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26/06/2018 | FRANCE | N°17/06636

France | France, Cour d'appel de Versailles, 12e chambre, 26 juin 2018, 17/06636


COUR D'APPEL


DE


VERSAILLES





VM


Code nac : 66B





12e chambre





ARRET N°





CONTRADICTOIRE





DU 26 JUIN 2018





N° RG 17/06636





AFFAIRE :





A... Z... es qualités de liquidateur amiable de la société Domaine de


[...]











C/


SA BNP PARIBAS














Décision déférée à la cour:

Jugement rendu le 15 Février 2012 par le Tribunal de Commerce de PARIS 04


N° Chambre :


N° Section :


N° RG : 2010063687





Expéditions exécutoires


Expéditions


Copies


délivrées le :


à :


Me Martine X...


Me Anne-laure Y...,





REPUBLIQUE FRANCAISE





AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS





LE VINGT SIX JUIN D...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

VM

Code nac : 66B

12e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 26 JUIN 2018

N° RG 17/06636

AFFAIRE :

A... Z... es qualités de liquidateur amiable de la société Domaine de

[...]

C/

SA BNP PARIBAS

Décision déférée à la cour: Jugement rendu le 15 Février 2012 par le Tribunal de Commerce de PARIS 04

N° Chambre :

N° Section :

N° RG : 2010063687

Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :

à :

Me Martine X...

Me Anne-laure Y...,

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LE VINGT SIX JUIN DEUX MILLE DIX HUIT,

La cour d'appel de VERSAILLES, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre:

DEMANDEUR devant la cour d'appel de Versailles saisie comme cour de renvoi, en exécution d'un arrêt de la Cour de cassation du 1er juin 2017 cassant et annulant l'arrêt rendu par la cour d'appel de VERSAILLES le 14 avril 2016

Monsieur A... Z... es qualités de liquidateur amiable de la société Domaine de [...]

[...]

[...]

assisté de Me Martine X... de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 625 - N° du dossier 1758247, Me Vincent LOIR, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : E0874

****************

DEFENDERESSE DEVANT LA COUR DE RENVOI

SA BNP PARIBAS

N° SIRET : 662 042 449

[...]

assistée de Me Anne-laure Y..., Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 628 - N° du dossier 42217 et de Me Franck DENEL, Plaidant, avocat au barreau de MONTPELLIER

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 786 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 17 Mai 2018 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Mme Véronique MULLER, Conseiller chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Monsieur François LEPLAT, Conseiller faisant fonction de président,

Monsieur Denis ARDISSON, Conseiller,

Mme Véronique MULLER, Conseiller,

Greffier, lors des débats : Monsieur Alexandre GAVACHE,

EXPOSÉ DU LITIGE

Selon trois actes authentiques du 28 décembre 1989, la société à responsabilité limitée Domaine de [...] - société en cours de formation constituée entre M. A... Z... , et les sociétés luxembourgeoises Promazur invest et Medit invest - a acquis des consorts B... une propriété dite "domaine de [...]" située à [...] (34) moyennant le prix de 10.000.000 francs, outre 15 hectares de terres au prix de 900.000 francs et 4 hectares de terres au prix de 241.160 francs.

La BNP, aujourd'hui BNP Paribas, est intervenue à chacun des trois actes afin de consentir à la société Domaine de [...], en cours de formation :

- un prêt de 10.795.860 francs sous forme d'une ouverture de crédit d'une durée de deux ans remboursable au plus tard le 28 décembre 1991, ce qui a donné lieu à l'ouverture d'un compte de prêt n°[...] par le crédit duquel le remboursement devait s'effectuer,

- un prêt d'un montant de 943.000 francs aux mêmes conditions et à même échéance (compte n°[...]),

- un prêt de 261.140 francs aux mêmes conditions et à même échéance (compte n°[...]).

La BNP a également consenti le 25 septembre 1990 à la société Domaine de [...] un prêt d'un montant de 1.000.000 francs sous forme d'une ouverture de crédit remboursable au plus tard au 31 décembre 1991.

La date butoir de remboursement des prêts a été reportée au 31 décembre 1992.

La société Domaine de [...] a été immatriculée au RCS le 15 janvier 1990. Celle-ci n'ayant pas respecté ses engagements, la BNP a rendu exigible au 7 avril 1993 la totalité de ses créances et engagé des procédures aux fins de les recouvrer.

Courant 1997, la société Domaine de [...] a été placée en liquidation amiable, M. A... étant désigné en qualité de liquidateur amiable.

1 - les procédures sur saisies immobilières exercées par la banque BNP Paribas

Différentes procédures de saisie immobilière ont été introduites devant le tribunal de grande instance de Béziers.

La BNP a fait délivrer un commandement aux fins de saisie immobilière le 21 avril 1998. Par arrêt du 21 mars 2001, la cour d'appel de Montpellier a confirmé la décision du juge des criées qui avait rejeté le dire de contestation de la saisie.

La Cour de cassation a rejeté le pourvoi dirigé contre cet arrêt le 28 mai 2003.

Le 24 octobre 2001, la BNP faisait délivrer un nouveau commandement de saisie immobilière.

Par arrêt du 7 avril 2003, la cour d'appel de Montpellier, statuant sur appel d'une décision du juge des criées du tribunal de grande instance de Béziers du 26 mars 2002, a réformé partiellement la décision déférée et, jugeant à nouveau, a :

- dit que la poursuite était valablement fondée à l'encontre de la SARL Domaine de [...] sur l'acte notarié du 25 septembre 1990 (prêt d'un montant de 1.000.000 francs),

- dit que la poursuite n'était pas valablement fondée sur les actes du 28 décembre 1989, la société Domaine de [...] n'étant pas débitrice de ces prêts (en raison du défaut de reprise par la société des actes conclus par celle-ci "en cours de formation").

La BNP a poursuivi la procédure de saisie immobilière au titre du seul prêt de 1.000.000 francs qui a en définitive été payé.

2 - l'action exercée par la société Domaine de [...], tendant à faire juger qu'elle n'est pas débitrice au titre des trois premiers prêts consentis à la société en cours de formation

Parallèlement, M. Z... ès qualités de liquidateur amiable de la société Domaine de [...] a assigné la BNP devant le tribunal de grande instance de Béziers selon actes délivrés le 28 décembre 1999 aux fins de faire juger que cette société n'était pas débitrice au titre des contrats de prêt consentis alors qu'elle était en cours de formation, faute d'avoir repris les engagements souscrits. Il sollicitait en outre remboursement des échéances, demande qu'il a toutefois abandonnée en cours d'instance. Il a enfin sollicité la péremption du commandement du 21 avril 1998.

Par jugement du 3 février 2003, le tribunal de grande instance de Béziers l'a débouté de ses demandes, constatant néanmoins la péremption du commandement délivré le 21 avril 1998.

La cour d'appel de Montpellier a infirmé cette décision dans un arrêt du 11 octobre 2004, constatant que : " les demandes de la société Domaine de [...] tendant à faire juger qu'elle n'est pas débitrice des prêts du 28 décembre 1989, ceux-ci ne lui étant pas opposables, et à faire ordonner la radiation des inscriptions prises sur le fondement de ces prêts aux frais de la BNP sont dépourvues d'objet" dès lors que par l'arrêt de la même cour du 7 avril 2003 (cf infra) il a déjà été statué sur la demande visant à dire que la société Domaine de [...] n'est pas débitrice des prêts et que la main-levée des inscriptions a déjà été ordonnée.

3 - l'action exercée par la BNP Paribas à l'encontre de la société Domaine de [...] en enrichissement sans cause

La banque a également assigné la société Domaine de [...] devant le tribunal de grande instance de Béziers par acte du 24 juillet 2003 par le biais de l'action oblique en enrichissement sans cause.

Le tribunal de grande instance de Béziers a fait droit à cette demande par jugement du 3 décembre 2007 qui a été infirmé par la cour d'appel de Montpellier jugeant que l'enrichissement reposait sur une cause légale à savoir l'article L. 210-6 du code de commerce.

Le pourvoi dirigé contre cet arrêt par la banque a été rejeté le 8 avril 2010.

4 - l'action exercée par M. Z..., ès qualités, en répétition de l'indu (échéances des trois premiers prêts réglées par la société Domaine de [...])

Par acte du 7 septembre 2010, M. Z... ès qualités a assigné la BNP Paribas devant le tribunal de commerce de Paris en restitution des sommes indûment prélevées sur les comptes bancaires de la société en 1991 et 1992, au titre du remboursement des premières échéances des trois prêts.

Par jugement du 15 février 2012, le tribunal de commerce de Paris a jugé l'action prescrite, plus de 10 années s'étant écoulées entre chacun des paiements (1991 et 1992) et l'introduction de l'instance en septembre 2010.

Par arrêt du 5 décembre 2013, la cour d'appel de Paris a - par substitution de motifs - confirmé le jugement en ce qu'il a constaté la prescription de l'action, retenant toutefois comme point de départ du délai de prescription la date de révélation du caractère indu du paiement, soit le 28 décembre 1999, considérant que l'interruption de prescription (résultant des assignations de la même date) était non avenue du fait de l'abandon, en cours d'instance, de la demande en restitution des échéances payées.

Par arrêt du 16 avril 2015, la Cour de cassation, saisie sur pourvoi de M. Z... es qualités, a cassé et annulé en toutes ses dispositions cette décision au motif de la violation de l'article 2246 du code civil (les deux actions engagées en 1999, l'une aux fins de voir juger que la société n'est pas débitrice, l'autre aux fins d'obtenir restitution des sommes versées, poursuivant en fait un seul et même but, l'interruption de prescription s'étant ainsi étendue d'une action à l'autre, de sorte que l'abandon d'une des actions était sans incidence sur l'interruption) renvoyant les parties devant la cour d'appel de Versailles.

Par arrêt du 14 avril 2016, la cour d'appel de Versailles a jugé que l'action exercée par M. Z... n'était pas prescrite, confirmant toutefois le jugement du tribunal de commerce du 15 février 2012 en ce qu'il a dit irrecevable l'action exercée par M. Z..., la cour fondant désormais cette irrecevabilité sur l'autorité de chose jugée attachée à l'arrêt de la cour d'appel de Montpellier du 11 octobre 2004, qui avait pris acte du fait que la demande en répétition de l'indu avait été abandonnée.

Par arrêt du 1° juin 2017, la cour de cassation a cassé et annulé en toutes ses dispositions l'arrêt rendu le 14 avril 2016 - au motif que l'autorité de chose jugée n'a lieu qu'à l'égard de ce qui fait l'objet d'un jugement et a été tranché dans le dispositif, ce qui n'était pas le cas de la demande en remboursement des échéances - remettant ainsi la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt, et les renvoyant devant la cour d'appel de Versailles, autrement composée.

PRÉTENTIONS DES PARTIES

Vu la déclaration de saisine régularisée le 6 septembre 2017 par M. Z..., es qualités de liquidateur amiable de la société Domaine de [...].

Vu les dernières écritures signifiées le 29 mars 2018 par lesquelles la société Domaine de [...], représentée par son liquidateur amiable, demande à la cour de :

- Infirmer le jugement rendu le 15 février 2012 par le tribunal de commerce de Paris en toutes ses dispositions ;

Statuant à nouveau,

- Constater que l'action en répétition de l'indu exercée par la société Domaine de [...] n'est pas prescrite,

- Condamner la société BNP Paribas à payer à Monsieur Z... es qualités la somme de 1.241.921,23 euros avec intérêts au taux légal à compter de la perception des dits fonds, soit :

- Sur la somme de 193.101,71 euros (1.266.664,20 francs) depuis le 15 avril 1991

- Sur la somme de 12.166,19 euros (79.805,00 francs) depuis le 23 juillet 1991

- Sur la somme de 198.183,72 euros (1.300.000,00 francs) depuis le 24 janvier 1992

- Sur la somme de 198.183,72 euros (1.300.000,00 francs) depuis le 24 janvier 1992

- Sur la somme de 243.918,43 euros (1.600.000,00 francs) depuis le 31 janvier 1992

- Sur la somme de 198.183,72 euros (1.300.000,00 francs) depuis le 18 février 1992

- Sur la somme de 198.183,72 euros (1.300.000,00 francs) depuis le 18 février 1992

- Condamner la société BNP Paribas à payer à Monsieur Z... es qualités la somme de 2.200.000,00 euros à titre de dommages et intérêts;

- Ordonner la capitalisation des intérêts ;

- Débouter la BNP Paribas de toutes ses fins demandes et prétentions,

- Condamner la société BNP Paribas à payer à Monsieur Z... es qualités la somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamner la Société BNP Paribas aux dépens qui pourront être directement recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile.

Vu les dernières écritures signifiées le 23 mars 2018 au terme desquelles la banque BNP Paribas demande à la cour de :

- Vu les dispositions des articles 1376 et 1377 du code civil, L.110-4 du code de commerce, 2247 du code de procédure civile.

- confirmant la décision entreprise en toutes ses dispositions.

- à titre principal, dire et juger que l'action en répétition de l'indu est irrecevable comme étant prescrite depuis le 24 janvier 2002 ou à tout le moins depuis le 28 décembre 2009.

- dire enfin que Monsieur Z..., pris en sa qualité de liquidateur amiable de la société Domaine de [...], est dépourvu de qualité et d'intérêt à agir en répétition de l'indu, de sorte que sa demande est également irrecevable de ce chef.

- subsidiairement, dire que les paiements indus allégués n'ont pas été effectués par suite d'une erreur de la part de la société Domaine de [...].

- débouter en conséquence Monsieur Z..., es qualités, de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions comme étant injustes et mal fondées.

- le condamner au paiement de la somme de 5 000.00 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- le condamner aux entiers dépens de première instance et d'appel en ce compris le droit affecté au fonds d'indemnisation de la profession d'avoué près la cour d'appel (article 1635 bis P du CGI).

Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la cour, conformément à l'article 455 du code de procédure civile, renvoie aux conclusions déposées par les parties et au jugement déféré.

MOTIFS DE LA DÉCISION

La cassation du précédent arrêt de cette cour "dans toutes ses dispositions" investit la juridiction de renvoi de la connaissance de l'entier litige dans tous ses éléments de fait et de droit, de sorte que la cour est appelée à juger à nouveau de l'ensemble des fins de non-recevoir soulevées par la BNP Paribas, à l'exception de celle tirée de l'autorité de chose jugée attaché à l'arrêt du 11 octobre 2004 relativement à l'abandon de l'action en répétition de l'indu. Il convient donc de statuer d'une part sur la prescription de l'action, d'autre part sur l'absence de qualité et d'intérêt à agir de la société Domaine de [...], avant de statuer sur le bien fondé de l'action en répétition de l'indu.

1 - Sur la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action exercée par la société Domaine de [...] en répétition de l'indu

Le débat porte essentiellement sur le point de départ de cette prescription, et sur l'effet interruptif de l'assignation délivrée le 28 décembre 1999.

Cette question de la prescription a déjà donné lieu à l'arrêt de la cour de cassation du 16 avril 2015 qui a statué dans ces termes :

Vu l'article 2246 du code civil, dans sa rédaction applicable en la cause.

Attendu qu'il résulte de ce texte que la citation en justice interrompt la prescription; que si en principe, l'interruption de la prescription ne peut s'étendre d'une action à l'autre, il en est autrement lorsque les deux actions, quoiqu'ayant des causes distinctes, tendent à un seul et même but. Attendu que, pour déclarer irrecevable comme prescrite l'action en restitution engagée par la société, l'arrêt retient que l'interruption du délai de prescription ne peut résulter que d'une décision statuant irrévocablement sur l'action engagée par l'acte qualifié d'interruptif et qu'en l'espèce, il résulte tant du jugement du tribunal de Béziers du 3 février 2003 que de l'arrêt de la cour d'appel de Montpellier du 11 octobre 2004 qu'aucune de ces juridictions n'a statué sur la demande de remboursement de sommes indûment versées, la demande initiale ayant été abandonné en cours d'instance, de sorte que cet abandon s'analyse en un désistement implicite d'instance, ce qui a pour effet de rendre non avenue l'interruption de la prescription,

Qu'en statuant ainsi, alors que l'action tendant à voir juger que la société n'était pas débitrice de la banque au titre des prêts litigieux, faute de reprise des engagements souscrits par ses fondateurs, et l'action de la société en restitution des sommes prélevées par la banque au titre des mêmes prêts poursuivaient un seul et même but, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

La banque BNP Paribas reprend en premier lieu son argumentation initiale tendant à démontrer que le point de départ du délai de prescription doit être fixé à la date de chaque paiement (1992), indiquant cependant que ce point de départ doit, à tout le moins, être fixé à la date de la connaissance des faits permettant l'action en répétition de l'indu, soit le 28 décembre 1999. Elle reprend en outre son argumentation selon laquelle l'effet interruptif attaché à la procédure introduite le 28 décembre 1999 est non avenu en raison de l'abandon de la demande en cours d'instance.

La société Domaine de [...] fait valoir que le principe selon lequel le point de départ du délai de prescription de l'action en répétition de l'indu est fixé au jour de chaque paiement n'est pas applicable lorsque le caractère indu est consacré par un jugement ultérieur, admettant toutefois que la date du 7 avril 2003 (arrêt de la cour d'appel de Montpellier) ne peut plus être retenue comme point de départ du fait de l'arrêt de la cour de cassation. Elle soutient dès lors que le point de départ serait la date du 11 octobre 2004 (arrêt de la cour de Montpellier confirmant qu'elle n'est pas débitrice de l'emprunt), et subsidiairement la date du 28 décembre 1999, correspondant à l'assignation en répétition de l'indu.

La société Domaine de [...] soutient ensuite que l'assignation du 28 décembre 1999 constitue un acte interruptif de prescription qui s'est poursuivi jusqu'à l'arrêt du 11 octobre 2004. Elle reprend à son compte l'argumentation de la cour de cassation, faisant valoir que l'abandon, dans cette instance, de l'action en répétition de l'indu ne rend pas non avenue l'interruption de prescription dès lors que la seconde action objet de cette procédure, visant à reconnaître qu'elle n'était pas débitrice, poursuivait le même but.

* sur le point de départ du délai de prescription

En matière d'action en répétition de l'indu, le point de départ du délai de prescription est normalement fixé à la date du paiement de chacune des sommes indues dont le remboursement est demandé.

Si le caractère indu du paiement n'est révélé que postérieurement au paiement, le point de départ du délai de prescription peut être fixé à la date de cette révélation, mais non pas ultérieurement.

En l'espèce, la société Domaine de [...] qui soutient que le point de départ du délai de prescription doit être fixé en octobre 2004, voir à la date de son assignation en répétition de l'indu (le 28 décembre 1999) ne démontre nullement n'avoir eu connaissance du caractère indu du paiement qu'à cette date. En tout état de cause, l'assignation ne peut être à la fois rédigée, envoyée à l'huissier puis délivrée par ce dernier dans le même trait de temps, un certain délai étant à tout le moins nécessaire entre la prise de conscience de l'utilité d'une procédure et sa mise en oeuvre effective par la délivrance de l'assignation.

La société Domaine de [...] ne justifiant pas de la date précise à laquelle elle aurait eu conscience du caractère indu du paiement, il convient de retenir la date des paiements, à savoir les 31 janvier et 28 février 1992 comme point de départ du délai de prescription, ce qui au demeurant ne change rien quant à l'interruption de la prescription, dès lors que l'acte interruptif allégué, et non contesté, est survenu moins de 10 ans plus tard, en date du 28 décembre 1999.

* sur l'interruption du délai de prescription

La cour de cassation a jugé que l'abandon de l'action en répétition de l'indu (dans la procédure introduite en décembre 1999) n'avait pas d'incidence sur l'effet interruptif de l'assignation, dès lors que celle-ci comportait également une autre action tendant à voir juger que la société Domaine de [...] n'était pas débitrice à l'égard de la banque, les deux actions poursuivant un seul et même but, l'interruption régulière de cette action s'étant ainsi étendue à l'action en répétition.

Ce point ne fait dès lors plus débat, et l'interruption résultant de l'assignation du 28 décembre 1999 est régulière, les parties ne contestant pas en outre le fait que cette interruption s'est poursuivie jusqu'à la décision statuant irrévocablement sur l'action engagée, en l'espèce l'arrêt de la cour d'appel de Montpellier du 11 octobre 2004.

Compte tenu de la loi du 17 juin 2008 ayant réduit le délai de prescription de l'article L.110-4 du code de commerce à 5 ans, ce nouveau délai s'applique à compter de cette date, sans que la durée totale puisse excéder 10 ans, de sorte que le délai de prescription qui a commencé à courir le 11 octobre 2004 s'est poursuivi jusqu'au 17 juin 2013 (et non pas le 11 octobre 2014).

La société Domaine de [...] ayant introduit son action le 7 septembre 2010, celle-ci n'est pas prescrite.

Le jugement déféré sera donc infirmé de ce chef.

2 - Sur la fin de non-recevoir tirée de l'absence de qualité et d'intérêt à agir de la société Domaine de [...]

Il résulte de l'article 31 du code de procédure civile que l'action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention.

En l'espèce, la banque BNP Paribas soutient que la société Domaine de [...] est dépourvue d'intérêt à agir en répétition de l'indu, dès lors que celle-ci n'a pas personnellement réglé les échéances qui ont en réalité été payées par M. Z... à titre personnel pour une somme de 1,6 million de francs, et par la banque Crédit Lyonnais Luxembourg pour une somme de 1,3 million de francs, ajoutant que la société Domaine de [...] l'a expressément reconnu dans un courrier de décembre 2013.

La société Domaine de [...] affirme au contraire que les sommes de 1,6 et 1,3 millions de francs ont bien été prélevées sur son compte bancaire, peu important que ce compte ait été préalablement alimenté par des tiers.

S'agissant du paiement réalisé le 31 janvier 1992 pour une somme de 1,6 million de francs, il résulte des pièces produites aux débats que M. Z... a viré cette somme de son compte personnel sur le compte de la société Domaine de [...] duquel il a ensuite été débité par la banque.

S'agissant du paiement réalisé le 18 février 1992, pour un montant de 1,3 million de francs, il résulte des pièces produites que la société Domaine de [...] a reçu un virement à hauteur de cette somme le 18 février, avant de procéder au règlement en faveur de la banque.

C'est donc bien la société Domaine de [...], propriétaire des fonds déposés sur son compte, qui a réglé les échéances litigieuses.

Il sera ajouté que les documents bancaires attestant des virements entre les différents comptes prévalent sur les informations imprécises données par la société Domaine de [...] dans son courrier du 22 décembre 1993. De même, les documents produits sont insuffisants à établir une affectation spéciale des virements reçus par la société Domaine de [...] au remboursement du prêt. A la supposer établie, cette affectation spéciale ne modifierait en rien le fait que les fonds déposés sur le compte de la société Domaine de [...] sont sa propriété, et que les règlements effectués à partir de ce compte suffisent à justifier qu'elle en est l'auteur.

La fin de non-recevoir ainsi soulevée sera donc rejetée.

3 - Sur le bien fondé de l'action en répétition de l'indu

Il résulte de l'article 1377 du code civil, dans sa version applicable au présent litige, que lorsqu'une personne qui, par erreur, se croyait débitrice, a acquitté une dette, elle a le droit de répétition contre le créancier.

En l'espèce, la société Domaine de [...] affirme d'une part que les paiements ne correspondent pas à un paiement volontaire de sa part dès lors que la banque a opéré des prélèvements automatiques d'office, d'autre part qu'elle s'est crue débitrice du prêt alors même qu'elle ne l'était pas, ce qui suffit à caractériser l'erreur justifiant sa demande de restitution. Elle conteste en outre avoir fait preuve de négligence en réglant des échéances du prêt alors qu'elle n'en était pas débitrice, ajoutant qu'en tout état de cause cette éventuelle négligence ne la prive pas de son droit à réparation. Elle ajoute que le fait qu'elle ait pris conscience, en 1999, du fait qu'elle n'était pas débitrice n'implique pas que cette conscience ait existé au moment du paiement en 1992.

La banque BNP Paribas soutient que l'erreur invoquée est «impossible», la société Domaine de [...] ayant nécessairement connaissance de l'absence de reprise des engagements qu'elle avait elle-même souscrit lorsqu'elle se trouvait en cours de formation, dès lors que cette formalité lui incombait personnellement. Elle ajoute que le fait de ne pas avoir repris ' volontairement ou involontairement ' les engagements souscrits en son nom constitue à tout le moins une négligence qui la prive du bénéfice de l'action en répétition de l'indu.

En application des dispositions précitées, il appartient à la société Domaine de [...] qui invoque le caractère indu du paiement, de rapporter la preuve que, par suite d'une erreur, ce paiement n'était pas dû.

L'erreur alléguée par la société Domaine de [...] tient au fait qu'elle n'était pas débitrice du prêt, ce dont elle n'aurait pas eu connaissance à l'époque des paiements.

Force est toutefois de constater, comme le fait observer la banque BNP Paribas que la société Domaine de [...] ne procède que par affirmation, et qu'elle n'argue d'aucun fait, et ne produit aucun document permettant d'accréditer la thèse de son ignorance du fait qu'elle n'était pas débiteur du prêt.

Tout porte au contraire à penser que la société Domaine de [...] a payé en toute connaissance de cause, d'une part car elle y avait intérêt, ne pouvant se prétendre propriétaire du bien immobilier si elle n'avait pas acquitté le prix correspondant, en l'occurrence le prêt permettant cette acquisition, d'autre part car le véritable débiteur du prêt n'était autre que cette même société Domaine de [...] à la différence près qu'elle se trouvait alors «en cours de formation». La cour observe au surplus que celle-ci était composée des trois mêmes associés - dont M. Z... pour moitié des parts - que la "société Domaine de [...]" régulièrement immatriculée, ayant procédé aux paiements, ces mêmes associés ne pouvant dès lors ignorer que la véritable débitrice était la société «en cours de formation».

Faute pour la société Domaine de [...] de produire le moindre élément permettant d'accréditer la thèse de son ignorance, et donc l'erreur attachée à son paiement, son action en répétition de l'indu n'est pas fondée. La société Domaine de [...] doit dès lors être déboutée de l'ensemble de ses demandes.

Sur l'article 700 du code de procédure civile :

Le jugement du tribunal de commerce de Paris du 15 février 2012 sera confirmé en ce qu'il a condamné la société Domaine de [...] au paiement de frais irrépétibles.

Il sera alloué à la banque BNP Paribas la somme complémentaire de 5.000 euros au titre de ses frais irrépétibles exposés en cause d'appel.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire,

Infirme le jugement du 15 février 2012 en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il a condamné la société Domaine de [...] au paiement de frais irrépétibles et des dépens,

Statuant à nouveau,

Déclare recevable l'action en répétition de l'indu exercée par la société Domaine de [...],

Déboute cependant la société Domaine de [...] de cette action et de l'ensemble de ses demandes,

Condamne la société Domaine de [...] à payer à la banque BNP Paribas la somme de 5.000 euros au titre des frais irrépétibles,

Condamne la société Domaine de [...] aux dépens d'appel, avec droit de recouvrement direct, par application de l'article 699 du code de procédure civile,

prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

signé par Monsieur François LEPLAT, Conseiller faisant fonction de président et par Monsieur GAVACHE, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le GREFFIER, Le PRESIDENT,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 12e chambre
Numéro d'arrêt : 17/06636
Date de la décision : 26/06/2018

Références :

Cour d'appel de Versailles 12, arrêt n°17/06636 : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2018-06-26;17.06636 ?
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