La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

26/09/2018 | FRANCE | N°16/04581

France | France, Cour d'appel de Versailles, 19e chambre, 26 septembre 2018, 16/04581


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 80C



19e chambre



ARRET N°



CONTRADICTOIRE



DU 26 SEPTEMBRE 2018



N° RG 16/04581



AFFAIRE :



Ophélie X..., 1ère appelante





C/

SAS CHANEL, 2ème appelante









Décision déférée à la cour: Jugement rendu le 09 Septembre 2016 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de NANTERRE

N° Section : E

N° RG : F15/03430



Ex

péditions exécutoires

Expéditions



délivrées le :

à :



Me Benoît Y...



Me Martine Z... de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES



Expéditions



Pôle emploi





RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



LE VINGT SIX SEPTEMBRE DEUX...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80C

19e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 26 SEPTEMBRE 2018

N° RG 16/04581

AFFAIRE :

Ophélie X..., 1ère appelante

C/

SAS CHANEL, 2ème appelante

Décision déférée à la cour: Jugement rendu le 09 Septembre 2016 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de NANTERRE

N° Section : E

N° RG : F15/03430

Expéditions exécutoires

Expéditions

délivrées le :

à :

Me Benoît Y...

Me Martine Z... de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES

Expéditions

Pôle emploi

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE VINGT SIX SEPTEMBRE DEUX MILLE DIX HUIT,

La cour d'appel de Versailles, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre:

Madame Ophélie X..., 1ère appelante

née le [...] à BRETEUIL SUR ITON (27160)

de nationalité Française

[...]

Représentant : Me Benoît Y..., Postulant, avocat au barreau de HAUTS-DE-SEINE, vestiaire : 36

****************

SAS CHANEL, 2ème appelante

N° SIRET : 542 052 766 00012

[...]

Représentant : Me Christine A... de l'AARPI DENTONS EUROPE, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P0372 - Représentant : Me Martine Z... de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 625

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 786 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 20 Juin 2018 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Marie-Christine HERVIER, conseiller chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Monsieur Luc LEBLANC, Président,

Madame Marie-Christine HERVIER, Conseiller,

Monsieur Stéphane BOUCHARD, Conseiller,

Greffier, lors des débats : Madame Myriam BOUDJERRA, en présence de Monsieur Achille TEMPREAU, greffier en pré-affectation

FAITS ET PROCÉDURE :

Mme Ophélie X... a été engagée par la SAS Chanel en qualité d'assistante coordinatrice marketing appliquée expert, par contrat à durée indéterminée à effet au 5 décembre 2005. Après avoir été promue à 2 reprises, elle occupait dans le dernier état de la relation contractuelle, les fonctions de chef de projet marketing expert, statut cadre et percevait une rémunération de 3 812 euros brut qui ne fait pas litige entre les parties.

Par courrier recommandé du 15 mai 2013, Mme X... a dénoncé auprès de la société Chanel les agissements de harcèlement moral qu'elle subissait de la part de sa supérieure hiérarchique directe, Mme Tatiana B.... Suite à ce courrier, la société Chanel en la personne de son responsable des ressources humaines parfum beauté Europe a conduit une enquête et conclu, le 18 septembre 2013, à l'absence de harcèlement moral de la part de Mme B.... Mme X... a dénoncé ces mêmes faits auprès du procureur de la République et une enquête préliminaire a été diligentée aboutissant à un classement sans suite.

Mme X... a présenté des arrêts pour maladie ne relevant pas du régime des risques professionnels à partir du 16 août 2013 qui se sont prolongés jusqu'au 16 février 2014.

Par courrier recommandé du 4 février 2014, présenté le 5, Mme X... a été convoquée à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 12 février 2014, puis s'est vu notifier son licenciement pour cause réelle et sérieuse par courrier du 15 février 2014, envoyé en recommandé ce même jour et également remis en main propre le 17 février 2014 lorsque la salariée s'est présentée sur son lieu de travail en affirmant vouloir reprendre son activité.

Contestant son licenciement et estimant ne pas être remplie de ses droits, Mme X... a saisi le conseil de prud'hommes de Nanterre le 9 décembre 2015 afin d'obtenir essentiellement la nullité du licenciement, sa réintégration dans l'entreprise, des rappels de salaire et des dommages-intérêts pour préjudice matériel et moral.

La convention collective applicable à la relation de travail est celle des industries chimiques et connexes et la société Chanel employait au moins 11 salariés au moment du licenciement.

Par jugement du 9 septembre 2016 auquel il convient de se référer pour l'exposé des faits, prétentions et moyens antérieurs des parties, le conseil de prud'hommes de Nanterre, section encadrement, a :

- dit que le licenciement n'était pas nul mais dénué de cause réelle et sérieuse,

- condamné la société Chanel à payer à Mme X... les sommes de :

* 75'000 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

* 12 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice matériel subi du fait du coût de la formation,

* 1 200 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- rappelé l'exécution provisoire de droit,

- fait application de l'article L. 1235-4 du code du travail dans la limite de 6 mois,

- débouté les parties du surplus de leurs demandes,

- condamné la société Chanel aux dépens.

Mme X... et la société Chanel ont régulièrement relevé appel du jugement les 17 octobre 2016 et 16 janvier 2017. Les procédures enregistrées à la suite de ces appels ont fait l'objet d'une ordonnance de jonction du 18 janvier 2017.

Aux termes de ses dernières conclusions responsives et récapitulatives numéro 2 transmises par voie électronique le 30 avril 2018 auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé des moyens, Mme X... prie la cour de :

- prononcer la nullité de son licenciement,

- condamner la société Chanel à :

* lui verser ses salaires jusqu'au prononcé effectif de sa réintégration sur une base annuelle de 61'102 euros brut,

* lui rembourser ses frais de formation pour un montant de 27'600 euros TTC,

* lui rembourser ses frais de mutuelle soit une somme mensuelle de 110 euros,

- ordonner sa réintégration sous astreinte de 50 euros par jour de retard à compter du prononcé de l'arrêt à intervenir,

- condamner la société Chanel à lui payer une somme de 10'000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- dire qu'elle bénéficiera de la participation et de l'intéressement dont elle a été privée jusqu'à la date de sa réintégration sur la base de 74 jours par an en moyenne sur les 3 dernières années soit une somme de 40'092 euros pour les 4 années,

Subsidiairement, si la cour ne prononçait pas la nullité du licenciement,

- confirmer le jugement en ce qu'il a dit le licenciement sans cause réelle et sérieuse, condamné la société Chanel à lui payer les sommes de 12'000 euros à titre de dommages-intérêts pour préjudice matériel subi du fait du coût de la formation et 1 200 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, a débouté la société Chanel de sa demande reconventionnelle et l'a condamnée aux dépens,

- infirmer le jugement sur le quantum des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et condamner la société Chanel à lui payer à ce titre la somme de 200'000 euros,

- condamner la société Chanel à lui payer la somme de 50'000 euros à titre de dommages-intérêts pour préjudice moral et matériel,

- condamner la société Chanel à rembourser ses frais de formation pour un montant de 27'000 euros TTC,

En tout état de cause, débouter la société Chanel de l'ensemble de ses demandes, la condamner à lui payer la somme de 10'000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens, intérêts et capitalisation des intérêts.

Aux termes de ses conclusions d'appel numéro 3 transmises par voie électronique le 18 avril 2018 auxquelles il convient de se référer pour l'exposé des moyens, la société Chanel prie la cour de :

- dire le licenciement fondé sur une cause réelle et sérieuse,

- rejeter les griefs de nullité de Mme X...,

- dire qu'il n'y a pas lieu à mettre en 'uvre la priorité de réembauche, subsidiairement dire que la demande est prescrite,

- débouter Mme X... de l'ensemble de ses demandes,

- la condamner à lui payer la somme de 20'000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens dont distraction au profit de Me Martine Z....

L'ordonnance de clôture est intervenue le 2 mai 2018.

SUR CE :

Afin de statuer sur la demande de nullité du licenciement présentée par la salariée, la cour va d'abord examiner si Mme X... a été victime de harcèlement moral puis si le licenciement est fondé sur une cause réelle et sérieuse.

Sur le harcèlement moral :

Aux termes de l'article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

L'article L. 1154-1 du même code prévoit qu'en cas de litige, le salarié concerné présente des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement et il incombe alors à l'employeur, au vu de ces éléments, de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Mme X... soutient avoir subi des agissements attentatoires à sa santé mentale et physique lesquels se sont manifestés à travers les faits suivants :

- il lui était demandé du travail inutile,

- le champ de son activité professionnelle a été rétréci de façon conséquente,

- les conditions d'exécution de son contrat de travail ont été modifiées de façon soudaine et non fondée,

- sa charge de travail a été intensifiée de façon importante,

- sa supérieure hiérarchique directe lui adressait des reproches incessants,

- elle a été mise à l'écart.

S'agissant du travail inutile, Mme X... reproche à sa supérieure, Mme B..., d'avoir demandé à son équipe une synthèse des animations afin qu'une compilation des projets export soit réalisée dans le cadre de la réunion annuelle « business Review » qui a lieu en mars 2012 et de ne pas avoir mentionné son projet majeur « pop-up store » réalisé à Zagreb dans la présentation globale qui a été faite devant la hiérarchie, les commerciaux et les directeurs de zone, ce qui constitue, selon elle, une dévalorisation de son travail et une humiliation. La matérialité des faits n'est pas contestée par l'employeur.

S'agissant de la réduction du champ de son activité professionnelle, Mme X... reproche à son employeur, en premier lieu, de ne pas l'avoir conviée à l'inauguration de son propre projet en Croatie, ce qui n'est pas contesté. En second lieu, elle fait valoir que ses déplacements professionnels se sont raréfiés, ce qui n'est pas davantage contesté. En troisième lieu, elle indique avoir reçu comme objectif 2013 d'organiser un voyage aux Antilles dans le but d'accompagner et de développer ce marché et reproche à Mme B... d'avoir refusé sa proposition d'agenda, ce qui n'est pas davantage contesté.

S'agissant de la modification soudaine de ses conditions de travail, Mme X... reproche à son employeur de l'avoir affectée sur un nouveau secteur en septembre 2012, alors que le départ de la salariée à qui cette zone était confiée était connu depuis le mois de juin, et de lui avoir ôté le secteur des Balkans qui lui avait valu de nombreuses félicitations en 2011, sans que son contrat de travail ait fait l'objet d'un avenant, et d'avoir décidé soudainement un voyage en Scandinavie la semaine précédant ses vacances en décembre, ce qui l'a contrainte, selon elle, à annuler sa semaine de vacances pour pouvoir rédiger ses rapports. Ni la modification du secteur de Mme X..., ni les dates du voyage en Sandinavie ne sont contestées par l'employeur. Enfin, Mme X... reproche à sa supérieure d'avoir été désignée pour assurer la permanence de service à Noël en 2012 alors qu'elle l'avait déjà fait en 2011 ce qui est contesté par la société Chanel qui soutient que Mme X... était en congés depuis le 24 décembre. La cour relevant que le bulletin de salaire fait apparaître la journée du 24 décembre avec la mention 'pont' retiendra que Mme X... n'établit pas avoir été de permanence le jour de Noël.

S'agissant de l'intensification importante de sa charge de travail, Mme X... reproche à l'employeur de lui avoir attribué des tâches incombant normalement à Mme B..., ce qui est contesté par la société Chanel et n'est pas explicité par Mme X... dans ses écritures de sorte que la cour ne retiendra pas que les faits sont établis. Elle lui reproche également d'avoir dû former un nouvel arrivant en plus de ses missions habituelles. Cet élément factuel n'est pas contesté par l'employeur.

S'agissant des reproches incessants émanant de Mme B..., Mme X... critique essentiellement l'évaluation de performance 2012 dont elle a fait l'objet le 15 janvier 2013 et la baisse de sa notation. A cet égard, la cour relève que Mme X... ne justifie en rien du caractère incessant des reproches qu'aurait formulés Mme B... à son égard, et que lors de leurs auditions dans le cadre de l'enqête diligentée par l'employeur à la suite de la dénonciation par Mme X... d'agissements de harcèlement moral, aucun des autres salariés ne confirme une telle attitude, plusieurs soulignant, au contraire, la volonté d'accompagnement et la bienveillance de Mme B.... S'agissant de l'évaluation, en revanche, il n'est pas contesté qu'a été cochée la case 'ne répond pas aux attentes', que contrairement à ce qu'affirme la salariée, cette notation n'a pas été changée lors de la rédaction d'une deuxième version plus explicite de l'entretien par Mme B... de sorte que la cour retiendra que des reproches ont été formulés par la supérieure hiérarchique de la salariée à l'encontre du travail de celle-ci mais pas de façon incessante.

S'agissant enfin de la mise à l'écart de Mme X..., celle-ci déplore de ne pas avoir été convoquée en mars 2013 pour l'attribution (ou non) de sa prime au mérite 2012 et de ne pas avoir bénéficié du parcours d'intégration cadre pourtant mentionné dans son évaluation annuelle 2011, tous éléments factuels qui ne sont pas contestés par l'employeur.

Les éléments factuels retenus comme établis par la cour, pris dans leur ensemble, sont de nature à laisser présumer des agissements de harcèlement moral et il appartient en conséquence à l'employeur de démontrer qu'ils sont justifiés par des éléments objectifs qui y sont étrangers.

Sur le travail inutile, la société Chanel fait valoir que s'il est vrai que le travail de Mme X... sur la Croatie n'a pas été présenté lors de la « business revue » de mars 2012, ce projet avait déjà fait l'objet de plusieurs présentations et notamment le 6 septembre 2011 devant l'ensemble des cadres Europe interdivision et que le travail de synthèse qui lui avait été demandé n'avait rien d'inutile puisque lors de cette revue ont été évoquées certaines de ses réalisations sur la Roumanie et le duty free d'Amsterdam. La cour, observant que la salariée ne dément aucunement les assertions de la société Chanel, considère que celle-ci établit ainsi que les faits sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement moral.

Sur le rétrécissement du champ professionnel de la salariée, la société Chanel explique que si Mme X... n'a pas été conviée à l'inauguration de son projet Zagreb en Croatie en juin 2012, c'est parce qu'elle avait déjà accompli plusieurs voyages en Croatie et que le directeur de zone export, mécontent de la plus-value apportée par Mme X... - ce qu'il explique dans un mail du 9 juin 2013 - avait souhaité que Mme B... fasse le voyage. La cour considère en conséquence que l'employeur démontre ainsi que les faits sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Sur la raréfaction des voyages professionnels de la salariée, la société Chanel conteste que Mme X... n'ait effectué que 4 voyages comme elle le prétend, démontre qu'en réalité, entre 2012 et 2013, elle a effectué 7 voyages (visites de marché) et fait valoir que dans le cadre du budget confié à Mme B..., celle-ci a donné la priorité aux collaboratrices nouvellement arrivées, Mmes C... et D..., ou au collaborateur qui a ouvert en 2012 une boutique éphémère en Turquie, ce qui a occasionné des voyages exceptionnels (M. E...), ce qui suffit à démontrer que les faits sont justifiés par des éléments étrangers à tout harcèlement moral.

Enfin, s'agissant du voyage aux Antilles, la société Chanel explique que Mme X... n'a pas respecté la procédure mise en place par Mme B... relative à la validation préalable des demandes de voyage qui a pourtant été portée à sa connaissance par mail du 1er mars 2012 communiqué au dossier, que cette destination n'était pas prioritaire, appréciation qui relève du pouvoir de direction de l'employeur et que le voyage n'avait pas été fixé dans ses objectifs 2013, la question en étant simplement posée, de sorte que la décision de refuser sa proposition de voyage, non validée en amont, est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement moral.

Sur la modification des conditions de travail de Mme X..., la société Chanel fait d'abord remarquer, à juste titre, que la modification des conditions de travail d'un salarié ne rend pas nécessaire la signature d'un avenant au contrat de travail, de sorte que Mme X... ne peut valablement en faire grief à l'employeur. Par ailleurs, il résulte des pièces versées aux débats qu'à partir du 1er octobre 2012, une chef de projet senior, Mme F..., a été mutée en Italie et que sa remplaçante, Mme C..., arrivée le 27 août 2012, a d'abord été accompagnée par elle durant le mois de septembre, puis par Mme X... à partir d'octobre, sans toutefois que celle-ci ait à gérer les pays dépendant du portefeuille de Mme C... et que cet accompagnement était une pratique courante au sein de l'entreprise. De plus, la société Chanel explique que les arrivées et départs des collaborateurs sont l'occasion d'éventuelles modifications et de rééquilibrage de la répartition des secteurs, ce qui est compréhensible. Enfin, il ressort de l'audition de Mme B... qu'elle a été confrontée à des difficultés avec les commerciaux qui ne voulaient plus travailler avec Mme X..., ce qui est également confirmé par un mail de Mme G..., ancienne N+2 de Mme X..., en date du 16 mai 2013, de sorte que M. H... (N+3) a tranché et a confié à Mme X... le marché, nouveau pour elle, de la Scandinavie. D'autre part, Mme B... précise qu'à la suite du départ de Mme F... mais aussi de celui de Mme I... en juin 2012, il a été décidé de revoir la répartition des zones entre les nouvelles recrues et les personnes déjà présentes, que le changement n'a pas été brutal contrairement à ce qu'indique Mme X... mais qu'il n'était pas possible de répartir les zones plus tôt puisque que la répartition dépendait pour partie du profil des personnes qui allaient être recrutées. L'ensemble de ces éléments suffit à établir que les faits dénoncés par Mme X... sont justifiés par des éléments objectifs, étrangers à tout harcèlement moral.

S'agissant du voyage en Scandinavie, Mme X... ne démontre pas que ce voyage, précédant sa semaine de vacances, l'a contrainte à annuler celle-ci puisque ce voyage a eu lieu du 10 au 14 décembre, qu'elle a pris ses congés payés du 24 décembre au 2 janvier et que Mme B... dans un mail du 20 décembre 2010, lui précise qu'elle pouvait prendre son temps pour déposer un rapport complet. La cour retiendra en conséquence que les faits sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement moral.

Sur l'intensification importante de sa charge de travail, la cour considère que l'accueil d'un nouvel arrivant par un chef de projet déjà en place ne relève pas du harcèlement moral et observe que Mme B... a elle-même pris en charge les clients de Mme I... au départ de celle-ci en juin 2012. Par ailleurs, la société Chanel démontre en produisant un tableau sur la répartition du travail entre les chefs de projet en 2012 et 2013, qu'en septembre 2012, si Mme X... avait deux pays opérateurs de plus que M. E..., celui-ci gérait un chiffre d'affaires bien supérieur au sien. De plus, la société Chanel établit qu'en fin d'année 2012, Mme X... s'est vu retirer deux marchés qui n'ont pas été remplacés par d'autres. Enfin, s'agissant des projets transversaux, la société Chanel démontre que ces projets sont répartis entre les chargés de projets en produisant un tableau dont le contenu n'est pas critiqué par la salariée et qui établit qu'elle a bénéficié de cette distribution à l'instar de ses autres collègues, y compris les plus jeunes, et qu'au surplus, le projet transverse qui lui avait été attribué lui a été retiré par décision de Mme J... en août 2013, lorsqu'elle a indiqué ne pas être en mesure de gérer ce travail. Par ailleurs, s'agissant des demandes de rapports dans l'urgence, Mme X... vise deux demandes, l'une du 21 mai 2012, l'autre du 20 décembre 2012, ce qui prouve que ces demandes n'étaient pas trés fréquentes et la société Chanel souligne que de l'aide a été proposée à Mme X... pour la réalisation du premier compte-rendu dont l'urgence était justifiée par la proximité de l'événement et que pour le second rapport, Mme B... a expliqué à la salariée qu'elle n'exigeait pas un rapport complet. Il résulte de l'ensemble de ces éléments que les faits dénoncés par Mme X... sont, là encore, justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement moral.

S'agissant des reproches émanant de Mme B..., comme le fait justement remarquer la société Chanel, les écritures de la salariée ne font état que de l'entretien d'évaluation de performance 2012 et la baisse de sa notation et plus précisément, Mme X... critique le reproche qui lui est fait sur un rapport relatif à la campagne Coco noir que Mme B... a indiqué être manquant dans sa première version de l'entretien mais qui en réalité lui avait été transmis mais qu'elle a jugé insuffisant et ne répondant pas à ses attentes ce qui est explicité dans la seconde version de l'entretien. La société Chanel démontre par ailleurs que cette évaluation est cohérente avec les reproches formulés par des intervenants sur les évenements gérés par Mme X... que ce soit sur l'événement Pop apt, le podium Amsterdam, l'incident Belgique, les problèmes en Croatie et qu'elle demeurait mesurée de sorte qu'elle démontre ainsi qu'elle était justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout fait de harcèlement moral.

S'agissant de la mise à l'écart de Mme X..., la société Chanel reconnaît que la salariée aurait dû être reçue en entretien par sa supérieure hiérarchique même si sa notation insuffisante ne lui permettait pas de prétendre à une prime mais justifie que l'absence d'entretien était due à l'appréhension de Mme B... et que d'autre part, une réunion qui devait se tenir le 8 avril 2013 et a été désertée par Mme X... au bout de 5 à 10 minutes, devait permettre de le tenir de sorte que les faits sont justifiés par des éléments étrangers à tout harcèlement.

Enfin, s'agissant de l'absence de parcours d'intégration, la société Chanel fait valoir que Mme X... avait été promue en interne ce qui ne suffit pas à justifier l'absence de formation d'autant que son travail ne donnait pas satisfaction.

En définitive, de l'ensemble des éléments établis par la salariée qui laissaient supposer des agissements de harcèlement moral, la cour retient que seul n'est pas justifié par des éléments objectifs, l'absence d'intégration cadre, mais cet élément, à lui seul, n'est pas de nature à caractériser des agissements répétés de harcèlement moral de sorte que la cour, confirmant le jugement sur ce point, ne retiendra pas que les faits de harcèlement moral sont établis.

Sur la rupture du contrat de travail :

Aux termes de la lettre de licencement fixant les limites du litige, le motif du licenciement repose sur l'absence de la salariée « prolongée à plusieurs reprises, ayant des répercussions sur le fonctionnement de la direction export euros, et nécessitant votre remplacement définitif par un salarié en contrat à durée indéterminée'.

Sur le bien-fondé du licenciement :

La cour d'appel rappelle que le licenciement d'un salarié dont le contrat de travail est suspendu en raison de sa maladie, peut être prononcé en raison de la situation objective de l'entreprise dont le fonctionnement serait perturbé, obligeant l'employeur à pourvoir au remplacement définitif du salarié. La charge de la preuve de la perturbation engendrée par le prolongement de l'absence du salarié et de la nécessité de son remplacement définitif repose sur l'employeur.

En l'espèce, il est constant que le licenciement de Mme X... est intervenu alors que son contrat de travail était suspendu depuis le mois d'août 2013 en raison d'arrêts de travail qui se sont succédé, le dernier en date devant s'achever le 16 février 2014.

La procédure de licenciement a été engagée le 5 février 2013, jour de la présentation de la lettre de convocation de la salariée à l'entretien préalable.

Celui-ci s'est tenu dans le respect des délais, le 12 février 2013 et la lettre de licenciement a été expédiée le samedi 15 février 2013, deux jours ouvrables au moins après l'entretien préalable de sorte que la procédure est parfaitement régulière, Mme X... ne pouvant valablement prétendre que le jour du licenciement est le 17 février 2014, jour où l'employeur lui a remis en main propre une copie de la lettre de licenciement alors que celle-ci lui avait été envoyée l'avant-veille, le15 février 2014, et que seule la date de cet envoi qui caractérise la manifestation de la volonté de l'employeur de rompre le contrat de travail doit être prise en compte comme date d'effet du licenciement.

Mme X... soutient que l'employeur s'est précipité pour lui adresser sa lettre de licenciement dès lors qu'elle a porté à sa connaissance le fait qu'elle entendait reprendre son travail à l'expiration de son dernier arrêt, soit le 17 février 2014. Cependant, elle n'est pas en mesure de justifier qu'elle a informé l'employeur de la date de son retour. En effet, elle ne communique aucun courrier en ce sens, aucune attestation, et la cour observe en outre que le courrier de son avocat, daté du 4 février 2014, ne fait aucunement mention d'une possible reprise du travail moins de quinze jours plus tard mais au contraire signale qu'elle est toujours en arrêt maladie avec une aggravation de sa situation. Enfin, le simple SMS d'une salariée prénommée Catherine, en date du 11 février 2014, l'une des seules confidentes de Mme X... sur sa maladie, indiquant 'on m'avait simplement appris que tu reprenais le boulot lundi' ne suffit pas à établir que la société Chanel était informée que Mme X... entendait reprendre effectivement son travail à l'issue de son dernier arrêt maladie.

Enfin, Mme X... ne justifie pas davantage avoir subi ou sollicité une visite de reprise de sorte que son contrat de travail était toujours suspendu pour raison médicale au jour où elle a été licenciée mais également le 17 février lorsqu'elle s'est présentée sur le lieu de travail et s'est vu remettre la copie de sa lettre de licenciement et dispenser de préavis.

S'agissant de la désorganisation de l'entreprise provoquée par l'absence de Mme X..., la cour observe que si comme la société Chanel le soutient, elle était dans l'incertitude quant au retour de sa salariée, la simple affirmation qu'il n'était pas possible de remplacer Mme X... par un salarié en contrat à durée déterminée dès lors que la prise de connaissance du marché implique de nombreux voyages, ne suffit pas à justifier de cette impossibilité. Par ailleurs, le fait que le service de Mme X... pesait essentiellement sur les épaules de sa supérieure hiérarchique Mme B..., dont ce n'était pas le rôle et que cette situation ne pouvait se pérenniser, ne suffit pas davantage à prouver que la seule solution de la société Chanel pour remédier à ce problème était le remplacement définitif de Mme X... et son licenciement notifié le samedi sans même attendre de savoir si son dernier arrêt de travail qui arrivait à son terme le lendemain du licenciement allait ou non être prolongé.

La cour considère en conséquence que la société Chanel ne rapporte pas la preuve que l'absence de Mme X... entraînait une désorganisation telle de l'entreprise que le remplacement définitif de la salariée était rendu nécessaire de sorte que le licenciement n'est pas fondé sur une cause réelle et sérieuse.

Sur la nullité du licenciement :

Mme X... soutient que son licenciement est nul dès lors qu'il est motivé par son état de santé et par le fait qu'elle a dénoncé des agissements de harcèlement moral et sollicite l'infirmation du jugement qui l'a déboutée de sa demande sur ce point.

La société Chanel conclut au débouté et à la confirmation du jugement.

La cour observe tout d'abord que le seul fait que Mme X... a dénoncé des agissements de harcèlement moral en mai 2013 et qu'elle a ensuite été licenciée en février 2014 ne suffit pas à établir qu'elle a été licenciée à cause de cette dénonciation en l'absence de tout élément objectif permettant de faire le lien entre les deux événements, et ce d'autant que, dans la lettre de clôture de l'enquête diligentée par l'employeur suite à cette dénonciation, qui a été adressée à la salariée le 24 septembre 2013, l'employeur lui précise ses attentes, lui indique qu'il va l'inscrire à une formation interne pour l'aider et qu'un point d'étape sera fait régulièrement par son management ce dont la cour déduit que le licenciement de Mme X... n'était pas envisagé même si la société Chanel considérait que les faits de harcèlement n'étaient pas établis.

Par ailleurs, le seul fait que la cour a jugé que le licenciement n'était pas fondé sur une cause réelle et sérieuse ne laisse pas supposer à lui seul, l'existence d'une disrimination fondée sur l'état de santé de la salariée et entraînant la nullité du licncement.

La cour confirmera donc le jugement en ce qu'il a dit le licenciement sans cause réelle et sérieuse et rejeté la demande de nullité du licenciement présentée par Mme X....

Sur les conséquences du licenciement :

La nullité du licenciement n'étant pas retenue et la société Chanel s'opposant à la réintégration de la salariée, toutes les demandes présentées par celle-ci en conséquence de la nullité du licenciement (rappel de salaire, participation à l'intéressement, remboursement des frais de formation, remboursement des frais de mutuelle) et sa réintégration sous astreinte seront rejetées, le jugement étant confirmé de ce chef.

Sur l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, Mme X..., employée depuis plus de deux ans dans une entreprise comprenant au moins onze salariés, doit être indemnisée en raison du licenciement sans cause réelle et sérieuse à hauteur d'une somme qui ne peut être inférieure à ses salaires des six derniers mois en application de l'article L. 1235-3 du code du travail dans sa version applicable au litige. Eu égard à son âge (née [...]), à son ancienneté dans l'entreprise (plus de huit ans), à ses salaires des six derniers mois, aux circonstances du lienciement, à ce qu'elle justifie de sa situation postérieure au licenciement (recherches vaines d'emploi, ASS à compter de mars 2017), son préjudice sera suffisamment réparé par l'allocation d'une somme de 50 000 euros et le jugement sera infirmé de ce chef.

Le jugement sera confirmé en ce qu'il a fait d'office application de l'article L. 1235-4 du code du travail.

Sur les autres demandes :

Sur la demande de dommages-intérêts pour préjudice matériel et moral, présentée sur le fondement de l'article 1382 du code civil dans sa rédaction applicable au litige, la salariée reproche à l'employeur ses conditions de travail et d'éviction mais dès lors que la cour n'a pas retenu que le harcèlement moral était établi, que la salariée ne justifie pas que la dégradation de son état de santé est la résultante de ses difficultés professionnelles alors qu'il est établi au dossier qu'elle a été atteinte d'un cancer du sein et qu'elle était sujette aux crises de tétanie, ni d'un préjudice distinct de celui résultant de la rupture du contrat de travail, déjà indemnisé, sa demande de dommages-intérêts sera rejetée et le jugement confirmé de ce chef.

Sur la demande de prise en charge du coût de la formation, cette demande sera rejetée, aucune disposition légale n'obligeant l'employeur à prendre en charge cette formation dont le suivi à partir de novembre 2015, plus d'un an et demi après le licenciement, a abouti à l'obtention d'un diplôme en juin 2017, résulte de la propre initiative de la salariée et n'est pas la conséquence directe et certaine du licenciement. Le jugement sera infirmé de ce chef.

Les intérêts au taux légal portant sur les condamnations de nature indemnitaire sont dus à compter de la présente décision. La capitalisation des intérêts dans les conditions d'application de l'article 1343-2 du code civil sera ordonnée.

Sur les demandes présentées par la société Chanel relatives à la priorité de réengagement, la sommation de communiquer, et le rejet de certaines de ses pièces, la cour relève que Mme X... ne forme aucune demande de ce chef dans le dispositif de ses conclusions et que la cour n'en est donc pas saisie en application de l'article 954 du code de procédure civile. Ces demandes sont sans objet.

Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens :

Le jugement sera confirmé en ce qu'il a statué sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile. En cause d'appel, la société Chanel supportera également les dépens et devra indemniser Mme X... des frais exposés par elle et non compris dans les dépens à hauteur de la somme de 2 000 euros.

PAR CES MOTIFS :

La cour, statuant par mise à disposition au greffe et contradictoirement,

Confirme le jugement sauf en ce qu'il a statué sur le montant de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et sur les frais de formation,

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,

Condamne la société Chanel à payer à Mme Ophélie X... la somme de 50'000 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

Déclare sans objet les demandes formées par la société Chanel sur la priorité de réengagement, la sommation de communiquer et le rejet de ses pièces,

Déboute Mme Ophélie X... du surplus de ses demandes,

Condamne la société Chanel à payer à Mme Ophélie X... la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne Mme Ophélie X... aux dépens d'appel.

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Monsieur Luc LEBLANC, président et par Madame POIRIER, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier,Le président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 19e chambre
Numéro d'arrêt : 16/04581
Date de la décision : 26/09/2018

Références :

Cour d'appel de Versailles 19, arrêt n°16/04581 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2018-09-26;16.04581 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award