COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
VM
Code nac : 36E
12e chambre
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 27 NOVEMBRE 2018
N° RG 18/05129 - N° Portalis DBV3-V-B7C-SQ4S
AFFAIRE :
[Z] [U]
C/
[P] [H]
...
Décision déférée à la cour : Jugement rendu(e) le 05 Juillet 2018 par le Tribunal de Commerce de PONTOISE
N° Chambre :
N° Section :
N° RG : 2017F00724
Expéditions exécutoires
Expéditions
Copies
délivrées le :
à :
Me Martine DUPUIS
Me Mélina PEDROLETTI,
Me Anne-laure DUMEAU,
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE VINGT SEPT NOVEMBRE DEUX MILLE DIX HUIT,
La cour d'appel de Versailles, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
Monsieur [Z] [U]
[Adresse 1]
[Adresse 2]
Représentant : Me Martine DUPUIS de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 625 - N° du dossier 1860114 - Représentant : Me Jennifer VILLARD, Plaidant, avocat au barreau de HAUTS-DE-SEINE, vestiaire : E1752
APPELANT
****************
Monsieur [P] [H]
[Adresse 3]
[Adresse 4]
Représentant : Me Mélina PEDROLETTI, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : V 626 - N° du dossier 18000243
Représentant : Me Michel AYACHE de la SCP AyacheSalama, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P0334 -
SAS LABORATOIRES PRODENE KLINT 'LPK'
N° SIRET : 738 200 716
[Adresse 5]
[Adresse 5]
[Localité 1]
Représentant : Me Anne-laure DUMEAU, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 628 - N° du dossier 42413
Représentant : Me David MEAS, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : D0705 -
INTIMES
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Composition de la cour :
En application des dispositions de l'article 786 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 18 Octobre 2018 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Mme Véronique MULLER, Conseiller chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Thérèse ANDRIEU, Président,
Monsieur Denis ARDISSON, Conseiller,
Mme Véronique MULLER, Conseiller,
Greffier, lors des débats : Monsieur Alexandre GAVACHE,
EXPOSÉ DU LITIGE
La société Laboratoires Prodene Klint (ci-après société LPK ) a pour activité la fabrication de cosmétiques, biocides, dispositifs médicaux et détergents. Elle exerce son activité sur trois sites industriels dont deux en Seine et Marne, et l'un en Haute Savoie. Elle est soumise à la réglementation environnementale, ainsi qu'à la réglementation sur les installations classées.
Jusqu'en 2014, la société LPK était détenue à 100% par la société Eva laquelle avait pour actionnaire unique la société Eva Holding.
M.[P] [H] était le président des sociétés Eva et Eva Holding et M [Z] [U] en était le directeur général.
Par acte du 20 décembre 2013, les actionnaires de la société Eva Holding, à savoir les sociétés Omega Holdings, Apache, Middle Market Fund IV, Financière Antheor, et M. [K] :
- se sont engagés à céder leurs actions à la société américaine Gojo Industries Inc;
- ont en même temps consenti à la société Gojo Industries Inc une garantie de passif, laquelle expirait au 31 décembre 2016.
Par avenant du 19 janvier 2014, la société Gojo Industries s'est faite substituer par la société GJF Holding, laquelle a donc acquis l'ensemble des actions de la société Eva Holding qui a ensuite été absorbée par la société GJF Holding par fusion-absorption.
En janvier 2016, M.[P] [H] a été remplacé par M.[A] [E] au poste de président de la société LPK.
En avril 2016, la société LPK a licencié M. [U] pour faute grave, au motif notamment du non respect de certaines réglementations environnementales. Ses mandats sociaux ont également été révoqués. Par jugement du 18 juin 2018, dont la société LPK a toutefois interjeté appel, le conseil de prud'hommes de Meaux (77) a considéré que le licenciement avait été prononcé sans cause réelle ni sérieuse.
Entre les mois de mai et décembre 2016, la société GJF Holding a adressé 4 courriers aux cédants de la société Eva Holding, indiquant qu'elle entendait faire jouer la garantie de passif pour différents motifs.
Par acte du 3 novembre 2017, la société LPK a fait assigner Messieurs [H] et [U] en responsabilité (faute de gestion) aux fins d'obtenir leur condamnation solidaire au paiement, à titre principal, d'une somme de 3.258.647 euros à titre de dommages et intérêts, outre des frais irrépétibles.
Parallèlement à cette procédure, la société GJF Holding, actionnaire unique de la société LPK a assigné les cédants devant le tribunal de commerce de Paris, selon acte du 12 décembre 2017, aux fins d'obtenir leur condamnation solidaire au paiement d'une somme principale de 4.118.286 euros sur le fondement du dol, et à titre subsidiaire une somme de 3.405.748 euros sur le fondement de la garantie de passif.
Par jugement du 5 juillet 2018, le tribunal de commerce de Pontoise a :
- rejeté l'exception de connexité soulevée par Messieurs [H] et [U],
- s'est déclaré compétent pour connaître de l'instance,
- renvoyé l'affaire à une audience de mise en état.
PRÉTENTIONS DES PARTIES
Vu l'appel interjeté le 18 juillet 2018 par M. [Z] [U], et l'autorisation d'assigner à jour fixe pour le 18 octobre 2018.
Vu les dernières conclusions notifiées le 3 octobre 2018 par lesquelles M. [Z] [U] demande à la cour de :
- Confirmer le jugement en ce qu'il a déclaré recevable l'exception de connexité ;
- Infirmer le jugement en ce qu'il l'a déclarée mal fondée ;
Statuant à nouveau :
- constater l'existence d'un lien de connexité entre la présente procédure et la procédure actuellement pendante devant le tribunal de commerce de Paris initiée par la société GJF Holding par acte du 12 décembre 2017 ;
- constater qu'il est de l'intérêt d'une bonne justice de faire instruire et juger ensemble ces deux affaires afin d'éviter une contrariété de décisions ;
- faire droit à l'exception de connexité ;
- renvoyer en l'état la connaissance de la ladite affaire au tribunal de commerce de Paris ;
- condamner la société LPK au paiement de la somme de 8.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile outre les entiers dépens de la présente instance.
- débouter la société LPK de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
Vu les dernières conclusions notifiées le 9 octobre 2018 au terme desquelles M.[P] [H] demande à la cour de :
- infirmer le jugement en ce qu'il a refusé de reconnaître la connexité,
- dire qu'il existe un lien de connexité entre les instances pendantes devant les tribunaux de commerce de [Localité 2] et de [Localité 3] et qu'il est d'une bonne justice qu'elles soient instruites et jugées ensemble,
- renvoyer la présente affaire devant le tribunal de commerce de Paris,
condamner la société LPK au paiement de la somme de 8.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile outre les entiers dépens.
Vu les dernières conclusions notifiées le 16 octobre 2018 au terme desquelles la société LPK demande à la cour de :
- confirmer le jugement du tribunal de commerce de Pontoise du 5 juillet 2018,
- débouter Messieurs [H] et [U] de toutes leurs demandes,
- condamner Messieurs [H] et [U] au paiement de la somme de 15.000 euros au titre des frais irrépétibles, outre les dépens.
Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la cour, conformément à l'article 455 du code de procédure civile, renvoie aux conclusions déposées par les parties et au jugement dont appel.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur l'exception de connexité
Il résulte de l'article 101 du code de procédure civile que s'il existe entre des affaires portées devant deux juridictions distinctes un lien tel qu'il soit de l'intérêt d'une bonne justice de les faire instruire et juger ensemble, il peut être demandé à l'une de ces juridictions de se dessaisir et de renvoyer en l'état la connaissance de l'affaire à l'autre juridiction.
En l'espèce, Messieurs [U] et [H] soutiennent qu'il existe un lien de connexité entre les deux instances, en ce que les griefs allégués sont identiques et risquent de donner lieu à des appréciations et solutions divergentes par les deux juridictions saisies, ajoutant que les pièces produites aux débats et les demandes indemnitaires sont tout à fait similaires, ce qui pourrait aboutir à une double indemnisation du même préjudice. Ils soutiennent dès lors qu'il existe un risque de contrariété de décisions.
La société LPK fait valoir que les parties aux deux instances ne sont pas les mêmes, de sorte qu'il n'existe aucun risque de double indemnisation du préjudice. Elle ajoute que les fondements juridiques, l'objet des demandes, les préjudices et les pièces sont différentes dans les deux affaires contestant ainsi le risque de contrariété de décisions. Elle indique enfin que la matérialité des faits générateurs - à l'origine, tant des fautes des dirigeants que des déclarations inexactes dans l'acte de cession ' n'est pas discutée, seule l'appréciation des conséquences juridiques donnant lieu à débat dans le cadre de l'une ou l'autre des instances, de sorte qu'il n'existe, là encore, aucun risque de contrariété de décision.
La société LPK soutient enfin que l'exception de connexité doit être écartée lorsque l'une des deux juridictions saisies jouit d'une compétence exclusive pour connaître du litige dont elle a été saisie, ce qui serait le cas du tribunal de commerce de Pontoise qui jouit d'une compétence exclusive en raison du domicile des dirigeants de la société LPK.
La compétence territoriale du tribunal de commerce de Pontoise ne peut être qualifiée de compétence « exclusive », dès lors que la société LPK disposait de plusieurs options de compétence s'agissant, d'une part d'un litige avec plusieurs défendeurs domiciliés dans des ressorts différents, d'autre part d'un litige pouvant justifier la compétence de la juridiction du lieu d'exécution de la prestation de service. Le tribunal de commerce de Pontoise ne disposant pas d'une compétence territoriale « exclusive », l'exception de connexité ne peut être écartée pour ce motif.
Il est constant que les deux instances opposent des parties différentes et qu'elles reposent sur des fondements juridiques différents.
La société LPK ne conteste pas toutefois que les actes introductifs d'instance, bien que poursuivant des buts distincts, se fondent sur quatre faits principaux identiques dans les deux instances, à savoir :
- la location sans accord préalable des autorités environnementales d'une partie des locaux de Croissy Beaubourg,
- la fabrication de produits relevant d'une activité dénommée H2O2 sans autorisation préalable de la part des autorités publiques,
- un redressement fiscal au titre du Crédit Impôt Recherche,
- des non-conformités à la réglementation environnementale applicable nécessitant des travaux de remise en conformité des trois sites industriels pour un montant de plus de 2,2 millions d'euros.
Les sociétés LPK d'une part, GJF Holding d'autre part, soutiennent que ces mêmes faits caractériseraient, dans la première instance une faute de gestion des dirigeants, dans la seconde instance l'existence d'un dol commis par les vendeurs au préjudice de la société GJF Holding, et subsidiairement le motif d'une mise en cause de la garantie de passif, ce qui démontre a minima l'existence d'un lien entre ces deux actions.
Contrairement à ce que soutient la société LPK, aucun élément ne permet d'affirmer que ces faits sont établis et non contestés. Messieurs [U] et [H] indiquent au contraire qu'ils contestent « vigoureusement » les éventuelles violations des règles environnementales. S'agissant par exemple des non-conformités sur le site de Haute Savoie, Messieurs [U] et [H] contestent le rapport d'audit produit par la société LPK, et invoquent l'existence de mesures compensatoires destinées à pallier les défauts de conformité, dont la pertinence et la régularité ne pourront être tranchées que par le juge du fond. Force est ainsi de constater que les faits allégués au soutien des deux instances donneront lieu à débat au cours de celles-ci.
Dès lors que ces faits identiques mais contestés sont le support principal des deux actions, il importe qu'ils soient appréhendés de même manière par les juridictions saisies, faute de quoi cela conduirait à une contrariété de décisions.
Le risque de contrariété de décisions, ainsi démontré, suffit à établir l'existence d'un lien de connexité entre les deux instances, de sorte qu'il paraît d'une bonne administration de la justice qu'elles soient instruites et jugées ensemble. Le jugement dont appel sera donc infirmé, la cour faisant droit à l'exception de connexité et renvoyant la présente instance devant le tribunal de commerce de Paris.
Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile :
La société LPK sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel. Il sera alloué à Messieurs [H] et [U] une somme de 2.000 euros à chacun au titre des frais irrépétibles.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt contradictoire,
Infirme, en toutes ses dispositions, le jugement du tribunal de commerce de Pontoise du 5 juillet 2018,
Constate la connexité entre l'instance pendante devant le tribunal de commerce de Pontoise et celle pendante devant le tribunal de commerce de Paris,
Renvoie l'affaire devant la 16° chambre du tribunal de commerce de Paris déjà saisie du litige opposant la société GJF Holding aux sociétés BNP Paribas Développement, Omega Holdings, Apache, Middle Market Fund IV, Financière Antheor, et M. [K] (RG : 2018/000373),
Y ajoutant,
Condamne la société Laboratoires Prodene Klint aux dépens d'appel,
Condamne la société Laboratoires Prodene Klint à payer à M. [Z] [U] et M. [P] [H] la somme de 2.000 euros à chacun au titre des frais irrépétibles.
prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
signé par Madame Thérèse ANDRIEU, Président et par Monsieur GAVACHE, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le greffier, Le président,