texte précité.
Ce texte permettait exclusivement à la Caisse de ne pas devoir se limiter à la réclamation d'un indu pour l'année en cours et les trois années antérieures.
Ce texte résulte des dispositions du 26 décembre 2003, époque à laquelle les dispositions du code civil en matière d'actions personnelles ou mobilières la rendaient plus particulièrement intéressante.
Mais, l'article 2277 du code civil a été modifié par la loi du 17 juin 2008, pour devenir l'article 2224 du même code, lequel dispose que ces actions se prescrivent par cinq ans.
La prescription doit être calculée à partir du moment où la décision de la Caisse a été portée à la connaissance de Mme D....
Celle-ci indique avoir reçu le courrier de réclamation de la Caisse le 4 septembre 2015 et rien ne permet de remettre en cause cette date.
Mme D... ne conteste pas, par ailleurs, que sa situation personnelle, depuis le 1er janvier 1997, ne lui permettait plus de percevoir la pension de réversion et la circonstance que la Caisse ne l'aurait pas avertie de l'obligation d'informer de tout changement de situation est inopérante dès lors que Mme D... ne peut prétendre ignorer que la pension de réversion est soumise à diverses conditions, notamment des conditions de ressources, celles d'un nouveau conjoint, concubin ou partenaire civil devant être prises en compte.
Le jugement sera donc confirmé dans son principe et précisé pour dire que Mme D... doit rembourser à la CNRACL le montant des sommes indument perçues depuis le 4septembre 2010.
Sur l'article 700 du code de procédure civile
L'équité commande de condamner la Caisse à payer à Mme D... une somme de 1500euros, pour l'ensemble de la procédure, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Aucune considération d'équité ne conduit à condamner Mme D... à payer à la CNRACL une indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
La cour devra rappeler que la présente procédure est exempte de dépens.
PAR CES MOTIFS
La cour, après en avoir délibéré, statuant publiquement par décision contradictoire,
Ordonne la jonction des procédures RG 17/04736 et RG 17/04747 sous la seule référence RG17/04736;
Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions, sauf en ce qui concerne la date à partir de laquelle Mme Madeleine C... doit rembourser les sommes indument perçues au titre de la pension de réversion de Pierre D...;
Statuant à nouveau sur ce point et y ajoutant,
Décide que Mme Madeleine C... est redevable du trop-perçu de la pension de réversion de Pierre D... servie sur la période du 4 septembre 2010 au 31 juillet 2015;
Rappelle que la présente procédure est exempte de dépens;
Condamne la caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales à payer à MmeMadeleine C... une indemnité d'un montant de 1500euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile;
Déboute la caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales de sa demande d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile;
Déboute les parties de toute autre demande plus ample ou contraire;
Prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Signé par Monsieur Olivier Fourmy, Président, et par Madame Florence Purtas, Greffier auquel le magistrat signataire a rendu la minute.
Le GREFFIER, Le PRÉSIDENT,