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15/11/2018 | FRANCE | N°17/00067

France | France, Cour d'appel de Versailles, 6e chambre, 15 novembre 2018, 17/00067


COUR D'APPEL


DE


VERSAILLES








Code nac : 80A





6e chambre











ARRÊT N° 00644





CONTRADICTOIRE





DU 15 NOVEMBRE 2018





N° RG 17/00067





N° Portalis : DBV3-V-B7B-RGXR











AFFAIRE :





A... D...





C/





SAS RENAULT














Décision défér

ée à la cour: Jugement rendu le 08 Mars 2013 par le Conseil de Prud'hommes - Formationde départage deBOULOGNE-BILLANCOURT


N° Section : Industrie


N° RG : 11/00515











Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées le 16 Novembre 2018 à :


- Me Katia X...


- Me Béatrice Y...


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE





AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS








LE Q...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80A

6e chambre

ARRÊT N° 00644

CONTRADICTOIRE

DU 15 NOVEMBRE 2018

N° RG 17/00067

N° Portalis : DBV3-V-B7B-RGXR

AFFAIRE :

A... D...

C/

SAS RENAULT

Décision déférée à la cour: Jugement rendu le 08 Mars 2013 par le Conseil de Prud'hommes - Formationde départage deBOULOGNE-BILLANCOURT

N° Section : Industrie

N° RG : 11/00515

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées le 16 Novembre 2018 à :

- Me Katia X...

- Me Béatrice Y...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE QUINZE NOVEMBRE DEUX MILLE DIX HUIT,

La cour d'appel de Versailles, a rendu l'arrêt suivant, fixé au 14 juin 2018, puis prorogé au 27 septembre 2018, au 25 octobre 2018 et au 15 novembre 2018, les parties en ayant été avisées, dans l'affaire entre:

Monsieur A... D...

né le [...] à MAROC

de nationalité Marocaine

[...]

Comparant en personne, assisté de Me Katia X..., constituée/plaidant, avocate au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 541

APPELANT

****************

La SAS RENAULT

[...]

Représentée par Me Karin Z..., avocate au barreau de PARIS, substituant Me Béatrice Y... du LLP PROSKAUER ROSE LLP, constituée/plaidant, avocate au barreau de PARIS, vestiaire : J043

INTIMÉE

****************

Composition de la cour :

L'affaire a été débattue à l'audience publique du 13 Mars 2018, Madame Sylvie BORREL, conseiller, ayant été entendue en son rapport, devant la cour composée de :

Monsieur Jean-François DE CHANVILLE, Président,

Madame Sylvie BORREL, Conseiller,

Monsieur Patrice DUSAUSOY, Conseiller,

qui en ont délibéré,

Greffier, lors des débats : Monsieur Nicolas CAMBOLAS

FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Selon un contrat à durée indéterminée du 3 novembre 1970, M. A... était embauché par la Régie Nationale des Usines Renault en qualité d'ouvrier spécialisé.

À compter du 1er février 1973 le salarié était promu au poste de manutentionnaire, catégorie OS 2, coefficient 160. Par la suite le salarié devenait ajusteur, catégorie P1, niveau 2, échelon 3 coefficient 180 à compter du 1er octobre 1975, et passait en catégorie P2 niveau 2, échelon 3, coefficient 195 à partir du 1er octobre 1979.

En parallèle M. A... obtenait un certificat d'aptitude professionnelle de mécanicien ajusteur le27juin 1975, et réalisait la partie pratique du CAP dessin en construction mécanique en 1978. Parailleurs, le salarié obtenait un niveau de 224 en mathématiques et français dans le cadre d'une formation organisée par la société.

En dernier lieu, M. A... était promu employé service technique à compter du 1er mars 2001, catégorie supérieure, coefficient 220, niveau 3, échelon 1.

La convention collective applicable à la relation de travail était celle des industries métallurgiques, mécaniques et connexes de la région parisienne.

Le 4 octobre 2004 M. A... souhaitait bénéficier d'un départ en pré retraite "CASA" (cessation d'activité des salariés âgés), lui permettant ainsi de percevoir l'allocation de cessation d'activité.

Son contrat de travail du salarié prenait fin le 31 décembre 2008, date à laquelle il faisait valoir ses droits à la retraite.

M. A... saisissait le conseil de prud'hommes le 16 mars 2011 aux fins de constater l'existence d'une discrimination syndicale à son encontre.

Le salarié demandait la condamnation de la société Renault au paiement des sommes suivantes :

' 177 920 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice matériel et financier,

' 30 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral subi,

' 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

En outre, il sollicitait la publication du jugement à venir dans le journal de l'entreprise et dans un quotidien national.

Par jugement du 8 mars 2013, le juge départiteur du conseil de prud'hommes de Boulogne- Billancourt déboutait M. A... de l'ensemble de ses demandes.

M. A... interjetait appel de ce jugement le 3 juin 2013.

Par écritures soutenues oralement à l'audience du 13 mars 2018, auxquelles la cour se réfère en application de l'article 455 du code de procédure civile, les parties ont conclu comme suit.

M. A... sollicite l'infirmation du jugement et demande à la cour de juger qu'il établit des faits laissant supposer une discrimination à raison de ses origines ainsi qu'à raison de ses activités syndicales, et de juger que la société n'apporte aucun élément objectif permettant de justifier la différence de traitement qu'il subit.

En conséquence, M. A... demande à la cour de désigner avant-dire droit un expert judiciaire aux finsde réunir tous les éléments permettant d'apprécier s'il a subi une évolution de carrière différente de celle des autres salariés, tant au regard de ses promotions que de sa rémunération, selon une missionprévue par le dispositif de ses conclusions.

En outre, il demande à la cour de condamner la société au paiement de la somme de 5 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

La société Renault demande de confirmer le jugement et de constater que M. A... ne présente aucun élément de fait laissant présumer l'existence d'une quelconque discrimination.

À titre subsidiaire, la société demande à la cour de juger que les demandes du salarié sont prescrites.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la prescription

La société soutient que les demandes formulées par M. A..., tant fondées sur la discrimination et éventuellement sur l'inégalité de traitement, sont prescrites en application de la prescription quinquennale. Elle rappelle que le salarié saisissait le conseil de prud'hommes le 16 mars 2011, de sorte que les demandes formulées sur la période antérieure au 16 mars 2006 sont donc prescrites.

M. A... répond qu'aucune prescription de ses demandes ne peut être soulevée. Il mentionne que l'action en réparation du préjudice résultant d'une discrimination se prescrit par cinq ans à compter de la révélation de la discrimination, et non à compter de l'existence de celle ci. Il soutient qu'en l'absence d'éléments en sa possession lui permettant de démontrer l'étendue de la discrimination dont il faisait l'objet, le délai de prescription ne courrait pas.

Aux termes de l'article 2262 du code civil dans sa version antérieure au 17 juin 2008 toutes les actions, tant réelles que personnelles, sont prescrites par trente ans, sous réserve d'une disposition spéciale à l'action en paiement de salaire édictée par l'article L.143-14 devenu L.3245-1 dans la nouvelle codification du code du travail dans sa version alors en vigueur, réduisant le délai à cinq ans.

Concernant la prescription de l'action en matière de discrimination l'article L.1134-5 du code du travail prévoit que l'action en réparation du préjudice résultant d'une discrimination se prescrit par cinq ans à compter de la révélation de la discrimination.

Il résulte de la loi du 17 juin 2008 que les dispositions qui réduisent les délais de prescription s'appliquent à compter de leur entrée en vigueur, soit à compter du 19 juin 2008 , sans que la durée totale de la prescription puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure.

Or, M. A... saisissait le conseil de prud'hommes le 16 mars 2011 du chef de la discrimination, soit postérieurement à l'entrée en vigueur de la loi de 2008, il bénéficiait donc d'un nouveau délai de prescription de 5 ans à compter du 19 juin 2018, date d'entrée en vigueur de la loi, sans que la durée totale de la prescription ne puisse dépasser trente ans.

Dès lors, les faits prescrits remontant au16 mars 1981, les faits litigieux qui sont postérieurs ne sont pas prescrits.

Concernant la prescription de l'action en matière d'atteinte au principe de l'égalité de traitement, il résulte de l'article L.3245-1 du code du travail, tant dans sa version en vigueur au moment de la saisine, que dans celle antérieure à la loi du 17 juin 2008, que l'action en paiement ou en répétition du salaire se prescrit par cinq ans.

La saisine du conseil des prud'hommes remontant au 16 mars 2011, les faits sont prescrits depuis le 16 mars 2006. Certes le point de départ de la prescription se situe au moment où le salarié dispose de tous les éléments l'amenant à croire qu'il est victime d'une inégalité de traitement. Toutefois, l'intéressé ne prouve pas la révélation de faits au cours de cinq ans qui ont précédé la saisine du conseil qui lui auraient permis de considérer qu'il avait fait l'objet d'une inégalité de traitement antérieurement à son départ de l'entreprise en décembre 2004. Il disposait des éléments qui ont fondé son action, dès son départ en préretraite.

En conséquence, les demandes formulées par M. A... concernant l'inégalité de traitement sont prescrites.

Sur la discrimination

L'article L.1132-1 du code du travail prévoit qu'aucune personne ne peut être écartée d'une procédure de recrutement ou de l'accès à un stage ou à une période de formation, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération , de mesures d'intéressement ou de distribution d'actions, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat en raison de son origine, de son sexe, de ses moeurs, de son orientation sexuelle, de son âge, de sa situation familiale ou de sa grossesse, de ses caractéristiques génétiques, de son appartenance ou de sa non appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une race, de ses opinions politiques, de ses activités syndicales ou mutualistes, de ses convictions religieuses, de son apparence physique, de son nom de famille ou en raison de son état de santé ou de son handicap.

L'article L.2141-5 du même code précise qu'il est interdit à l'employeur de prendre en considération l'appartenance à un syndicat ou l'exercice d'une activité syndicale pour arrêter ses décisions enmatièrenotamment de recrutement, de conduite et de répartition du travail, de formation professionnelle, d'avancement, de rémunération et d'octroi d'avantages sociaux, de mesures de discipline et de rupture du contrat de travail.

Concernant le régime probatoire, il ressort des termes de l'article L.1134-1 du code du travail que lorsque survient un litige en raison d'une méconnaissance des dispositions du chapitre 2, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise, le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte.

Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.

Sur la discrimination syndicale

M. A... considère qu'il subissait une stagnation de carrière entre 1979 et 2001, soit pendant près de 22 ans. Il soutient que cette absence d'évolution était la conséquence de ses activités syndicales, et que de ce fait il subissait une discrimination dans l'évolution de ses fonctions, alors qu'il avait effectué plusieurs formations avec succès.

La société Renault répond qu'aucune mesure discriminatoire fondée sur ses activités syndicales n'étaitprise à l'encontre de M. A.... Elle mentionne notamment que le salarié n'avait aucun mandatsyndical, ni aucune activité syndicale connue de l'employeur, de sorte qu'aucune mesure discriminatoirereposant sur ses convictions syndicales ne pouvait lui être reprochée.

Or, pour tenter de démontrer avoir subi une stagnation de sa carrière entre 1979 et 2001 résultant d'unediscrimination syndicale, M. A... produit deux attestations de M. Michel B..., délégué du personnel de la société.

Ainsi M. Michel B... dit dans sa première attestation "avoir à plusieurs reprises tenté de défendreM. A... D... en ma qualité de délégué du personnel dans les années 1981 jusqu'en 1987. Malgré tous les efforts de formations suivies par M. A..., Renault n'a jamais fait évoluer ce salarié".

Dans son autre attestation M. B... mentionne : "De 1981 à 1987 je travaillais au département 59àRenault Billancourt avec M. A... D... . Dans la même époque j'exerçais un mandat de délégué du personnel. Je suis intervenu auprès de ses supérieurs hiérarchiques pour évoquer son évolution de carrière. En 1983, plus particulièrement, M. A... pouvait prétendre évoluer à la qualification P3 au coefficient 215, compte tenu qu'il s'était engagé à se former en cours du soir. Malgré ses attestations qui correspondaient à la qualification demandée, sa hiérarchie a toujours refusé son évolution de carrière".

Toutefois, ces attestations ont été rédigées le 20 avril 2011, soit près de 7 ans après le départ anticipédu salarié en pré retraite, et plusieurs décennies après la période durant laquelle M. A... soutient avoir subi une stagnation de sa carrière en raison d'une discrimination fondée sur ses activités syndicales.

Ces attestations imprécises ne permettent pas de déterminer à quel moment M. B... serait intervenu auprès des supérieurs hiérarchiques aux fins d'évoquer l'évolution de carrière de M. A..., ni la teneur de leurs échanges. En toute hypothèse, ces attestations ne démontrent pas que la stagnationde carrière du salarié résulterait de ses activités syndicales.

Par ailleurs, si le coefficient de M. A... stagnait à 195 sur la période comprise entre le 1er octobre 1979 et le 1er mars 2001, rien ne laisse présumer que cette absence d'évolution de carrière résulterait d'une quelconque discrimination du fait de ses activités syndicales.

Si le salarié produit un courrier qu'il adressait à M. B... dans lequel il y mentionne "dans les années 80 et 90 il rencontrait des entraves et une intégration difficile à cause de ses opinions et de son appartenance syndicale", celui ne permet pas de démontrer la réalité d'une quelconque discrimination syndicale à son égard, d'autant plus que le courrier est rédigé par le salarié lui même. De plus, ce courrier non daté mentionne à la fin de celui ci "J'ai signalé par cette lettre du 29 octobre 2004 adressée au délégué du personnel en accusé de réception (...)". Ainsi, la pièce en question apparaît comme étant un courrier reconstitué, rédigé postérieurement au départ de M. A... de l'entreprise. Ausurplus, si le salarié mentionne qu'il avait adressé ce courrier au délégué du personnel en lettre recommandée avec accusé de réception, il n'apporte pas la preuve de la réalité de cet envoi par la production du dit accusé de réception.

Concernant ses activités syndicales M. A... reconnaît lui même qu'il ne disposait d'aucun mandat syndical. Si le salarié mentionne qu'il était syndiqué, il ne fournit aucun élément permettant d'établir son adhésion à un syndicat, comme le rappelle la société, qui soutient n'avoir jamais vu M. A... distribuer des tracts syndicaux, ni participer à des réunions syndicales.

Cependant, le salarié explique la discrimination syndicale dont il faisait l'objet par sa participation en 1983 à plusieurs mouvements de grève à propos des conditions de travail des salariés.

La société ne conteste pas la participation de M. A... à ces mouvements de grève déclenchés par un ou plusieurs syndicats dont M. A... était au moins sympathisant.

Ainsi, la participation de M. A... pendant la période de stagnation de sa carrière à des mouvements de grève, en lien avec ses activités syndicales, laissent présumer une discrimination syndicale à son encontre.

Cependant, il ressort d'une note interne de la société en date du 27 juin 1973 relative aux promotions, examens et essais de qualification des agents professionnels que "pendant les 7 premières années de séjour dans la catégorie inférieure, la présentation aux essais professionnels et la promotion dans la catégorie supérieure interviennent selon les postes disponibles et à l'initiative de la hiérarchie, à condition que le niveau correspondant existe dans le répertoire des classifications. Après cette période de 7 ans, les intéressés peuvent demander par l'intermédiaire de leur hiérarchie, à subir l'essai professionnel de la catégorie supérieure dans leur filière professionnelle, à condition que le niveau correspondant existe ans le répertoire des classifications".

Or, comme le soutient la société, le salarié ne démontre pas avoir sollicité son employeur aux fins d'effectuer le dit essai professionnel.

Il en découle donc que l'absence de passage de cet essai professionnel explique que M. A... n'étaitpas en mesure d'intégrer la catégorie professionnelle supérieure.

Son absence d'avancement repose donc uniquement sur cette absence d'essai professionnel.

Qu'en toute hypothèse, il apparaît que la société justifie la stagnation de carrière de M. A... entre1979 et 2001, laquelle résulte d'un élément objectif, à savoir l'absence de passage d'un essai professionnel, nécessaire au passage dans la catégorie professionnelle supérieure, de sorte que la discrimination syndicale n'est pas établie, comme le conseil l'a jugé.

Sur la discrimination raciale

M. A... soutient à titre subsidiaire que sa stagnation de carrière résulterait d'une discrimination raciale au regard de ses origines marocaines.

La société répond que l'origine marocaine du salarié n'a jamais été prise en compte dans le cadre de sonabsence d'avancement, qu'il a notamment pu bénéficier de cours de mathématiques et de français au sein de la société, afin de favoriser son intégration par le biais de l'alphabétisation. Elle précise également que M. A... n'apporte aucun élément permettant de caractériser une quelconque discrimination raciale à son encontre.

Or, pour justifier l'existence d'une discrimination syndicale à son encontre, le salarié produit une attestation de M. B..., délégué du personnel précisant "avoir à plusieurs reprises tenté de défendre M. A... D... en ma qualité de délégué du personnel dans les années 1981 jusqu'en 1987 . Malgré tous les efforts de formations suivies par M. A..., Renault n'a jamais fait évoluer ce salarié. Trop souvent ses origines ainsi que sa couleur lui ont été reprochés. Un tel acharnement ne peut être toléré".

Toutefois, cette attestation vague et non circonstanciée de M. B... ne permet pas de déterminer l'existence d'une discrimination raciale à l'encontre de M. A.... En effet, les termes de cette attestation ne permettent pas de déterminer à quel moment, à quelle occasion et par quelle personne les origines marocaines du salarié ont été évoquées pour refuser de le faire évoluer. De même, aucun élément de cette attestation ne précise de quelle manière les origines du salarié auraient été prises en compte par la société.

M. A... produit également un courrier de la CGT adressé à l'inspection du travail en datedu29septembre 2003, où il est dit : "je tiens à vous faire part de l'existence d'actes et de comportements constitutifs d'une discrimination raciale perpétrés par la direction de Renault à l'encontre de plusieurs salariés et sollicite votre intervention aux fins d'obtenir les données nécessaires à rapporter la preuve de cette discrimination. (...) En l'espèce, plusieurs salariés de Renault ont souffert de discrimination raciale dans le cadre du déroulement de leur carrière".

Or, si ce courrier adressé par la CGT à l'inspection du travail relate l'existence de mesures discriminatoires à l'encontre de la salariés de la société Renault à raison de leurs origines, à aucun moment il n'est précisé quels salariés en seraient victimes, ni la nature exacte de ces mesures discriminatoires. Ce courrier ne mentionne pas directement M. A....

Par ailleurs, M. A... produit un courrier en date du 29 avril 2004 qu'il adressait à M. B... danslequel il déclare "dans mon travail j'ai subi un racisme exagéré. Un jour de paye je suis allé réclamer ma fiche de paie, le chef a osé me dire devant mes collègues français "pas de paie pour les arabes". Je suis allé voir un délégué CGT qui m'a accompagné pour demander au chef qu'il cesse de m'insulter et m'humilier".

Or, ce courrier mentionnant des propos racistes à l'encontre de M. A... était rédigé par le salarié luimême et n'est corroboré par aucun élément extérieur ou attestation de collègue permettant de déterminer la réalité de tels propos tenus à son encontre. En effet, il ne nomme pas la personne qui aurait tenu ces propos, et ne précise pas à quel moment ces paroles auraient été proférées. Ainsi, ce courrier n'est pas suffisamment probant pour laisser présumer une quelconque discrimination raciale à l'encontre du salarié.

Enfin, M. A... produit un article de presse paru dans le journal "Le canard enchaîné" faisant état dediscriminations raciales au sein de la société Renault selon ses termes : "Suivre une formation pour monter en grade devient une performance. D..., entré il y a 14 ans chez Renault avec un BEPC et un CAP de tourneur est toujours agent de fabrication. Au début de l'année, il parvient à suivre un stage assez ardu sur une machine à conception assistée par ordinateur. Il demande une affectation correspondant à sa nouvelle qualification. Refus. D... retourne visser les boulons sur la chaîne".

Cet article de presse paru en 1989 fait état au sein de la société de l'existence de discriminations liées aux origines des salariés, mais dans un cas où d'une part le salarié était d'origine sénégalaise et non marocaine, comme M. A..., et d'autre part dans un cas où le salarié avait demandé une affectation, ce qui n'est pas le cas de M. A... qui n'établit pas avoir demandé une nouvelle affectation.

Ainsi, cette pièce n'apporte aucun élément démontrant une éventuelle discrimination raciale à l'encontre de M. A....

Au vu de l'ensemble de ces éléments il apparaît que M. A... n'établit pas de faits laissant présumer l'existence d'une discrimination de carrière fondée sur ses origines marocaines.

Il sera donc débouté de ce chef de demande.

Sur l'inégalité de traitement et la demande d'expertise (demandes nouvelles)

La cour a relevé la prescription de la demande de rappel de salaire au titre de l'inégalité de traitement.

Surabondamment, il convient de rappeler que depuis l'arrêt Ponsolle du 29 octobre 1996 un principe d'égalité de traitement entre les salariés a été reconnu de manière jurisprudentielle. Toutefois, une différence de traitement peut être effectuée entre les salariés, dès lors que celle ci est justifiée par des éléments objectifs tels que l'obtention d'un diplôme, une plus grande expérience, ou de meilleures évaluations.

M. A... sollicite une expertise en vue de réunir les éléments permettant de démontrer l'existence d'une discrimination à son égard, ou du moins une différence de traitement.

Il soutient qu'il n'a connu aucune évolution de carrière ni de rémunération malgré l'obtention de diplômes.

La société répond que le salarié a connu une évolution normale au regard de sa qualification, que par ailleurs il a bénéficié de revalorisations salariales. Elle mentionne aussi que M. A... avait atteint l'échelon le plus élevé de sa catégorie, l'empêchant de ce fait d'obtenir une évolution au sein de sa catégorie et qu'il était nécessaire de passer un essai professionnel afin d'évoluer dans la catégorie supérieure.

Or, si aucune discrimination fondée sur les activités syndicales ou sur les origines de M. A... ne peutêtre constatée, il apparaît que celui ci n'a connu aucune évolution de carrière entre 1979 et 2001, soit pendant près de 22 ans, et qu'en outre il n'a pas bénéficié d'évaluation annuelle pendant plus de30années, ce qui ne lui a pas permis d'informer officiellement sa hiérarchie de sa volonté d'évoluer vers d'autres fonctions.

Ces éléments laissent présumer une inégalité de traitement.

En effet, M. A... a connu une stagnation de sa carrière entre 1979 et 2001 en occupant le poste d'ajusteur catégorie P2, niveau 2, échelon 3, coefficient 195, il apparaît qu'il avait atteint l'échelon le plus élevé de la catégorie à laquelle il appartenait.

Il apparaît qu'à compter du 1er mai 1984, le salarié occupait le poste d'ajusteur outilleur, toujours ausein de la même catégorie, niveau et échelon, lui permettant cependant de bénéficier d'une augmentation salariale. En effet, entre le 1er février 1984 et le 1er mai 1984, la rémunération mensuellede M. A... passait de 5 991 francs à 6 266 francs, soit une augmentation de 275 francs, de sorte que malgré sa stagnation au coefficient 195, le salarié avait tout de même bénéficié d'augmentations salariales, ce que le salarié ne conteste pas.

Cela ressort du tableau retraçant l'ensemble de sa carrière au sein de la société.

Pour la période de mai 1987 à mai 1999, le salarié bénéficiait d'augmentations salariales régulières.

Par ailleurs, si le salarié prétend avoir obtenu un BTS2 en 1989, il ne démontre pas la réalité de l'obtention de ce diplôme d'une part, ni le lien entre l'obtention éventuelle de ce diplôme et les fonctions qu'il souhaitait occuper. La société précise d'ailleurs ne jamais avoir été informée de l'obtention de ce diplôme et qu'en toute hypothèse, l'obtention de ce diplôme ne correspondait pas aux essais professionnels requis par la société aux fins d'évoluer vers une catégorie professionnelle supérieure.

Par la suite, M. A... a bénéficié d'un avancement de carrière à compter du 1er mars 2001 en occupant un poste d'employé service technique, catégorie supérieure, niveau 3, échelon 1, coefficient 220. Cet avancement de carrière fait suite à son entretien d'évaluation réalisé le 23 février 2001, soitune semaine avant son changement de poste et de catégorie, au cours duquel il mentionnait son souhaitd'évoluer vers un poste intégrant des travaux de mécanique et de l'informatique bureautique.

La société prenait en compte pour la première fois la demande d'évolution de carrière exprimée de manière officielle pour la première fois par le salarié suite à cet entretien d'évaluation.

Cependant, il s'agissait de son premier entretien d'évaluation depuis 30 ans qu'il était salarié au sein de la société comme indiqué plus haut.

M. A... soutient également que certains de ses collègues, qui étaient engagés au même moment que lui avec une formation comparable, avaient bénéficié d'une évolution de carrière plus favorable à la sienne, qu'il n'avait jamais eu la possibilité d'intégrer la catégorie P3.

La société réplique que si d'autres salariés ayant pris leurs fonctions au cours de la même période que M. A... ont connu une meilleure évolution de carrière, cela résulte de leur passage dans la catégorie d'agent technique professionnel P3 après avoir effectué avec succès un essai professionnel nécessaire à ce changement de catégorie.

Sur ce point elle produit la note interne du 27 juin 1973 relative aux promotions, examens et essais de qualification des agents professionnels, déjà mentionnée plus haut, laquelle impose le passage d'un essai professionnel pour accéder à la catégorie ouvrier P3.

Le salarié estime avoir sollicité sa hiérarchie aux fins d'effectuer cet essai professionnel et produit une attestation de M. B... en ce sens. Ce dernier atteste que "De 1981 à 1987 je travaillais au département 59 à Renault Billancourt avec M. A... D... . Dans la même époque j'exerçais un mandat de délégué du personnel. Je suis intervenu auprès de ses supérieurs hiérarchiques pour évoquer son évolution de carrière. En 1983, plus particulièrement, M. A... pouvait prétendre évoluer à la qualification P3 au coefficient 215, compte tenu qu'il s'était engagé à se former en cours du soir. Malgré ses attestations qui correspondaient à la qualification demandée, sa hiérarchie a toujours refusé son évolution de carrière".

Or, cette attestation imprécise ne permet pas d'établir la réalité d'une demande de M. A... auprès desa hiérarchie aux fins de réaliser l'essai professionnel nécessaire au changement de catégorie professionnelle.

M. A... ne démontre donc pas avoir sollicité sa hiérarchie aux fins d'effectuer cet essai professionnel, et encore moins que l'employeur aurait refusé sa demande de manière abusive.

En outre, si le salarié soutient que certains de ses collègues, embauchés en même temps que lui et avecune qualification similaire, avaient bénéficié d'une évolution professionnelle plus rapide que lasienne,il ne démontre pas que ces collègues auraient bénéficié d'une promotion sans passer l'essaiprofessionnel nécessaire au changement de catégorie professionnelle.

Dès lors, la société justifie la différence de traitement entre M. A... et les autres salariés auxquels il se compare par le fait que M. A... n'a pas sollicité sa hiérarchie aux fins d'effectuer l'essai professionnel, condition nécessaire au passage à la catégorie professionnelle supérieure.

La demande de Monsieur A... au titre de l'inégalité de traitement ne pouvait donc prospérer.

Sur les demandes accessoires

L'équité commande de ne pas faire application de l'article 700 du code de procédure civile en appel, comme l'a jugé aussi le conseil en première instance.

M. A..., succombant, sera condamné aux dépens d' appel.

PAR CES MOTIFS,

La Cour, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort :

CONFIRME le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Boulogne-Billancourt en date du 8 mars 2013 ;

Et y ajoutant,

DÉCLARE les demandes de Monsieur A... au titre de l'inégalité de traitement prescrites ;

DÉBOUTE M. A... de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel ;

CONDAMNE M. A... aux dépens d'appel ;

Arrêt prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, et signé par Monsieur Jean-François DE CHANVILLE, Président, et par Monsieur Nicolas CAMBOLAS, Greffier.

Le GREFFIER, Le PRÉSIDENT,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 6e chambre
Numéro d'arrêt : 17/00067
Date de la décision : 15/11/2018

Références :

Cour d'appel de Versailles 06, arrêt n°17/00067 : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2018-11-15;17.00067 ?
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