COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 80A
17e chambre
ARRÊT N°
CONTRADICTOIRE
DU 05 SEPTEMBRE 2018
N° RG 16/02745
AFFAIRE :
SAS CAI ACTUATORS
C/
Alain X...
Décision déférée à la cour: jugement rendu le 13 avril 2016 par le conseil de prud'hommes - formation paritaire - d'Argenteuil
Section : industrie
N° RG : 15/00463
Copies exécutoires et copies certifiées conformes délivrées à :
Me Denis Y...
SCP EVODROIT
le :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE CINQ SEPTEMBRE DEUX MILLE DIX HUIT,
La cour d'appel de VERSAILLES, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre:
SAS CAI ACTUATORS
[...]
comparante en la personne de Narcisso Z..., président, intervenant régulièrement (extrait Kbis et pièce d'identité)
assistée de Me Denis Y..., avocat au barreau de PARIS, vestiaire:R006
APPELANTE
****************
Monsieur Alain, Jacques X...
[...]
comparant en personne,
assisté de Me Carole A... de la SCP EVODROIT, avocate au barreau du VAL D'OISE, vestiaire : 13
INTIME
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 25 mai 2018, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Elisabeth ALLANNIC, Conseiller, chargée d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Clotilde MAUGENDRE, Président,
Madame Monique CHAULET, Conseiller,
Madame Elisabeth ALLANNIC, Conseiller,
Greffier, lors des débats : Madame Marine GANDREAU,
Par jugement du 13 avril 2016, le conseil de prud'hommes d'Argenteuil a :
- dit le licenciement de M. X... dépourvu de cause réelle et sérieuse,
- fixé la moyenne des salaires bruts de M. X... à la somme de 3 770,35 euros,
- condamné la SAS Cai Actuators, prise en la personne de son représentant légal, à payer à M.X..., les sommes suivantes :
. 11 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
. 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail,
. 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- débouté M. X... du surplus de ses demandes,
- débouté la SAS Cai Actuators, prise en la personne de son représentant légal, de ses demandes,
- fixé les intérêts au taux légal à compter de la date de réception de la convocation devant le bureau de conciliation par la SAS Cai Actuators, prise en la personne de son représentant légal, - dit que les intérêts échus depuis plus d'un an à compter de cette date seront eux-mêmes productifs d'intérêts au taux légal,
- mis à la charge de la SAS Cai Actuators, prise en la personne de son représentant légal, les éventuels dépens ainsi que les frais d'huissier de justice en cas d'exécution forcée de la décision.
Par déclaration adressée au greffe le 9 mai 2016, la SAS Cai Actuators a interjeté appel de ce jugement et, par conclusions déposées et soutenues oralement à l'audience par son conseil, demande à la cour de :
- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il l'a condamnée,
- confirmer ledit jugement pour le surplus,
statuant à nouveau,
- débouter M. X... de toutes ses demandes et le condamner aux dépens.
Par conclusions déposées et soutenues oralement à l'audience par son conseil, M. X... demande à la cour de :
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a dit que son licenciement ne reposait pas sur une cause réelle et sérieuse,
- infirmer ledit jugement en ce qui concerne le quantum du montant des dommages et intérêts alloués,
- condamner la SAS Cai Actuators à lui payer la somme de 38 922,10 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- confirmer ledit jugement en ce qu'il a considéré que l'employeur avait manqué à son obligation d'exécution loyale du contrat de travail,
- infirmer ledit jugement en ce qui concerne le quantum des dommages et intérêts alloués,
. condamner la SAS Cai Actuators à lui payer la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail,
- le tout avec intérêts au taux légal à compter de la demande,
- condamner la SAS Cai Actuators à lui payer la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens.
SUR CE LA COUR,
La SAS Cai Actuators a pour activité principale la conception, fabrication et commercialisation d'actionneurs pneumatiques et hydrauliques.
Par contrat à durée indéterminée daté du 2 mai 2013, M. X... a été engagé par la SAS Cai Actuators en qualité de technicien commercial sédentaire, moyennant un salaire mensuel brut de 3770,35 euros.
Les relations contractuelles étaient régies par la convention collective régionale des industries métallurgiques, mécaniques et connexes de la région parisienne.
M. X... a été en arrêt de travail du 14 au 19 novembre 2014 prorogé jusqu'au 26 novembre 2014.
Par lettre recommandée avec avis de réception du 8 décembre 2014, M. X... a été convoqué à un entretien préalable à une éventuelle mesure de licenciement fixé le 18 décembre 2014.
M. X... a été licencié pour faute, par lettre recommandée avec avis de réception du 24décembre 2014 ainsi libellée :
« Comme suite à notre entretien du 18 décembre 2014 au cours duquel nous vous avons exposé les motifs de la mesure envisagée et constaté que aucune explication nous a été donnée de votre part, nous vous notifions par la présente lettre votre licenciement pour les motifs suivants:
Propos injurieux envers le responsable de l'entreprise Mr Z... Narcisso Loris, visant à nuire à son autorité, aggravés par le fait que :
- Notifiés par écrit et surlignés en gras. Propos tenus dans le mail du 18/11/2014 23h32 en bas de page précisant :
« Mais au passage, je te remercie bien d'avoir révélé à toute l'équipe CAI la profondeur de la noirceur de ton âme »,
- Envoyé sur la boîte mail de l'entreprise, visible par l'ensemble du personnel,
- Lors de l'entretien préalable à la question « Qu'avez-vous à dire' », vous n'avez pas ni justifié, ni regretté, ni expliqué vos propos.
La date de la première présentation de cette lettre constituera de point de départ de votre préavis que nous vous dispensons d'exécuter, d'une durée de trois mois, au terme duquel vous ne ferez plus partie du personnel de l'entreprise. (...) »
Le 26 octobre 2015, M. X... a saisi le conseil de prud'hommes d'Argenteuil aux fins de contester son licenciement.
Sur la rupture :
En application de l'article L. 1232-1 du code du travail un licenciement doit être justifié par une cause réelle et sérieuse.
Si la charge de la preuve du caractère réel et sérieux du licenciement n'appartient spécialement à aucune des parties, le juge formant sa conviction au vu des éléments fournis par les parties et au besoin après toute mesure d'instruction qu'il juge utile, il appartient néanmoins à l'employeur de fournir au juge des éléments lui permettant de constater la réalité et le sérieux du motif invoqué.
M. X... qui ne conteste pas la matérialité des faits, fait valoir qu'alors qu'il se trouvait en arrêt de travail du 14 au 19 novembre l'employeur a continué de lui adresser des directives et l'a sollicité par mail le 18 novembre 2014 à 19h15 afin de rectifier un dossier, que dans un état de stress intense, il a travaillé jusque tard dans la soirée et a envoyé sa réponse par mail à 23h32 depuis l'adresse structurelle mise en place par l'entreprise pour tous les salariés et que le ton de son mail est similaire à celui utilisé par l'employeur.
La SAS Cai Actuators soutient qu'elle n'a reçu l'arrêt de travail de M. X... que le 19novembre 2014, que le 18 novembre 2014 elle lui a adressé un mail faisant suite au retour d'un client important pour l'entreprise demandant des précisions sur la dernière offre émise par le salarié, et que le mail en réponse de M. X... en date du 18 novembre 2014 à 23h32 a un caractère insultant et a été diffusé à l'ensemble des salariés de l'entreprise.
Il résulte des pièces produites aux débats par les parties que par mail du vendredi 14 novembre 2014 à 05h33, M. X... a informé l'employeur de son absence «ce vendredi matin 14/11, mal au c'ur. SVP à prendre sur mes CP, merci», et par mail du lundi 17 novembre 2014 à 05h38, il l'a informé comme suit «désolé, je serai absent ce lundi 17/11, à nouveau mal à l'épaule gauche et bras gauche un peu ankylosé, je vais essayer d'avoir un RDV avec mon médecin traitant aujourd'hui, pour un arrêt de travail incluant aussi vendredi dernier».
M. X... a fait l'objet d'un arrêt de travail initial du 14 au 19 novembre 2014.
M. X... ne démontre pas en avoir avisé l'employeur avant le 19 novembre 2014.
Ainsi, lorsque la SAS Cai Actuators le sollicite par mail le 18 novembre 2014 à 19h15, son contrat de travail n'est pas suspendu.
Le mail de M. Z..., gérant de l'entreprise, envoyé depuis la messagerie «[...]» à M. X... à 19h15 le 18 novembre 2014 est rédigé comme suit: «Bonsoir ALAIN, IL Y A UN GROS PROBLEME!!! Tu as refait les fiches techniques dans le but de compléter sauf que: LES MODIFICATIONS NE CORRESPONDENT PLUS AU PLANS NI AUX NOMENCLATURES ANNEXES (phrase écrite en couleur rouge). Je ne comprends pas ce que tu as fait. [...] as rajouté un distributeur et détaillé toutes les pièces du pilotage en précisant la marque et cela sans en parler à personne. Jusque-là rien de grave sauf que tu as ENVOYE CELA AU CLIENT. INADMISSIBLE venant de toi! Tu sais l'énorme travail qui a été fait dans ce dossier, qu'il est merdique à cause des nombreuses intervenants et toi tu modifies les fiches techniques sans réfléchir au reste du dossier. Nous avions pratiquement la commande en poche maintenant on est dans la M..!!. PS. Tu es gentil de proposer des réservoirs pour trois courses, sauf que tu me diras où on place le réservoir d'une part et d'autre part qui va payer en plus évidemment de refaire tous les plans (sachant de plus que à l'origine le réservoir est pour une course). Je me pose la question si tu réfléchi un instant aux conséquences. A +».
En réponse à 23h32, M. X... a écrit: «Bonsoir Loris, il n'y a pas de problème de fond, il y a juste une évolution fonctionnellement positive par rapport à une «offre» de 2012 qui ne pouvait techniquement pas être fonctionnelle telle quelle. Là, cela est OK, B... AL HASSAN lui-même approuve ces évolutions, il n'y a pas de problème, et ce même sur la forme, vu que c'était déjà acté dès la 1ere version de la nouvelle version d'offre faite à FALCOR, il n'y a donc pas de surprise, hormis celle issue du CONSTAT que FALCOR et AIG n'avaient RIEN communiqué au client GASCO en mars-avril 2014 ' et là c'en est la preuve, nous en «coxons» AIG en flagrant délit de foutage de gueule à Notre égard ('). DONC: Cool ' la commande EST dans la poche, il suffit d'AMENDER un chouia l'offre ' Mais, au passage, je te remercie d'avoir révélé à toute l'équipe la profondeur de la noirceur de ton âme (en caractère gras dans le texte)' COOL ' Cordialement, Alain».
Ce mail a été envoyé par M. X... à l'adresse «[...]» correspondant à la boîte structurelle de l'entreprise.
La SAS Cai Actuators ne conteste pas que conformément aux directives mises en place au sein de l'entreprise, les salariés devaient envoyer leurs mails à cette messagerie électronique pour s'adresser à l'entreprise et que s'agissant d'une messagerie structurelle, les mails étaient visibles de tous.
Si les termes utilisés par M. Z... dans le mail de 19h15 sont inappropriés comme employant un ton très familier à l'égard de M. X... et affirmant qu'à cause de lui la société est «dans la M..!!», la phrase en partie surlignée en gras employée par M. X... dans son mail en réponse de 23h32 («je te remercie d'avoir révélé à toute l'équipe CAI la profondeur de la noirceur de ton âme») constitue une attaque directe et personnelle à l'égard du gérant, et a été rendue publique au sein de l'entreprise comme ayant été envoyée sur la messagerie structurelle, ce dont le salarié avait connaissance.
De tels propos particulièrement agressifs et visant personnellement le gérant de l'entreprise alors même que ce dernier ne s'était pas placé sur le terrain de l'attaque personnelle dans son mail de 19h15, caractérise une cause réelle et sérieuse de licenciement.
Dès lors, le jugement entrepris sera infirmé, le licenciement de M. X... étant bien-fondé.
Sur l'indemnité pour exécution déloyale du contrat de travail :
M. X... avance que le mail de l'employeur du 18 novembre 2014 de 19h15 révèle que l'entreprise a continué de lui imposer des directives alors même que son contrat de travail était suspendu du fait de son arrêt de travail initial du 14 au 19 novembre.
Dès lors qu'il n'a pas été démontré que la SAS Cai Actuators a été informée de l'arrêt de travail initial du salarié avant le 19 novembre 2014, le mail envoyé le 18 novembre 2014 ne caractérise pas un manquement à son obligation contractuelle d'exécution loyale du contrat de travail.
Le jugement entrepris sera infirmé de ce chef.
PAR CES MOTIFS :
La cour statuant publiquement, contradictoirement, en dernier ressort et par mise à disposition au greffe,
Infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
Dit le licenciement fondé sur une cause réelle et sérieuse,
Déboute M. X... de sa demande d'indemnité pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse,
Déboute M. X... de sa demande d'indemnité pour exécution déloyale du contrat de travail,
Déboute les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires,
Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne M. X... aux dépens.
Arrêt prononcé par mise à disposition au greffe de la cour, conformément à l'avis donné aux parties à l'issue des débats en application de l'article 450, alinéa 2, du code de procédure civile, et signé par Madame Clotilde Maugendre, président et Madame Marine Gandreau, greffier.
Le greffier,Le président,